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De l’art de choisir son précipice
Aujourd’hui, sur tous les tons, on entend qu’il nous faut changer notre mode de vie. Quoi de plus banal ? Nos grands-parents en ont changé, passant de la voiture à l’avion, du ventilateur au climatiseur, de la bonne au service traiteur et de Blankenberge à la Polynésie. Quoi de plus naturel, au fond, que le changement ? De changement, […]
Aujourd’hui, sur tous les tons, on entend qu’il nous faut changer notre mode de vie. Quoi de plus banal ? Nos grands-parents en ont changé, passant de la voiture à l’avion, du ventilateur au climatiseur, de la bonne au service traiteur et de Blankenberge à la Polynésie. Quoi de plus naturel, au fond, que le changement ?
De changement, notre agenda politique en est plein ! Démanteler ces vieux services publics qui coutent tant aux riches pour engraisser les pauvres, baisser les impôts, abattre les frontières pour les puissants, les fortifier pour les faibles, flexibiliser le travail, rigidifier la transmission des richesses, recourir à la technologie pour prévenir les remises en cause de notre système productif… Nous n’avons rien contre l’amélioration de notre monde, bien au contraire !
Que l’on ne me fasse pas pour autant écrire ce que je n’ai pas écrit : toute évolution n’est pas bonne à prendre. C’est ainsi que s’élève, dans le concert des voix réclamant des changements, celle des prophètes de l’apocalypse. Non, pas celles qui nous avertissent du péril de l’islamisation et du Grand Remplacement, de l’effondrement de notre sécurité sociale face aux assauts des métèques, de la perte des valeurs et des zones de non-droit. Ceux-là sont de clairvoyants lanceurs d’alerte. Je pense bien entendu aux cris des Khmers verts, des écologistes collapsologues, des paniquards environnementaux. Des catastrophes s’annonceraient, notre civilisation serait en péril, notre modèle de production et de consommation serait intenable, nous foncerions à pleine vitesse vers un mur, d’infinies douleurs et une mort certaine.
Tout cela est bien entendu prétexte à nous faire revenir à l’âge de la pierre, du train de nuit, du chauffage réglé sur 19°, de la consommation modérée et du souci des équilibres de l’environnement qui nous nourrit et nous abrite. Certes, nous ne pouvons nier que quelques soucis écologiques se présentent à nous. Ni même qu’il se pourrait qu’ils s’aggravent dans les années à venir. Mais il ne faut pas paniquer. Baser une politique sur la peur est indigne, sauf bien entendu s’il s’agit de la crainte de l’immigré, du chômeur profiteur et de la rage taxatoire.
Plutôt que de s’affoler, il faut se mettre en ordre de bataille, rassembler les soldats de la croissance pour encourager une évolution vertueuse de notre monde. Il faut changer ? Eh bien changeons, mais pas de méthode ! Creusons donc un trou pour en boucher un autre, comme nous l’avons fait chaque fois que nous étions confrontés aux limites de notre système.
La paysannerie souffrait au XVIIIe siècle pour produire quelques misérables moyens de subsistance ? Des armées de prolétaires, au XIXe siècle l’ont remplacée au bas de l’échelle sociale, pour créer d’infinies richesses. Le prolétariat mourait sous la charge de l’industrialisation ? La colonisation, puis la délocalisation ont mis bon ordre dans nos sociétés. Le colonialisme était intenable et injuste ? D’autres modèles d’exploitation et de destruction des sociétés lointaines furent inventés. Utilisé massivement pour soutenir la production agricole, le DDT s’est avéré un poison ? Il fut remplacé par d’autres produits, ayant d’autres effets délétères, puis ceux-là par d’autres encore. La voiture à essence consommait et polluait ? Celle au diésel nous a offert une consommation moindre et des pollutions innovantes.
Demain, nous bannirons les insecticides néonicotinoïdes pour sauver les abeilles, pour les remplacer par un produit qui tuera les vers de terre ou les oiseaux. Nous mettrons un terme à l’empoisonnement par les microparticules émises par la combustion du diésel en submergeant la planète de batteries usagées. Nous mettrons un frein à la consommation de coltan pour nos téléphones en nous rendant dépendants d’autres minéraux qui nous amèneront à faire la guerre dans de nouvelles régions. Nous démantèlerons les centrales qui font bouillir la planète à grand renfort de gaz à effet de serre pour couvrir les continents de futs de déchets radioactifs. Pour sauver nos océans qui étouffent sous les avalanches de plastique, nous mettrons sur le marché des substituts qui se décomposent spontanément en de subtils poisons.
Vous me direz peut-être qu’il faudrait alors, à chaque pas en avant, anticiper les difficultés qui en découleront et déjà se consacrer à les surmonter, voire renoncer à un progrès par trop périlleux. Nous devrions, en un mouvement infini de précautions et de vision à long terme, vivre préoccupés des conséquences de nos actions, angoissés, incertains de ce que nous offre la technologie et du caractère viable du monde qui s’ouvre à nous… Comment, dans ces conditions, jouir pleinement de son SUV, de son téléphone portable et de ses vacances en Inde ? Quelle injustice !
Nos parents ont roulé en américaine, volé en Concorde et jeté leurs huiles usagées dans un égout se déversant directement dans une rivière, nous en payons les conséquences aujourd’hui. Il n’y a aucune raison que nous ne laissions pas une ardoise à nos enfants et les chargions de trouver des solutions dans l’urgence, à leur tour. Du reste, pourquoi cette stratégie que nous suivons depuis longtemps, avec un évident succès, échouerait-elle soudain ? Ne cédons pas à la panique ! Nous courons vers un précipice ? Il suffit de changer de cap et de nous hâter vers un autre abime, un peu plus lointain. La génération suivante en choisira un troisième juste avant qu’il ne soit trop tard. Espérons-le pour eux.