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Courrier de Gauthier de Villers

Blog - Débat autour de l’article « Gérard, Énos et Jacques, une fable rwandaise » par Gauthier de Villers

juillet 2015

Chères amies, chers amis, Je suis un vieux et fidèle lec­teur de La Revue nou­velle et y ai plu­sieurs fois col­la­bo­ré. J’ai été fort sur­pris de lire dans votre n°1/2015 un article de Phi­lippe Laro­chelle sur le Rwan­da, qui m’a paru aus­si incon­sis­tant que cho­quant. Mon domaine étant la RDC, je ne suis pas spé­cia­liste de l’his­toire […]

Chères amies, chers amis,

Je suis un vieux et fidèle lec­teur de La Revue nou­velle et y ai plu­sieurs fois collaboré.

J’ai été fort sur­pris de lire dans votre n°1/2015 un article de Phi­lippe Laro­chelle sur le Rwan­da, qui m’a paru aus­si incon­sis­tant que choquant.

Mon domaine étant la RDC, je ne suis pas spé­cia­liste de l’his­toire rwan­daise, mais ai néan­moins beau­coup lu sur ce pays (et ai d’ailleurs publié dans la RN un article sur la ques­tion du géno­cide rwan­dais). Je suis de ceux qui recon­naissent l’ex­trême com­plexi­té des évé­ne­ments dra­ma­tiques qu’a tra­ver­sés le Rwan­da (et qui le marquent tou­jours) et les res­pon­sa­bi­li­tés par­ta­gées du FPR et du pou­voir d’Ha­bya­ri­ma­na dans le pro­ces­sus qui a conduit au génocide.

Je suis encore de ceux qui sou­lignent la néces­si­té de recon­naître et cher­cher à mesu­rer l’am­pleur des mas­sacres de Hutu qui furent com­mis au Rwan­da et au Congo par le FPR lui-même.

Ces mas­sacres cepen­dant n’ont pas, à mes yeux comme à ceux de tous les auteurs sou­cieux du sens des mots, le carac­tère d’un géno­cide, c’est-à-dire d’une entre­prise qui aurait visé à exter­mi­ner la popu­la­tion hutu. Au cœur de cette his­toire rwan­daise, il reste un ter­rible fait majeur : la mise en œuvre d’une poli­tique d’ex­ter­mi­na­tion indis­tincte des Tut­si. Or votre auteur met le mot « géno­cide rwan­dais » au plu­riel. Il voit à l’oeuvre dans le Rwan­da domi­né aujourd’­hui par les (des) Tut­si et sou­te­nu par la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale », une entre­prise d’ex­clu­sion et per­sé­cu­tion sinon d’é­li­mi­na­tion des Hutu, et c’est son seul objet de préoccupation.

Il n’a pas un mot pour évo­quer la mémoire et les impacts du géno­cide, ni pour dire la néces­si­té qu’il y a eu d’i­den­ti­fier et punir au moins un cer­tain nombre de res­pon­sables des mas­sacres qui firent des cen­taines de mil­liers (sept cent mille?) vic­times Tut­si. Certes dans la jus­tice qui fut ren­due au Rwan­da par les gaca­ca, ailleurs par le TPIR et quelques tri­bu­naux natio­naux, il y eut cer­tai­ne­ment nombre d’in­justes condam­na­tions, mais la tâche était aus­si néces­saire qu’im­mense, com­plexe, jon­chée d’obs­tacles ; beau­coup de vrais cou­pables ont été jugés ; et beau­coup d’in­cul­pés ou soup­çon­nés ont été inno­cen­tés, alors que l’au­teur juge que « dans le dis­cours offi­ciel de Kiga­li » « la simple sug­ges­tion que des Hutu puissent être inno­cents… relève de la fabu­la­tion » et qu’il ne voit dans la poli­tique de répres­sion des géno­ci­daires qu’un « macabre hachage des Hutu »!! 

Il ne connaît appa­rem­ment que des Hutu inno­cents, construi­sant son article autour de trois cas qui illus­tre­raient le phé­no­mène des accu­sa­tions fon­dées sur la seule appar­te­nance eth­nique hutu. À noter que rien ne per­met au lec­teur de juger si dans ces trois cas les accu­sés le furent réel­le­ment à tort : il doit croire l’au­teur sur parole, celui-ci ne se livrant à aucune réelle ten­ta­tive de démons­tra­tion, ne s’ap­puyant sur aucune source.
Et que faut-il com­prendre quand il nous dit que ces trois « inno­cents » qu’il a choi­sis de nous pré­sen­ter sont « les per­son­nages prin­ci­paux de la fable rwan­daise » qu’il va nous conter ? De quelle « fable » s’a­git-il ? Celle du géno­cide!? sans doute puis­qu’il parle de la construc­tion d’une « fausse his­toire » du géno­cide « sur le dos de nom­breuses inno­centes victimes»…

Aus­si cri­tique que l’on puisse être (je le suis) à l’é­gard du fonc­tion­ne­ment de la jus­tice inter­na­tio­nale, par­ler de celle-ci comme d’un « abat­toir », appe­ler le Tri­bu­nal inter­na­tio­nal sur le Rwan­da le « MIHV », le « mou­lin inter­na­tio­nal à viande hutu » (sic!) est tel­le­ment exces­sif, que l’on ne peut qu’être décon­cer­té et, à la réflexion, offus­qué devant une telle caricature.

Ce sera ma seule réfé­rence, mais pour juger objec­ti­ve­ment (sévè­re­ment mais rigou­reu­se­ment) du tra­vail du TPIR, de ses acquis (condam­na­tion de plu­sieurs grands res­pon­sables du géno­cide des Tut­si, contri­bu­tion par les témoi­gnages recueillis à la connais­sance de la genèse et du dérou­le­ment du géno­cide) et de ses carences (refus d’en­quê­ter sur les crimes du FPR), on doit en par­ti­cu­lier lire un ouvrage d’An­dré Gui­chaoua (qui fut un expert auprès du Tri­bu­nal): Rwan­da, de la guerre au génocide…
Encore une fois je suis quel­qu’un de très cri­tique à l’é­gard du régime FPR et je crois qu’il s’a­git effec­ti­ve­ment d’un régime lar­ge­ment mono­po­li­sé par des élites tut­si, mais au delà d’un sys­tème de pou­voir ce que l’au­teur met en cause c’est une res­pon­sa­bi­li­té, une com­pli­ci­té qui seraient col­lec­tives des Tut­si. Il écrit que ce régime « faci­lite l’ap­pa­ri­tion de vam­pires tut­si, qui se mettent par tous les moyens à recher­cher le sang et les pro­prié­tés des Hutu », ou encore que « les Tut­si » « réa­lisent que, dans le nou­veau Rwan­da, il est per­mis de faire n’im­porte quoi avec un Hutu, y com­pris l’é­li­mi­ner par tous les moyens»…
Je crois que ces der­nières cita­tions à elles seules auraient jus­ti­fié, impo­sé, de reje­ter cet article. Je sup­pose, espère, que vous aurez d’autres réac­tions allant dans le même sens que la mienne et que vous publie­rez quelque forme de mise au point. J’ai tou­jours appré­cié le plu­ra­lisme édi­to­rial de la RN, mais celui-ci s’exer­çait dans les limites fixées par des exi­gences de rigueur dans le rai­son­ne­ment et par la réfé­rence à des valeurs communes.

Bien à vous

Gauthier de Villers


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