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Dénonciation : les bonnes pratiques
Il est un fait désormais établi : nous devons craindre les faibles et quémander la protection des forts. Si notre patron n’était pas là pour tenir la boite, nous n’y trouverions pas un emploi précaire et presque correctement payé. Que deviendrions-nous ? Si notre police ne tabassait pas les manifestants, l’ordre social serait menacé. Que deviendrions-nous ? Si le secrétaire d’État à l’Asile et à l’Immigration ne veillait à ce que nous refusions le plus de demandeurs d’asile possible, nous nous prétendrions démocrates, mais nous serions obligés d’agir en conséquence. Que deviendrions-nous ? Si le ministère de l’Emploi n’organisait pas la traque aux chômeurs, le plein-emploi serait hors d’atteinte. Que deviendrions-nous ? Si les banquiers n’étaient pas là pour soutenir la croissance, l’économie spéculative stagnerait. Que deviendrions-nous ?
Comme on nous l’a amplement répété, le danger est donc le pauvre qui s’accroche à la vie. Vers qui nous tourner si ce n’est vers les puissants, seuls à même de nous protéger ? Pour solliciter leur protectrice intervention, rien de mieux qu’une bonne vieille dénonciation !
Face à la situation critique que nous vivons, il n’est plus temps de finasser : la question n’est pas de savoir s’il faut dénoncer son prochain, mais comment le faire. Dès lors, un guide des bonnes pratiques ne sera pas de trop pour vous aider à accomplir votre devoir civique.
Quels intérêts servir ? Chacun peut avoir ses préférences : chômeur cohabitant illégalement, homosexuel honteux, individu en séjour illégal, musulman dédaigneux de notre mode de vie, etc. On ne peut pas tout dénoncer, à vous de déterminer les problématiques qui ont votre préférence. N’oubliez pas de penser à l’aspect pratique : si vous habitez dans une banlieue cossue du Brabant wallon, il y a peu de chance que votre voisin à longue barbe soit autre chose qu’un hipster. Si vous avez envie de vous en prendre aux musulmans, vous peinerez à trouver matière à dénonciation. Visitez plutôt régulièrement les forums de discussion de la presse pour alerter l’opinion publique et changez votre fusil d’épaule : pourquoi ne pas dénoncer la femme de ménage employée au noir par votre voisin ?
Qui dénoncer ? Quand vous définissez votre cible, ne pensez pas qu’à la cause que vous servez : soyez également conscient des risques. Ne dénoncez pas plus fort que vous. Ainsi, à moins qu’un exil en Russie, un confinement dans une ambassade étrangère ou un procès ne vous tentent, évitez de jouer les « lanceurs d’alerte » et de vous en prendre aux services secrets, aux banques et autres organisations puissantes. Les lanceurs d’alertes ne sont que des dénonciateurs qui ont manqué leur coup ou qui ont voulu faire les malins, négligeant les règles de prudence exposées ici.
Plus le dénoncé est faible, plus la délation est efficace et sans risque. Un chômeur est plus sûr qu’un indépendant, une personne « au CPAS » qu’un chômeur, un sans-abris qu’une personne « au CPAS », un sans-abris en séjour illégal qu’un sans-abris disposant d’un titre de séjour, etc. Familiarisez-vous avec cette échelle des valeurs, d’autant plus qu’elle vous sera utile dans mille domaines de votre vie quotidienne.
À qui dénoncer ? Les instances auxquelles adresser votre dénonciation sont potentiellement innombrables. Vous songerez surement en premier lieu à la police, au parquet, voire à un juge d’instruction. Soyez prudent, ces institutions sont parfois surchargées et une dénonciation mal orientée risque fort de rester lettre morte. Dénoncer à l’auditorat du travail ? Avez-vous songé à l’inspection sociale, qui agit plus vite ? Contacter la police ? Êtes-vous sûr que l’Office des étrangers, l’AFSCA ou l’Onem ne sont pas plus indiqués ? Préférez toujours une officine spécialisée, potentiellement plus friande d’une dénonciation bien calibrée.
Avez-vous pensé à vous adresser directement au responsable politique en charge du dossier ? Un mandataire hésitera rarement entre vous et un allocataire social ou un candidat réfugié politique. C’est du reste une voie qui permet de ne pas s’encombrer de considérations quant à la procédure à suivre, l’application du droit ou la justice.
Songez aussi à la possibilité de dénonciations à des organismes privés : une société concurrente pourrait aller en justice à votre place, le propriétaire de droits intellectuels bafoués sera peut-être fort motivé par le cas que vous lui soumettrez. Ne négligez pas non plus les rétorsions informelles : dénoncer à la vindicte populaire, à des groupuscules d’extrême droite, à des associations de défense des vertus, voire à l’Église ou au pouvoir organisateur d’une école, voilà souvent le moyen le plus sûr de faire œuvre utile.
Si vous ne savez à qui vous adresser, il existe des portails en ligne tels que le « point de contact pour une concurrence loyale » qui vous permettent de faire œuvre de salubrité publique sans vous embarrasser de longues recherches quant aux compétences des diverses administrations. Notez à ce propos que l’État a eu la délicatesse de se soucier de votre conscience : il s’agit d’œuvrer à la loyauté de la concurrence, pas de dénoncer.
Préserver son anonymat ? La question de l’anonymat est délicate et doit retenir toute votre attention. D’un côté, vous serez peut-être soucieux de ne pas être identifié par votre beau-frère ou par votre voisin comme la source de ses malheurs. L’anonymat peut même vous permettre d’apparaitre comme un adjuvant pour le dénoncé si votre commisération apparait suffisamment convaincante.
Cela étant, vous voudrez parfois avoir le courage de vos opinions politiques ou assumer fièrement l’œuvre de salubrité que vous accomplissez. Il pourrait aussi être utile qu’une institution soit renseignée sur votre comportement exemplaire. Il ne s’agirait pas qu’on vous prive du droit d’être du côté du manche. Imaginons que vous soyez à votre tour touché par une dénonciation, rappeler que vous étiez le premier à rapporter l’inconduite d’autrui pourrait aider à vous blanchir. En cette matière, il est utile de se rappeler que l’anonymat est relatif : vous pouvez signer une lettre qui ne sera lue que par deux personnes ou un commentaire en ligne qui pourrait tomber sous le regard de tous… Ce n’est donc pas affaire de tout ou rien. C’est ainsi que le précité « point de contact pour une concurrence loyale » refuse les dénonciations anonymes, mais vous garantit de ne la divulguer à personne, pas même à une juridiction.
L’anonymat n’est du reste pas une question éthique, mais une question pratique. À vous de trancher après mure réflexion.
Quels termes employer ? Quoi qu’on en dise, il faut reconnaitre que les formes ne sont pas indifférentes. On peut dénoncer avec grandeur et panache ou avec médiocrité et veulerie. Tout est une question de gout. Si vous disposez de peu de temps, contentez-vous d’aller droit au but, mais si vous voulez fignoler, faites-vous plaisir.
Attention toutefois à ne pas desservir votre ambition ! Demandez-vous si une envolée sur l’islamo-gauchisme de votre voisin impressionnera le procureur fédéral, si « brebis égarée » ou « sale gouine » sont préférables selon que vous vous adressez à l’évêché ou à la section locale de Nation, s’il convient de se prévaloir de l’intérêt supérieur du pays, de la préservation du service public ou de l’équité sociale quand vous écrivez à une agence de harcèlement des chômeurs. Les nuances sont infinies, c’est là que votre talent peut trouver à s’exprimer.
Si vous restez anonyme, rien ne vous empêche de signer « un ami qui vous veut du bien », « un vrai patriote » ou « un fidèle électeur de votre parti », plutôt que d’un morne « X ». Vous pouvez même en profiter pour brouiller les pistes : truffer votre prose de fautes d’orthographe aidera à détourner les soupçons lorsque vous dénoncerez un collègue indélicat au directeur de l’école où vous êtes professeur de français.
Quel support utiliser ? Les technologies modernes ont souvent l’avantage de l’efficacité, mais elles laissent peu de place à la créativité. Un numéro gratuit ou un formulaire en ligne sont, certes, bien pratiques, mais ils enlèvent beaucoup de son charme à la dénonciation. Heureusement, les courriers électroniques vous laissent davantage de libertés : images, polices de caractères, gras, italiques, taille de la fonte, bien des choses sont possibles. Comme pour un CV, une forme soignée permet d’attirer l’attention d’interlocuteurs souvent surchargés qui n’ont que peu de temps à consacrer à chacun des messages qu’ils reçoivent.
N’oubliez pas non plus que les courriers ordinaires existent toujours. Le choix de l’enveloppe et du papier fait partie du plaisir d’écrire. Majuscules ? Écriture de la main gauche ? Stylo ou crayon ? Lettres découpées dans le journal ou vieille machine à écrire ? Les choix sont innombrables. Attention cependant : les technologies modernes permettent d’identifier la machine à écrire, de relever des traces infimes sur le timbre ou au dos des lettres découpées, d’analyser les encres, etc. Si vous tenez à l’anonymat, la lettre « papier » n’est peut-être pas la plus appropriée.
Vous voilà prêt. Certes, ce petit guide n’est certainement pas exhaustif. J’espère cependant qu’il vous permettra d’éviter de commettre des erreurs de débutants, responsables selon certains spécialistes, de 92% des échecs.
Il ne reste plus qu’à vous lancer, sans oublier pour autant que les techniques, pour utiles qu’elles soient, ne sont qu’accessoire au regard de l’essentiel : votre enthousiasme et votre application à bien faire.