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Courrier de Gauthier de Villers
Chères amies, chers amis, Je suis un vieux et fidèle lecteur de La Revue nouvelle et y ai plusieurs fois collaboré. J’ai été fort surpris de lire dans votre n°1/2015 un article de Philippe Larochelle sur le Rwanda, qui m’a paru aussi inconsistant que choquant. Mon domaine étant la RDC, je ne suis pas spécialiste de l’histoire […]
Chères amies, chers amis,
Je suis un vieux et fidèle lecteur de La Revue nouvelle et y ai plusieurs fois collaboré.
J’ai été fort surpris de lire dans votre n°1/2015 un article de Philippe Larochelle sur le Rwanda, qui m’a paru aussi inconsistant que choquant.
Mon domaine étant la RDC, je ne suis pas spécialiste de l’histoire rwandaise, mais ai néanmoins beaucoup lu sur ce pays (et ai d’ailleurs publié dans la RN un article sur la question du génocide rwandais). Je suis de ceux qui reconnaissent l’extrême complexité des événements dramatiques qu’a traversés le Rwanda (et qui le marquent toujours) et les responsabilités partagées du FPR et du pouvoir d’Habyarimana dans le processus qui a conduit au génocide.
Je suis encore de ceux qui soulignent la nécessité de reconnaître et chercher à mesurer l’ampleur des massacres de Hutu qui furent commis au Rwanda et au Congo par le FPR lui-même.
Ces massacres cependant n’ont pas, à mes yeux comme à ceux de tous les auteurs soucieux du sens des mots, le caractère d’un génocide, c’est-à-dire d’une entreprise qui aurait visé à exterminer la population hutu. Au cœur de cette histoire rwandaise, il reste un terrible fait majeur : la mise en œuvre d’une politique d’extermination indistincte des Tutsi. Or votre auteur met le mot « génocide rwandais » au pluriel. Il voit à l’oeuvre dans le Rwanda dominé aujourd’hui par les (des) Tutsi et soutenu par la « communauté internationale », une entreprise d’exclusion et persécution sinon d’élimination des Hutu, et c’est son seul objet de préoccupation.
Il n’a pas un mot pour évoquer la mémoire et les impacts du génocide, ni pour dire la nécessité qu’il y a eu d’identifier et punir au moins un certain nombre de responsables des massacres qui firent des centaines de milliers (sept cent mille?) victimes Tutsi. Certes dans la justice qui fut rendue au Rwanda par les gacaca, ailleurs par le TPIR et quelques tribunaux nationaux, il y eut certainement nombre d’injustes condamnations, mais la tâche était aussi nécessaire qu’immense, complexe, jonchée d’obstacles ; beaucoup de vrais coupables ont été jugés ; et beaucoup d’inculpés ou soupçonnés ont été innocentés, alors que l’auteur juge que « dans le discours officiel de Kigali » « la simple suggestion que des Hutu puissent être innocents… relève de la fabulation » et qu’il ne voit dans la politique de répression des génocidaires qu’un « macabre hachage des Hutu »!!
Il ne connaît apparemment que des Hutu innocents, construisant son article autour de trois cas qui illustreraient le phénomène des accusations fondées sur la seule appartenance ethnique hutu. À noter que rien ne permet au lecteur de juger si dans ces trois cas les accusés le furent réellement à tort : il doit croire l’auteur sur parole, celui-ci ne se livrant à aucune réelle tentative de démonstration, ne s’appuyant sur aucune source.
Et que faut-il comprendre quand il nous dit que ces trois « innocents » qu’il a choisis de nous présenter sont « les personnages principaux de la fable rwandaise » qu’il va nous conter ? De quelle « fable » s’agit-il ? Celle du génocide!? sans doute puisqu’il parle de la construction d’une « fausse histoire » du génocide « sur le dos de nombreuses innocentes victimes»…
Aussi critique que l’on puisse être (je le suis) à l’égard du fonctionnement de la justice internationale, parler de celle-ci comme d’un « abattoir », appeler le Tribunal international sur le Rwanda le « MIHV », le « moulin international à viande hutu » (sic!) est tellement excessif, que l’on ne peut qu’être déconcerté et, à la réflexion, offusqué devant une telle caricature.
Ce sera ma seule référence, mais pour juger objectivement (sévèrement mais rigoureusement) du travail du TPIR, de ses acquis (condamnation de plusieurs grands responsables du génocide des Tutsi, contribution par les témoignages recueillis à la connaissance de la genèse et du déroulement du génocide) et de ses carences (refus d’enquêter sur les crimes du FPR), on doit en particulier lire un ouvrage d’André Guichaoua (qui fut un expert auprès du Tribunal): Rwanda, de la guerre au génocide…
Encore une fois je suis quelqu’un de très critique à l’égard du régime FPR et je crois qu’il s’agit effectivement d’un régime largement monopolisé par des élites tutsi, mais au delà d’un système de pouvoir ce que l’auteur met en cause c’est une responsabilité, une complicité qui seraient collectives des Tutsi. Il écrit que ce régime « facilite l’apparition de vampires tutsi, qui se mettent par tous les moyens à rechercher le sang et les propriétés des Hutu », ou encore que « les Tutsi » « réalisent que, dans le nouveau Rwanda, il est permis de faire n’importe quoi avec un Hutu, y compris l’éliminer par tous les moyens»…
Je crois que ces dernières citations à elles seules auraient justifié, imposé, de rejeter cet article. Je suppose, espère, que vous aurez d’autres réactions allant dans le même sens que la mienne et que vous publierez quelque forme de mise au point. J’ai toujours apprécié le pluralisme éditorial de la RN, mais celui-ci s’exerçait dans les limites fixées par des exigences de rigueur dans le raisonnement et par la référence à des valeurs communes.
Bien à vous