Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Discriminons rentable !

Blog - Anathème - économie NVA racisme par John Common Jr.

mars 2017

Récem­ment invi­té à par­ti­ci­per à un débat à Saint-Gall avec mon ami Josef Acker­man, « les tran­sac­tions pénales : un modèle de jus­tice sociale effi­cace », je me suis inté­res­sé de plus près aux trans­for­ma­tions du sys­tème belge.  On ne peut m’empêcher de pen­ser que le gou­ver­ne­ment fédé­ral réa­lise, pour l’instant, un véri­table pro­dige : il arrive, à force de réformes menées tam­bour battant, […]

Anathème

Récem­ment invi­té à par­ti­ci­per à un débat à Saint-Gall avec mon ami Josef Acker­man, « les tran­sac­tions pénales : un modèle de jus­tice sociale effi­cace », je me suis inté­res­sé de plus près aux trans­for­ma­tions du sys­tème belge. 

On ne peut m’empêcher de pen­ser que le gou­ver­ne­ment fédé­ral réa­lise, pour l’instant, un véri­table pro­dige : il arrive, à force de réformes menées tam­bour bat­tant, à abattre sys­té­ma­ti­que­ment les restes déjà ver­mou­lus de l’État-providence à la belge. Les tran­sac­tions pénales, ce moyen effi­cace de dis­pen­ser les riches d’assumer les délits for­cé­ment mineurs qu’ils com­mettent, consti­tuent un mer­veilleux exemple de cette modi­fi­ca­tion pro­fonde de l’action publique dans le sens d’une pro­tec­tion accrue des plus nan­tis. Rap­pe­lons que ce sont en effet ceux-ci qui peuvent inves­tir, il est donc indis­pen­sable de les favo­ri­ser de la manière la plus visible pos­sible : il faut que cha­cun soit bien conscient des pri­vi­lèges qu’attire la richesse pour sus­ci­ter l’envie de se lan­cer dans la conquête d’une for­tune per­son­nelle. Ain­si, Gary Becker a bien mon­tré, dans ses tra­vaux sur les rela­tions sociales, que l’égoïsme est une ver­tu pour les inves­tis­seurs poten­tiels ; toute mesure qui peut contri­buer à le ren­for­cer est dès lors bonne à prendre.

Cela étant, comme je l’ai déjà sug­gé­ré, le pro­blème belge demeure le carac­tère par­fois fort timo­ré de ses intel­lec­tuels de droite. Cela explique qu’une nou­velle fois, ceux-ci n’ont pas défen­du une exten­sion du sys­tème pour lui per­mettre de par­ti­ci­per plei­ne­ment de l’établissement d’un ordre spon­ta­né, pour reprendre une expres­sion chère à Hayek.

Au titre d’exemple, pen­chons-nous sur une des actua­li­tés qui ont récem­ment pas­sion­né les jour­na­listes. Non pas qu’il faille por­ter grande atten­tion aux délires de ces tâche­rons d’une presse aux ordres des néo­marxistes qui pul­lulent dans les milieux uni­ver­si­taires et média­tiques, mais parce que l’exemple s’avère sin­gu­liè­re­ment por­teur. Voi­là donc que deux res­pon­sables poli­tiques de la NVA cri­tiquent Unia, le « centre inter­fé­dé­ral de lutte contre la dis­cri­mi­na­tion et de pro­mo­tion de l’égalité des chances ». Bien sûr, la NVA sou­haite décons­truire cette ins­ti­tu­tion pour des motifs aujourd’hui inavouables dans l’unanimisme média­ti­co-poli­tique. Et la rup­ture trum­piste n’empêche pas, vu le rela­tif retard des pays comme la Bel­gique, d’imposer cette langue de bois poli­ti­cienne qui fait qu’aujourd’hui, on doit consta­ter une rela­tive una­ni­mi­té des pro­ta­go­nistes du débat sur Unia. En effet, tous scandent ensemble : « il faut com­battre les discriminations ».

Il suf­fit ! L’expert que je suis ne peut tolé­rer davan­tage l’inanité du débat public. Car enfin, recon­nais­sons-le, rien n’est plus natu­rel que le fait de dis­cri­mi­ner. L’homme est mau­vais, très mau­vais même ! Et c’est pré­ci­sé­ment ce qui fait sa force. Rien ne sert de com­battre sa nature – on le sait depuis la « fable des abeilles » de Ber­nard Man­de­ville… C’est pour­quoi, plu­tôt que de contre­car­rer ce pen­chant humain, il faut l’encourager et en tirer parti.

Com­ment faire, me direz-vous ? À quoi je répon­drais doc­te­ment qu’il convient de recon­naitre un « droit de dis­cri­mi­ner » – qui serait une exten­sion du « droit de frau­der » sous-jacent à la tran­sac­tion pénale. Ins­tau­rons des « bons de dis­cri­mi­na­tion » ou « cer­ti­fi­cats bruns », que l’on dis­tri­bue­rait aux indi­vi­dus et, bien évi­dem­ment, aux employeurs. Une par­tie de ce qu’on appel­le­rait le « por­te­feuille de cer­ti­fi­cats bruns » serait gra­tuite, dis­tri­buée au pro­ra­ta des reve­nus géné­rés au cours de l’année anté­rieure. Ceci afin d’assurer les puis­sants de dis­po­ser d’un nombre suf­fi­sant de cer­ti­fi­cats pour cou­vrir une part de leurs acti­vi­tés béné­fiques pour tous. Des cer­ti­fi­cats sup­plé­men­taires seraient en vente auprès d’une agence inter­fé­dé­rale, d’Unia par exemple. Cela per­met­trait à cette ins­ti­tu­tion de dimi­nuer sa charge sur les finances publiques et donc de dimi­nuer les dépenses struc­tu­relles de l’État.

Les cer­ti­fi­cats bruns seraient bien enten­du négo­ciables entre per­sonnes phy­siques ou morales au tra­vers d’une bourse mise en place par Unia. Une entre­prise atti­rant peu de femmes et pro­po­sant un tra­vail suf­fi­sam­ment ingrat pour qu’il soit dévo­lu à des alloch­tones n’aurait peut-être pas usage de l’ensemble de ses cer­ti­fi­cats, tan­dis qu’une chaine de maga­sins serait sou­cieuse à la fois d’employer des tra­vailleurs racia­le­ment conve­nables et de payer les femmes un salaire moindre que les hommes, tout en les main­te­nant dans des fonc­tions subal­ternes. Pour­quoi donc la pre­mière ne cède­rait-elle pas à l’autre une par­tie de ses cer­ti­fi­cats, au cours du marché ?

C’est ain­si tout un sec­teur qui pour­rait se déve­lop­per : avec ses cour­tiers, ses gros­sistes, ses spé­cu­la­teurs… Le sec­teur de la dis­cri­mi­na­tion devien­drait ain­si un nou­veau champ de déve­lop­pe­ment éco­no­mique, qui pour­rait s’avérer plus por­teur encore que les nou­velles tech­no­lo­gies ou la logis­tique ! On pour­rait même ima­gi­ner que les gou­ver­ne­ments régio­naux emboitent le pas, en déve­lop­pant des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té autour de ce nou­veau sec­teur si prometteur.

Évi­dem­ment, chaque acte dis­cri­mi­na­toire serait tari­fé. Refu­ser les Noirs, bro­car­der les musul­mans dans des cam­pagnes publi­ci­taires, édi­ter des cata­logues sexistes, offrir des ser­vices de pro­fi­lage eth­nique ou licen­cier pour homo­sexua­li­té ? Plu­tôt que de se fon­der sur de hasar­deux cri­tères moraux, chaque entre­prise pour­rait prendre une déci­sion ration­nelle au terme d’un cal­cul cout-bénéfice.

Le tarif lui-même serait fixé en fonc­tion de l’ampleur de la demande. Grâce à l’intégration de banques de don­nées de sites inter­net – notam­ment des forums et réseaux sociaux – et de la bourse gérée par Unia, on pour­rait conce­voir un algo­rithme char­gé de déter­mi­ner le cours du sexisme, du racisme, du rejet des han­di­ca­pés en fonc­tion de l’état de la demande. 

La vogue de l’islamophobie ris­que­rait de faire flam­ber les prix ? Certes, mais il per­met­trait aux plus fas­cistes de se rap­pe­ler que le sexisme ou l’homophobie font éga­le­ment par­tie de leurs pra­tiques tra­di­tion­nelles, les inci­tant à renouer avec une cer­taine diver­si­fi­ca­tion des pra­tiques. Plus encore, cela amè­ne­rait for­cé­ment cer­tains d’entre eux à viser les effets d’aubaine, contri­buant par effet retour à une exten­sion per­ma­nente du domaine des dis­cri­mi­na­tions et donc à de nou­velles inno­va­tions géné­rant sans cesse plus de revenus.

Vu le regain d’engouement pour les dis­cours popu­listes de droite, un tel sys­tème de cer­ti­fi­cats bruns pour­rait rapi­de­ment être très ren­table, et contri­buer à résoudre les légers sou­cis bud­gé­taires du gou­ver­ne­ment Michel. Qui plus est, il per­met­trait d’éviter de stig­ma­ti­ser inuti­le­ment ceux qui renouent avec les pul­sions pro­fondes propres à la bête humaine, celle-là qui est si bien décrite par le dar­wi­nisme social. Tout béné­fice pour la concorde sociale.

Oh mais je les entends déjà, ces mora­listes ratio­ci­nant sur « nos valeurs huma­nistes » ! Qu’il me soit per­mis de rap­pe­ler un fon­da­men­tal de toute dis­ci­pline scien­ti­fique : l’abandon défi­ni­tif de toute morale. Mil­ton Fried­man a cho­qué des audi­toires entiers à la fin des années 60 en défen­dant la déci­sion de Ford de ne pas rap­pe­ler des voi­tures trop fra­giles, meur­trières en cas de crash. Pour­tant, il poin­tait très jus­te­ment le fait qu’aucune vie humaine ne pou­vait avoir une valeur infi­nie et que, dès lors, un cal­cul cout-béné­fice impli­quait la seule déci­sion rai­son­nable : accep­ter quelques cen­taines de morts pour sau­ver des dizaines de mil­liers d’emplois. Aujourd’hui, nous en sommes encore à défendre la ratio­na­li­té contre les mora­listes de tout poil. Je tiens à l’affirmer : pour conser­ver la ligne pure de la science éco­no­mique, il faut, comme Fried­man, igno­rer ces naïfs pour défendre une approche authen­ti­que­ment ration­nelle des pro­blèmes sociaux.

Celle-ci nous amène à pro­po­ser un sys­tème simple, effi­cace et, qui plus est, tout à fait dans l’air du temps : pour­quoi s’y refu­ser ? D’autant que je suis sûr que ces mora­listes qui s’époumonent aujourd’hui, seront demain bien heu­reux de dis­po­ser de leur por­te­feuille de cer­ti­fi­cats à dis­cri­mi­ner, comme exu­toire des frus­tra­tions que la concur­rence éco­no­mique ne manque pas de sus­ci­ter (et sur les­quelles elle repose). 

Dis­cri­mi­nons, donc, mais dis­cri­mi­nons rentable !

John Common Jr.


Auteur

John Common Jr. est Docteur en Sociologie. Auteur de nombreux articles à haut impact factor, il a donné de nombreux cours en tant que professeur invité dans les plus grandes universités globales. Ses recherches portent essentiellement sur les méthodes de sociologie économique quantitative, la sociométrologie et la psychosociologie numérique