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« Compétences usurpées » de la coopération au développement universitaire

Blog - e-Mois - coopération nord-sud enseignement supérieur par Jean-Claude Willame

juillet 2013

Un coup d’État bien belge Le ministre de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment, Jean-Pas­­cal Labille, a annon­cé aux rec­teurs des uni­ver­si­tés qu’il ne pour­ra concé­der que 67% des 65 mil­lions d’euros des­ti­nés à la coopé­ra­tion uni­ver­si­taire et que, après 2014, « il n’est pas sûr que la coopé­ra­tion en matière d’enseignement supé­rieur sera encore finan­cée par le fédé­ral ». Il y a […]

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Un coup d’État bien belge

Le ministre de la Coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment, Jean-Pas­cal Labille, a annon­cé aux rec­teurs des uni­ver­si­tés qu’il ne pour­ra concé­der que 67% des 65 mil­lions d’euros des­ti­nés à la coopé­ra­tion uni­ver­si­taire et que, après 2014, « il n’est pas sûr que la coopé­ra­tion en matière d’enseignement supé­rieur sera encore finan­cée par le fédé­ral ». Il y a là comme un par­fum de coup d’État ins­ti­tu­tion­nel.

Sou­cieux de conti­nuer à paraitre comme un bon élève euro­péen et de répondre aux exi­gences du trai­té sur la sta­bi­li­té, la coor­di­na­tion et la gou­ver­nance, le gou­ver­ne­ment di Rupo n’a pas man­qué de racler les fonds de tiroir et de faire fonc­tion­ner la râpe à fro­mage par le biais d’un gros mot : celui de « com­pé­tences usurpées ».

En fait, des par­ties sub­stan­tielles de ces com­pé­tences — celles qui concer­naient la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment dans l’enseignement supé­rieur (quelque 65 mil­lions d’euros sur les 250 recher­chés) — ne l’étaient d’aucune manière, ce que nous allons démontrer.

L’histoire remonte à 2001 à l’occasion d’une loi spé­ciale du 13 juillet qui pré­voit que « cer­taines par­ties de la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment seront trans­fé­rées dès le 1er jan­vier 2004 dans la mesure où elles portent sur les com­pé­tences des Com­mu­nau­tés et Régions. Pour ce faire, un groupe de tra­vail spé­cial devait être consti­tué, « en concer­ta­tion avec le sec­teur et au plus tard pour le 31 décembre 2002 », pour pro­po­ser une liste des matières à transférer.

Le pro­blème est que ce groupe de tra­vail, s’il se réunit bel et bien en 2002, ne rédi­gea ni PV de séances, ni conclu­sions. On y évo­qua bien au moins trois scé­na­rios dont l’un éma­nait, non pas d’éminences fla­mandes qui étaient deman­deurs d’une défé­dé­ra­li­sa­tion, mais des régio­na­listes socia­listes fran­co­phones (cabi­net du pré­sident Van Cau­wen­ber­ghe, Phi­lippe Sui­nen, patron de l’AWEX et de WBI 1) qui enten­daient avec rage déman­te­ler en qua­si tota­li­té la coopé­ra­tion fédé­rale pour la trans­fé­rer aux enti­tés fédé­rées. Mais les dif­fé­rents membres du groupe se sépa­rèrent avant la fin de l’année après maints éclats de voix et beau­coup de ran­cœurs, en par­ti­cu­lier contre les éco­lo­gistes, « empê­cheurs de dan­ser en rond ». L’avis d’un audi­teur du Conseil d’État vint refroi­dir les ardeurs des confé­dé­ra­listes fran­co­phones et fla­mands : « la défé­dé­ra­li­sa­tion pour­rait être une grave erreur d’aiguillage », l’État fédé­ral devant res­ter « l’interlocuteur pri­vi­lé­gié de la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment ». Celui du repré­sen­tant de la Banque mon­diale fit valoir de son côté que la mul­ti­pli­ca­tion des « gui­chets » était pré­ju­di­ciable à l’aide au développement.

On ne repar­la plus par la suite de défé­dé­ra­li­sa­tion, même s’il y eut l’une ou l’autre alerte qui s’avérèrent infon­dées. En sep­tembre 2009, le cabi­net du ministre de la Coopé­ra­tion de l’époque, Charles Michel, dont l’illustre père avait décla­ré en 2002 que ceux qui prê­chaient contre le défé­dé­ra­li­sa­tion « allaient contre l’histoire » (!), fit même une marche arrière toute : dans le cadre des recom­man­da­tions de l’OCDE et de la Décla­ra­tion de Paris qui prô­naient une meilleure har­mo­ni­sa­tion des dif­fé­rents canaux de la coopé­ra­tion belge, il enten­dit faire le for­cing pour que la coopé­ra­tion dans l’enseignement supé­rieur soit pla­cée dans le moule de la coopé­ra­tion fédé­rale, ce qui n’était plus le cas depuis une loi votée en 1999 qui avait cou­lé dans le béton l’autonomie des acteurs indi­rects. La manœuvre échoua.

Aujourd’hui donc, voi­là que res­sur­git une défé­dé­ra­li­sa­tion… au for­ceps. Sans qu’il n’y ait aucun accord au sein des huit par­tis char­gés de la mise en œuvre de la nou­velle réforme ins­ti­tu­tion­nelle regrou­pés dans le Como­ri (Comi­té pour la mise en œuvre des réformes ins­ti­tu­tion­nelles), voi­là que la majo­ri­té siffle la fin de la récréa­tion en pla­çant la coopé­ra­tion de l’enseignement supé­rieur dans les « com­pé­tences usur­pées » par le niveau fédéral.

Le plus para­doxal est que celui qui fut l’un des prin­ci­paux chantres de la défé­dé­ra­li­sa­tion dans les années 2000, Phi­lippe Sui­nen, a opé­ré un virage à 360°. Il s’en va aujourd’hui dénon­cer un « hold-up du fédé­ral à charge des enti­tés fédé­rées ». Reve­nant sur ses prises de posi­tion radi­cales d’antan, il avance que, dans un avis du 2 décembre 2003, le Conseil d’État avait esti­mé que « la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment fait par­tie de la poli­tique étran­gère exer­cée par l’État fédé­ral, ce qui lui per­met dès lors d’agir dans des matières rele­vant des Com­mu­nau­tés et des Régions ». « Dire que l’on rend aux Com­mu­nau­tés ce qu’on leur avait pris est dans ce cas-ci une héré­sie intel­lec­tuelle et juri­dique. Il n’y a pas d’usurpation du tout dans la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment pour l’enseignement. Affir­mer le contraire, c’est essayer de faire payer aux enti­tés fédé­rées une par­tie de l’assainissement bud­gé­taire du fédéral. »

On ne pour­rait mieux dire. En atten­dant un hypo­thé­tique accord entre les membres de la majo­ri­té (et non pas du Como­ri dont l’encéphalogramme est plat sur le sujet), le nou­veau ministre de la Coopé­ra­tion, Jean-Pas­cal Labille, qui appar­tient comme Phi­lippe Sui­nen à la famille socia­liste, a réuni les rec­teurs : il « com­prend » leurs doléances, mais ne pour­ra leur concé­der que 67 % des 65 mil­lions d’euros des­ti­nés à la coopé­ra­tion uni­ver­si­taire, alors qu’en février der­nier, il avait pro­mis que cette coopé­ra­tion conti­nue­rait à être finan­cée à concur­rence de 100%. Un peu plus tard, en juin, il fait savoir aux mêmes rec­teurs que les uni­ver­si­tés ne doivent pas enga­ger des dépenses pour la for­ma­tion des res­sor­tis­sants des pays du Sud après 2014, car, à cette date, « il n’est pas sûr que la coopé­ra­tion en matière d’enseignement supé­rieur sera encore finan­cée par le fédéral ».

Il y a là comme un par­fum de coup d’État ins­ti­tu­tion­nel. Il n’y a jamais eu en effet ni « groupe de tra­vail » ni « accord gou­ver­ne­men­tal » ni « loi spé­ciale » sanc­tion­nant un quel­conque trans­fert du niveau fédé­ral à celui d’entités fédé­rées de matières rela­tives à la coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment. Les « vic­times » n’étant pas belges, cela n’a que peu d’importance dans un pays de plus en plus replié sur lui-même et sur sa bel­gi­tude dont les temps forts se ramènent aujourd’hui à la construc­tion d’un nou­veau stade à Bruxelles, l’édification d’une nou­velle ville en Wal­lo­nie, le « par­cours d’intégration » ou le feuille­ton de l’abdication royale.

  1. Ce der­nier, consi­dé­ré sou­vent comme la vrai ministre des Affaires étran­gères de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles et de la Région wal­lonne, s’invita lui-même aux réunions.

Jean-Claude Willame


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