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Creuser sa propre tombe

Blog - Anathème - prison par Anathème

mai 2016

Alors que la grève des agents péni­ten­tiaires bat son plein, que les déte­nus sont mal nour­ris, ne béné­fi­cient que d’une douche tous les six jours, que pri­vés de visites et de pro­me­nades la cha­leur rend les fous, il est des citoyens pour ne pas perdre la tête et gar­der le sens des priorités.

Anathème

Dans ces lieux de la véri­table démo­cra­tie que sont les réseaux sociaux et les forums de la presse, ils rap­pellent que les déte­nus ne sont pas des enfants de chœur, qu’ils ont bien méri­té leur sort, qu’ils n’ont pas lais­sé tant de chance à leurs vic­times (ils sont tous des assas­sins, rap­pe­lons-le), qu’il est juste de leur faire payer au cen­tuple le mal qu’ils ont fait et que leur sort est encore trop doux puisqu’on ne leur a pas cou­pé la télé­vi­sion et que, si ça ne tenait qu’à eux, un mur, un ban­deau, un pelo­ton, au petit matin…

Faut-il réfor­mer la pri­son ? Y inves­tir à d’autres fins que la sécu­ri­té et la souf­france des déte­nus ? En faire un enjeu démo­cra­tique ? Et quoi encore ? Ne cédons pas irra­tio­nel­le­ment à l’émotion. La com­pas­sion est, c’est connu, mau­vaise conseillère. L’heure est grave, la socié­té est en péril, il faut savoir se mon­trer ferme : une main de fer dans un gan­te­let d’armure. Ne bais­sons pas la garde, frap­pons fort, sans sourciller.

Oh, bien enten­du, tout le monde entend ces belles âmes, ces bobos-Bisou­nours et ces cri­mi­no­logues gau­chistes qui clament que la vio­lence en réponse à la vio­lence n’est pas gage de paix civile, qu’il ne faut pas espé­rer qu’un homme humi­lié et mal­trai­té se sente, une fois ren­du à la vie libre, incli­né à res­pec­ter la digni­té de ses sem­blables. Nous n’écoutons que trop les dis­cours de ces Cas­sandre qui nous pro­mettent des taux de réci­dive catas­tro­phiques, une dégra­da­tion de la sécu­ri­té, une bru­ta­li­sa­tion de la socié­té et, en fin de compte, la mise en place d’un cercle vicieux.

Bien enten­du que per­sonne n’attend quoi que ce soit de la pri­son. Évi­dem­ment, per­sonne n’imagine que les bri­mades et la dégra­da­tion mènent au repen­tir et à l’amour du pro­chain. Nous ne sommes pas débiles ! Mais là n’est pas la question.
Si la fer­me­té car­cé­rale est essen­tielle en ces temps dif­fi­ciles, c’est parce que nous sommes éner­vés : rien ne va, l’emploi, l’économie, l’enseignement, les tun­nels, les cen­trales ; nous sommes nous-mêmes quo­ti­dien­ne­ment humi­liés, rabais­sés, insul­tés, injus­te­ment accu­sés ; nous n’en pou­vons plus.

Ces délin­quants, dro­gués, voleurs, assas­sins, vio­leurs, can­ni­bales et ter­ro­ristes ne sont qu’une des contra­rié­tés qui nous agacent. Ils ont cepen­dant l’avantage d’être à dis­po­si­tion, de n’avoir que peu d’excuses, d’avoir la tête de l’emploi et de ne man­quer à per­sonne d’important lorsqu’ils volent au trou. Il en va d’ailleurs de même des chô­meurs, des réfu­giés, des SDF et de tout qui est à la fois faible et importun. 

Bien enten­du, ne pas les aider, les sanc­tion­ner, les contrô­ler, les rabais­ser, c’est semer un vent qui nous revien­dra en tem­pête, mais, que vou­lez-vous, il faut bien pas­ser ses nerfs sur quelqu’un. Or, rien ne défoule comme creu­ser sa propre tombe.

Pho­to : Chr. Mincke

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.