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Déshabiller Pierre pour habiller Pol-Henry du Chaussoy

Blog - Délits d’initiés par Olivier Derruine

juillet 2016

Nombre de contri­buables pestent contre le niveau d’imposition de notre beau Royaume. Les orga­nismes de sta­tis­tiques leur donnent d’ailleurs rai­son puisque la Bel­gique appa­raît régu­liè­re­ment au som­met du clas­se­ment des pays qui taxent le plus. Cette sta­tis­tique fut dou­blée il y a quelques années du jour de libé­ra­tion de l’impôt : cette don­née indique au contri­buable de chaque pays à par­tir de quand il cesse de tra­vailler pour gon­fler les poches de l’État, pour pro­fi­ter pour lui-même des reve­nus qu’il engrange. Pour la Bel­gique et pour l’année 2015, ce cap était fran­chi le 6 août. Ce type d’informations nour­rit l’idée que la Bel­gique est frap­pée d’une « rage taxatoire ».

Délits d’initiés

Bien enten­du, une lec­ture étri­quée de ces infor­ma­tions ne per­met pas du tout de réa­li­ser la contre­par­tie des impôts en termes de sys­tème de san­té, d’éducation (en dépit des inéga­li­tés criantes qui per­durent), les trans­ports en com­mun dont l’usager ne paie qu’une frac­tion du coût réel, etc. Or, la Bel­gique est recon­nue comme l’un des pays les plus per­for­mants pour son sys­tème de san­té (3e au monde) et d’enseignement supé­rieur et de for­ma­tion (5e).

Le SPF Finance met à la dis­po­si­tion des per­sonnes inté­res­sées une série de fichiers excel qui per­mettent d’identifier qui (par tranche de reve­nus, par régions et com­munes, par année) paie l’impôt et dans quelle mesure.

Ce billet essaie de syn­thé­ti­ser cer­tains de ces chiffres en exa­mi­nant l’évolution entre 2005 et 2013 et la contri­bu­tion à l’impôt des dif­fé­rentes tranches de reve­nus (par décile donc).

Mais avant cela, rap­pe­lons que l’impôt est col­lec­té sur plu­sieurs bases impo­sables. L’impôt sur les per­sonnes phy­siques, qui nous inté­resse ici, repré­sente avec 44,5 mil­liards d’euros en 2013 un quart de l’ensemble des recettes fis­cales. À prix constants (c’est-à-dire hors infla­tion), l’IPP a aug­men­té de 10% entre 2005 et 2013. Or comme le PIB a lui-même éga­le­ment aug­men­té, l’IPP équi­vaut tou­jours à envi­ron 11% du PIB.
6,2 mil­lions de décla­ra­tions fis­cales ont été ren­trées au cours de cette année-là. Après les coti­sa­tions sociales et avant les taxes per­çues sur les biens et ser­vices (TVA et accises), c’est la prin­ci­pale source de ren­trées dans les coffres de l’État. À titre de com­pa­rai­son, l’impôt sur les socié­tés donne lieu à des ren­trées quatre fois moins impor­tantes (de l’ordre de 3 – 4 % du PIB) et l’impôt sur les autres reve­nus (droits de suc­ces­sion, pré­compte mobi­lier et droits d’enregistrement) est trois fois moindre (4 %).

Des transferts implicites vers les plus riches

On dis­tingue quatre caté­go­ries de contri­buables en fonc­tion de l’évolution de leur contri­bu­tion à l’IPP.
Les deux pre­mières cor­res­pondent aux extré­mi­tés de la popu­la­tion et leur part dans l’IPP n’a pas varié ou si peu au cours de ces années.

D’une part, les 30% de contri­buables les plus pauvres (les 3 pre­miers déciles qui déclarent un reve­nu impo­sable net infé­rieur à 15.841 € pour l’année 2013) dont la contri­bu­tion est mar­gi­nale grâce aux cré­dits d’impôt et à la pro­gres­si­vi­té de l’impôt : 0,4% de l’IPP est tiré sur cette frange de la population.
D’autre part, les 10% de contri­buables les plus riches (le 10e décile dont le reve­nu impo­sable net est quatre fois supé­rieur aux pré­cé­dents : 60.792€) qui four­nissent à eux seuls un peu moins 46% de l’impôt.

Les deux autres caté­go­ries retiennent par­ti­cu­liè­re­ment notre atten­tion dans la mesure où on observe des trans­ferts impli­cites consé­quents de l’une vers l’autre, et pas dans le sens atten­du en rai­son des nom­breuses décla­ra­tions des gou­ver­ne­ments suc­ces­sifs en faveur des classes moyennes.

Nous qua­li­fions les déciles 4 à 6 de classe moyenne, ou plu­tôt de classe médiane afin d’être plus pré­cis. En effet, le reve­nu impo­sable net moyen se situe plu­tôt dans le 7e décile, soit deux déciles « plus haut » que ce qu’il devrait nor­ma­le­ment être si la Bel­gique était un pays par­fai­te­ment égalitaire.

La contri­bu­tion de la classe médiane à l’IPP a aug­men­té de façon assez sub­stan­tielle (+1,2 point de pourcent par rap­port au total de l’IPP). Ajou­tée à un petit trans­fert des moins nan­tis, cette hausse cor­res­pond aux baisses dont ont pu pro­fi­ter la classe supé­rieure et les riches. 

Ain­si, 538 mil­lions d’euros sont pas­sés de la poche de la classe médiane (et 27 mil­lions pour les 30% les moins nan­tis) vers la classe supé­rieure qui aurait « nor­ma­le­ment » dû payer 478 mil­lions d’euros de plus et, dans une moindre mesure, vers les riches (88 mil­lions de plus). Ces mon­tants sont obte­nus en appli­quant les taux de contri­bu­tion de 2005 aux 44,5 mil­liards d’IPP col­lec­tés en 2013. Autre­ment dit, on fige dans le temps la contri­bu­tion à l’impôt (colonne (a) dans le gra­phique) des quatre caté­go­ries et en déduit le mon­tant glo­bal de l’impôt qui en aurait résul­té pour cha­cune si la contri­bu­tion de 2005 n’avait pas varié [colonne (f)].

Au niveau de chaque foyer fis­cal ou individu/ménage ayant ren­tré une décla­ra­tion fis­cale au sein de la classe médiane, cela repré­sente quand même un mon­tant de 1.000 € payés en plus par rap­port à ce qu’ils auraient contri­bué si le « régime » de 2005 avait trou­vé à s’appliquer. Et pour la classe supé­rieure, il s’agit d’une baisse de 887 € [colonne (h)]. Quant aux riches, ils béné­fi­cient d’un bonus équi­valent à un plein d’essence pour leur voi­ture de fonc­tion, 4x4 ou SUV.

Ces évo­lu­tions peuvent s’expliquer par le croi­se­ment de dif­fé­rents fac­teurs dif­fi­ci­le­ment com­pré­hen­sibles par le com­mun des mor­tels (y com­pris l’auteur de ces lignes): le quo­tient conju­gal, la manière dont est trai­tée la quo­ti­té exemp­tée d’impôts, la taxa­tion des étu­diants qui gagnent une somme dépas­sant un cer­tain seuil, les déduc­tions spé­ci­fiques (pour les gardes d’enfants, pour la réno­va­tion éner­gé­tique…), les encou­ra­ge­ments à la consti­tu­tion d’une épargne-pen­sion, les amor­tis­se­ments en capi­tal (les cré­dits hypo­thé­caires) ou encore l’indexation des barèmes fis­caux. Ceux-ci per­mettent de dis­tin­guer six tranches d’impôt aux­quelles s’appliquent des taux d’imposition allant de 0% pour la par­tie du reve­nu impo­sable net infé­rieure à 7.090€, 25% ensuite jusque 8.710€, et ain­si de suite jusque 50 % pour la par­tie excé­dant 37.870€ (tranches de l’année 2015).

Deux remarques générales

Tout d’abord, bou­clons la boucle en reve­nant sur le début de ce papier qui évo­quait la rage taxa­toire qui sévi­rait en Bel­gique et qui ten­drait à légi­ti­mer l’évasion fis­cale, un sport dans lequel les Belges seraient plus doués que pour le foot­ball. Contrai­re­ment à ce qui se passe dans quelques pays où le même taux d’imposition s’applique quel que soit le niveau des reve­nus, en Bel­gique, ce sont plu­sieurs taux qui s’appliquent selon les tranches de reve­nus comme nous venons de le voir. Per­sonne ne paie donc le taux le plus éle­vé de 50% sur l’ensemble de ces revenus. 

Le gra­phique ci-des­sous indique le taux d’imposition moyen payé par décile/percentile (comme cela res­sort des don­nées du SPF Finances) et nous y super­po­sons les paliers défi­nis par les tranches fis­cales. Cela rela­ti­vise gran­de­ment la pres­sion fis­cale que les contri­buables pensent ressentir.

Enfin, si les poli­tiques euro­péennes sont sou­vent poin­tées du doigt parce qu’elles exa­cer­be­raient les inéga­li­tés, il faut bien sou­li­gner que dans ce domaine-ci, le creu­se­ment des inéga­li­tés lié aux trans­ferts impli­cites iden­ti­fiés plus haut ne sont en rien impu­tables à l’UE ; ils sont uni­que­ment la consé­quence de choix nationaux.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen