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Blog - e-Mois - Covid-19 pandémie vaccination par Marius Gilbert

octobre 2021

En septembre 2021, le collectif appelé « Factor‑V » publie une lettre ouverte intitulée : « Et maintenant ? » adressée aux gouvernements et décideurs politiques et proposant une évolution de la stratégie de lutte contre la pandémie de Covid-19 dans notre pays. La lettre est partagée abondamment sur les réseaux sociaux et compte à ce jour (4 octobre 2021) près de […]

e-Mois

En septembre 2021, le collectif appelé « Factor‑V » publie une lettre ouverte intitulée : « Et maintenant ? » adressée aux gouvernements et décideurs politiques et proposant une évolution de la stratégie de lutte contre la pandémie de Covid-19 dans notre pays. La lettre est partagée abondamment sur les réseaux sociaux et compte à ce jour (4 octobre 2021) près de 23.000 signatures. Le texte se décompose en trois sections : une série de sept considérations présentées comme des affirmations scientifiques, sur la base desquelles les auteurs tirent quatre conclusions qui servent elles-mêmes de base à dix recommandations sur la gestion de la pandémie. Pour étayer les sept affirmations scientifiques, les auteurs indiquent : « les sources scientifiques sont disponibles dans la littérature et peuvent être obtenues sur simple demande ». Nous demandons donc ces sources pour les examiner (disponible ici ou en fichier joint). Très vite, nous sommes mal à notre aise entre le ton très définitif de certaines affirmations qui cadrent mal avec les sources qui sont fournies et notre propre perception de l’état des connaissances en la matière. Il nous a donc semblé nécessaire de revenir sur chacune de ces affirmations dans le détail.

On notera que les sources fournies par les auteurs de Factor‑V furent complétées quelques heures plus tard par une publication des sources du collectif Covidrationnel. Cette liste de source n’étant pas structurée selon les points de la lettre de Factor‑V, ne contenant pas d’appels de référence, et mêlant articles scientifiques, articles de presses, communiqués de presse et publications du collectif Covidrationnel lui-même, il était très difficile d’en intégrer l’analyse. La discussion ci-dessous se concentre donc sur le texte original et les sources fournies par les auteurs à notre demande.

Factor‑V a) “Si les vaccins contre le SRAS-CoV‑2 étaient initialement efficaces, leur efficacité diminue sensiblement avec le temps et à cause des nouveaux variants.”

C’est une généralisation qui appelle à être nuancée. Les vaccins contre le SARS-CoV‑2 restent très efficaces (Puranik et al. 2021, preprint). Il est vrai qu’à la suite de l’émergence et de la propagation du variant Delta, une diminution de l’efficacité vaccinale a été observée. Certains pays comme Israël ont aussi effectivement publié des résultats qui suggèrent une réduction de l’efficacité vaccinale contre l’infection avec le temps. Mais cette diminution ne s’observe pas partout de la même manière, même dans des pays qui n’ont qu’un mois de décalage avec le déploiement vaccinal d’Israël, comme le Royaume-Uni (Lopez Bernal et al. 2021). Un certain nombre de biais, comme des différences d’exposition ou l’intensité du dépistage, peuvent influencer les observations d’efficacité vaccinale basées sur des études observationnelles (voir par exemple Scott et al. 2021). En outre, cette affirmation passe sous silence le fait que l’efficacité vaccinale contre les infections sévères et les hospitalisations se maintient nettement mieux que celle contre l’infection, vraisemblablement en lien avec la réponse immunitaire secondaire, avec par exemple de récentes publications montrant des réponse immunitaires fortes par les lymphocytes T contre les variants Alpha et Delta, tant chez les personnes vaccinées que chez celles ayant fait une infection naturelle (Jordan et al. 2021, Tarke et al. 2021).

Références additionnelles :
* Jordan et al. (2021). T cell immune responses to SARS-CoV‑2 and variants of concern (Alpha and Delta) in infected and vaccinated individuals. Cellular & Molecular Immunology, September 16 : 1 – 3
* Lopez Bernal et al. (2021). Effectiveness of Covid-19 vaccines against the B.1.617.2 (Delta) variant. New England Journal of Medicine 385 : 585 – 594
* Puranik et al. (2021, preprint). Comparison of two highly-effective mRNA vaccines for COVID-19 during periods of Alpha and Delta variant prevalence. MedRxiv, doi : 10.1101/2021.08.06.21261707v3
* Scott et al. (2021). Covid-19 vaccination : evidence of waning immunity is overstated. BMJ 374 : n2320
* Tarke et al. (2021). Impact of SARS-CoV‑2 variants on the total CD4+ and CD8+ T cell reactivity in infected or vaccinated individuals. Cell Reports Medicine 2 : 100355
* The United States Food and Drug Administration (FDA). Vaccines and related biological products advisory committee, September 17, 2021, meeting presentation

Factor‑V b) “Les personnes vaccinées peuvent donc encore être contaminées dans une mesure importante (voir les données récentes d’Israël, des USA et du Royaume-Uni) et peuvent également être contagieuses pour d’autres personnes.”

Cette affirmation n’a rien de neuf. La vaccination n’a jamais représenté une protection totale, et aucune prophylaxie ou traitement médical n’est jamais efficace à 100%. L’efficacité vaccinale contre l’infection a été établie par de nombreux travaux depuis les essais cliniques initiaux, avec une efficacité de 80% contre l’infection avec le variant Alpha au Royaume-Uni (Pritchard et al. 2021). Les travaux les plus récents sur le variant Delta (Pouwels et al. 2021, preprint ; voir aussi Krause et al. 2021) indiquent que même avec une efficacité réduite, l’efficacité de la vaccination en deux doses se maintient à un niveau comparable à celle conférée par une infection naturelle (Pouwels et al. 2021).

Références additionnelles :
* Krause et al. (2021). Considerations in boosting COVID-19 vaccine immune responses. The Lancet, in press
* Pouwels et al. (2021, preprint). Impact of Delta on viral burden and vaccine effectiveness against new SARS-CoV‑2 infections in the UK. MedRxiv, doi : 10.1101/2021.08.18.21262237
* Pritchard et al. (2021). Impact of vaccination on new SARS-CoV‑2 infections in the United Kingdom. Nature Medicine 27 : 1370 – 1378

Factor‑V c) “L’immunité acquise par l’infection naturelle est plus durable et plus résistante aux variants que l’immunité induite par les vaccins.”

Cette affirmation est très loin d’être établie. L’étude de Pouwels et al. (2021) citée plus haut, par exemple, indique un niveau comparable de protection offert par l’immunité naturelle à celui de la vaccination contre le variant Delta. En outre, la plupart des études se concentrent sur les individus à infection symptomatique, et la protection acquise par les personnes asymptomatiques est assez mal caractérisée tout en représentant une grande proportion des cas. Il est donc difficile de généraliser cette conclusion à l’ensemble des personnes infectées, ou ayant été positives à l’issue d’un test PCR. Enfin et surtout, toute comparaison entre l’immunité acquise naturellement et par la vaccination ne peut passer sous silence le risque qu’implique l’infection naturelle. 

Pour dire les choses autrement, il est loin d’être clair que l’immunité naturelle soit meilleure que celle acquise par les vaccins, mais surtout, les deux ne présentent pas le même risque, ni à l’échelle individuelle ni à l’échelle collective. On peut encore mentionner que la combinaison de l’immunité post-infection avec l’immunité post-vaccinale est associée à une plus forte réponse des lymphocytes B et T, tant quantitativement que qualitativement (par leur capacité à développer des anticorps contre les variants) que l’infection naturelle seule. Ces résultats sont en faveur de la vaccination par une dose des personnes séropositives (Crotty 2021), en particulier pour les personnes âgées chez qui la protection offerte par l’infection naturelle semble moins forte et durable (Hansen et al. 2021).

Références additionnelles :
* Crotty (2021). Hybrid immunity. Science 372 : 1392 – 1393
* Hansen et al. (2021). Assessment of protection against reinfection with SARS-CoV‑2 among 4 million PCR-tested individuals in Denmark in 2020 : a population-level observational study. The Lancet 397:1204 – 1212
* Pouwels et al. (2021, preprint). Impact of Delta on viral burden and vaccine effectiveness against new SARS-CoV‑2 infections in the UK. MedRxiv, doi : 10.1101/2021.08.18.21262237

Factor‑V d) “Les vaccins actuels entraînent des effets indésirables rares, mais graves, dont l’ampleur est sous-estimée et insuffisamment signalée. La déclaration des effets indésirables par les médecins généralistes et hospitaliers et par les vaccinés serait actuellement largement insuffisante.”

Il n’y a tout simplement aucune base scientifique pour affirmer que l’ampleur des effets indésirables graves serait « sous-estimée » et « insuffisamment signalée ». Les références fournies pour appuyer cette affirmation ne contiennent que des descriptions de cas de myocardites et péricardites qui ont effectivement été observées, avec peu d’indications quant à leur fréquence. Ces cas ont été rares, avec un bon pronostic et sans séquelles, y compris chez les enfants (voir par exemple Barda et al. 2021). Loin d’être un signe de « sous-estimation », le fait même que ces cas peu fréquents de myocardites et de péricardites aient été détectés démontre que la pharmacovigilance fonctionne bien et a été capable de détecter un signal anormal qui nécessitait des enquêtes plus approfondies. 

Les sources qui appuient l’affirmation « La déclaration des effets indésirables par les médecins généralistes et hospitaliers et par les vaccinés serait actuellement largement insuffisante » ne concernent pas la pharmacovigilance des vaccins contre le SARS-CoV‑2. Il s’agit de travaux plus anciens qui étudient la pharmacovigilance vis-à-vis d’autres molécules. Etant donné l’importance qu’a prise la pandémie, l’attention qu’elle reçoit de la part des médecins généralistes et hospitaliers, il est très difficile de généraliser ces conclusions basées sur des travaux antérieurs à la pandémie à la pharmacovigilance actuelle contre les vaccins. 

Référence additionnelle :
* Barda et al. (2021). Safety of the BNT162b2 mRNA Covid-19 vaccine in a nationwide setting. New England Journal of Medicine 385 : 1078 – 1090

Factor‑V e) “Les enfants jouent un rôle modeste dans la propagation du virus, et ils sont très rarement (gravement) malades du virus. Au Royaume-Uni, le Joint Committee on Vaccination and Immunisation (JCVI) déclare que sur la base de l’état actuel des connaissances, la balance entre les risques liés à la maladie de Covid-19 et aux vaccins contre la Covid-19 ne justifie pas la vaccination de masse des enfants qui ne sont pas à risque.”

Ici encore, les auteurs portent une affirmation définitive à une question qui reste largement ouverte, complexe, et pour laquelle il y a lieu de porter une vue nuancée. L’avis du JCVI est loin d’être le seul, et d’autres groupes d’experts ont abouti à des conclusions différentes qui devraient également être mentionnées. En outre, pour appuyer cette affirmation, les auteurs de la lettre citent différents articles sur le rôle des enfants dans la transmission, mais aussi des articles qui n’ont strictement rien à voir, traitant, par exemple, de l’effet des mesures non pharmaceutiques sur la santé mentale des enfants (Tanir et al. 2020, Aleksandrov & Okhrimenko 2020). Quel rapport avec la vaccination ? La référence Johnson et al. (2018) n’a elle strictement rien à voir avec la Covid-19 et porte sur le lien entre santé mentale des adultes et dépression des adolescents. En réalité, la liste des « sources » ne comporte aucune étude sur la balance risque/bénéfice des vaccins vis-à-vis de l’infection chez les enfants.

De nombreux travaux ont montré que les enfants et adolescents peuvent transmettre la maladie à l’échelle du foyer, même s’il y a effectivement un consensus sur le fait qu’il est probable qu’ils contribuent moins à la transmission que les adultes. Par ailleurs, les travaux non cités par les auteurs de la lettre, disponibles à ce jour et portant sur la tranche d’âge 12 – 17 ans, indiquent un risque d’hospitalisation plus élevé pour les individus non vaccinés que chez ceux entièrement vaccinés, avec un bénéfice de la vaccination augmentant avec l’âge, allant de 2 à 10 fois plus de risque lié à l’infection qu’à la vaccination (Delahoy et al. 2021, Bozkurt et al. 2021). Pour mesurer précisément cette balance risque/bénéfice, et en prenant le risque spécifique de péricardites/myocardites lié aux vaccins à ARN messager, il y a lieu de prendre trois éléments en considération : la prévalence de la maladie dans la population générale, le risque lié à l’administration des vaccins et le risque lié à la maladie Covid-19. Lorsque la prévalence de cette maladie a été déterminée dans la population avant l’émergence de la Covid-19, la myocardite était diagnostiquée chez 10 à 20 individus par 100.000 individus et par an, et ce plus fréquemment chez les individus jeunes et chez les hommes (Bozkurt et al. 2021). 

D’après les données collectés et publiées par les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) aux États-Unis, 12,6 cas de myocardite/péricardite ont été signalés par million de secondes doses de vaccin à ARN messager administrées à des personnes âgées de 12 à 39 ans. Cela représente un risque de myocardite 3,2 fois plus élevé par rapport au risque estimé pour la population générale (Barda et al. 2021). Le dernier élément à signaler est qu’il a été estimé que les patients atteints de Covid-19 ont 16 fois plus de risque de myocardite par rapport aux patients qui n’ont pas de Covid-19, ce risque variant en fonction de l’âge. Par exemple, le risque est 32 fois plus élevé pour les personnes de moins de 16 ans (Boehmer et al. 2021). Finalement, en ce qui concerne cette manifestation clinique spécifique, la balance des risques entre le vaccin Covid-19 et la maladie Covid-19 semble être en faveur de la vaccination pour les adolescents de plus de 12 ans.

Il est également surprenant que les conséquences à court et à long terme de l’infection chez l’enfant et l’adolescent semblent avoir peu de poids dans cette affirmation qui n’envisage la question que sous le prisme du risque d’hospitalisation. Pourtant, plus de 500 enfants (18 ans) sont morts de la Covid-19 depuis le début de la pandémie aux États-Unis (données rapportées ici ). Le Covid long, qui est connu pour affecter les enfants, les adolescents et les jeunes adultes (Blomberg et al. 2021), n’y est même pas mentionné. Enfin, dans un contexte où les adultes sont bien protégés par des taux de vaccination élevés, il est probable que les interventions non pharmaceutiques collectives ne soient plus maintenues en place pour maintenir la circulation globale du virus à un niveau relativement bas. Tant que le taux d’hospitalisation reste faible, les pays pourraient en effet laisser la transmission se développer, exposant les enfants, les adolescents et les adultes non vaccinés à des niveaux de transmission jamais atteints auparavant.

Références additionnelles :
* Barda et al. (2021). Safety of the BNT162b2 mRNA Covid-19 vaccine in a nationwide setting. New England Journal of Medicine 385 : 1078 – 1090
* Boehmer et al. (2021). Association between COVID-19 and myocarditis using hospital-based administrative data — United States, March 2020 — January 2021. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), Morbidity and Mortality Weekly Report 70 : 1228 – 1232
* Bozkurt et al. (2021). Myocarditis with COVID-19 mRNA vaccines. Circulation 144 : 471 – 484
* Blomberg et al. (2021) Long COVID in a prospective cohort of home-isolated patients. Nature Medicine volume 27, pages 1607 – 1613
* Delahoy et al. (2021). Hospitalizations associated with COVID-19 among children and adolescents — COVID-NET, 14 states, March 1, 2020 — August 14, 2021. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), Morbidity and Mortality Weekly Report 70 : 1255 – 1260
* Hause et al. (2021). COVID-19 vaccine safety in adolescents aged 12 – 17 years — United States, December 14, 2020 — July 16, 2021. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), Morbidity and Mortality Weekly Report 70 : 1053 – 1058
* Schleiss et al. (2021). Children are the key to the Endgame : A case for routine pediatric COVID vaccination. Vaccine 39 : 5333 – 5336

Factor‑V f) “Les tests PCR très sensibles peuvent donner lieu à de nombreux faux positifs (c’est-à-dire des personnes qui ne sont en fait pas contagieuses).”

En effet, mais encore une fois, ce n’est pas nouveau et c’est valable pour le dépistage de tout agent infectieux.

Factor‑V g) “Les formes sévères de Covid-19 sont liées à des conditions sous-jacentes, principalement l’obésité, le diabète, l’hypertension, l’anxiété et la dépression.”

Une part significative des formes sévères pourraient être considérées comme d’origine génétique ou liées à des anomalies auto-immunes (2021, Zhang et al. 2020, Bastard et al. 2020, Deng et al. 2021), c’est-à-dire non liées à des facteurs de risque. Dans plusieurs cas, ce qui détermine le degré de gravité de la Covid-19 reste incertain, même si de plus en plus de preuves pointent vers la piste d’une réponse immunitaire innée exacerbée et anormale comme principal moteur de la détresse respiratoire. La capacité de l’hôte à monter une puissante réponse à l’interféron I (IFN I) semble être la clé du contrôle de la réplication du SARS-CoV‑2 (Galani et al. 2021). Des erreurs génétiques innées dans plusieurs gènes impliqués dans l’immunité IFN de type I ont en effet été observées plus fréquemment chez les patients atteints de Covid-19 mettant la vie en danger (Zhang et al. 2020). De même, des auto-anticorps contre les IFN de type I ont également été observés plus fréquemment dans cette catégorie de patients (Bastard et al. 2020, Bastard et al. 2021). La grossesse est également un facteur de risque important qu’il convient de mentionner. De plus, il a été démontré que l’émergence du variant Delta était associée à un risque d’hospitalisation et d’admission aux urgences qui pourrait être multiplié par deux (Bager et al. 2021, Twohig et al. 2021). Il y a donc dans la population de très nombreuses personnes à risque qui s’ignorent.

Références additionnelles :
* Badger et al. (2021). Hospitalisation associated with SARS-CoV‑2 Delta variant in Denmark. The Lancet. Infectious Diseases 21 : 1351
* Bastard et al. (2020). Auto-antibodies against type I IFNs in patients with life-threatening COVID-19. Science 370 : eabd4585
* Bastard et al. (2021). Autoantibodies neutralizing type I IFNs are present in  4% of uninfected individuals over 70 years old and account for  20% of COVID-19 deaths. Science Immunology 6 : eabl4340
* Deng et al. (2021). Human genetic basis of coronavirus disease 2019. Signal Transduction and Targeted Therapy 6 : 1 – 14
* (2021). Untuned antiviral immunity in COVID-19 revealed by temporal type I/III interferon patterns and flu comparison. Nature Immunology 22 : 32 – 40
* Twohig et al. (2021). Hospital admission and emergency care attendance risk for SARS-CoV‑2 Delta (B.1.617.2) compared with Alpha (B.1.1.7) variants of concern : a cohort study. The Lancet Infectious Diseases, in press
* Zhang et al. (2020). Inborn errors of type I IFN immunity in patients with life-threatening COVID-19. Science 370 : abd4570

On le voit, les sept affirmations scientifiques sont loin d’être toutes évidentes ni établies sur des bases solides, certaines références étant visiblement des erreurs. Mais les différentes conclusions qui sont tirées de ces sept affirmations sont également très discutables.

Factor‑V : “Même avec 100% de la population vaccinée, l’immunité de groupe ne peut être atteinte avec les vaccins actuels. La stratégie actuelle de vaccination de masse ne représente donc pas une option efficace ni efficiente à poursuivre et se faire vacciner ne peut être considéré comme un acte de solidarité. Le développement de vaccins contre les variants risque de prendre du retard.”

Tant qu’il existe une efficacité vaccinale contre la transmission, l’infection et les hospitalisations et qu’il y a des preuves solides à l’appui dans ce sens en provenance d’un grand nombre de pays (Jones et al. 2021, Thompson et al. 2021, Shah et al. 2021), la vaccination reste un acte de solidarité. Nous convenons que la notion selon laquelle les sociétés pourraient uniquement se fier à la vaccination pour réduire la circulation globale du virus avec des taux de contact pré-pandémie est compromise par un certain nombre de facteurs. Mais à l’opposé, prétendre que la vaccination n’apporte que des avantages individuels n’est tout simplement pas vrai. En réduisant les risques de saturation des systèmes de santé, la vaccination en augmente l’accès et réduit la mortalité indirecte de la Covid-19. L’étude de Shah et al. (2021) portant sur 92.470 foyers indique que la vaccination est associée à réduction du nombre de cas et d’hospitalisations au sein de la sphère familiale, protégeant ainsi les personnes habitant sous le même toit — y compris les enfants — et qui pourraient ne pas bien réagir à la vaccination (par exemple les personnes âgées, immunodéprimées, atteintes de cancer).

Références additionnelles :
*Jones et al. (2021). Single-dose BNT162b2 vaccine protects against asymptomatic SARS-CoV‑2 infection. eLife 10 : e68808
* Thompson et al. (2021). Interim estimates of vaccine effectiveness of BNT162b2 and mRNA-1273 COVID-19 vaccines in preventing SARS-CoV‑2 infection among health care personnel, first responders, and other essential and frontline workers – Eight U.S. Locations, December 2020 — March 2021. Centers for Disease Control and Prevention (CDC), Morbidity and Mortality Weekly Report 70 : 495 – 500
* Shah et al. (2021). Effect of Vaccination on Transmission of SARS-CoV‑2. The New England Journal of Medicine, doi : 10.1056/NEJMc2106757

Factor‑V : “Covid Safe Ticket n’est pas efficace d’un point de vue médical/épidémiologique et psychologique, car il conduit à un faux sentiment de sécurité et peut contribuer à de nouvelles infections de SRAS-CoV‑2 et au Covid-19.”

On ne peut pas faire une déclaration aussi générale. Le bénéfice attendu du Covid Safe Ticket (CST) dépend probablement du secteur et du type d’activité auxquels il est appliqué. Il pourrait rester un instrument utile pour des activités qui seraient autrement trop risquées. Nous sommes d’accord sur le sentiment de fausse sécurité et sur le fait que davantage de communication devrait être faite sur le fait que la vaccination n’offre pas une protection à 100% contre les risques de transmission, d’infection ou d’hospitalisation. De plus, l’expérience d’autres pays indique que la mise en œuvre du CST a été associée à une augmentation de la vaccination chez les adultes à risque et donc à une limitation résultante des infections et de la transmission dans la communauté, même s’il est vrai qu’on ne peut nécessairement en déduire qu’une telle augmentation de la vaccination se produirait de la même manière chez nous.

Factor‑V : “Faire une distinction entre les personnes vaccinées et non vaccinées n’a aucun sens d’un point de vue épidémiologique. Une telle distinction est également discriminatoire et moralement déplorable.”

Ici aussi, il s’agit d’une déclaration générale fort assertive. Les personnes vaccinées sont mieux protégées contre le risque d’hospitalisation et courent également moins de risques d’être infectées et donc d’infecter les autres, même si, comme indiqué précédemment, il ne s’agit pas d’une réduction du risque de 100%. Le caractère discriminatoire ou moralement déplorable d’une telle distinction ne doit pas être confondu avec ses caractéristiques épidémiologiques.

Factor‑V : “Décision de se faire vacciner doit rester un choix personnel fondée sur l’équilibre entre les avantages et les risques, en tenant également compte de l’immunité acquise.”

A partir du moment où la vaccination produit un bénéfice collectif et où l’absence de vaccination peut représenter un risque accru pour l’entourage des personnes non vaccinées, la décision de se faire vacciner ne peut plus être considérée uniquement comme un choix personnel, ce qui est d’ailleurs reconnu. Pour certaines catégories d’individus, par exemple le personnel des soins de santé, l’imposition d’une obligation vaccinale est rationnelle et a d’ailleurs déjà été mise en place pour d’autres agents infectieux comme l’hépatite B.

Factor‑V : “Dans la recherche d’une meilleure approche, et en prévision des futures vagues attendues, nous demandons donc à nos gouvernements de reconnaître que la Covid-19 est une question complexe et hétérogène qui ne peut être résolue par des mesures simples et universelles, mais plutôt par le développement de mesures ciblées, proportionnelles et équitables, en fonction de chaque contexte et de la population cible.”

Cette conclusion n’est pas claire. Elle est si générale qu’elle peut s’appliquer à presque tout : changement climatique, crise économique, situation des migrants… Nous supposons que ce que les auteurs veulent dire, c’est que la vaccination ne doit pas constituer le seul élément de notre stratégie de prévention et de contrôle. Mais à notre connaissance, plusieurs autres mesures sont toujours en place pour compléter la vaccination. Globalement, nous convenons qu’une plus grande concentration sur la prévention et des investissements structurels dans la ventilation et la qualité de l’air devraient faire partie d’une stratégie à long terme, mais cela n’implique pas que la vaccination ne doit pas rester un instrument central de cette stratégie, ni qu’il soit justifié de chercher à en décrédibiliser la démarche solidaire et le bénéfice collectif.

Nous n’avons pas souhaité nous étendre sur les recommandations du collectif « Factor‑V ». Nous avons fait le choix de mettre en lumière le fait que loin d’être une construction scientifique solide se basant sur un état des connaissances qui ferait consensus dans la communauté scientifique, cette lettre constitue en réalité un article d’opinion, appuyé par une sélection d’éléments puisés de manière opportuniste dans la littérature. Elle doit donc être lue comme tel.

Marius Gilbert


Auteur

Chercheur en épidémiologie à l'université libre de Bruxelles. Il y dirige le laboratoire d'épidémiologie spatiale (SpELL) et est Senior Research Associate au FNRS.