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De l’expérience ministérielle des futurs Premiers ministres

Blog - Belgosphère - Charles Michel partis politiques par Régis Dandoy

décembre 2014

La nomi­na­tion de Charles Michel en tant que Pre­mier ministre n’est pas vrai­ment pas­sée inaper­çue. Non pas parce qu’il est fran­co­phone – son pré­dé­ces­seur Elio Di Rupo lui a ouvert la voie dès 2011 – mais parce qu’il est jeune et libé­ral. Charles Michel est seule­ment le troi­sième Pre­mier ministre appar­te­nant à la famille poli­tique libé­rale depuis […]

La nomi­na­tion de Charles Michel en tant que Pre­mier ministre n’est pas vrai­ment pas­sée inaper­çue. Non pas parce qu’il est fran­co­phone – son pré­dé­ces­seur Elio Di Rupo lui a ouvert la voie dès 2011 – mais parce qu’il est jeune et libé­ral. Charles Michel est seule­ment le troi­sième Pre­mier ministre appar­te­nant à la famille poli­tique libé­rale depuis 1884, les deux autres étant Paul-Emile Jan­son (1937 – 1938) et plus récem­ment Guy Verhof­stadt (1999 – 2008). Dans un club très fer­mé de Pre­miers ministres et com­po­sé de démo­crates-chré­tiens et de quelques socia­listes, cette nomi­na­tion dénote un peu…

L’âge de notre nou­veau Pre­mier ministre a fait cou­ler encore plus d’encre. Le débat a entre autres por­té sur le fait de savoir s’il est le plus jeune ou le deuxième plus jeune Pre­mier ministre de l’histoire poli­tique du pays. Pas­sion­nant… Mais si cette dis­cus­sion est mal­adroite et rela­ti­ve­ment inin­té­res­sante, elle ren­voie à une inter­ro­ga­tion légi­time : celle de l’expérience. Indé­pen­dam­ment de l’âge du Pre­mier ministre, son genre, ses ori­gines, ses orien­ta­tions sexuelles ou encore sa coif­fure (voire son absence de che­veux), il est deman­dé aux Pre­miers ministres d’être capable de gérer un gou­ver­ne­ment com­po­sé de plu­sieurs forces poli­tiques aux objec­tifs très divers. Dans ce cadre, un Pre­mier ministre jeune, mais expé­ri­men­té ne vaut-il pas mieux qu’un Pre­mier ministre âgé, mais novice en politique ?

Un Pre­mier ministre en Bel­gique, c’est avant tout une per­sonne qui est capable de bâtir — voire for­cer — un com­pro­mis, qui a bien pré­pa­ré ses dos­siers et sur­tout qui connaît bien les rouages de la machi­ne­rie gou­ver­ne­men­tale. Dans cette optique, il est impor­tant pour le nou­veau Pre­mier ministre de déjà pos­sé­der une solide expé­rience au sein du gou­ver­ne­ment, que cela soit en tant que ministre ou chef de cabi­net. A l’exception de Wil­fried Mar­tens, les dix der­niers Pre­miers ministres qu’a connu notre pays ont tous été ministres avant de deve­nir Pre­miers ministres. Cela peut sem­bler évident, mais ces expé­riences minis­té­rielles recouvrent des réa­li­tés dif­fé­rentes, que cela soit en termes de durée ou de type de fonction.

Tout d’abord, cer­tains ont une expé­rience gou­ver­ne­men­tale préa­lable à leur nomi­na­tion comme Pre­mier ministre somme toute assez limi­tée dans le temps. Guy Vehof­stadt n’a été ministre que pen­dant un peu plus de deux ans, tan­dis qu’Elio Di Rupo et Jean-Luc Dehaene ont dépas­sé les dix ans d’expérience minis­té­rielle avant d’entrer au Seize. Le tableau ci-des­sous pré­sente l’expérience des dix der­niers Pre­miers ministres belges. Charles Michel n’a ain­si pas a rou­gir de son expé­rience minis­té­rielle : il se classe qua­trième dans ce clas­se­ment, avec presque sept ans d’expérience minis­té­rielle (au gou­ver­ne­ment fédé­ral et à la Région wallonne).

Expé­rience minis­té­rielle des Pre­miers ministres
1 Jean-Luc Dehaene 10,2 ans (3.733 jours)
2 Elio Di Rupo 10 ans (3.666 jours)
3 Edmond Lebur­ton 9,1 ans (3.314 jours)
4 Charles Michel 6,9 ans (2.530 jours)
5 Her­man Van Rompuy 6,3 ans (2.298)
6 Leo Tin­de­mans 5,9 ans (2.138 jours)
7 Mark Eys­kens 3,8 ans (1.403 jours)
8 Yves Leterme 3,2 ans (1.163 jours)
9 Guy Verhof­stadt 2 ans (745 jours)
10 Wil­fried Martens 0 ans (0 jours)

Outre le fait qu’il ne soit jamais deve­nu « simple » ministre, Wil­fried Mar­tens n’a même jamais occu­pé le poste de chef de cabi­net. Ce n’est pas le cas d’Edmond Lebur­ton et Jean-Luc Dehaene qui ont eu un lien pri­vi­lé­gié avec le conseil des ministres en tant que chefs de cabi­net. Cer­tains ont été au préa­lable nom­més secré­taires d’Etat (Marc Eys­kens et Her­man Van Rom­puy) tan­dis d’autres sont pas­sés par les gou­ver­ne­ments régio­naux (Yves Leterme, Elio Di Rupo et Charles Michel), les deux pre­miers cités en tant que ministres-présidents.

A l’exception de Marc Eys­kens et Wil­fried Mar­tens, tous les Pre­miers ministres ont en outre une expé­rience en tant que vice-Pre­mier ministres (ou ministres vice-pré­si­dents du conseil): Edmond Lebur­ton (au sein du gou­ver­ne­ment Har­mel), Léo Tin­de­mans (au sein des deux gou­ver­ne­ments Lebur­ton I et II), Jean-Luc Dehaene (au sein des gou­ver­ne­ments Mar­tens VIII et IX), Guy Verhof­stadt (au sein des gou­ver­ne­ments Mar­tens VI et VII), Yves Leterme (au sein du gou­ver­ne­ment Verhof­stadt III), Her­man Van Rom­puy (au sein des gou­ver­ne­ments Dehaene I et II) et Elio Di Rupo (au sein des mêmes gou­ver­ne­ments Dehaene I et II). Charles Michel fait excep­tion à cette tra­di­tion inter­rom­pue depuis 1992. Au sein du gou­ver­ne­ment fédé­ral, il était ministre de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment. Et si son por­te­feuille à la Région wal­lonne com­pre­nait les Affaires inté­rieures et de la Fonc­tion publique, il n’est jamais deve­nu vice-ministre-pré­sident de ce gouvernement.

Or, être vice-Pre­mier ministre, ce n’est pas rem­plir une fonc­tion hono­ri­fique ou pure­ment pro­to­co­laire. Au sein du gou­ver­ne­ment, les vice-Pre­miers ministres jouent un rôle cru­cial. Ils sont les repré­sen­tants et chefs de file de leur par­ti et sont sou­vent en pre­mière ligne lors des négo­cia­tions au Seize. Mais le rôle clé des vice-Pre­miers ministres prend tout son sens au sein du kern. Le kern, c’est la forme res­treinte que prend le conseil de ministres et qui ras­semble le Pre­mier ministre et les vice-Pre­miers (et éven­tuel­le­ment cer­tains ministres ou secré­taires d’E­tat en fonc­tion des dos­siers à trai­ter). C’est au sein du ce kern que se prennent sou­vent les déci­sions les plus impor­tantes ou les plus déli­cates et que se déroulent bien sou­vent les nuits inter­mi­nables de négo­cia­tions au Lam­ber­mont ou à Val Duchesse. 

Charles Michel, mal­gré son expé­rience minis­té­rielle impor­tante, n’a jamais été nom­mé vice-Pre­mier ministre et n’a donc jamais dura­ble­ment par­ti­ci­pé au kern. Bien évi­dem­ment, il y fut par­fois invi­té, mais jamais de façon récur­rente ou sub­stan­tielle. Qui plus est, en tant que ministre de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment, il est sou­vent res­té dans l’ombre des ministres des Affaires étran­gères Karel De Gucht, Yves Leterme et Ste­ven Vana­ckere et du vice-Pre­mier ministre pour son par­ti, Didier Reyn­ders. Un Pre­mier ministre peut-il prendre pos­ses­sion du Seize sans une expé­rience minis­té­rielle consé­quente, entre autres au sein du kern, cet organe clé pour la gou­ver­nance du pays ? Plus que son âge, c’est peut-être ce genre ques­tion qu’il faut se poser lorsqu’est éva­luée la can­di­da­ture d’un futur Pre­mier ministre.

Lors de la for­ma­tion du gou­ver­ne­ment, la can­di­da­ture de Didier Reyn­ders a tenu quelques temps la corde en tant que poten­tiel Pre­mier ministre pour le compte du MR. Didier Reyn­ders peut s’enorgueillir de plus de quinze années d’expérience minis­té­rielle, dont pas moins de dix années comme vice-Pre­mier ministre. Mais si le MR vou­lait un Pre­mier ministre avec une expé­rience au sein du kern, les can­di­dats poten­tiels chez les libé­raux fran­co­phones n’étaient pas légion : outre Didier Reyn­ders, seuls Louis Michel et feu Jean Gol ont occu­pé ce poste au cours des trente der­nières années. A moins de pui­ser dans le groupe des ministre-pré­si­dents1, le MR a pré­fé­ré jouer la carte de Charles Michel et rompre la tra­di­tion qui veut que – depuis Wil­fried Mar­tens – tout Pre­mier ministre passe par la « case » vice-Pre­mier avant d’occuper le Seize.

  1. Phi­lippe Mon­fils et Her­vé Has­quin à la Com­mu­nau­té fran­çaise ; Fran­çois-Xavier de Don­néa, feu Daniel Ducarme et feu Jacques Simo­net à la Région bruxelloise.

Régis Dandoy


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