Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Créateurs, créatrices, artistes : prêts pour une législature tournée vers l’action ?
La législature 2014 – 2019 n’aura pas été celle de la rupture revendiquée par les créateurs et les créatrices, par les organisations d’artistes en général et engagée à l’ouverture de l’initiative « Bouger les lignes » en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle a certes permis quelques succès importants — en fait, des avancées acquises de haute lutte —, comme la loi sur l’injection directe, la […]
La législature 2014 – 2019 n’aura pas été celle de la rupture revendiquée par les créateurs et les créatrices, par les organisations d’artistes en général et engagée à l’ouverture de l’initiative « Bouger les lignes » en Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle a certes permis quelques succès importants — en fait, des avancées acquises de haute lutte —, comme la loi sur l’injection directe1, la réforme de la définition de la copie privée2, l’adoption des deux directives européennes « droits d’auteur » et « radiodiffusion », la mise en place d’un premier réseau des échevins de la Culture et de l’Enseignement de la Région bruxelloise, l’adoption du prix unique du livre, le décret « instances d’avis » de la Fédération Wallonie-Bruxelles améliorant la parité avec des mécanismes d’alternance et de quotas et la création d’un Conseil supérieur de la culture… Mais sur le terrain de la situation sociale et professionnelle, de l’évolution des revenus réels et de la reconnaissance symbolique des artistes, le bilan est totalement insuffisant en regard des problèmes identifiés depuis plus de dix ans.
Travail d’analyse et travail politique, rien n’y a fait ! Ni les différents gouvernements, ni les directions et conseil d’administration des institutions culturelles et du service public, ni les administrations ni même les syndicats, n’ont réellement admis avoir à modifier en profondeur leurs approches pour changer la vie quotidienne, la « vraie vie », précarisée, des artistes-chômeurs, des créateurs et créatrices ubérisé.e.s, pour transformer la réalité des autrices-productrices et auteurs-producteurs, des porteurs de projets s’épuisant à financer l’essentiel des étapes d’écriture et de développement, toutes celles et tous ceux qui ne veulent pas apparaître comme de simples prétextes à des levées massives et profitables de tax-shelter3. Ce Tiers-État de la Culture, pour reprendre l’expression du sociologue Camille Peugny, reste le modèle imposé à deux générations de professionnels artistiques… en mal d’interlocuteurs sauf dans l’opposition.
L’exemple de la copie privée
Un exemple paraît paradigmatique des atermoiements autour du secteur : en 2016, le gouvernement fédéral a supprimé le dispositif des droits liés à la copie privée, payés aux autrices et auteurs par les multinationales qui vendent des photocopieuses, scanners et autres appareils du même type. Et le gouvernement n’a pas prévu à l’époque de mesure pour ramener cette rémunération, laquelle constitue pourtant une obligation européenne. En conséquence, les droits de copie privée et de reprographie ont connu une brutale régression, abaissant en une année les rentrées, pourtant plus nécessaires que jamais, des auteurs et autrices littéraires et de BD.
Alors qu’un texte allant dans le sens de la réintroduction d’un système robuste de perception de ces droits a été proposé au parlement, cette réforme a été partiellement torpillée au dernier jour de la législature fédérale. Une majorité se dégageait pourtant pour résoudre optimalement ce problème… Mais le texte adopté le 24 avril 2019, lors de la dernière session plénière, n’a pas fixé de tarif minimal de rémunération, ce qui empêche concrètement la récupération des droits tant que le gouvernement ne prend pas d’arrêté en ce sens.
Pour les autrices et auteurs, c’est 10 à 12 millions d’euros qui ont déjà été perdus depuis 2016. Et si à l’époque, les prix des copieurs, scanner, imprimantes, auraient logiquement dû baisser, en réalité, ils sont restés constants : la marge est donc partie dans le chiffre d’affaires des multinationales.
Des constats unanimes
Bilan complexe à lire donc, où il n’est pas aisé de faire la part des choses entre progrès et régressions, satisfaction du travail accompli collectivement et insuffisance, encore et toujours, des résultats obtenus sur la question centrale de la considération professionnelle, celle qui se transforme en contrats d’emploi, commandes correctement rémunérées et droits à rémunération. Dans ce contexte, le 13 mai dernier, un « débat des partis francophones » sur la place des créateurs et des créatrices dans les programmes pour la prochaine législature s’est tenu à la Maison européenne des autrices et auteurs (MEDAA). Deux thématiques avaient été choisies de commun accord par la SACD/SCAM et la Commission culture du Conseil des femmes, associations co-organisatrices de la rencontre : l’emploi artistique et les revenus, d’une part, la place des femmes dans la Culture, d’autre part.
De ce débat, où PS, Écolo, PTB, Défi, CDH et MR ont apporté leurs réflexions et leurs propositions, nous avons identifié plusieurs constats convergents ainsi que des pistes d’action quasi unanimes.
Le premier constat est que la situation sociale et professionnelle des créateurs, créatrices et artistes doit changer. Le cadre fixé à la fin des années 1990, basé sur un accès au chômage simplifié, n’est plus tenable, faute de consensus au niveau fédéral, mais aussi car les effets pervers pour les artistes de ce « piège au non-emploi » sont de plus en plus manifestes. Après des années de réflexion, la priorité doit aller à des mesures concrètes et rapides, associant les différents niveaux de pouvoir, permettant de redresser l’emploi et les revenus réels notamment des créateurs et créatrices. Un enjeu en particulier est cité : le décumul des droits d’auteur et des allocations de chômage.
Plus généralement, une approche globale multifactorielle est indispensable, visant à développer les opportunités de travail rémunéré — comme pourraient l’être des aides à l’écriture et au développement ou des commandes. Un point crucial car le travail presté par les créateurs et créatrices en amont de toute la production et la diffusion culturelle n’est globalement pas ou très mal rémunéré, non quantifié dans les budgets.
Le deuxième constat est que la situation professionnelle et institutionnelle des femmes, créatrices et artistes, doit tout particulièrement évoluer : alternances de mandats et quotas seront nécessaires, comme cela a été décidé pour le fonctionnement des instances d’avis au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il s’agira d’ouvrir les postes de direction, les conseils d’administration des institutions culturelles et les réseaux d’influence aux femmes artistes de façon déterminée, avec des objectifs quantifiés et des calendriers. L’égalité salariale devra non seulement être exigée, mais évaluée en permanence, ce qui implique de mettre en chantier de véritables outils de monitoring des rémunérations et des conditions de travail des artistes.
Et la démocratisation culturelle ?
Le troisième constat, et non des moindres, est que la démocratisation culturelle a régressé : la création, la circulation et l’accès aux ouvrages artistiques de tous genres, sont plus difficiles qu’il y a cinq ans et doivent être repensés. Il faudra innover pour s’écarter des modèles usés depuis vingt ans. Il s’agira d’en faire profiter parallèlement les créateurs, créatrices et artistes, d’une part, et les publics, d’autre part, en visant la diversité réelle des opportunités de création comme celle des accès aux œuvres (plus qu’aux lieux et événements).
En ce sens, il s’agit d’entendre les nombreuses voix qui demandent des droits culturels effectifs. Malgré les moyens (budgets, institutions, administration…) croissants accordés à l’éducation permanente, nos politiques artistiques et culturelles laissent sur le côté trop de personnes, trop d’artistes, trop de groupes socioculturels (jeunes, vieux, migrants, précaires…). La diversité sociale des créateurs et des publics n’est pas encore la norme dans le secteur culturel, et les collaborations avec d’autres régions insuffisantes. Comme si les institutions, les administrations et les dispositifs de soutien comme le “tax-shelter” ne parvenaient pas à fonder une nouvelle réalité artistique et culturelle, enfin respectueuse des créateurs et créatrices, plus anticipative des usages qui évoluent, des nouvelles attentes des publics. Et comme le soulignait le directeur général de Bozar, Paul Dujardin, il y a une relation profonde entre la « mise sous tension » de la démocratie et l’insuffisance de l’inclusion artistique et culturelle.
Une question de reconnaissance
De l’Europe au local, une nouvelle alliance entre les responsables politiques et les artistes, également confrontés à ces enjeux majeurs, reste à tisser selon des approches nouvelles lors de la prochaine législature. Elle se nouera sur des sujets concrets et sur des réponses efficaces… et sur une reconnaissance, une considération réciproque. Il s’agit de développer une politique artistique renouvelée, soucieuse notamment des enfants et des jeunes de tous les milieux, et de tous les territoires. Il y a urgence professionnelle…, mais aussi sociétale.
- L’injection directe est une technique de transmission de signaux par câble utilisée par les distributeurs de TV numérique.
- Il s’agit de droits reversés aux autrices et auteurs couvrant la reproduction de leurs textes au moyen des copieurs, imprimantes, etc.
- Ce mécanisme permet à une société de production culturelle de lever des fonds auprès de sociétés privées qui souhaitent investir en leur faisant bénéficier de déductions fiscales.