Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Éloge funèbre
Ses fondateurs, Ses citoyens, Ses proches et apparentés, ont la douleur de vous annoncer le décès de l’Idée européenne, survenu à Bruxelles dans des circonstances tragiques ce lundi 13 juillet 2015. Condoléances à adresser au Parlement européen. Ni fleurs ni couronnes. RIP Nous étions proches, très proches même. Nous avons grandi avec toi. Tu nous as fait […]

Ses fondateurs,
Ses citoyens,
Ses proches et apparentés,
ont la douleur de vous annoncer le décès de l’Idée européenne, survenu à Bruxelles dans des circonstances tragiques ce lundi 13 juillet 2015.
Condoléances à adresser au Parlement européen. Ni fleurs ni couronnes.
RIP
Nous étions proches, très proches même. Nous avons grandi avec toi. Tu nous as fait découvrir un continent. Nous avons cru que nous vieillirions ensemble, dans un grand pays démocratique et tolérant dont nous pourrions être fiers et où nous nous sentirions chez nous, de Bruxelles à Athènes, de Berlin à Rome, de Helsinki à Prague. Ma génération a grandi avec l’idée que le drapeau européen était notre drapeau.
Oh, bien sûr, ce n’était pas facile tous les jours. La famille est turbulente, parfois difficile à rassembler, et on ne s’entend pas nécessairement avec ses cousins. Bien sûr, pour faire marcher tout ça, il a fallu construire un système difficile à comprendre, une sorte de tour de Babel un peu surréaliste. Bien sûr, tes dirigeants n’ont pas tous brillé par leur capacité à assumer le projet. Mais on te pardonnait parce que l’enjeu en valait la chandelle : le rêve du moment à venir où nous serions tous unis dans un pays désormais uni et à faire vivre.
Et puis tu as commencé à changer. Petit à petit, imperceptiblement. Vivant ensemble, on ne s’en est pas rendu compte tout de suite. Et puis, ne dit-on pas que l’amour rend aveugle ? C’est vrai que tu avais de mauvaises fréquentations, mais qui n’en a pas ? On a commencé à s’inquiéter, mais on t’a longtemps laissé le bénéfice du doute. Les gens mauvais le sont de naissance, c’est bien connu, or ce n’était pas ton cas.
Aujourd’hui, éberlués et frappés de stupeur, nous contemplons ton cercueil refermé ce lundi. Comment ce projet enthousiasmant auquel nous avons tous cru a pu se radicaliser si vite et basculer dans la violence impitoyable justifiée par une idéologie rigide et intolérante : ce talibanisme monétaire ? Comment, partant des idées généreuses d’union et d’ouverture des frontières avons-nous pu déraper au point de considérer une violence symbolique et politique comme un « succès » de l’Union qu’on va imposer à tout un peuple dans une sorte de délire expiatoire collectif alors que quasiment tous les économistes et intellectuels du monde (BHL excepté, ce qui renforce la crédibilité des autres) s’accordent sur leur caractère totalement inefficace et contreproductif, ou même simplement irréaliste (comme faire une réforme de la justice en… quelques jours)? Comment avons-nous pu transformer la belle valeur qu’est la solidarité en une règle de discipline stricte servant à exclure ceux qui sont dans la difficulté et auraient donc besoin de cette solidarité ? Comment avons-nous pu te laisser dériver au point d’en arriver à considérer comme « normale » ou « nécessaire » la négation des principes démocratiques sur lesquels nous croyions t’avoir fondée et au nom desquels nous nous sommes même permis de refuser des voisins qui frappaient à notre porte ?
La semaine passée, tu t’es suicidée de manière aussi spectaculaire que pathétique. Tu as fait tout ce que nous pensions impensable car contraire aux idées fondatrices et à celles qui animent la plupart des citoyens dans la plupart des pays. Cette mort, c’est notre échec. L’Histoire le jugera probablement sévèrement.
Nos sentiments oscillent entre le chagrin de te voir partir si tôt et l’envie de dire « bon débarras » tant ce que tu étais devenue ces dernières semaines nous a paru hideux. Nous te portons aujourd’hui en terre, mais comme on dit généralement dans de telles circonstances : si la mort n’est pas acceptable, elle fait cependant partie du chemin de la vie. La vie continue et nous espérons que nos enfants sauront demain remettre sur les rails le beau projet européen qui a enthousiasmé notre jeunesse, en tirant les bonnes leçons de l’échec d’aujourd’hui, comme tes fondateurs avaient su dire « plus jamais ça » après 1945…