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Discriminons rentable !
Récemment invité à participer à un débat à Saint-Gall avec mon ami Josef Ackerman, « les transactions pénales : un modèle de justice sociale efficace », je me suis intéressé de plus près aux transformations du système belge. On ne peut m’empêcher de penser que le gouvernement fédéral réalise, pour l’instant, un véritable prodige : il arrive, à force de réformes menées tambour battant, […]
Récemment invité à participer à un débat à Saint-Gall avec mon ami Josef Ackerman, « les transactions pénales : un modèle de justice sociale efficace », je me suis intéressé de plus près aux transformations du système belge.
On ne peut m’empêcher de penser que le gouvernement fédéral réalise, pour l’instant, un véritable prodige : il arrive, à force de réformes menées tambour battant, à abattre systématiquement les restes déjà vermoulus de l’État-providence à la belge. Les transactions pénales, ce moyen efficace de dispenser les riches d’assumer les délits forcément mineurs qu’ils commettent, constituent un merveilleux exemple de cette modification profonde de l’action publique dans le sens d’une protection accrue des plus nantis. Rappelons que ce sont en effet ceux-ci qui peuvent investir, il est donc indispensable de les favoriser de la manière la plus visible possible : il faut que chacun soit bien conscient des privilèges qu’attire la richesse pour susciter l’envie de se lancer dans la conquête d’une fortune personnelle. Ainsi, Gary Becker a bien montré, dans ses travaux sur les relations sociales, que l’égoïsme est une vertu pour les investisseurs potentiels ; toute mesure qui peut contribuer à le renforcer est dès lors bonne à prendre.
Cela étant, comme je l’ai déjà suggéré, le problème belge demeure le caractère parfois fort timoré de ses intellectuels de droite. Cela explique qu’une nouvelle fois, ceux-ci n’ont pas défendu une extension du système pour lui permettre de participer pleinement de l’établissement d’un ordre spontané, pour reprendre une expression chère à Hayek.
Au titre d’exemple, penchons-nous sur une des actualités qui ont récemment passionné les journalistes. Non pas qu’il faille porter grande attention aux délires de ces tâcherons d’une presse aux ordres des néomarxistes qui pullulent dans les milieux universitaires et médiatiques, mais parce que l’exemple s’avère singulièrement porteur. Voilà donc que deux responsables politiques de la NVA critiquent Unia, le « centre interfédéral de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances ». Bien sûr, la NVA souhaite déconstruire cette institution pour des motifs aujourd’hui inavouables dans l’unanimisme médiatico-politique. Et la rupture trumpiste n’empêche pas, vu le relatif retard des pays comme la Belgique, d’imposer cette langue de bois politicienne qui fait qu’aujourd’hui, on doit constater une relative unanimité des protagonistes du débat sur Unia. En effet, tous scandent ensemble : « il faut combattre les discriminations ».
Il suffit ! L’expert que je suis ne peut tolérer davantage l’inanité du débat public. Car enfin, reconnaissons-le, rien n’est plus naturel que le fait de discriminer. L’homme est mauvais, très mauvais même ! Et c’est précisément ce qui fait sa force. Rien ne sert de combattre sa nature – on le sait depuis la « fable des abeilles » de Bernard Mandeville… C’est pourquoi, plutôt que de contrecarrer ce penchant humain, il faut l’encourager et en tirer parti.
Comment faire, me direz-vous ? À quoi je répondrais doctement qu’il convient de reconnaitre un « droit de discriminer » – qui serait une extension du « droit de frauder » sous-jacent à la transaction pénale. Instaurons des « bons de discrimination » ou « certificats bruns », que l’on distribuerait aux individus et, bien évidemment, aux employeurs. Une partie de ce qu’on appellerait le « portefeuille de certificats bruns » serait gratuite, distribuée au prorata des revenus générés au cours de l’année antérieure. Ceci afin d’assurer les puissants de disposer d’un nombre suffisant de certificats pour couvrir une part de leurs activités bénéfiques pour tous. Des certificats supplémentaires seraient en vente auprès d’une agence interfédérale, d’Unia par exemple. Cela permettrait à cette institution de diminuer sa charge sur les finances publiques et donc de diminuer les dépenses structurelles de l’État.
Les certificats bruns seraient bien entendu négociables entre personnes physiques ou morales au travers d’une bourse mise en place par Unia. Une entreprise attirant peu de femmes et proposant un travail suffisamment ingrat pour qu’il soit dévolu à des allochtones n’aurait peut-être pas usage de l’ensemble de ses certificats, tandis qu’une chaine de magasins serait soucieuse à la fois d’employer des travailleurs racialement convenables et de payer les femmes un salaire moindre que les hommes, tout en les maintenant dans des fonctions subalternes. Pourquoi donc la première ne cèderait-elle pas à l’autre une partie de ses certificats, au cours du marché ?
C’est ainsi tout un secteur qui pourrait se développer : avec ses courtiers, ses grossistes, ses spéculateurs… Le secteur de la discrimination deviendrait ainsi un nouveau champ de développement économique, qui pourrait s’avérer plus porteur encore que les nouvelles technologies ou la logistique ! On pourrait même imaginer que les gouvernements régionaux emboitent le pas, en développant des pôles de compétitivité autour de ce nouveau secteur si prometteur.
Évidemment, chaque acte discriminatoire serait tarifé. Refuser les Noirs, brocarder les musulmans dans des campagnes publicitaires, éditer des catalogues sexistes, offrir des services de profilage ethnique ou licencier pour homosexualité ? Plutôt que de se fonder sur de hasardeux critères moraux, chaque entreprise pourrait prendre une décision rationnelle au terme d’un calcul cout-bénéfice.
Le tarif lui-même serait fixé en fonction de l’ampleur de la demande. Grâce à l’intégration de banques de données de sites internet – notamment des forums et réseaux sociaux – et de la bourse gérée par Unia, on pourrait concevoir un algorithme chargé de déterminer le cours du sexisme, du racisme, du rejet des handicapés en fonction de l’état de la demande.
La vogue de l’islamophobie risquerait de faire flamber les prix ? Certes, mais il permettrait aux plus fascistes de se rappeler que le sexisme ou l’homophobie font également partie de leurs pratiques traditionnelles, les incitant à renouer avec une certaine diversification des pratiques. Plus encore, cela amènerait forcément certains d’entre eux à viser les effets d’aubaine, contribuant par effet retour à une extension permanente du domaine des discriminations et donc à de nouvelles innovations générant sans cesse plus de revenus.
Vu le regain d’engouement pour les discours populistes de droite, un tel système de certificats bruns pourrait rapidement être très rentable, et contribuer à résoudre les légers soucis budgétaires du gouvernement Michel. Qui plus est, il permettrait d’éviter de stigmatiser inutilement ceux qui renouent avec les pulsions profondes propres à la bête humaine, celle-là qui est si bien décrite par le darwinisme social. Tout bénéfice pour la concorde sociale.
Oh mais je les entends déjà, ces moralistes ratiocinant sur « nos valeurs humanistes » ! Qu’il me soit permis de rappeler un fondamental de toute discipline scientifique : l’abandon définitif de toute morale. Milton Friedman a choqué des auditoires entiers à la fin des années 60 en défendant la décision de Ford de ne pas rappeler des voitures trop fragiles, meurtrières en cas de crash. Pourtant, il pointait très justement le fait qu’aucune vie humaine ne pouvait avoir une valeur infinie et que, dès lors, un calcul cout-bénéfice impliquait la seule décision raisonnable : accepter quelques centaines de morts pour sauver des dizaines de milliers d’emplois. Aujourd’hui, nous en sommes encore à défendre la rationalité contre les moralistes de tout poil. Je tiens à l’affirmer : pour conserver la ligne pure de la science économique, il faut, comme Friedman, ignorer ces naïfs pour défendre une approche authentiquement rationnelle des problèmes sociaux.
Celle-ci nous amène à proposer un système simple, efficace et, qui plus est, tout à fait dans l’air du temps : pourquoi s’y refuser ? D’autant que je suis sûr que ces moralistes qui s’époumonent aujourd’hui, seront demain bien heureux de disposer de leur portefeuille de certificats à discriminer, comme exutoire des frustrations que la concurrence économique ne manque pas de susciter (et sur lesquelles elle repose).
Discriminons, donc, mais discriminons rentable !