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Élections primaires en Argentine. Des soucis en perspective

Blog - e-Mois par Xavier Dupret

août 2015

Fortes diver­gences idéo­lo­giques en pers­pec­tive La loi élec­to­rale argen­tine impose l’obligation d’un second tour de scru­tin si aucun can­di­dat ne reçoit au moins 45 % des votes au pre­mier tour ou si le gagnant obtient 40 %, mais avec une marge infé­rieure de 10 % par rap­port au can­di­dat arri­vant en deuxième posi­tion. Depuis le début de cette […]

e-Mois

Fortes divergences idéologiques en perspective

La loi élec­to­rale argen­tine impose l’obligation d’un second tour de scru­tin si aucun can­di­dat ne reçoit au moins 45 % des votes au pre­mier tour ou si le gagnant obtient 40 %, mais avec une marge infé­rieure de 10 % par rap­port au can­di­dat arri­vant en deuxième posi­tion. Depuis le début de cette année, la plu­part des son­dages réa­li­sés don­naient un avan­tage à la for­mule du FpV (soit Daniel Scio­li à la pré­si­dence et Car­los Zani­ni à la vice-pré­si­dence) sur leurs pour­sui­vants de la droite libé­rale (en l’occurrence, Mau­ri­cio Macri et Gabrie­la Michet­ti). Les péro­nistes de droite conduits par Ser­gio Mas­sa poin­taient en troi­sième posi­tion aux alen­tours de 15%.

Les élec­tions pri­maires du mois d’août 2015 ont glo­ba­le­ment confir­mé cette ten­dance. Daniel Scio­li rem­por­tait, en effet, 36% des suf­frages. Les libé­raux sui­vaient le ticket pré­si­den­tiel du FpV à 31%. Les péro­nistes de droite fer­maient la marche avec 20% (un meilleur score que pré­vu)1. En cas de deuxième tour, ils pour­raient se poser en arbitres de l’élection. Au cours de la cam­pagne pour les pri­maires, Ser­gio Mas­sa a fait savoir que son par­ti ne négo­cie­rait pas avec les fonds vau­tours, à la dif­fé­rence de Mau­ri­cio Mar­ci2. Les choses semblent donc bien par­ties pour une réuni­fi­ca­tion des divers cou­rants péro­nistes autour de la can­di­da­ture de Daniel Scioli.

Mais à terme, rien n’augure à prio­ri d’une coexis­tence facile entre Scio­li et Zani­ni. Le pre­mier nom­mé incarne une volon­té de dépas­ser le kirch­né­risme par un recen­trage de la poli­tique éco­no­mique. Les experts éco­no­miques qui avaient appli­qué, durant les années nonante, les poli­tiques pré­co­ni­sées par le FMI et la Banque mon­diale font d’ailleurs leur retour et s’activent aux côtés du can­di­dat Scioli.

Car­los Zani­ni, quant à lui, pro­vient de l’entourage de Nes­tor et Cris­ti­na Kirch­ner dont il fut le plus proche col­la­bo­ra­teur. Par­ti­san d’une ligne éco­no­mique davan­tage mar­quée à gauche (il fut un des ins­pi­ra­teurs de l’inscription de l’Argentine dans la sphère boli­va­rienne au cours des der­nières années), Car­los Zani­ni entend conti­nuer la poli­tique menée par Cris­ti­na Kirch­ner. Cette der­nière ne peut, en effet, pas bri­guer un troi­sième man­dat consé­cu­tif selon la Consti­tu­tion argen­tine. Aus­si, Zani­ni repré­sente-t-il une garan­tie pour le clan Kirch­ner de gar­der une influence sur la vie poli­tique argentine.

Sauf grosse (et impro­bable) sur­prise, on peut augu­rer que le pro­chain gou­ver­ne­ment, si la ten­dance en faveur de Scio­li et de Zani­ni se main­tient, consti­tue­ra un champ de bataille à l’intérieur de la famille péro­niste entre deux ten­dances poli­tiques aux pro­fils mar­qués. La chose, si elle se véri­fiait, serait d’autant plus pro­blé­ma­tique que plu­sieurs dos­siers épi­neux attendent en embus­cade le pro­chain gouvernement.

Fonds vautours

Après avoir fait défaut sur sa dette en 2001, l’Argentine engage des pour­par­lers avec ses créan­ciers en 2005 et en 2010. Plus de 90% des créan­ciers adhé­rent aux termes de la restructuration.

Par­mi les 10% res­tants, on retrouve les fonds vau­tours NML Capi­tal Limi­ted et Aure­lius Capi­tal Mana­ge­ment. En juin 2014, la Cour suprême des Etats-Unis refu­sait l’appel for­mé par le gou­ver­ne­ment argen­tin et don­nait rai­son au juge fédé­ral Tho­mas Grie­sa du dis­trict sud de New York qui, en février 2012, avait dis­po­sé que l’Argentine devait payer la valeur faciale de la dette acquise par les fonds vau­tours, soit 1,3 mil­liard de dol­lars 3. D’après les atten­dus du juge­ment Grie­sa, l’Argentine doit payer soli­dai­re­ment les fonds vau­tours et les créan­ciers qui ont accep­té la for­mule de restruc­tu­ra­tion. Ne s’arrêtant pas en si bon che­min, Tho­mas Grie­sa a don­né rai­son en juin 2015 à 500 créan­ciers qui deman­daient à rece­voir le même trai­te­ment prio­ri­taire que les fonds vau­tours. Coût poten­tiel pour les finances publiques argen­tines : 5,2 mil­liards de dol­lars. Si tous les créan­ciers récal­ci­trants exi­geaient ce type de trai­te­ment, le litige por­te­rait alors sur 23 mil­liards de dol­lars4. Jusqu’à pré­sent, le tri­bu­nal du dis­trict sud de New York a tou­jours ordon­né de payer en cash les créan­ciers5. Les réserves de l’Argentine s’élevaient à 33,847 mil­liards de dol­lars en juin 2015 6. Dès lors, on ima­gine aisé­ment l’impact déstruc­tu­rant qu’un tel paie­ment pour­rait avoir pour l’économie du pays.

A l’heure où ces lignes étaient écrites, le juge Grie­sa était mis sous pres­sion par les fonds vau­tours pour effec­tuer des sai­sies d’actifs sur les comptes aux Etats-Unis de la com­pa­gnie pétro­lière natio­nale YPF et de la Banque cen­trale de la Répu­blique d’Argentine. Par ailleurs, le fonds vau­tour Aure­lius exi­geait de la jus­tice amé­ri­caine qu’il bloque les paie­ments effec­tués sur des comptes aux Etats-Unis pour des emprunts obli­ga­taires réa­li­sés par l’Etat argen­tin sous légis­la­tion argen­tine plus tôt cette année. Cette menace, s’il se concré­ti­sait, ris­que­rait de gêner gran­de­ment l’Etat argen­tin dans ses ten­ta­tives de finan­ce­ment en dol­lars auprès des banques étran­gères. Il en va de même pour la com­pa­gnie publique YPF, active dans le domaine des hydro­car­bures, qui ne pour­rait plus déve­lop­per des pro­jets capi­taux pour la poli­tique éner­gé­tique du pays. A l’heure où ces lignes étaient écrites (août 2015), le juge Grie­sa a fixé une audience en date du 12 août pour déter­mi­ner les suites qu’il accor­de­rait aux pré­ten­tions d’Aurelius. En cas de réponse posi­tive, il ne sera pas facile pour l’Argentine d’emprunter illi­co 20 mil­liards de dol­lars sur les mar­chés afin de dédom­ma­ger les vau­tours. Le retour atten­du de l’Argentine sur les mar­chés finan­ciers s’est, en effet, pro­duit en avril de cette année pour des mon­tants bien infé­rieurs. Le Tré­sor argen­tin a, à l’occasion de ces retrou­vailles, pla­cé des obli­ga­tions pour un mon­tant de 1,415 mil­liard de dol­lars 7. Rien ne dit que les banques inter­na­tio­nales pren­dront, dans l’immédiat, davan­tage de risques avec l’Argentine.

L’OMC s’en mêle

Les fonds vau­tours ne consti­tuent pas le seul sujet d’inquiétude dont héri­te­ra la nou­velle pré­si­dence. L’Argentine, après la crise de 2008, a mul­ti­plié les défi­cits bud­gé­taires et les poli­tiques de sou­tien à la demande pour contre­ba­lan­cer les ten­dances dépri­mées de l’économie mon­diale. Lorsque la consom­ma­tion aug­mente dans les nations sud-amé­ri­caines, il en résulte de l’inflation en cas de dégra­da­tion de la balance des paiements. 

Cette dégra­da­tion cor­res­pond, en effet, à une dimi­nu­tion des réserves en dol­lars suite à une baisse de la demande des matières pre­mières au niveau inter­na­tio­nal qui consti­tuent les seules pro­duc­tions expor­tées par ces pays. Or, les impor­ta­tions de ces pays portent sur des biens à haute valeur ajou­tée pro­duits au Nord. La dégra­da­tion per­sis­tante des termes de l’échange nour­rit alors un cercle vicieux infla­tion­niste jusqu’au moment où une déva­lua­tion fait pres­sion à la baisse sur la demande. Au cours du XXe siècle, de nom­breux pays d’Amérique latine ont expé­ri­men­té des épi­sodes de ce type qua­li­fiés clas­si­que­ment de cycles « stop and go » 8

Pour évi­ter de tom­ber dans l’hyperinflation qui a sévi en Argen­tine durant les années 80, l’administration Kirch­ner a choi­si de pro­té­ger les réserves du pays, ce qui passe par un contrôle sévère des impor­ta­tions. Le dis­po­si­tif mis en œuvre est par­ti­cu­liè­re­ment contrai­gnant. Ain­si, avant de per­mettre une impor­ta­tion, le fisc argen­tin véri­fie que la rela­tion débit/crédit en matière de TVA de l’entreprise impor­ta­trice était bien de 1,2 pour les douze mois pré­cé­dents. Or, le taux de la TVA en Argen­tine est de 21%. Cela signi­fie que dans l’Argentine kirch­né­riste, on ne renou­velle les com­mandes à l’import qu’une fois le stock de mar­chan­dises impor­tées qua­si­ment épuisé.

A la suite de récla­ma­tions for­mu­lées par l’Union euro­péenne, le Japon et les Etats-Unis, l’Argentine a été som­mée par l’OMC de déman­te­ler ses bar­rières pro­tec­tion­nistes pour jan­vier 2016. Vu le dan­ger de mesures de rétor­sions com­mer­ciales, l’administration Kirch­ner était bien for­cée d’accepter.
Le pays se dirige donc vrai­sem­bla­ble­ment vers une déva­lua­tion du peso, sa mon­naie natio­nale et une dimi­nu­tion du pou­voir d’achat de la popu­la­tion afin de main­te­nir son excé­dent com­mer­cial et pro­té­ger ses billets verts. Déci­dé­ment, les temps à venir s’annoncent trou­blés à Bue­nos Aires…

  1. Página/12, édi­tion mise en ligne le 10 août 2015
  2. Página/12, édi­tion mise en ligne le 4 août 2015
  3. Dupret Xavier, l’Argentine et les vau­tours, La Revue nou­velle, décembre 2013
  4. Ámbi­to Finan­cie­ro, édi­tion mise en ligne le 5 juin 2015
  5. Finan­cial Times, édi­tion mise en ligne le 20 avril 2013.
  6. Ban­co Cen­tral de la Repú­bli­ca Argen­ti­na, juillet 2015
  7. Ámbi­to finan­cie­ro, édi­tion mise en ligne le 21 avril 2015.
  8. Pour une mise en pers­pec­tive du concept, voir Robert Boyer, « Diver­si­té et évo­lu­tion des capi­ta­lismes en Amé­rique latine. De la régu­la­tion éco­no­mique au poli­tique » in Revue de la régu­la­tion, 1er semestre, prin­temps 2012..

Xavier Dupret


Auteur

chercheur auprès de l’association culturelle Joseph Jacquemotte et doctorant en économie à l’université de Nancy (France)