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Dénonciation : les bonnes pratiques

Blog - Anathème - criminalité droits sociaux justice sociale par Anathème

janvier 2017

Il est un fait désor­mais éta­bli : nous devons craindre les faibles et qué­man­der la pro­tec­tion des forts. Si notre patron n’était pas là pour tenir la boite, nous n’y trou­ve­rions pas un emploi pré­caire et presque cor­rec­te­ment payé. Que devien­drions-nous ? Si notre police ne tabas­sait pas les mani­fes­tants, l’ordre social serait mena­cé. Que devien­drions-nous ? Si le secré­taire d’État à l’Asile et à l’Immigration ne veillait à ce que nous refu­sions le plus de deman­deurs d’asile pos­sible, nous nous pré­ten­drions démo­crates, mais nous serions obli­gés d’agir en consé­quence. Que devien­drions-nous ? Si le minis­tère de l’Emploi n’organisait pas la traque aux chô­meurs, le plein-emploi serait hors d’atteinte. Que devien­drions-nous ? Si les ban­quiers n’étaient pas là pour sou­te­nir la crois­sance, l’économie spé­cu­la­tive stag­ne­rait. Que deviendrions-nous ?

Anathème

Comme on nous l’a ample­ment répé­té, le dan­ger est donc le pauvre qui s’accroche à la vie. Vers qui nous tour­ner si ce n’est vers les puis­sants, seuls à même de nous pro­té­ger ? Pour sol­li­ci­ter leur pro­tec­trice inter­ven­tion, rien de mieux qu’une bonne vieille dénonciation !

Face à la situa­tion cri­tique que nous vivons, il n’est plus temps de finas­ser : la ques­tion n’est pas de savoir s’il faut dénon­cer son pro­chain, mais com­ment le faire. Dès lors, un guide des bonnes pra­tiques ne sera pas de trop pour vous aider à accom­plir votre devoir civique.

Quels inté­rêts ser­vir ? Cha­cun peut avoir ses pré­fé­rences : chô­meur coha­bi­tant illé­ga­le­ment, homo­sexuel hon­teux, indi­vi­du en séjour illé­gal, musul­man dédai­gneux de notre mode de vie, etc. On ne peut pas tout dénon­cer, à vous de déter­mi­ner les pro­blé­ma­tiques qui ont votre pré­fé­rence. N’oubliez pas de pen­ser à l’aspect pra­tique : si vous habi­tez dans une ban­lieue cos­sue du Bra­bant wal­lon, il y a peu de chance que votre voi­sin à longue barbe soit autre chose qu’un hips­ter. Si vous avez envie de vous en prendre aux musul­mans, vous pei­ne­rez à trou­ver matière à dénon­cia­tion. Visi­tez plu­tôt régu­liè­re­ment les forums de dis­cus­sion de la presse pour aler­ter l’opinion publique et chan­gez votre fusil d’épaule : pour­quoi ne pas dénon­cer la femme de ménage employée au noir par votre voisin ?

Qui dénon­cer ? Quand vous défi­nis­sez votre cible, ne pen­sez pas qu’à la cause que vous ser­vez : soyez éga­le­ment conscient des risques. Ne dénon­cez pas plus fort que vous. Ain­si, à moins qu’un exil en Rus­sie, un confi­ne­ment dans une ambas­sade étran­gère ou un pro­cès ne vous tentent, évi­tez de jouer les « lan­ceurs d’alerte » et de vous en prendre aux ser­vices secrets, aux banques et autres orga­ni­sa­tions puis­santes. Les lan­ceurs d’alertes ne sont que des dénon­cia­teurs qui ont man­qué leur coup ou qui ont vou­lu faire les malins, négli­geant les règles de pru­dence expo­sées ici.

Plus le dénon­cé est faible, plus la déla­tion est effi­cace et sans risque. Un chô­meur est plus sûr qu’un indé­pen­dant, une per­sonne « au CPAS » qu’un chô­meur, un sans-abris qu’une per­sonne « au CPAS », un sans-abris en séjour illé­gal qu’un sans-abris dis­po­sant d’un titre de séjour, etc. Fami­lia­ri­sez-vous avec cette échelle des valeurs, d’autant plus qu’elle vous sera utile dans mille domaines de votre vie quotidienne.

À qui dénon­cer ? Les ins­tances aux­quelles adres­ser votre dénon­cia­tion sont poten­tiel­le­ment innom­brables. Vous son­ge­rez sur­ement en pre­mier lieu à la police, au par­quet, voire à un juge d’instruction. Soyez pru­dent, ces ins­ti­tu­tions sont par­fois sur­char­gées et une dénon­cia­tion mal orien­tée risque fort de res­ter lettre morte. Dénon­cer à l’auditorat du tra­vail ? Avez-vous son­gé à l’inspection sociale, qui agit plus vite ? Contac­ter la police ? Êtes-vous sûr que l’Office des étran­gers, l’AFSCA ou l’Onem ne sont pas plus indi­qués ? Pré­fé­rez tou­jours une offi­cine spé­cia­li­sée, poten­tiel­le­ment plus friande d’une dénon­cia­tion bien calibrée.

Avez-vous pen­sé à vous adres­ser direc­te­ment au res­pon­sable poli­tique en charge du dos­sier ? Un man­da­taire hési­te­ra rare­ment entre vous et un allo­ca­taire social ou un can­di­dat réfu­gié poli­tique. C’est du reste une voie qui per­met de ne pas s’encombrer de consi­dé­ra­tions quant à la pro­cé­dure à suivre, l’application du droit ou la justice.

Son­gez aus­si à la pos­si­bi­li­té de dénon­cia­tions à des orga­nismes pri­vés : une socié­té concur­rente pour­rait aller en jus­tice à votre place, le pro­prié­taire de droits intel­lec­tuels bafoués sera peut-être fort moti­vé par le cas que vous lui sou­met­trez. Ne négli­gez pas non plus les rétor­sions infor­melles : dénon­cer à la vin­dicte popu­laire, à des grou­pus­cules d’extrême droite, à des asso­cia­tions de défense des ver­tus, voire à l’Église ou au pou­voir orga­ni­sa­teur d’une école, voi­là sou­vent le moyen le plus sûr de faire œuvre utile.
Si vous ne savez à qui vous adres­ser, il existe des por­tails en ligne tels que le « point de contact pour une concur­rence loyale » qui vous per­mettent de faire œuvre de salu­bri­té publique sans vous embar­ras­ser de longues recherches quant aux com­pé­tences des diverses admi­nis­tra­tions. Notez à ce pro­pos que l’État a eu la déli­ca­tesse de se sou­cier de votre conscience : il s’agit d’œuvrer à la loyau­té de la concur­rence, pas de dénoncer. 

Pré­ser­ver son ano­ny­mat ? La ques­tion de l’anonymat est déli­cate et doit rete­nir toute votre atten­tion. D’un côté, vous serez peut-être sou­cieux de ne pas être iden­ti­fié par votre beau-frère ou par votre voi­sin comme la source de ses mal­heurs. L’anonymat peut même vous per­mettre d’apparaitre comme un adju­vant pour le dénon­cé si votre com­mi­sé­ra­tion appa­rait suf­fi­sam­ment convaincante. 

Cela étant, vous vou­drez par­fois avoir le cou­rage de vos opi­nions poli­tiques ou assu­mer fiè­re­ment l’œuvre de salu­bri­té que vous accom­plis­sez. Il pour­rait aus­si être utile qu’une ins­ti­tu­tion soit ren­sei­gnée sur votre com­por­te­ment exem­plaire. Il ne s’agirait pas qu’on vous prive du droit d’être du côté du manche. Ima­gi­nons que vous soyez à votre tour tou­ché par une dénon­cia­tion, rap­pe­ler que vous étiez le pre­mier à rap­por­ter l’inconduite d’autrui pour­rait aider à vous blan­chir. En cette matière, il est utile de se rap­pe­ler que l’anonymat est rela­tif : vous pou­vez signer une lettre qui ne sera lue que par deux per­sonnes ou un com­men­taire en ligne qui pour­rait tom­ber sous le regard de tous… Ce n’est donc pas affaire de tout ou rien. C’est ain­si que le pré­ci­té « point de contact pour une concur­rence loyale » refuse les dénon­cia­tions ano­nymes, mais vous garan­tit de ne la divul­guer à per­sonne, pas même à une juridiction.
L’anonymat n’est du reste pas une ques­tion éthique, mais une ques­tion pra­tique. À vous de tran­cher après mure réflexion.

Quels termes employer ? Quoi qu’on en dise, il faut recon­naitre que les formes ne sont pas indif­fé­rentes. On peut dénon­cer avec gran­deur et panache ou avec médio­cri­té et veu­le­rie. Tout est une ques­tion de gout. Si vous dis­po­sez de peu de temps, conten­tez-vous d’aller droit au but, mais si vous vou­lez figno­ler, faites-vous plaisir.
Atten­tion tou­te­fois à ne pas des­ser­vir votre ambi­tion ! Deman­dez-vous si une envo­lée sur l’islamo-gauchisme de votre voi­sin impres­sion­ne­ra le pro­cu­reur fédé­ral, si « bre­bis éga­rée » ou « sale gouine » sont pré­fé­rables selon que vous vous adres­sez à l’évêché ou à la sec­tion locale de Nation, s’il convient de se pré­va­loir de l’intérêt supé­rieur du pays, de la pré­ser­va­tion du ser­vice public ou de l’équité sociale quand vous écri­vez à une agence de har­cè­le­ment des chô­meurs. Les nuances sont infi­nies, c’est là que votre talent peut trou­ver à s’exprimer.

Si vous res­tez ano­nyme, rien ne vous empêche de signer « un ami qui vous veut du bien », « un vrai patriote » ou « un fidèle élec­teur de votre par­ti », plu­tôt que d’un morne « X ». Vous pou­vez même en pro­fi­ter pour brouiller les pistes : truf­fer votre prose de fautes d’orthographe aide­ra à détour­ner les soup­çons lorsque vous dénon­ce­rez un col­lègue indé­li­cat au direc­teur de l’école où vous êtes pro­fes­seur de français.

Quel sup­port uti­li­ser ? Les tech­no­lo­gies modernes ont sou­vent l’avantage de l’efficacité, mais elles laissent peu de place à la créa­ti­vi­té. Un numé­ro gra­tuit ou un for­mu­laire en ligne sont, certes, bien pra­tiques, mais ils enlèvent beau­coup de son charme à la dénon­cia­tion. Heu­reu­se­ment, les cour­riers élec­tro­niques vous laissent davan­tage de liber­tés : images, polices de carac­tères, gras, ita­liques, taille de la fonte, bien des choses sont pos­sibles. Comme pour un CV, une forme soi­gnée per­met d’attirer l’attention d’interlocuteurs sou­vent sur­char­gés qui n’ont que peu de temps à consa­crer à cha­cun des mes­sages qu’ils reçoivent.

N’oubliez pas non plus que les cour­riers ordi­naires existent tou­jours. Le choix de l’enveloppe et du papier fait par­tie du plai­sir d’écrire. Majus­cules ? Écri­ture de la main gauche ? Sty­lo ou crayon ? Lettres décou­pées dans le jour­nal ou vieille machine à écrire ? Les choix sont innom­brables. Atten­tion cepen­dant : les tech­no­lo­gies modernes per­mettent d’identifier la machine à écrire, de rele­ver des traces infimes sur le timbre ou au dos des lettres décou­pées, d’analyser les encres, etc. Si vous tenez à l’anonymat, la lettre « papier » n’est peut-être pas la plus appropriée.

Vous voi­là prêt. Certes, ce petit guide n’est cer­tai­ne­ment pas exhaus­tif. J’espère cepen­dant qu’il vous per­met­tra d’éviter de com­mettre des erreurs de débu­tants, res­pon­sables selon cer­tains spé­cia­listes, de 92% des échecs.
Il ne reste plus qu’à vous lan­cer, sans oublier pour autant que les tech­niques, pour utiles qu’elles soient, ne sont qu’accessoire au regard de l’essentiel : votre enthou­siasme et votre appli­ca­tion à bien faire.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.