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Comment lutter efficacement contre Daesh ?

Blog - e-Mois - Irak Paris Syrie Terrorisme par Benjamin Peltier

novembre 2015

Les ter­ribles atten­tats com­mis à Paris dans la soi­rée du 13 novembre ont ame­né, comme l’on pou­vait s’y attendre, leur cor­tège de prises de parole pour expli­quer ce qu’il convien­drait de faire pour résoudre le « pro­blème Daesh ». Dans ces dif­fé­rentes prises de posi­tion, par des poli­tiques ou des chro­ni­queurs média­tiques habi­tuels, ce qui frappe est, d’une […]

Les ter­ribles atten­tats com­mis à Paris dans la soi­rée du 13 novembre ont ame­né, comme l’on pou­vait s’y attendre, leur cor­tège de prises de parole pour expli­quer ce qu’il convien­drait de faire pour résoudre le « pro­blème Daesh ». Dans ces dif­fé­rentes prises de posi­tion, par des poli­tiques ou des chro­ni­queurs média­tiques habi­tuels, ce qui frappe est, d’une part, l’apparente res­sem­blance des réponses et, d’autre part, leur carac­tère pro­pre­ment ethnocentré. 

Res­sem­blance d’abord, car beau­coup pointent deux élé­ments prin­ci­paux : le mili­taire, d’une part, et le finan­ce­ment, d’autre part. Concer­nant le mili­taire, les thèses varient sur la meilleure méthode, mais glo­ba­le­ment la plu­part s’accordent sur le fait qu’il faut com­battre mili­tai­re­ment l’État Isla­mique. Cer­tains penchent plu­tôt pour la stra­té­gie russe et d’autres pour la stra­té­gie amé­ri­caine, mais ils s’accordent pour dire que la réponse est mili­taire : de Mélen­chon à Manuel Valls et de Sar­ko­zy à Didier Reyn­ders. Ensuite, ces mêmes per­sonnes tendent à insis­ter lour­de­ment sur le finan­ce­ment du groupe ter­ro­riste. Com­ment cou­per ses reve­nus ? D’aucuns insis­tant sur le rôle de cer­taines monar­chies du Golfe, d’autres sur les ventes de pétrole et d’autres enfin sur les deux à la fois.

Ce sont nos grilles d’analyse, nos obsessions que nous projetons sur eux

En fait, la ques­tion du finan­ce­ment n’est pas si cen­trale que cela. Un atten­tat comme celui de ven­dre­di ne « coûte » pas très cher dans l’absolu. Par­ler d’argent est fina­le­ment notre obses­sion avant d’être la leur. Ce qui est par contre beau­coup plus dif­fi­cile, et devrait davan­tage nous inter­ro­ger, c’est com­ment un groupe par­vient-il à don­ner envie à huit jeunes (car ils l’étaient appa­rem­ment) de mettre fin à leurs jours en action­nant une cein­ture d’explosifs. Quel récit puis­sant a‑t-il réus­si à écrire pour fana­ti­ser à ce point cer­tains de ses adeptes ? La prin­ci­pale obses­sion de ce groupe, c’est bien de faire cor­res­pondre le monde au récit que lui en donne. Et c’est là que l’élément mili­taire inter­vient : non seule­ment il est inef­fi­cace, mais pire il ali­mente la pro­pa­gande de Daesh.

« Arrêter d’alimenter leur récit » et « retirer l’eau dans laquelle le poisson nage »

De mes lec­tures récentes, voi­ci les deux man­tra qui sont res­tés fixés dans mon esprit. Michaël Weiss, l’auteur avec Has­san Has­san de ISIS : Inside the army of ter­ror dans une confé­rence répé­tait à l’envi « what we have to do is to stop fee­ding their nar­ra­tive ». Quel est ce récit ? Depuis Al-Zar­koui et l’inflexion anti-chiite qu’il a don­née à Al-Qaï­da en Irak, il est plus ou moins le sui­vant : les Arabes sun­nites sont vic­times d’un com­plot des « croi­sés » (les Occi­den­taux euro­péens, russes et amé­ri­cains) dont l’objectif serait de les pla­cer sous la coupe des chiites. Ce qui semble n’avoir aucun sens de prime abord est en fait ali­men­té par leur lec­ture de cer­tains évé­ne­ments : en Irak un régime diri­gé par un sun­nite (Sad­dam Hus­sein) a été ren­ver­sé par les États-Unis qui ont ensuite pla­cé des chiites au pou­voir. De plus, ces chiites ont contri­bué à la réa­li­sa­tion de la pro­phé­tie, se met­tant à nier les droits des sun­nites ira­kiens et à com­mettre des crimes à leur égard. En Syrie, la situa­tion est dif­fé­rente, mais la logique équi­va­lente : un régime lié au chiisme et sou­te­nu par l’Iran mas­sacre son peuple depuis cinq ans sans la moindre inter­ven­tion inter­na­tio­nale. Et pire, depuis sep­tembre les Russes se battent car­ré­ment à leur côté contre le peuple syrien. Par contre, quand des sun­nites veulent recréer leur cali­fat, une grande coa­li­tion « croi­sée » envoie ses avions de chasse par dizaines. Pour ter­mi­ner le tableau, les États-Unis viennent de signer l’accord sur le nucléaire avec l’Iran met­tant fin à des années d’isolement du régime des mollahs.

Il faut ici com­prendre que ce qui semble être une réponse appro­priée (l’envoi d’avion de chasse contre Daesh, le sou­tien aux milices chiites ira­kiennes, aux YPG kurdes syriens et le blanc-seing signé à Bachar Al-Assad) ne fait en fait que ren­for­cer l’EI.

Quelle réponse appropriée dès lors ? « Séparer le poisson de l’eau »

C’est la seconde phrase qui reste dans mon esprit. Elle est ini­tia­le­ment attri­buée à Mao. Elle est uti­li­sée par le géné­ral Petraeus en Irak lors de l’écriture de son « manuel de contre-insur­rec­tion ». Il réa­lise que la bru­tale stra­té­gie amé­ri­caine de dé-Ba’athification est un échec. Elle leur a alié­né la majo­ri­té des anciens mili­taires, et donc une grande par­tie des sun­nites d’Irak. Les jetant en réa­li­té dans les bras d’Al-Qaeda. Pour reprendre la méta­phore, il vise à reti­rer au pois­son (l’État isla­mique en Irak) l’eau dans laquelle il se meut (la com­mu­nau­té sun­nite ira­kienne). Il va ain­si capi­ta­li­ser sur les exac­tions com­mises par Al-qae­da (l’EII – État isla­mique en Irak) et ten­ter de se pré­sen­ter comme une alter­na­tive cré­dible. Les tri­bus sun­nites ira­kiennes vont alors pro­gres­sio­ve­ment se tour­ner vers les Amé­ri­cains. Ceux-ci vont les finan­cer, leur per­mettre de gérer eux-mêmes leur police et ain­si contri­buer à réduire l’espace dis­po­nible pour l’EII. Ce mou­ve­ment tri­bal de rejet de Bagh­da­di et de sa clique sera appe­lé la « Sah­wa » (le réveil).
Autre­ment dit, ce qui a fonc­tion­né à l’époque, ce fut de pou­voir pro­po­ser à la majo­ri­té sun­nite une alter­na­tive cré­dible et plus enviable que ce que l’EII avait à leur offrir.

Transposer ce principe à la situation actuelle

La situa­tion actuelle est bien plus com­plexe qu’à l’époque de Petraeus. En Irak d’abord, parce qu’après la « Sah­wa » les Amé­ri­cains sont par­tis et Nou­ri Al-Mali­ki, le Pre­mier ministre ira­kien, a eu tôt fait de déman­te­ler le sys­tème. Les repré­sailles de l’EII ont pas­sé l’envie aux tri­bus ira­kiennes de jamais s’élever à nou­veau contre celui-ci. En Syrie ensuite, car cinq ans d’absence de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale face au mas­sacre du peuple syrien ont lar­ge­ment ren­du impos­sibles la plu­part des solutions.

Dans les deux cas, il faut offrir aux popu­la­tions sun­nites (80% de la popu­la­tion en Syrie) des alter­na­tives cré­dibles et enviables.


En Syrie, Bachar El-Assad ne repré­sente pas cette alter­na­tive : ses crimes à l’égard des popu­la­tions sun­nites dépassent dans des pro­por­tions immenses ceux de Daesh. Toute poli­tique visant à coopérer/s’appuyer sur le régime syrien aura pour effet immé­diat de ren­for­cer le groupe ter­ro­riste, ali­men­tant d’autant plus leur dis­cours. Dès lors, il n’y a pas d’autre voie qu’une pres­sion (notam­ment mili­taire) sur le régime pour le pous­ser à accep­ter une solu­tion qui ne pour­rait être autre que diplo­ma­tique, per­met­tant une tran­si­tion poli­tique. Cet accord, et ce n’est pas gagné, devra paraître cré­dible pour les Syriens. Or toute place lais­sée à Bachar El-Assad dans cette tran­si­tion rui­ne­rait à coup sur cette crédibilité.

En Irak, il faut à tout prix (mais c’est aus­si valable en Syrie avec les YPG, com­bat­tants kurdes) arrê­ter de croire que les ter­ri­toires (arabes sun­nites) conquis par Daesh doivent être récu­pé­rés au sol par des com­bat­tants d’autres com­mu­nau­tés. Ain­si, la plu­part du temps, cela paraît peut-être fou, mais les Ira­kiens arabes sun­nites pré­fé­re­ront être sous la coupe de l’EI que de voir leur ville recon­quise par des milices chiites ira­kiennes. Ces milices qui main­te­nant, disons-le net­te­ment, ont pris la place de l’armée ira­kienne, ont sou­vent autant de sang sur les mains que Daesh, mais un sang sun­nite. Même les Kurdes font peur. Les récits de net­toyages eth­niques aux­quels se sont livrés les YPG après la prise de Tel-Abyad ou les images d’hier à Sin­jar où les Pesh­mer­gas ont incen­dié les mai­sons des Arabes, ont ren­for­cé le sché­ma nar­ra­tif du « Arabes sun­nites seuls contre tous ». Il faut dès lors, là aus­si, pro­po­ser une alter­na­tive cré­dible et enviable aux popu­la­tions sun­nites. Le gou­ver­ne­ment ira­kien ne le fera pas spon­ta­né­ment. D’autant moins qu’il est actuel­le­ment lar­ge­ment sous influence ira­nienne. Des pres­sions diplo­ma­tiques sont là aus­si nécessaires.

Benjamin Peltier


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