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Démocratiser la gestion de la crise sanitaire
L’injonction a recueilli un consensus croissant : il faut « démocratiser la gestion de la crise sanitaire ». Nombreux sont ceux qui remettent en question le fonctionnement du Comité de concertation (Codeco) et qui souhaitent donner plus de pouvoirs au Parlement ou aux citoyens. Président de Défi, François De Smet suggère même de ne plus recourir au Comité de […]
L’injonction a recueilli un consensus croissant : il faut « démocratiser la gestion de la crise sanitaire ». Nombreux sont ceux qui remettent en question le fonctionnement du Comité de concertation (Codeco) et qui souhaitent donner plus de pouvoirs au Parlement ou aux citoyens. Président de Défi, François De Smet suggère même de ne plus recourir au Comité de concertation et d’opter pour un pilotage fédéral de la crise, sous le contrôle de la Chambre des représentants1. Toutefois, qu’en serait-il concrètement compte tenu des caractéristiques du système politique belge ?
Tout d’abord, il importe de s’entendre sur les termes : beaucoup des critiques qui ont été adressées au Codeco ne portent pas sur ses carences démocratiques. Que reproche-t-on au juste à la gestion de la crise sanitaire ? Pour l’essentiel, son manque d’efficacité, de cohérence et de lisibilité. Or la cohérence, la lisibilité et l’efficacité de l’action publique ne sont pas intrinsèquement liées à son caractère démocratique. Les citoyens peuvent attendre de leurs élus que ceux-ci prennent le temps d’expliquer les compromis attendus, de clarifier au mieux le sens et la teneur des décisions prises, de se montrer plus à l’écoute des inquiétudes. Mais ces exigences peuvent être parfaitement rencontrées sans pour autant démocratiser davantage la gestion de la crise sanitaire.
Quoi que nous réserve la Covid-19 dans les mois qui viennent, rien n’empêche toutefois de s’interroger sur ces carences démocratiques et les questions ne manquent pas à cet égard. Le Parlement fédéral a‑t-il été impliqué de manière satisfaisante dans l’élaboration de la loi « pandémie » ? Celle-ci garantit-elle de manière suffisante les prérogatives des institutions démocratiques, et les conditions de sa mise en œuvre sont-elles satisfaisantes ? Le pouvoir politique a‑t-il ménagé des espaces de concertation satisfaisants de la société civile, qu’il s’agisse des groupes de travail chargés de la préparation des recommandations du GEMS, de la composition du GEMS lui-même ou de l’accompagnement des décisions prises en Codeco ? Ne serait-il pas pertinent d’associer plus directement les citoyens à certains aspects de la gestion de la crise sanitaire, compte tenu de sa durée, de ses impacts sociaux, de la complexité des dimensions dont il faut tenir compte ?
La délibération démocratique n’a pas seulement pour objectif d’assoir encore la légitimité de la décision collective, elle présente aussi des avantages instrumentaux. Par exemple, elle tend à élargir la diversité des points de vue, elle permet de tempérer les logiques endogames propres aux négociations particratiques, elle tend à améliorer l’acceptation sociale des décisions prises.
Dans ce cadre, les négociations opaques du Codeco peuvent laisser douter de sa légitimité à régler la gestion de la crise sanitaire. Toutefois, ce n’est pas un hasard si le Codeco s’est imposé comme le lieu privilégié de décision dans le cadre de la crise sanitaire. Mise en place par la loi spéciale du 8 aout 1980, le Codeco est une sorte de conférence diplomatique à la belge où sont représentés le kern du gouvernement fédéral ainsi que — grosso modo — les ministres-présidences des Communautés et des Régions. Les Parlements n’y sont pas représentés. Les autres membres des gouvernements concernés, pas davantage, sauf sur invitation. Et ces règles de composition sont tout à fait compréhensibles compte tenu de la fonction dévolue au Comité de concertation : prévenir les conflits d’intérêts et de compétences entre les différentes composantes de l’État belge, coordonner l’action de niveaux de pouvoir pleinement autonomes pour ce qui concerne l’exercice de leurs compétences.
Présentés comme une sorte de revival de l’esprit de compromis à la belge, les Codeco sanitaires sont en fait des moments de négociation post-fédérale. Si le Codeco apparait nécessaire, c’est parce que l’organisation de l’État l’impose. Vouloir « approfondir le rôle du Parlement », « assurer davantage de transparence aux négociations » ou « associer plus directement les citoyens aux décisions » sont des aspirations légitimes, mais qui doivent tenir compte du fait qu’il y a plusieurs Parlements et plusieurs niveaux de pouvoirs impliqués dans la décision, plusieurs opinions publiques concernées.
Pour le formuler encore autrement, il est impossible d’évoquer la démocratisation de la gestion de la crise sans placer aussitôt la réflexion dans son écrin institutionnel et communautaire. Nombreux sont ceux qui estiment encore que les questions institutionnelles ne sont pas celles qui préoccupent « vraiment » les citoyens, et que celles-ci devraient notamment laisser la place à une réflexion plus large sur la démocratisation de nos institutions. La crise sanitaire nous rappelle tous les jours qu’il est impossible de dissocier ces dimensions. La répartition des compétences entre Autorité fédérale, Communautés et Régions conditionne (notamment) la discussion sur le financement de leur exercice, sur les termes du débat qui seront privilégiés, sur leur mutualisation budgétaire et administrative. Ceux et celles qui préparent déjà la septième réforme de l’État à venir devraient s’en souvenir. Et ceux et celles qui estiment que le Codeco est un lieu de concertation obsolète gagneraient à garder à l’esprit la raison pour laquelle le Codeco est devenu l’instrument privilégié de la crise sanitaire : tout simplement parce qu’il n’en existait pas d’autres disponibles. Inversement, personne ne prétend que le Codeco est un dispositif de gestion idéal : pour beaucoup, il représentait même un parfait zombie institutionnel avant le déclenchement de la crise, chacun des désaccords entre Communautés, Régions et État fédéral y étant morosement entérinés depuis vingt ans.
Compte tenu de ces éléments, comment améliorer malgré tout la délibération politique de la crise sanitaire ?
Première option : il faut associer davantage les parlements concernés
C’est l’évidence, du moins pour une large part de l’opinion publique. Mais une fois celle-ci énoncée, que pourrait-elle impliquer concrètement ? Deux options se dégagent à priori. La première consiste à dire que les différents parlements concernés devraient avoir le pouvoir de déterminer les lignes de négociation défendues par chacun des membres du Codeco. Plus modeste, la seconde consiste à dire que les Parlements devraient être associés plus étroitement à la préparation et à l’évaluation politique des décisions prises, via un contrôle parlementaire vigoureux de l’action gouvernementale ou via un balisage général de la discussion avant que ne se tienne le Codeco.
La première option présente toutefois des difficultés. Si un mandat est donné au Ministre-président, cela signifie que ce mandat peut être révoqué ex post si les décisions prises par le Codeco ne correspondent pas à celui-ci. Cela réduit inévitablement la marge de discussion dont dispose le mandataire. Dans ce cadre, on reproche souvent au Codeco de prendre des décisions guidées par des intérêts sectoriels ou par des sensibilités régionales et ce, au détriment de l’intérêt général. Mais l’octroi d’un mandat consiste précisément à demander au Ministre-président de défendre des perspectives et secteurs particuliers — défendre la culture, soutenir l’horeca, etc. — ainsi que les sensibilités spécifiques de la communauté politique concernée. En d’autres termes, il est tout sauf certain que la prise de décision au sein du Codeco sera facilitée si ses membres sont tenus d’emblée par un mandat semi-impératif. Et il n’est pas plus certain que les délibérations du Codeco seront plus enclines à dégager une vue générale de la crise et à dépasser les intérêts sectoriels en cause.
Envisageons dès lors l’autre option : une consultation préalable puis un contrôle ex post vigoureux de la part des parlements concernés. L’objet de ce texte n’est pas d’explorer en détail des modalités de cette préparation et de ce contrôle. Convenons malgré tout que les parlements disposent a priori de toutes les ressources nécessaires pour proposer des dispositifs efficaces en la matière.
Dans ce cas, des obstacles substantiels demeurent toutefois. En effet, un sain exercice du contrôle parlementaire nécessite en principe une dialectique solide entre l’action de l’exécutif et l’activité parlementaire. Or cette relation est aujourd’hui très asymétrique en Belgique, quel que soit le gouvernement concerné ou le type de majorité politique visé. Comme souvent souligné dans la littérature2, le jeu parlementaire belge ne confronte pas le parlement au gouvernement mais la majorité à l’opposition. À l’opposition parlementaire le soulagement de garder sa parole libre mais la certitude de ne pas pouvoir peser sur l’agenda législatif. À la majorité parlementaire le pouvoir de voter les lois sans le moindre doute qu’elles soient adoptées, mais aussi la frustration de s’aligner sur la majorité gouvernementale. Dans ce cadre, l’existence politique des parlementaires – dont l’auteur de ces lignes – dépend moins de leur relation personnelle à l’opinion publique (et donc à l’électorat) que de la décision des organes internes de son parti de l’inscrire à une place directement éligible.
Une fois ces éléments rappelés, de quelle latitude et de quelles capacités les Parlements disposent-ils pour contrôler les gouvernements en charge de la crise ? D’une part, presque tous les partis sont impliqués dans la gestion de la crise. Parmi les partis francophones, seuls le PTB et le CDH ne sont pas associés aux prises de décision gouvernementales. Par ailleurs, il convient d’éclairer l’éléphant dans la pièce : les cabinets et les Parlements disposent de ressources très inégales. Il est connu qu’une part des ressources parlementaires est transférée aux partis politiques, celles-ci leur servant de source de financement complémentaire. Même si ce n’était pas le cas, les parlementaires ne disposent ni de l’expertise juridique, ni de l’information scientifique, ni des moyens de l’administration publique. Pour écrire les choses encore plus clairement, les parlements ne disposent pas des moyens pour rédiger d’eux-mêmes des textes de loi dépassant un certain niveau de complexité.
Dire qu’il faut renforcer le Parlement, c’est bien. Mais il faut donc expliquer qu’un tel renforcement ne favorisera pas forcément la convergence des délibérations au sein du Codeco. Que les relations entre majorité et opposition ne favorisent ni un débat ouvert ni un contrôle serré de l’exécutif. Que les parlements ne disposent pas des ressources pour peser, tout simplement. Les bonnes idées pour réformer les parlements ne manquent pas et on peut les mentionner rapidement ici : réforme du scrutin, renforcement du statut des élus indépendants, réforme des règles de composition du gouvernement, clarification du statut et des règles de financement des partis politiques, etc.
Mais à très court terme, « renforcer les pouvoirs du parlement » signifie prosaïquement trois choses. Primo, les décisions du Codeco doivent être balisées en amont et en aval par une consultation parlementaire. Secundo, les ressources et expertises nécessaires doivent être mises à sa disposition. Tertio, le parlement ne pourra pleinement jouer son rôle que si les parlementaires osent y prendre la parole. Ces trois initiatives auront des effets sans doute réels mais probablement limités sur la négociation elle-même. Dans ce cadre, le paradoxe reste qu’une préparation plus démocratique du Codeco n’aboutira pas forcément à des discussions plus tournées vers l’intérêt général.
Deuxième option : il faut associer plus directement le citoyen aux décisions prises
Outre l’activité parlementaire, comment démocratiser davantage la gestion politique de la crise sanitaire ? Laissons ici de côté nos vieilles faveurs sur la démocratie directe3 et penchons-nous sur une proposition ressortant des commissions délibératives que le Parlement bruxellois francophone a organisées en octobre passé sur les conditions démocratiques de gestion de crise : la mise en place d’une assemblée plus ou moins permanente de citoyens tirés au sort, laquelle serait consultée sur certains aspects généraux de la gestion de la crise sanitaire.
Si cette hypothèse peut sembler farfelue à certains, de nombreuses études portant sur la tenue de mini-publics tirés au sort4 permettent d’écarter rapidement une série d’objections qui lui sont faites.
Ainsi, il est bien sûr tout à fait possible de doter les participants du panel d’une expertise de base suffisante pour délibérer des axes généraux de la gestion de crise. Il n’y a pas de raison de penser que leur degré de connaissance scientifique en matière épidémiologique soit substantiellement plus faible que celles des membres de cabinet ou des membres du gouvernement. Enfin, une littérature de plus en plus ample permet aujourd’hui d’aménager avec une certaine précision les conditions qui rendront la délibération collective non seulement utile mais relativement équitable, compte tenu de la diversité des profils socioéconomiques concernés.
Toutefois, cette hypothèse suscite elle aussi une série de questions. Tout d’abord, comment organiser le dialogue entre cette assemblée citoyenne et les institutions politiques électives ? Quels seraient l’influence et/ou le pouvoir de celle-ci vis-à-vis du parlement, des gouvernements concernés et du Codeco lui-même ? Les commissions délibératives du Parlement régional bruxellois sont des commissions mixtes, rassemblant à la fois des citoyens tirés au sort et des parlementaires. En irait-il de même pour cette assemblée citoyenne ? Outre sa composition, quelle serait exactement sa fonction ?
Plus fondamentalement, quelle serait la légitimité de cette assemblée citoyenne ? Je l’évoquais plus haut, le Codeco n’existe pas par hasard : la Belgique doit trouver des lieux de négociation politique entre les composantes de l’État belge lors même que leurs intérêts et leurs perspectives ne sont pas les mêmes. Or l’influence dont disposerait l’assemblée citoyenne susmentionnée dépend de son degré d’acceptation politique. Deux cas de figure sont envisageables. Soit la création de cette assemblée répond à une demande sociale importante, liée par exemple à une crise ouverte des institutions et à une volonté explicite et largement partagée dans la population de renouveler les institutions. À la suite du krach de l’économie islandaise consécutif à la crise des subprimes. ce sont ces circonstances qui ont mené en Islande à la « révolution des casseroles » puis à la mise en place d’un Comité constitutionnel tiré au sort chargé de déposer une proposition de réforme de la Constitution, Soit cette assemblée est vigoureusement endossée par le personnel politique, lequel accepte de neutraliser en partie ses processus de négociations particratiques afin de laisser place aux délibérations de l’assemblée citoyenne nouvellement créée. Ainsi, les commissions délibératives du Parlement bruxellois ont fonctionné grâce au soutien des groupes politiques. Un soutien réservé, parfois sceptique, vigilant. Mais un soutien malgré tout ; un soutien croissant même, vu le relatif succès des premières expériences et le sentiment positif exprimé par les participants. Toutefois, au niveau fédéral comme à celui des autres entités concernées, un soutien de cet ordre n’est pas évident à ce stade – pour dire le moins. À défaut d’être puissamment portée par des forces sociales ou politiques, la création de cette assemblée serait juste du flagship politique.
Troisième option : descendre sur le terrain
Mis à part une production importante consacrée aux pouvoirs (forcément délétères) des réseaux sociaux et à l’émergence (forcément décadente) de l’ère de la post-vérité, la théorie politique contemporaine porte une écrasante responsabilité quant à l’oubli d’une dimension déterminante de la vie politique : la délibération au sein de l’espace public.
Pourquoi les citoyens ne font-ils plus confiance aux institutions publiques ? Je crois que le désarroi de beaucoup de citoyens tient à ce qu’ils pensent n’avoir le choix qu’entre deux modalités de circulation de l’information politique. Un flux constant, continu, abondant et horizontal d’informations les plus diverses portant sur la pandémie : tweets d’experts, études diverses, contributions d’amateurs éclairés, témoignages, etc., d’une part, et les opérations plus ou moins habiles de « pédagogie » menées par les gouvernements compétents, d’autre part.
Ces deux modalités ne sont pas forcément toxiques. Il me semble légitime que les autorités publiques expliquent et justifient publiquement leur stratégie de gestion de la crise sanitaire et assument la dimension de propagande qui accompagne celle-ci : il n’en irait pas autrement en matière de sécurité routière ou de lutte contre les addictions par exemple. Par ailleurs, il me semble sain que nos débats de tous les jours à propos de la crise sanitaire ne passent pas par un tri a priori de ce que serait une opinion correcte ou incorrecte, morale ou immorale, informée ou non informée. Cela ne signifie pas que les expertises se valent ou que la délibération publique gagne au bruit indistinct, mais qu’il est assez normal au fond que le débat public ressemble parfois à une auberge espagnole.
Par contre, je pense qu’il faut plus étroitement articuler ces deux dimensions. D’une part, il faut que les flux d’informations issus de l’espace public puissent faire l’objet d’un débat proprement politique. D’autre part, il faut que les responsables politiques descendent davantage dans l’arène publique. En ce sens, il est grand temps d’organiser des débats publics longs, nourris, approfondis et localisables sur la gestion de la pandémie. On voudrait voir des Town Hall Meetings organisés de manière décentralisée dans les villes et villages du pays, lors desquels des responsables politiques aient l’occasion de répondre in vivo aux questions des citoyens. On voudrait voir 1h30 de débat télévisé hebdomadaire ouvert aux questions du public. On voudrait voir des séances de questions-réponses à la radio. Les responsables politiques acceptent bien volontiers d’expliquer les politiques qu’ils mènent. Il faut également qu’ils soient prêts à en discuter5. Il va de soi que ces suggestions me semblent à la fois souhaitables, très praticables et peu probables compte tenu du profond état d’épuisement des cabinets concernés et de l’état général du débat public en Belgique.
Quatrième option : il faut associer davantage les gouvernements
De nombreux observateurs s’accordent à penser que la crise sanitaire ne donne pas assez de place aux citoyens et aux parlements. C’est sans doute vrai. Mais en réalité, elle ne donne pas de place satisfaisante aux gouvernements concernés eux-mêmes.
Le Codeco réunit le kern et les ministres-présidents. Par conséquent, il laisse une série de ministres très directement compétents (santé, économie, enseignement obligatoire…) hors de la salle de négociation. Il serait sans doute malaisé de réunir dans la même pièce les trente ou quarante ministres potentiellement concernés par la gestion de la crise. Mais le fait est que toutes les compétences idoines ne sont pas autour de la table — même si les travaux du Codeco sont bien balisés par le travail du commissaire « corona » et des différentes commissions interministérielles chargées de piloter la gestion de la crise. Par ailleurs, les ministres-présidents parlent en leur nom, sans mandat formel de la part du gouvernement dont ils portent la parole. Les Codeco ne font pas toujours l’objet d’un travail de préparation extensif au sein des différents gouvernements concernés.
Dans ce cadre, la mise en place d’un calendrier prévisible permet d’anticiper les ordres du jour du Codeco. Les gouvernements gagneraient à s’appuyer sur les consultations parlementaires évoquées plus haut afin de baliser davantage — et au consensus — les points qui seront proposés à la discussion lors du Codeco. Ils gagneraient également à s’entendre en leur sein sur le mandat accordé aux Ministre-Président compétent.
Six suggestions pour conclure
Pour conclure : de quoi doit-on parler, quand on dit vouloir démocratiser la gestion de la crise sanitaire ? Tout d’abord, démocratiser notre système politique dans son ensemble, et se souvenir de ces déclarations d’intentions dans deux ans, quand il s’agira de rédiger des programmes pour les uns et de choisir en faveur de qui voter pour les autres. Ce n’est pas l’incompétence ou l’arrogance des représentants qui perdent le citoyen — l’œuvre complète de Maggie De Block mise à part. Ce sont des facteurs structurels. Et la complexité de la chose, c’est que nos institutions sont à la fois des poisons et des remèdes. Le scrutin proportionnel et le rôle donné aux partis contribuent à figer considérablement le jeu politique. Mais pour dire les choses simplement, ils cimentent le pays bien davantage que l’équipe nationale de foot ou la famille royale. C’est à cette aune qu’il faudra pourtant bien un jour se pencher sur le statut des partis, sur les règles de composition des gouvernements, sur l’introduction d’une dose de démocratie directe dans notre système.
Avant cela, nous pouvons mettre en place une série d’inflexions concrètes, qu’on énumèrera en terminant par celles qui ont le moins de chance de recueillir un consensus politique.
- La première consistera à organiser un calendrier régulier et prévisible des Codeco.
- La deuxième consistera à mettre sur pied des débats parlementaires préalables aux réunions des Codeco. Ces débats ne donneront pas lieu à un mandat formel mais ils permettront de baliser les termes de la discussion.
- La troisième consistera, dans la foulée de la discussion parlementaire, à préparer au sein des gouvernements concernés les lignes de discussion qui seront présentées en Codeco. Ces lignes doivent a priori faire l’objet d’un consensus gouvernemental.
- La quatrième tiendra à l’organisation volontariste de débats politiques dans l’espace public, à travers des formats simples, accessibles et relativement longs.
- La cinquième consistera dans l’idéal à accroitre les ressources financières et humaines dont disposent les parlements afin de mener leurs missions, soit en limitant les transferts de ces ressources vers les partis politiques, soit en augmentant le volume total de ces ressources.
- Enfin, la sixième tiendra à la mise en place d’une assemblée de citoyens consultable, le succès reposant sur un engagement à la fois massif et vigilant des partis impliqués.
Aucune de ces mesures n’est suffisante en soi. Aucune de ces mesures ne représente une solution miracle. Le succès de toutes ces mesures repose sur la bonne volonté politique des acteurs politiques.
- Le Soir, 13 janvier 2022.
- K. Deschouwer, The Politics of Belgium. Governing a Divided Society, deuxième édition, New York/Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2012 ; A. Timmermans, « Standing Apart and Sitting Together : Enforcing Coalition Agreements in Multiparty Systems », European Journal of Political Research, volume 45, n°2, 2006, p. 263 – 283 ; P. Dumont, L. De Winter, « La formation et le maintien des gouvernements (1946 – 1999) », Courrier hebdomadaire, Crisp, n° 1664, 1999. De manière plus générale, cf. A. Lijphart, The Politics of Accommodation. Pluralism and Democracy in the Netherlands, deuxième édition, Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 1975
- J. Pitseys, « Une réforme de l’État ne se joue pas sur un coin de table », Le Soir, 22 aout 2020.
- Voy. notamment J. Gastil, E.O. Wright, Legislature by Lot. Transformative Designs for Deliberative Governance, Verson, London/ New York, 2019.
- « Et toi, que fais-tu, young padawan ? », paslmodie le choeur antique. Eh bien, je n’en fais pas assez. Mais j’écris ce texte et j’essaie de répondre le plus poliment possible aux questions qu’on me pose dans la rue et sur mon mur Facebook de post-boomer.