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Comment lutter efficacement contre Daesh ?
Les terribles attentats commis à Paris dans la soirée du 13 novembre ont amené, comme l’on pouvait s’y attendre, leur cortège de prises de parole pour expliquer ce qu’il conviendrait de faire pour résoudre le « problème Daesh ». Dans ces différentes prises de position, par des politiques ou des chroniqueurs médiatiques habituels, ce qui frappe est, d’une […]
Les terribles attentats commis à Paris dans la soirée du 13 novembre ont amené, comme l’on pouvait s’y attendre, leur cortège de prises de parole pour expliquer ce qu’il conviendrait de faire pour résoudre le « problème Daesh ». Dans ces différentes prises de position, par des politiques ou des chroniqueurs médiatiques habituels, ce qui frappe est, d’une part, l’apparente ressemblance des réponses et, d’autre part, leur caractère proprement ethnocentré.
Ressemblance d’abord, car beaucoup pointent deux éléments principaux : le militaire, d’une part, et le financement, d’autre part. Concernant le militaire, les thèses varient sur la meilleure méthode, mais globalement la plupart s’accordent sur le fait qu’il faut combattre militairement l’État Islamique. Certains penchent plutôt pour la stratégie russe et d’autres pour la stratégie américaine, mais ils s’accordent pour dire que la réponse est militaire : de Mélenchon à Manuel Valls et de Sarkozy à Didier Reynders. Ensuite, ces mêmes personnes tendent à insister lourdement sur le financement du groupe terroriste. Comment couper ses revenus ? D’aucuns insistant sur le rôle de certaines monarchies du Golfe, d’autres sur les ventes de pétrole et d’autres enfin sur les deux à la fois.
Ce sont nos grilles d’analyse, nos obsessions que nous projetons sur eux
En fait, la question du financement n’est pas si centrale que cela. Un attentat comme celui de vendredi ne « coûte » pas très cher dans l’absolu. Parler d’argent est finalement notre obsession avant d’être la leur. Ce qui est par contre beaucoup plus difficile, et devrait davantage nous interroger, c’est comment un groupe parvient-il à donner envie à huit jeunes (car ils l’étaient apparemment) de mettre fin à leurs jours en actionnant une ceinture d’explosifs. Quel récit puissant a‑t-il réussi à écrire pour fanatiser à ce point certains de ses adeptes ? La principale obsession de ce groupe, c’est bien de faire correspondre le monde au récit que lui en donne. Et c’est là que l’élément militaire intervient : non seulement il est inefficace, mais pire il alimente la propagande de Daesh.
« Arrêter d’alimenter leur récit » et « retirer l’eau dans laquelle le poisson nage »
De mes lectures récentes, voici les deux mantra qui sont restés fixés dans mon esprit. Michaël Weiss, l’auteur avec Hassan Hassan de ISIS : Inside the army of terror dans une conférence répétait à l’envi « what we have to do is to stop feeding their narrative ». Quel est ce récit ? Depuis Al-Zarkoui et l’inflexion anti-chiite qu’il a donnée à Al-Qaïda en Irak, il est plus ou moins le suivant : les Arabes sunnites sont victimes d’un complot des « croisés » (les Occidentaux européens, russes et américains) dont l’objectif serait de les placer sous la coupe des chiites. Ce qui semble n’avoir aucun sens de prime abord est en fait alimenté par leur lecture de certains événements : en Irak un régime dirigé par un sunnite (Saddam Hussein) a été renversé par les États-Unis qui ont ensuite placé des chiites au pouvoir. De plus, ces chiites ont contribué à la réalisation de la prophétie, se mettant à nier les droits des sunnites irakiens et à commettre des crimes à leur égard. En Syrie, la situation est différente, mais la logique équivalente : un régime lié au chiisme et soutenu par l’Iran massacre son peuple depuis cinq ans sans la moindre intervention internationale. Et pire, depuis septembre les Russes se battent carrément à leur côté contre le peuple syrien. Par contre, quand des sunnites veulent recréer leur califat, une grande coalition « croisée » envoie ses avions de chasse par dizaines. Pour terminer le tableau, les États-Unis viennent de signer l’accord sur le nucléaire avec l’Iran mettant fin à des années d’isolement du régime des mollahs.
Il faut ici comprendre que ce qui semble être une réponse appropriée (l’envoi d’avion de chasse contre Daesh, le soutien aux milices chiites irakiennes, aux YPG kurdes syriens et le blanc-seing signé à Bachar Al-Assad) ne fait en fait que renforcer l’EI.
Quelle réponse appropriée dès lors ? « Séparer le poisson de l’eau »
C’est la seconde phrase qui reste dans mon esprit. Elle est initialement attribuée à Mao. Elle est utilisée par le général Petraeus en Irak lors de l’écriture de son « manuel de contre-insurrection ». Il réalise que la brutale stratégie américaine de dé-Ba’athification est un échec. Elle leur a aliéné la majorité des anciens militaires, et donc une grande partie des sunnites d’Irak. Les jetant en réalité dans les bras d’Al-Qaeda. Pour reprendre la métaphore, il vise à retirer au poisson (l’État islamique en Irak) l’eau dans laquelle il se meut (la communauté sunnite irakienne). Il va ainsi capitaliser sur les exactions commises par Al-qaeda (l’EII – État islamique en Irak) et tenter de se présenter comme une alternative crédible. Les tribus sunnites irakiennes vont alors progressiovement se tourner vers les Américains. Ceux-ci vont les financer, leur permettre de gérer eux-mêmes leur police et ainsi contribuer à réduire l’espace disponible pour l’EII. Ce mouvement tribal de rejet de Baghdadi et de sa clique sera appelé la « Sahwa » (le réveil).
Autrement dit, ce qui a fonctionné à l’époque, ce fut de pouvoir proposer à la majorité sunnite une alternative crédible et plus enviable que ce que l’EII avait à leur offrir.
Transposer ce principe à la situation actuelle
La situation actuelle est bien plus complexe qu’à l’époque de Petraeus. En Irak d’abord, parce qu’après la « Sahwa » les Américains sont partis et Nouri Al-Maliki, le Premier ministre irakien, a eu tôt fait de démanteler le système. Les représailles de l’EII ont passé l’envie aux tribus irakiennes de jamais s’élever à nouveau contre celui-ci. En Syrie ensuite, car cinq ans d’absence de la communauté internationale face au massacre du peuple syrien ont largement rendu impossibles la plupart des solutions.
Dans les deux cas, il faut offrir aux populations sunnites (80% de la population en Syrie) des alternatives crédibles et enviables.
En Syrie, Bachar El-Assad ne représente pas cette alternative : ses crimes à l’égard des populations sunnites dépassent dans des proportions immenses ceux de Daesh. Toute politique visant à coopérer/s’appuyer sur le régime syrien aura pour effet immédiat de renforcer le groupe terroriste, alimentant d’autant plus leur discours. Dès lors, il n’y a pas d’autre voie qu’une pression (notamment militaire) sur le régime pour le pousser à accepter une solution qui ne pourrait être autre que diplomatique, permettant une transition politique. Cet accord, et ce n’est pas gagné, devra paraître crédible pour les Syriens. Or toute place laissée à Bachar El-Assad dans cette transition ruinerait à coup sur cette crédibilité.
En Irak, il faut à tout prix (mais c’est aussi valable en Syrie avec les YPG, combattants kurdes) arrêter de croire que les territoires (arabes sunnites) conquis par Daesh doivent être récupérés au sol par des combattants d’autres communautés. Ainsi, la plupart du temps, cela paraît peut-être fou, mais les Irakiens arabes sunnites préféreront être sous la coupe de l’EI que de voir leur ville reconquise par des milices chiites irakiennes. Ces milices qui maintenant, disons-le nettement, ont pris la place de l’armée irakienne, ont souvent autant de sang sur les mains que Daesh, mais un sang sunnite. Même les Kurdes font peur. Les récits de nettoyages ethniques auxquels se sont livrés les YPG après la prise de Tel-Abyad ou les images d’hier à Sinjar où les Peshmergas ont incendié les maisons des Arabes, ont renforcé le schéma narratif du « Arabes sunnites seuls contre tous ». Il faut dès lors, là aussi, proposer une alternative crédible et enviable aux populations sunnites. Le gouvernement irakien ne le fera pas spontanément. D’autant moins qu’il est actuellement largement sous influence iranienne. Des pressions diplomatiques sont là aussi nécessaires.