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Dette publique : à qui a profité le crime ?
Assainissement des finances publiques, efforts budgétaires, austérité… Ces mots reviennent comme des antiennes dans les médias et sont à l’origine de tensions sociales aux quatre coins de l’Europe. Derrière ces mots, les politiques menées pour réaliser des économies soulèvent (mollement) la question de la justice sociale : est-ce que chacun contribue à l’effort global en fonction de ses propres capacités, de ses propres moyens financiers ?
Rien n’est moins sûr au regard du creusement/de l’accroissement des inégalités. Alors que la question de la justice sociale est généralement abordée sous l’angle de la répartition des richesses, tentons d’y superposer une autre grille de lecture en cherchant à remonter à l’origine de nos difficultés actuelles. Celles-ci s’enracinent dans la rapide envolée de la dette publique consécutivement au premier choc pétrolier de 1973. Après une petite période de latence, il n’aura fallu que 7 années, entre 1976 et 1983 pour que la dette publique – qui était alors sous contrôle – s’emballe au point de culminer à 135 % du PIB en 1993.
1976 – 1983 : une période charnière
Si les politiques économiques menées par les gouvernements successifs de Leo Tindemans (d’une longévité exceptionnelle à l’époque puisqu’il fut Premier ministre d’avril 1974 à octobre 1978), de Paul Vanden Boeynants, de Wilfried Martens et de Mark Eyskens avaient été plus adéquates, la dette publique héritée de cette génération serait actuellement plus faible.
A titre de comparaison, si la dette publique avait augmenté au même rythme que la dette publique allemande durant ces années 1976 à 1983, le pic de 135 % du PIB de 1993 n’aurait jamais été atteint ; le taux d’endettement n’aurait pas dépassé les 108 % du PIB, soit un niveau proche de celui que l’on connaîtrait en 2015 (107 %) ! Et en supposant que la dette belge augmenterait à partir de 1984 conformément à son rythme de croissance réelle, la dette publique serait à l’heure actuelle de 86 % du PIB, soit loin de la moyenne de la zone euro (94,5 %).
Cette dernière hypothèse est sujette à caution car il faut tenir compte de la dynamique engagée entre 1976 et 1983 qui a placé la Belgique sur un « sentier de croissance de la dette ». Par conséquent, si l’on calquait le rythme de croissance de la dette de la Belgique sur celui de l’Allemagne (jusque 1990, année de la réunification qui a consisté en un choc économique spécifique à l’Allemagne et qui a pesé de manière considérable sur ses finances publiques), le taux d’endettement public serait encore plus bas : 78 % du PIB !
Certes, des réformes conduites à l’époque auraient aussi été pénibles. Mais, le problème étant traité à la racine, celui-ci n’aurait pas eu le temps de gonfler si bien que le saut d’index du début des années 1980 et le plan global auraient pu être évités ou, à tout le moins, atténués. Sans même évoquer les réformes annoncées depuis quelques mois.
Tout en ayant à l’esprit les limites intellectuelles de ce type d’exercice 1, cela donne néanmoins une idée des erreurs commises durant ces années-charnière et de la responsabilité collective de cette génération de consommateurs, d’électeurs et de responsables politiques.
Assumer les responsabilités de l’époque
Si ces quelques années sont déterminantes pour expliquer nos troubles actuels, il ne semblerait pas illogique que cette génération soit tenue collectivement « plus responsable » que les autres.
Quarante ans plus tard, ces individus sont à la pension. Ils ont plus de 65 ans. Mais attention, il ne s’agit pas de concevoir ce groupe d’individus comme un groupe homogène car les situations de vie varient largement au sein de ce groupe : ainsi, 19,5 % d’entre eux sont en situation de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale (2013, Eurostat).
Dès lors, on pourrait être tenté de faire payer la crise aux riches et plus précisément aux riches de plus de 65 ans en leur imposant une taxe sur le patrimoine qu’ils devraient léguer à leurs héritiers. Il s’agirait d’une nouvelle version du Pacte de Solidarité entre les Générations.
Imaginons un mécanisme par lequel cette génération assumerait une partie du dérapage de nos finances publiques lorsque, à leur décès, l’Etat ponctionnerait une substantielle partie de leur patrimoine. Admettons qu’ils ne puissent pas léguer à leurs proches plus que le revenu médian transmis dans l’ensemble de la population belge. Le surplus alimenterait les caisses de l’Etat afin de réduire la dette publique, voire – pourquoi pas ? – financer des politiques de relance. Les individus concernés seraient identifiés à partir des déclarations fiscales.
Pour les couples qui rentrent une déclaration fiscale commune, la médiane s’élève à environ 37.000 €. 20 % des seniors (soit 280.000 personnes) se situent au-delà de ce seuil.
En ce qui concerne les déclarations individuelles, la médiane se situe aux alentours de 17.000 euros. 277.000 personnes ont perçus des revenus supérieurs au cours des dernières années, soit 25 % des seniors isolés.
A partir de là et étant donné que les sommes perçues par un défunt dans les 3 ans précédant son décès « sont considérées comme faisant partie de son patrimoine et sont donc soumises au droit de succession à charge des héritiers, même si ceux-ci n’en ont pas bénéficié et même s’ils ont accepté la succession sous bénéfice d’inventaire », les montants potentiellement en jeu seraient de l’ordre de 26,4 milliards d’euros. Evidemment – et heureusement pour eux et leur famille –, tous les seniors ne périront pas en l’espace d’une année. Supposons qu’un sur vingt trépassera chaque année. Cela ferait alors 1,3 milliards à récupérer chaque année (toutes autres choses par ailleurs). D’ici à la fin de la législature, ce sont donc 6,5 milliards d’euros qui rentreraient dans les caisses de l’Etat.
Conclusions
Entre 2008 et 2012, le taux de croissance (ou d’accumulation) des revenus tels qu’enregistrés dans les déclarations fiscales a été d’un peu plus de 3 % par an alors que la croissance économique ne progressait que 0,5 % en moyenne en Belgique. Or, comme le fait remarquer Thomas Piketty, « lorsque le taux de rendement du capital dépasse significativement le taux de croissance – et (…) cela a presque toujours été le cas dans l’histoire, tout du moins jusqu’au XIXe siècle [et depuis le choc pétrolier] –, cela implique mécaniquement que les patrimoines issus du passé se recapitalisent plus vite que le rythme de progression de la production et des revenus. Il suffit donc aux héritiers d’épargner une part limitée des revenus de leur capital pour que ce dernier s’accroisse plus vite que l’économie dans son ensemble. Dans ces conditions, il est presque inévitable que les patrimoines hérités dominent largement les patrimoines constitués au cours d’une vie de travail, et que la concentration du capital atteigne des niveaux extrêmement élevés, et potentiellement incompatibles avec les valeurs méritocratiques et les principes de justice sociale qui sont au fondement de nos sociétés démocratiques modernes. » (Piketty, p.55, éditions Les Livres du Nouveau Monde, 2013)
Par conséquent, au nom de l’équité sociale et intergénérationnelle, il est logique que les seniors les plus riches soient les premiers à mettre la main à la poche et que les inégalités ne puissent se perpétuer à travers leur succession. Après tout, et pour ne prendre qu’une illustration, il n’est pas sensé de faire payer le poids faramineux de la dette publique aux plus jeunes (qui, ironie de l’histoire, cotisent aussi pour les pensions de ces riches seniors à l’origine de cette crise) et surtout aux dizaines de milliers de jeunes qui perdront leur allocation d’insertion à partir du 1er janvier 2015 alors qu’il n’étaient pas nés à l’époque où les finances publiques ont dérapé, voire au moment où la dette atteignait son record historique (1993).
- Il est vain de tenter de réécrire l’Histoire 40 ans plus tard. En outre, il n’est pas réaliste de faire fi de toutes les caractéristiques d’un système socio-économique pour ne se focaliser que sur l’une d’elles (en l’occurrence, la dette publique).