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Désespoir paraguayen

Blog - e-Mois par François Reman

avril 2013

Le mas­sacre de Curu­gua­ty pla­nait sur les élec­tions pré­si­den­tielles para­guayennes qui ont eu lieu ce dimanche. Et pour cause : c’est sur base de cet inci­dent qu’une pro­cé­dure de des­ti­tu­tion avait été enga­gée contre le pré­sident Fer­nan­do Lugo en juin 2012. (voir mon article de la Revue Nou­velle ici ). Il y a un an, 17 personnes […]

e-Mois

Le mas­sacre de Curu­gua­ty pla­nait sur les élec­tions pré­si­den­tielles para­guayennes qui ont eu lieu ce dimanche. Et pour cause : c’est sur base de cet inci­dent qu’une pro­cé­dure de des­ti­tu­tion avait été enga­gée contre le pré­sident Fer­nan­do Lugo en juin 2012. (voir mon article de la Revue Nou­velle ici ).

Il y a un an, 17 per­sonnes mour­raient (onze pay­sans et six poli­ciers) lors d’une opé­ra­tion pour mettre fin à une occu­pa­tion de terre. Très vite, l’opposition conser­va­trice récla­ma la des­ti­tu­tion du pré­sident Lugo sur base de l’article 225 de la consti­tu­tion qui per­met à la chambre des dépu­tés d’ouvrir un « juge­ment poli­tique » contre un pré­sident « s’acquittant mal de ses fonc­tions » (mal desem­peño de sus fun­ciones). En moins de 24 heures, Lugo fut prié de céder le pou­voir au vice-pré­sident –mais mal­gré tout oppo­sant- Fede­ri­co Fran­co. L’éviction de Lugo fut condam­née par tous les États de la région si bien que le Para­guay reste pour l’instant exclu de l’UNASUR et du MERCOSUR.

Une fois au pou­voir, Fran­co désac­ti­va une com­mis­sion indé­pen­dante aidée par l’Organisation des Etats amé­ri­cains pour confier l’enquête à la police. Pour l’instant, 14 per­sonnes sont sous les ver­rous, toutes des paysans.

« On les accuse de tout, occu­pa­tion de pro­prié­té, asso­cia­tion cri­mi­nelle, homi­cide. Le juge a tenu compte de 84 témoi­gnages de poli­ciers mais pas de ceux des pay­sans. Ils n’ont pas non plus fait les exper­tises, ni les études balis­tiques néces­saires pour savoir qui a tué les six poli­ciers » s’insurge Roge­lio Ocam­pos à BBC Mun­do. Il tra­vaille au sein de l’ONG Arti­cu­la­cion Curua­gua­ty qui sou­tient la lutte pay­sanne. La coor­di­na­tion des Droits de l’homme du Para­guay (Code­hu­py) recon­naît éga­le­ment qu’aucun témoi­gnage de pay­san n’a été rete­nu par la justice.

Selon la ver­sion de la police, sou­te­nue par la juge d’instruction, les pay­sans étaient armés et ont com­men­cé à tirer quand ils ont vu qu’ils allaient être délogés.

Par contre, sur base de 34 témoi­gnages de pay­sans, Code­hu­py signale que les poli­ciers auraient fait usage de leurs armes en pre­mier et même tué a bout por­tant plu­sieurs pay­sans. Et en mars der­nier, le comi­té des Droits de l’homme de l’ONU a mani­fes­té son inquié­tude concer­nant « les infor­ma­tions reçues démon­trant un manque d’impartialité et d’indépendance au sein de l’enquête ».

Comme on le voit, de nom­breuses zones d’ombre planent encore sur ces évè­ne­ments. Néan­moins, ce drame a ser­vi de jus­ti­fi­ca­tion à la droite conser­va­trice emme­née par le par­ti Colo­ra­do pour des­ti­tuer Fer­nan­do Lugo à tra­vers un coup d’État institutionnel.

Ce dimanche, Hora­cio Cartes can­di­dat de ce même par­ti, qui a gou­ver­né le pays sans inter­rup­tion pen­dant 61 ans, pro­té­gé par le dic­ta­teur, Alfre­do Stroess­ner, a gagné les élec­tions. Comme le signale BCC Mun­do « En tant que pré­sident du hol­ding d’entreprise Gru­po Cartes, il est pos­sible qu’un citoyen para­guayen ait bu sa bois­son gazeuse, fumé ses cigares, por­té ses vête­ments, man­gé sa viande et peut-être trai­té son obé­si­té dans un de ses centres médi­caux ». Bref, Hora­cio Cartes est une sorte de Car­los Slim para­guayen. Accu­sé d’entretenir des liens avec les nar­co­tra­fi­quants et de blan­chi­ment d’argent, Cartes fait par­tie de cette oli­gar­chie ter­rienne, opus­déiste, réac­tion­naire qui ne s’est au final jamais sen­tie à l’aise en démo­cra­tie et encore mois quand le pays est gou­ver­né par la gauche- même si celle-ci n’a rien de révo­lu­tion­naire. Comme en 2009 au Hon­du­ras, cette oli­gar­chie n’hésite pas à ins­tru­men­ta­li­ser les ins­ti­tu­tions poli­tiques ou la consti­tu­tion pour ren­ver­ser des diri­geants démo­cra­ti­que­ment élus mais ne par­ta­geant pas son programme.

Comme me le disait un ami para­guayen, ces élec­tions signent la fin de l’histoire. Tout s’est dérou­lé selon le scé­na­rio écrit par le par­ti Colo­ra­do qui va main­te­nant gou­ver­ner pour Dieu sait com­bien de temps. 87% des voix sont allées aux deux par­tis tra­di­tion­nels de droite (Colo­ra­do et Par­ti libé­ral), la gauche est ato­mi­sée, la popu­la­tion cor­rom­pue et déses­pé­rée. Il y a 50% d’analphabètes fonc­tion­nels, plus de 50% de pau­vre­té. Il s’agit là de l’héritage de la dic­ta­ture de Stroess­ner et du par­ti Colo­ra­do pour assu­rer son main­tien au pou­voir. Sans espoir…

Pour s’informer davantage :

http://www.bbc.co.uk/mundo/noticias/2013/04/130419_paraguay_elecciones_curuguaty_vh.shtml

http://www.infolatam.com/2013/04/19/paraguay-polemico-y-visceral-millonario-cartes-busca-el-regreso-del-coloradismo/

http://www.cetri.be/spip.php?article2691&lang=fr

François Reman


Auteur

François Reman est licencié en journalisme et diplômé en relations internationales. Il entame sa carrière professionnelle en 2003 en tant que chargé de communication à la FUCID, l’ONG de coopération au développement de l’Université de Namur. Il y assumera rapidement le rôle de responsable des activités d’éducation au développement. En 2010, il s’envole pour le Chili où il travaillera comme journaliste correspondant pour La Libre Belgique et le Courrier. De retour en Belgique en 2013, il est engagé au MOC comme attaché de presse et journaliste pour la revue Démocratie. En 2014, il devient attaché de presse de la CSC. En dehors de ses articles pour la presse syndicale, la plupart de ses publications abordent la situation politique en Amérique latine.