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Combattre la laideur
Nos villes sont sales, défigurées et encombrées de pauvres hères végétant sur les trottoirs ou dans les parcs, ivres de bière et de faim. Faut-il pour autant se désoler, ressasser que c’était mieux avant, qu’autrefois, nos villes étaient belles et propres ? Certes non !

Depuis que la ville est ville, elle étouffe dans les miasmes, croupit sous les ordures et offense l’harmonie du monde. Cet entassement d’humains, cet amoncellement de pierres, ce bruit, cette touffeur, la ville est bien loin des images des urbanistes figurant, sous un ciel bleu, des espaces pacifiés et des habitants sereins.
Lorsqu’il s’est agi de fonder des villes nouvelles, le même échec s’est répété : mettre les villes à la campagne, repartir de zéro, rénover, réhabiliter, assainir… catastrophes ! Toujours.
Quelle issue nous reste-t-il, sinon le recours de toujours : le voile. Qu’il s’agisse de nous voiler la face ou de recouvrir d’un voile pudique les horreurs et les misères, la construction d’une illusion est souvent d’un grand secours. Certes, tendre la ville de draps serait ridiculement coûteux et n’apporterait qu’un bref apaisement : la pluie, les déjections pigeonnesques, les outrages du temps auraient tôt fait de transformer ces écrans en hideux lambeaux.
Heureusement, un secteur économique s’est fait une spécialité de cacher la misère : le joyeux monde de la publicité. Depuis toujours, affiches et banderoles masquent les chicots de nos villes. Aujourd’hui règnent les fenêtres pop-up qui nous empêchent de lire les sites d’informations, les clips publicitaires qui barrent la route des vidéos en ligne, les panneaux animés dont la frénésie nous distrait de la circulation automobile et de la saleté des stations de métro.
Des femmes minces, des hommes souriants, des voitures propres, des ciels dégagés, des familles heureuses, des enfants bien nourris, des chefs d’entreprise humains, des politiques compétents, des travailleurs heureux, des maisons spacieuses, des transports efficaces, des chemises propres, des relations amoureuses épanouissantes s’offrent à nos regards. Quel réconfort de savoir que le monde pourrait être si beau. Et pour deux fois rien tant que dure cette alléchante promo ! Allons, haut les cœurs !
Voilà que notre monde sinistre s’ouvre sur une nouvelle espérance. Voilà que l’image nous assaille, nous serre au plus près, capture notre regard. Jamais il ne fut aussi aisé de s’y noyer, d’y oublier l’irrémédiable laideur du monde. Les migrants se noient, l’école reproduit les inégalités, les promesses d’hier sont aujourd’hui du vent, le populisme règne en maître ? Qu’y pouvons-nous ? Rien !
Pour une surtaxe dérisoire sur nos crèmes de beauté, nos sodas ou nos plats préparés, les publicitaires œuvrent à la salubrité de nos fantasmes. Les remercierons-nous jamais assez ? Et que ceux qui préfèrent voir la laideur du monde réel, les vrais corps tannés par la vie, les vrais doutes et choix qui émaillent nos itinéraires ? Eh bien qu’ils paient pour ne pas voir la publicité plutôt que de tenter d’imposer leur choix aux autres en réclamant une réglementation de la publicité !
Mais, me direz-vous, la publicité est elle-même une sordide entreprise de bourrage de crâne, l’exposition de ce que la bêtise humaine a fait de plus méphytique en termes de préjugés, d’hypocrisie et de rêves frelatés, les publicitaires sont les plus cyniques des mercenaires que la Terre ait portés puisqu’ils sauvent toujours leur peau ? Qu’à cela ne tienne, le monde de la pub a depuis longtemps appris à masquer sa propre indigence sous quelques campagnes « arty » lui servant de caution culturelle.
Tout est bel et bon, nous pouvons ouvrir les yeux en toute sécurité !