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Catalogne : d’un référendum l’autre
« Je demande formellement la tenue d’un référendum. Je compte sur le gouvernement pour qu’il se montre à la hauteur de ses responsabilités. […] Lorsque les citoyens demandent un référendum parce qu’ils veulent s’exprimer, la réponse ne peut se résumer à un : “Ne vous inquiétez pas, il n’y a rien de grave, ayez confiance en moi.” De qui se moque-t-on ? Je ne peux croire que nous soyons face à un régime à ce point populiste. […] Devant une demande aussi légitime, en comptant sur un appui aussi vigoureux, je ne peux imaginer qu’un gouvernement démocratique puisse la balayer du revers de la main. […] Cela reviendrait à fouler au pied toutes les proclamations sur le dialogue. (…) Ceci est la voix des citoyens, elle est facile à écouter et il convient de le faire. »
C’est ainsi que Mariano Rajoy, actuel président du gouvernement espagnol, s’exprimait en mai 2006, lorsqu’il était président du Parti populaire. Il est vrai que c’était une autre époque, le PP était alors dans l’opposition et tout faisait farine au moulin pour s’opposer aux socialistes y compris le nouvel Estatut, (la norme constitutionnelle de la Generalitat, les institutions de la Communauté autonome) que la Catalogne venait de se donner après de longues négociations avec las Cortes Generales (les chambres législatives espagnoles). L’Estatut avait finalement été approuvé par Madrid, ratifié par le Parlement de Catalogne et soumis à un référendum. L’ambition du gouvernement régional était d’élargir l’autonomie catalane et de réaffirmer la singularité de la Catalogne. Ce texte, dont la version antérieure datait de 1979, était particulièrement important puisqu’il réglait les compétences, le régime linguistique, les relations institutionnelles et le financement de la Generalitat1.
À l’époque donc, le PP présenta une proposition de résolution exigeant du gouvernement socialiste de Zapatero un référendum dans toute l’Espagne. Il appuya sa demande d’une pétition de 4 millions de signatures, récoltées sous le slogan « Nous avons tous le droit de nous exprimer ». Cette exigence fut rejetée du fait de l’inconstitutionnalité d’un tel référendum. Mais l’opposition ne s’arrêta pas là ; le PP introduisit contre l’Estatut, un recours en annulation devant le Tribunal constitutionnel. Cinq autres Communautés autonomes espagnoles – toutes gouvernées par le PP – introduisirent dans la foulée des recours pour des motifs différents.
Quatre années s’écoulèrent sans qu’aucune protestation ne soit soulevée, qu’aucune nouvelle exigence ne soit introduite par les Catalans. Le nouvel Estatut aurait très certainement contenté les demandes des indépendantistes pendant les quinze à vingt-cinq prochaines années. Or, le 28 juin 2006, le Tribunal constitutionnel prononça l’arrêt sur le recours du PP. Le Tribunal, instance hautement politisée et conservatrice, annula les éléments les plus symboliques de l’Estatut le concept de nation utilisé dans le préambule, la « préférence » pour la langue catalane, l’autonomie du pouvoir judiciaire et les avancées en termes d’autonomie fiscale. Le Tribunal constitutionnel martelait dans son arrêt « l’indissoluble unité de l’État ».
C’est sans doute ici que tout se crispa. L’équarrissage de l’Estatut révolta au plus haut point les Catalans qui clamèrent que le texte résiduel n’était pas celui qu’ils avaient voté et descendirent manifester leur colère dans les rues au slogan de « Som una nació. Nosaltres decidim »2. La CiU3 sut habilement jouer de cette colère lors de la campagne en vue des élections autonomes de 2010. Le centre-droit catalan n’hésita pas à mener une campagne extrêmement agressive, exigeant de l’État central un pacte fiscal et allant jusqu’à tourner un spot mettant en scène l’Espagne dérobant le portefeuille d’un Catalan.
La CiU remporta les élections, mais sans obtenir la majorité absolue. Lorsqu’il fallut voter le budget d’austérité 2011 – 2012, elle n’eut aucun scrupule à considérer le PP comme « un partenaire de choix » (selon les termes d’Artur Mas lui-même) et à se féliciter de son abstention. Il faut dire que celle-ci était nécessaire à l’adoption du budget malgré l’absence de majorité absolue de la CiU. Alors même qu’elle se compromettait avec « l’ennemi », elle fut éclaboussée par plusieurs scandales de corruption de grande ampleur. Dans ce contexte, elle réussit à faire diversion en martelant sa volonté d’obtenir de Madrid un pacte fiscal. Il faut rappeler qu’à cette époque l’Espagne était économiquement dévastée par une crise économique qui avait aussi durement touché la Catalogne.
Par ailleurs, la situation politique à Madrid avait considérablement évolué puisque de nouvelles élections générales avaient donné au PP une majorité absolue dans les assemblées nationales et que Mariano Rajoy était devenu le chef du gouvernement. Très vite, ce dernier avait réorienté la politique du gouvernement national vers un refus de toute concession aux nationalistes catalans.
Le 11 septembre 2012, jour de la fête nationale catalane, aussi appelé Diada, vit les rues de Barcelone se noircir de monde. Entre un million et demi et deux millions de Catalans manifestèrent aux cris de « Catalunya, nou Estat d’Europa » (Catalogne, nouvel État d’Europe). À partir de cette date, il devint évident pour beaucoup qu’il fallait pousser plus loin le projet d’indépendance et organiser une consultation populaire. La Constitution espagnole autorise les autonomies à tenir un référendum consultatif à condition qu’il soit approuvé par l’État espagnol. Or, autant en 2006 le Mariano Rajoy de l’opposition appelait ardemment à la tenue d’un référendum, autant, une fois à la tête de l’Exécutif, un tel processus, au niveau national ou régional, lui semblait inacceptable.
La CiU voyant qu’elle n’obtiendrait rien de Madrid et prenant conscience de l’utilité de s’appuyer cyniquement sur le mécontentement populaire, changea son fusil d’épaule en convoquant des élections anticipées et en insérant dans son programme électoral une consultation d’autodétermination. Le 25 novembre 2012, elle remporta les élections, malgré un résultat fort décevant au vu de ses ambitions. Un accord de gouvernement, qui incluait une « consultation sur l’avenir politique de la Catalogne », fut signé et les partis de la coalition s’engagèrent à l’organiser le 9 novembre 2014. Rapidement, le Tribunal constitutionnel condamna le processus. Artur Mas, président de la Generalitat, devant ce nouveau blocage, opta pour une pirouette juridique et décida que, le 9 novembre 20144 se tiendrait une consultation non contraignante sur l’autonomie catalane.
Dans l’intervalle, le Parlement catalan avait approuvé à une large majorité une « déclaration du droit à décider du peuple de Catalogne » qui fut également déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal constitutionnel qui la taxa de « défi ouvert à la Constitution ».
Il est utile de souligner que dès 2006, la voie juridique fut centrale dans les tentatives de résolution des différends autour de la question catalane ; le débat et les négociations politiques ne furent jamais la priorité du PP. Dès lors, en l’absence de tout dialogue, il fut décidé, d’une part, de convoquer de nouvelles élections, qualifiées de « plébiscitaires », et, d’autre part, de négocier une « feuille de route unitaire pour le processus souverainiste catalan ». Cette dernière prévoyait, entre autres, une déclaration unilatérale d’indépendance dans un délai de dix-huit mois en cas de victoire indépendantiste. Rajoy s’empressa de rappeler qu’«aucun gouvernement en Espagne n’autoriserait la rupture de la souveraineté nationale ». Des désaccords internes à la CiU marquèrent la fin de ce cartel et une nouvelle coalition indépendantiste vit le jour sous le nom de Junts pel Sí (JxSí, Ensemble pour le oui). Elle se composait principalement de la CDC, le parti d’Artur Mas, de l’ERC5 et d’autres associations indépendantistes. Seule la CUP6 refusa de rejoindre la liste unique et se présenta seule. Les deux forces indépendantistes obtinrent une majorité absolue des sièges au Parlement (62 JxSÍ et 10 CUP, sur 135 au total), mais pas des voix (47,8%).
Le délai de dix-huit mois s’écoula sans déclaration d’indépendance, mais la proposition d’un processus référendaire refit surface. Il fut annoncé le 9 juin de cette année par l’actuel président de la Generalitat, Carles Puigdemont, et présenté comme un acte de désobéissance à l’autorité de Madrid, malgré l’anticipation d’un recours au Tribunal constitutionnel et d’une nouvelle opposition de celui-ci. Sa tenue était prévue pour ce dimanche 1er octobre et les Catalans se voyaient poser la question : « Voulez-vous que la Catalogne soit un Etat indépendant sous la forme d’une république ? ».
S’il faut donc aborder la question catalane avec nuance, il faut aussi comprendre que la consultation de ce dimanche est l’aboutissement d’un processus de raidissement et d’escalade dans lequel le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, pour être dans toutes les bouches, est loin d’avoir été réellement servi. Face-à-face, les acteurs principaux se sont enfermés dans une logique dont on peine à comprendre comment ils pourraient sortir… si tant est qu’ils puissent un jour le vouloir.
Ainsi, on ne peut comprendre que l’État central se soit à ce point replié derrière le droit et ait laissé les négociations politiques au placard. La démocratie, mot dont les deux camps se gargarisent, ne se résume pas à la tenue d’élections, mais implique aussi une capacité à négocier et à trouver des terrains d’entente. Or, nous assistons ces dernières semaines au spectacle effrayant de deux camps faisant assaut de discours définitifs, exclusivement adressés à leurs fidèles. D’un côté, Rajoy, et son « non » constant au dialogue, rend impossible toute sortie d’une impasse qu’il a largement contribué à mettre en place. Si, en onze ans, la représentation politique des indépendantistes est passée de 15% à 47,8% c’est notamment « grâce » à la crise économique et au succès du slogan populiste « L’Espanya ens roba » (L’Espagne nous vole), mais il ne fait aucun doute que les nationalistes catalans doivent une fière chandelle au PP qui a poussé la population dans leur bras.
Soutenue par les médias régionaux et les élites économiques, la Generalitat a opté pour la fuite en avant en se focalisant uniquement sur les questions d’indépendantisme. L’intransigeance de Madrid a fait de la cause nationale le clivage structurant du paysage politique catalan, permettant des alliances a priori impensables comme celle de la CUP, extrême gauche indépendantiste catalane, ou celle de citoyens modérés avec des partis de centre-droit indépendantistes. Quant aux Catalans qui demeurent opposés à l’indépendance, ils sont inaudibles.
Par ailleurs, il faut souligner que ni le PP ni les indépendantistes n’ont de réels projets pour faire face aux problèmes de la Catalogne et de ses habitants (chômage, précarité de l’emploi, soins de santé, éducation, etc.). Comment faire confiance à un parti comme le PP qui scande que les lois doivent être respectées alors qu’il compte dans ses rangs plus de 700 membres mis en cause dans d’innombrables dossiers de corruption et de trafic d’influence ? Dans une situation aussi délicate, il est commode de disposer d’un ennemi, que ce soit le Venezuela auquel Podemos serait inféodée ou l’indépendantisme catalan menaçant de tailler l’Espagne en pièces.
Dans le camp d’en face, si 47,8% de voix suffisent pour gouverner ou pour revendiquer un référendum, ils ne permettent pas de réformer l’Estatut ou la loi électorale et encore moins de déclarer unilatéralement l’indépendance d’une région. Une stratégie de la tension peut donc être fort utile pour inciter les indifférents et les indécis à grossir les rangs indépendantistes, face à une Espagne diabolisée et menaçante.
Hélas, le remplacement des élites politiques actuelles, tant au niveau central qu’à celui de la Communauté autonome, n’est pas à l’ordre du jour, bien que cela apparaisse comme le seul espoir pour entamer une désescalade. Il y a donc fort à craindre que le référendum de ce dimanche ne soit qu’une étape de plus dans une intensification des tensions appelées à se poursuivre longtemps encore. Déjà, l’État espagnol use de violence vis-à-vis des partisans de l’indépendance, lesquels jurent qu’ils iront jusqu’au bout. Mais quel pourrait être ce « bout », dans un pays aussi divisé et marqué par une histoire d’une extrême violence ?
- On appelle Generalitat le système institutionnel qui organise politiquement la région catalane. Elle est principalement composée d’un parlement, d’un gouvernement et d’une présidence.
- « Nous sommes une nation. Nous décidons. »
- Convergència i Unió réunit deux partis de centre-droit. D’une part, Convergence démocratique de Catalogne (libéraux indépendantistes) et, d’autre part, Union démocratique de Catalogne (démocrates chrétiens régionalistes).
- Deux questions furent posées aux Catalans. La première : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État ? » La seconde : « Si oui, voulez-vous que cet Etat soit indépendant ? »
- Esquerra Republicana de Catalunya, parti indépendantiste qui était parvenu à doubler ses sièges aux précédentes élections.
- Candidatura d’Unitat Popular est une coalition de petits partis indépendantistes catalans issus de la gauche radicale.