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Cumulons !

Blog - Anathème - partis politiques par Anathème

juillet 2017

Il est, dans nos socié­tés, des conci­toyens qui se dévouent pour le bien com­mun. Se met­tant au ser­vice de la Nation, fai­sant don de leur per­sonne, ils vouent leur vie à résoudre les pro­blèmes de leurs sem­blables. Si nous pou­vons envi­sa­ger avec confiance l’avenir de notre éco­no­mie, c’est grâce à leur connais­sance appro­fon­die des dan­gers de sa […]

Anathème

Il est, dans nos socié­tés, des conci­toyens qui se dévouent pour le bien com­mun. Se met­tant au ser­vice de la Nation, fai­sant don de leur per­sonne, ils vouent leur vie à résoudre les pro­blèmes de leurs sem­blables. Si nous pou­vons envi­sa­ger avec confiance l’avenir de notre éco­no­mie, c’est grâce à leur connais­sance appro­fon­die des dan­gers de sa finan­cia­ri­sa­tion ; si nous sommes sou­la­gés de l’angoisse du réchauf­fe­ment, de la mon­tée des eaux et de la dis­pa­ri­tion de la Flandre sous la mer du Nord, c’est parce qu’ils ont le cou­rage poli­tique de pilo­ter la tran­si­tion éner­gé­tique ; si nous pou­vons avoir foi en l’avenir de l’humanité, c’est parce qu’ils ont su se mon­trer humains et incar­ner nos idéaux démo­cra­tiques face à l’afflux de réfu­giés. J’aurais pu par­ler de la Jus­tice, de la science, de la rede­vance télé… la place manque, hélas, pour un pané­gy­rique à leur mesure. 

Ces poli­tiques dévoués ont notam­ment contri­bué à façon­ner un monde effi­cient, fon­dé sur la trans­pa­rence, la libre concur­rence, la lutte pour la sur­vie et la convic­tion que des vices indi­vi­duels nai­tront de grandes ver­tus collectives. 

Pour­tant, plu­tôt que de leur être recon­nais­sants de leur dévoue­ment, nous com­met­tons à leur égard injus­tice sur injus­tice. Passe encore que nous nous en gaus­sions, que nous moquions le maillot rouge de l’un, le crâne rasé d’un autre ou encore les vidéos pro­mo­tion­nelles d’une troi­sième, mais, cette fois, nous les atta­quons dans ce qu’ils ont de plus sacré, dans leur digni­té même, dans leur res­pect scru­pu­leux de nos valeurs. 

Consi­dé­rons les faits. Notre socié­té valo­rise à l’extrême le mul­ti­tas­king, elle exige de cha­cun qu’il cumule une foule d’occupations, elle va jusqu’à nous aider en fai­sant en sorte qu’il ne soit plus pos­sible de sur­vivre avec un seul emploi. 

En outre, notre sys­tème moral repose sur la valo­ri­sa­tion des vain­queurs et le mépris des vain­cus. Toute notre vie est pla­cée sous le signe d’une saine com­pé­ti­tion au cours de laquelle les mieux dotés ont l’occasion de faire mordre la pous­sière aux autres et, ain­si, de légi­ti­mer leur domi­na­tion sans par­tage. Chô­meurs pares­seux, élèves dou­bleurs imbé­ciles, pauvres inca­pables de deve­nir mil­lion­naires, réfu­giés lâches de fuir leur pays, nous nous réga­lons de voir tom­ber les plus vul­né­rables. Nous leur pré­fé­rons mille fois les patrons rapaces, les frau­deurs magni­fiques, les héri­tiers m’as-tu-vu, les fils-de autosatisfaits. 

Pour­tant, il est une filière d’excellence que nous conti­nuons de mépri­ser : la car­rière poli­tique. Voi­là des gens qui se sont exem­plai­re­ment confor­més aux dik­tats de notre socié­té et que nous déva­lo­ri­sons : ils ont pré­fé­ré d’interminables réunions impro­duc­tives à leur famille, déci­dé à l’emporte-pièce, manié l’oukase comme per­sonne, uti­li­sé des mots savants qu’ils ne com­pre­naient pas, lut­té pour s’élever, tra­his­sant amis et core­li­gion­naires, ou bien ils ont héri­té de leur poste, pous­sés dans le dos par une main de leur père, l’autre balayant les obs­tacles devant eux, ils ont empo­ché les avan­tages comme autant de choses natu­relles et ont cumu­lé autant de sources de puis­sance et de reve­nus que pos­sible. Tout ça pour quoi ? Pour être raillés, cri­ti­qués, trai­nés dans la boue ? 

Certes, nous ne pré­ten­dons pas que tous sont exem­plaires : il en est qui n’ont qu’un man­dat, d’autres qui connaissent le nom de leurs enfants, cer­tains sont culti­vés et connaissent le monde. Il en est même qui ne gagnent pas bien leur vie, mais cherchent à faire le bien d’autrui. Bref, cer­tains sapent les bases de notre socié­té, refu­sant de se
confor­mer à nos valeurs tout en se don­nant le beau rôle dans de léni­fiants dis­cours sur la démo­cra­tie et les droits fon­da­men­taux. Oui, il existe des rené­gats et des déviants. 

Mais faut-il condam­ner en bloc ? Ne pou­vons-nous voir qu’une part consi­dé­rable de nos repré­sen­tants s’acharne à res­pec­ter à la lettre les prin­cipes que l’on nous vante tous les jours, ceux qui pré­valent dans notre ensei­gne­ment, dans nos médias, dans nos prin­cipes édu­ca­tifs, dans nos lois ? 

Com­ment mieux démon­trer son tem­pé­ra­ment de bat­tant, son moral de vain­queur, son employa­bi­li­té idéale, ses facul­tés de réseau­tage qu’en cumu­lant les enga­ge­ments ? Vit-on jamais per­sonne plus exem­plaire que celle ayant son mot à dire dans sa com­mune, au par­le­ment, dans une inter­com­mu­nale de ges­tion des déchets, dans une autre de télé­dis­tri­bu­tion, dans les ins­tances de ges­tion de la misère, dans l’un ou l’autre cabi­net de consul­tance, voire dans des ins­tances consul­ta­tives de grands groupes ? Poly­va­lence, acti­vi­té per­ma­nente, net­wor­king mul­ti­le­vel, agi­li­té, proac­ti­vi­té, com­bat­ti­vi­té faut-il dres­ser la liste com­plète des qua­li­tés dont il faut faire preuve pour tant cumu­ler ? Et l’on vou­drait, alors que nous sommes tous som­més de cumu­ler, que nous en rêvons, que nous y tra­vaillons, on vou­drait que nos man­da­taires soient les seuls ban­nis de cet Eldo­ra­do postmoderne ? 

Ah, tristes citoyens que nous sommes, qui véné­rons Mit­tal et Frère, Jobs et Lagar­dère, Vre­bos et Col­man, mais ne pou­vons recon­naitre en nos man­da­taires leurs dignes émules ! Il suf­fit ! Notre socié­té ne gagne­ra pas son salut en ter­gi­ver­sant, en cou­rant sans but. Il est temps de prendre au pied de la lettre nos prin­cipes fon­da­men­taux et d’encourager ceux qui portent notre voix. Oui, cumu­lez, pour le bien de tous. 

D’ailleurs, à leur place, ne ferions-nous pas exac­te­ment comme eux ?

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.