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Élections grecques, l’espoir en chemin ?

Blog - e-Mois - élections Grèce UE (Union européenne) par Sofia Vasilopoulou

février 2015

Les Grecs ont dit qu’ils ne vou­laient plus de l’aus­té­ri­té. Mais, la coa­li­tion Syri­za-ANEL est-elle en mesure de rené­go­cier la dette grecque et main­te­nir le pays dans la zone euro ? L’en­jeu est de taille de taille : Alexis Tsi­pras lais­se­ra-t-il sa marque dans l’His­toire comme le Pre­mier ministre grec qui a sor­ti la Grèce de l’aus­té­ri­té ou comme celui qui a fait sor­tir la Grèce de la zone euro ?

e-Mois

La Grèce a un nou­veau gou­ver­ne­ment. Il s’a­git d’une coa­li­tion com­po­sée de Syri­za (par­ti de la gauche radi­cale) et des Grecs Indé­pen­dants (ANEL). Les élec­tions du 25 jan­vier 2015 auront été les plus déci­sives depuis des décen­nies, non seule­ment pour la Grèce mais aus­si pour l’Eu­rope. La Grèce est le pre­mier pays à élire un gou­ver­ne­ment sur un man­dat clai­re­ment anti-aus­té­ri­taire. Un effet domi­no n’est pas à exclure : Pode­mos a déjà pro­mis de faire aus­si bien que Syri­za lors des pro­chaines élec­tions géné­rales qui se tien­dront cette année en Espagne.

Syri­za qui était jus­qu’à pré­sent mar­gi­na­li­sée dans le sys­tème par­ti­cra­tique est par­ve­nue à s’at­ti­rer les voix de 36,34% des élec­teurs grecs. Cela lui a per­mis de décro­ché 149 sièges, à deux sièges de ce qui lui était néces­saire pour obte­nir la majo­ri­té abso­lue et consti­tuer à elle seule un gou­ver­ne­ment. La Nou­velle Démo­cra­tie, le par­ti de centre-droit qui était au pou­voir depuis 2012 et qui était asso­cié à l’aus­té­ri­té, est arri­vée en deuxième posi­tion avec 27,81% des voix. Cet écart rend bien compte du raz-de-marée élec­to­ral de Syri­za et de sa capa­ci­té à fédé­rer des élec­teurs venant d’ho­ri­zons divers.

Cepen­dant, les élec­tions n’ont pas été favo­rables qu’à la gauche radi­cale. L’ex­trême droite ultra-natio­na­liste d’Aube Dorée fut consa­crée troi­sième force poli­tique avec 6,28% des votes (17 sièges). En léger recul depuis les élec­tions de 2012, ce résul­tat indique qu’Aube Dorée peut désor­mais s’ap­puyer sur une base élec­to­rale signi­fi­ca­tive alors que cer­tains de ses membres diri­geants sont actuel­le­ment en pri­son et que le par­ti a à peine mené campagne.

La Rivière, le par­ti cen­triste por­teur d’un agen­da social-libé­ral, talonne Aube Dorée (6,05%) et peut envoyer le même nombre de dépu­tés qu’elle au Par­le­ment. Son score rend compte d’un faible sou­tien pour les idées cen­tristes par­mi la population.

Le résul­tat des élec­tions n’a pas sur­pris grand-monde étant don­né le contexte de grogne sociale et de chô­mage endé­mique dans lequel elles ont pris place. La cam­pagne et la coa­li­tion qui s’est for­mée confirment la pré­gnance du cli­vage entre les pro et anti-bail-out. [NdT : Un bail-out est une situa­tion où un inter­ve­nant exté­rieur (État, ins­ti­tu­tion inter­na­tio­nale, Banque cen­trale…) agit pour réta­blir la sol­va­bi­li­té d’un emprun­teur, en par­ti­cu­lier d’un Etat, d’une banque en dif­fi­cul­té. Dans le cas pré­sent, le bail-out est le sau­ve­tage finan­cier de la Grèce par l’UE (États membres, Com­mis­sion et Banque cen­trale euro­péenne) secon­dée par le Fonds moné­taire international.]

Retour sur la campagne électorale 

Les débats pré­élec­to­raux avaient mis en oppo­si­tion les thèmes de la conti­nui­té et du chan­ge­ment, de la sta­bi­li­té et de l’ins­ta­bi­li­té, de l’eu­ro et du Grexit [NdT : sor­tie de la Grèce de la zone euro], de l’aus­té­ri­té et de la crois­sance, et de la peur et de l’es­poir. Cela illustre à quel point les émo­tions ont gui­dé la cam­pagne. Les par­tis ont joué sur l’in­sé­cu­ri­té res­sen­tie par la population. 

Syri­za s’est clai­re­ment ran­gée du côté de l’es­poir. Le slo­gan du par­ti, « l’es­poir est en che­min », était accom­pa­gné d’une rhé­to­rique met­tant en avant les idées d’un nou­veau départ, de la jus­tice et de l’é­ga­li­té, de la fin d’un désastre huma­ni­taire que l’aus­té­ri­té a créé, d’une nou­velle Europe et de la digni­té retrou­vée pour le peuple grec. La Nou­velle Démo­cra­tie a essayé de mobi­li­ser en jouant sur la peur. Sa cam­pagne qui s’est carac­té­ri­sée par un cer­tain alar­misme s’est ins­crite en réac­tion à Syri­za. Il s’a­gis­sait de dia­bo­li­ser le par­ti en expli­quant à quel point les consé­quences de sa poten­tielle vic­toire seraient catas­tro­phiques : dégra­da­tion de la note de rating de la Grèce sur les mar­chés finan­ciers, faillite du pays, sor­tie de l’eu­ro un désastre éco­no­mique qui aurait effa­cé les poli­tiques éco­no­miques saines que le gou­ver­ne­ment mené jus­qu’a­lors par la Nou­velle Démo­cra­tie a mis en oeuvre depuis 2012. 

Au regard des résul­tats du 25 jan­vier, il appa­raît que l’es­poir est une émo­tion plus forte que la peur.

Le nouveau gouvernement de coalition emmené par Syriza

L’op­po­si­tion à l’aus­té­ri­té est le fac­teur qui unit Syri­za et ANEL. Mais leur concep­tion des ques­tions sociales au sens large, c’est-à-dire le natio­na­lisme, le rôle de la reli­gion et l’im­mi­gra­tion les divise. 

Les Grecs Indé­pen­dants sont un par­ti de droite radi­cale qui met l’ac­cent sur les « ques­tions natio­nales » : par l’exemple la Macé­doine et les rela­tions de Chypre et de la Grèce avec la Tur­quie, qu’ils ont iden­ti­fié comme des lignes rouges non négo­ciables. Ce par­ti pour­rait être qua­li­fié d’«autoritaire conser­va­teur ». Ses réfé­rences sont la patrie, la reli­gion, la famille. Ain­si, les Grecs Indé­pen­dants se situent sur ce plan à l’op­po­sé de Syri­za qui pro­meut des idéaux de gauche en affi­chant une posi­tion pro-immi­gra­tion, en appe­lant à la sépa­ra­tion de l’É­glise et de l’É­tat et en sou­te­nant le mariage entre per­sonnes de même sexe. Alexis Tsi­pras est le pre­mier Pre­mier ministre grec à avoir prê­té un ser­ment poli­tique plu­tôt que reli­gieux pour son nou­veau gouvernement.

Au final, ce sont donc plus des consi­dé­ra­tions stra­té­giques qu’i­déo­lo­giques qui ont pré­si­dé à la for­ma­tion de cette coa­li­tion. Le trans­fuge de Rahil Makri, un ancien par­le­men­taire ANEL, dans Syri­za mon­trait déjà que le par­ti était davan­tage mû par un cli­vage pro-/an­ti-aus­té­ri­té qu’un cli­vage gauche-droite. Cela pour­rait aus­si indi­quer que Syri­za est deve­nu un par­ti qui entend râtis­ser large pour atti­rer des sou­tiens au-delà de son public cible. Bien avant les élec­tions, Syri­za avait déjà com­men­cé à adou­cir ses posi­tions les plus radi­cales. Quand le par­ti a émer­gé sur le scène poli­tique en 2012, il l’a fait sous la ban­nière de la gauche radi­cale, ce qui a l’é­poque le des­ti­nait à rejoindre les rangs de l’op­po­si­tion plu­tôt qu’à exer­cer des res­pon­sa­bi­li­tés. En contes­tant ouver­te­ment l’es­ta­blish­ment, Syri­za avait décla­ré qu’elle rené­go­cie­rait l’aus­té­ri­té à tout prix. Lorsque le par­ti s’est rap­pro­ché du pou­voir, il a modé­ré ses posi­tions de manière à élar­gir son élec­to­rat potentiel.

Mal­gré cette évo­lu­tion, Syri­za reste fon­da­men­ta­le­ment éloi­gné d’A­NEL sur le plan idéo­lo­gique et cela fait peser des doutes quant à la sta­bi­li­té de la coa­li­tion. En outre, la déci­sion de Syri­za de don­ner les clés du minis­tère de la Défense au lea­der d’A­NEL, Panos Kam­me­nos, n’est pas sans poser des ques­tions au sujet du futur de la poli­tique étran­gère et des fameuses « ques­tions nationales ».

La possibilité d’un Grexit ? 

Les yeux des Euro­péens sont sur­tout tour­nés vers l’a­gen­da éco­no­mique de Syri­za. Le par­ti s’est enga­gé à sor­tir la Grèce de l’aus­té­ri­té et à réduire la pau­vre­té. Il a notam­ment pro­mis de rele­ver les plus basses pen­sions, de créer des emplois publics, de rele­ver à 12.000 euros le mini­mum impo­sable, d’of­frir gra­tui­te­ment de l’élec­tri­ci­té à 300.000 ménages, de four­nir des sou­tiens ali­men­taires aux familles pauvres, des soins de san­té gra­tuits pour tous et des sub­ven­tions au loge­ment jus­qu’à 25.000 familles. Il a aus­si pro­mis de réfor­mer la fis­ca­li­té immobilière. 

Ceci dit, tout cela coû­te­ra de l’argent et tout le monde s’in­ter­roge sur où Syri­za ira pui­ser cet argent. Le par­ti a dit qu’il taxe­rait les riches et don­ne­rait aux pauvres. Mais, qui sont en réa­li­té les riches et com­bien seront-ils taxés, com­ment réduire le phé­no­mène de l’é­va­sion fis­cale par­mi les riches et qu’ad­vien­dra-t-il de la classe moyenne qui a éga­le­ment souf­fert de la crise ? Le par­ti est res­té éva­sif sur son pro­gramme de réformes struc­tu­relles et sur la manière dont il relan­ce­rait la croissance.

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En défi­ni­tive, il s’a­gi­ra pour Tsi­pras et Syri­za de trou­ver un équi­libre entre les demandes externes et la poli­tique inté­rieure. D’une part, Syri­za devra rené­go­cier avec les par­te­naires euro­péens pour obte­nir une restruc­tu­ra­tion de la dette (allon­ge­ment de la période de rem­bour­se­ment et réduc­tion des taux d’in­té­rêt). D’autre part, l’ar­bitre sera la classe moyenne qui joue­ra un rôle déter­mi­nant pour relan­cer l’é­co­no­mie et garan­tir la sta­bi­li­té démocratique.

Tra­duc­tion : Oli­vier Derruine

Cré­dits pho­tos : Vage­lis Pou­lis (flickr/creative com­mons, 26 jan­vier 2015), Epo­ca Libe­ra (flickr/creative com­mons), 25 jan­vier 2015.

Sofia Vasilopoulou


Auteur

University of York