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Delhaize et l’effet boomerang de l’austérité
Delhaize va sacrifier 2.500 emplois sur les presque 15.000 du groupe en Belgique. 1 emploi sur 6 ! 14 des 138 magasins intégrés devraient fermer leurs portes. Cette annonce a fait couler beaucoup d’encre et a été au centre des débats dominicaux. Chacun y va de sa petite analyse pointant spécifiquement les errements stratégiques du groupe, le niveau des salaires […]
Delhaize va sacrifier 2.500 emplois sur les presque 15.000 du groupe en Belgique. 1 emploi sur 6 ! 14 des 138 magasins intégrés devraient fermer leurs portes.
Cette annonce a fait couler beaucoup d’encre et a été au centre des débats dominicaux. Chacun y va de sa petite analyse pointant spécifiquement les errements stratégiques du groupe, le niveau des salaires et plus globalement, les différences entre les commissions paritaires qui couvrent le secteur de la distribution, la concurrence ou encore la maximisation de la valeur boursière du groupe…
Parmi les arguments avancés, Dominique Michel, administrateur-délégué de Comeos (fédération patronale de la distribution), évoquait sur le plateau de Mise au Point de ce 15 juin que les clients faisaient partie de l’équation. Ils se tournent de plus en plus vers les discounters et, du coup, c’est un marché de plus en plus grand qui échappe progressivement à Delhaize. De fait, « les discounters, c’est-à-dire les Colruyt et Intermarché (soft), Aldi et Lidl (hard) pèsent 42,6% du marché contre 31,2% dix ans plus tôt. En dix ans, leur nombre de magasins est passé de 881 à 1.132 points de vente. » 1
Loin de prétendre embrasser toutes les causes de cette restructuration, ce papier se propose de mettre au jour les évolutions macroéconomiques qui peuvent expliquer l’envolée de ce créneau de la grande distribution : aussi bien la crise que les mesures d’austérité prises pour y répondre ont amplifié la transhumance des consommateurs vers les discounters. « Amplifié » car, à l’instar de la croissance économique annuelle (PIB), cela fait cinquante ans que les dépenses de consommation des ménages baissent. Mais, alors que la croissance du PIB s’est maintenue à un niveau relativement stable de 2 % depuis le début des années 1980 à la veille de crise (2007 – 2008), les dépenses de consommation, pourtant stables jusqu’en 2000 (alors même que le pouvoir d’achat de la population était menacé par le plan global), continuaient à plonger dans les années précédant la crise. Cette déconnexion prouve que l’évolution des dépenses de consommation n’est pas calquée sur celle du PIB, mais que des décisions politiques comme une réforme fiscale peuvent peser sur ces dépenses.
Bref, cette baisse structurelle implique que la concurrence au sein du secteur de la grande distribution s’est intensifiée (ralentissement de la croissance des dépenses des ménages versus ouverture incessante de points de vente).
Satiété des consommateurs ?
Des études 2 montrent que, au-delà d’un certain niveau de richesse, les individus n’ont plus besoin de consommer davantage que précédemment pour accroitre leur bien-être. Le bien-être n’augmente pas indéfiniment avec l’argent que l’on possède. Cette évolution de long terme des dépenses de consommation pourrait signifier qu’un tel degré de satisfaction a été atteint. Si cela peut être vrai pour un petit groupe de de privilégiés 3 , cela ne se vérifie pas pour une part croissante de la population.
L’enquête européenne EU-SILC sur les conditions de vie des Européens et le dernier rapport de l’Observatoire du crédit et de l’endettement témoignent, de manière plus fine qu’en utilisant le taux d’emploi ou de pauvreté, de la précarisation croissante en Belgique et des conséquences de celle-ci (cf. tableau). Ce phénomène a nourri une dynamique du type « fuite vers la quantité » plutôt que vers la qualité. Autrement dit, on en veut pour son argent, quitte à mettre de côté des considérations plus qualitatives. Il s’agit là d’une explication « macro » qui permet de comprendre que certains consommateurs ont déserté Delhaize et que d’autres ne se rendent plus dans ses rayons que pour s’approvisionner en produits bien spécifiques qu’ils ne trouvent pas ailleurs.
Sources : Eurostat / EU-Silc sauf * : Observatoire du crédit et de l’endettement
Delhaize, une responsabilité collective ?
Ainsi, « le Premier ministre Elio Di Rupo a appris avec grand regret la décision de restructuration de Delhaize Belgique [et]exprime sa profonde solidarité et tout son soutien aux travailleurs et à leurs familles » (http://premier.fgov.be/fr/delhaize). Il n’en est pas moins vrai qu’aucune initiative sérieuse n’a été prise par les derniers gouvernements pour éviter que le délitement social que les chiffres du tableau traduisent ne se répercute sur l’ensemble de l’économie réelle. L’unique priorité depuis la perspective de l’entrée dans la zone euro a consisté à respecter, les critères de Maastricht en matière de dette et de déficit publics.
En ce qu’elle désigne les comportements d’achats, la responsabilité des consommateurs, c’est le dernier prétexte à invoquer lorsque la responsabilité sociale des entreprises a butté sur l’impératif de la rentabilité financière court-termiste et sur les erreurs managériales que les dirigeants cherchent à faire payer aux travailleurs. Cette dérive est rendue possible parce que, en amont, les gouvernements successifs ont déserté le champ de la régulation et que, de ce fait, la population est laissée démunie face aux forces du marché et aux règles capitalistes du plus fort. Avec des travailleurs qui se tournent avec désespoir vers les pouvoirs publics que l’on sent relativement impuissants et, accessoirement, la hausse des dépenses publiques de chômage qui compliquera un peu plus le respect de la trajectoire budgétaire, les gouvernements récoltent ce qu’ils ont semé.
- Jean-François Sacré, Huit raisons de faire baisser les prix dans le commerce, L’Echo, 20 mai 2014.
- Récemment : Richard Wilkinson et Kate Pickett, Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, Institut Veblen / Les Petits Matins ; Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Seuil
- « Depuis 2009, la hausse des millionnaires se chiffrerait à près de 40 % en Belgique [selon le World Wealth Report de la société de consultance Capgemini et du gestionnaire de patrimoine RBC Wealth Management]. » Selon ce rapport, ils seraient 94.500 mais le Boston Consulting Group les estime à 159.000 alors que des chercheurs anversois les évaluent, eux, à pas moins de 287.000 ! (Le Soir, 19 juin 2014)