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Colombie. Un long chemin semé d’embuches pour la paix
L’enjeu des élections du 25 mai sera crucial pour la poursuite du processus de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). « Ces élections seront les plus importantes de ces cinquante dernières années. Les Colombiens vont choisir entre deux chemins : le chemin de la peur ou le chemin de l’espoir. Le chemin de la […]
L’enjeu des élections du 25 mai sera crucial pour la poursuite du processus de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). « Ces élections seront les plus importantes de ces cinquante dernières années. Les Colombiens vont choisir entre deux chemins : le chemin de la peur ou le chemin de l’espoir. Le chemin de la guerre ou le chemin de la paix. » C’est contre l’ex-président Álvaro Uribe, aujourd’hui sénateur, et son courant politique représenté au Parlement depuis les législatives du 9 mars, le Centre démocratique, que le président Santos a lancé son premier discours de campagne en vue de sa réélection pour un deuxième mandat lors du scrutin présidentiel du 25 mai prochain.
Or le panorama politique tel qu’il apparait à l’issue des législatives du 9 mars, marquées par un taux d’abstention qui frise les 60 %, montre que la marge de manœuvre de M. Santos est nettement affaiblie, même si sa coalition garde plus ou moins la main. Mais au Sénat, chambre haute où les 102 élus ont des pouvoirs déterminants pour le Congrès, notamment en prévision des lois issues d’un éventuel accord de paix, l’avenir du « post-conflit » va se faire ou se défaire autour du vote du Parti conservateur divisé entre un courant « santistes » et une tendance « uribistes » et amené à jouer le d’arbitre de la vie législative des quatre prochaines années. Dans l’immédiat, la recomposition des forces indique aussi qu’une victoire au premier tour des présidentielles, comme cela était envisagé, est dorénavant incertaine, voire improbable.
Ainsi, un sondage rendu public le dimanche 16 mars prévoit, au terme de l’affrontement des six candidats du premier tour des élections présidentielles, non pas une victoire directe pour M. Santos, mais un second tour avec le candidat de l’Alliance verte, Enrique Peñalosa, ancien maire de Bogota, soit respectivement 25,5 % des intentions de vote contre 17,1. Peñalosa ayant annoncé qu’il ne ferait pas d’alliance pour le second tour, mais que tout le monde était le bienvenu, la vraie ligne de partage se trouve ailleurs que dans ce large ratissage électoral.
L’enjeu de la paix
L’enjeu politique, depuis les législatives du 9 mars jusqu’au scrutin présidentiel du 25 mai prochain, sera la continuation des négociations de paix engagées en 2012 par le président Santos avec la guérilla des FARC qui, elle, va commémorer cette année le cinquantième anniversaire de sa fondation et de sa participation à une guerre civile qui dure depuis 1948.
Il y a, d’un côté, ceux qui sont contre le processus de paix et pour la guerre et, de l’autre, ceux qui, au contraire, soutiennent le processus de La Havane1 et espèrent voir se concrétiser la paix grâce notamment aux accords sur l’accès à la terre, les narcocultures, les compensations aux victimes et l’intégration, après démobilisation des guérilléros à la vie politique. Ces deux positions sont défendues par deux personnalités : Álvaro Uribe, aujourd’hui sénateur, a lutté contre les FARC au cours de ses deux mandats présidentiels (2002 – 2010) grâce aux 7,5 milliards injectés dans la guerre par les Américains au travers du plan Colombia sans jamais pouvoir concevoir autre chose qu’une victoire militaire en guise de sortie du conflit ; Juan Manuel Santos, l’actuel président et ex-ministre de la Défense d’Álvaro Uribe de 2006 à 2009 a porté des coups sans précédent aux FARC, et a su mettre en route, dès son accès à la tête de l’État, des pourparlers en vue de futurs accords de paix. C’est donc, comme l’indiquait le premier discours de campagne de M. Santos, en fonction de cette ligne de partage que vont se définir les alliances politiques à venir, les imprévus électoraux et le travail du Congrès pour les quatre prochaines années.
Le 13 mars, soit quatre jours après la tenue des élections législatives, le président Santos a accordé une longue entrevue au grand quotidien colombien El Tiempo . Il y rappelle la priorité de sa réélection : pouvoir achever la tâche en cours, c’est-à-dire la conclusion des négociations engagées avec la guérilla des FARC pour aboutir à un accord de paix. Il s’y montre surtout anxieux de déjouer à l’avance les futurs assauts de la propagande uribiste qui pourrait le déstabiliser, ce qui mérite d’être analysé de plus près car au-delà des mots se dessinent les rapports de forces entre des secteurs connus pour faire et défaire les possibilités de paix selon leurs intérêts.
Ainsi, M. Santos qualifie-t-il le Centre démocratique, parti de l’ex-président Uribe, d’« ultra-droite », en anticipant ses prochaines attaques : « Maintenant ils veulent faire dérailler le processus, mais par la porte de derrière, en envenimant le débat, en inventant que nous faisons des choses qu’en fait nous ne faisons pas. » Il désigne une éminence grise derrière les propos visant la délégitimation de son gouvernement et du processus de paix, Pablo Victoria . Le terme d’ultra-droite n’est pas une exagération quand il s’agit de Pablo Eduardo Victoria Wilches, et de certaines personnes et évènements politiques qui lui sont associés.
En juillet 2013, le grand quotidien colombien El Espectador signalait la présence de Pablo Victoria au lancement du mouvement colombien Alianza Nacionalista Por la Libertad, en compagnie du leadeur estudiantin antichaviste Lorent Saleh représentant du groupuscule Operacion libertad et en présence des membres du mouvement néonazi colombien de Tercera Via. Dans son blog, Pablo Victoria surnomme M. Santos « Santochenko » — un surnom qui assimile le président au commandant en chef des FARC Timoléon Jiménez, appelé « Timochenko », son nom de guerre. Dès septembre 2012, Pablo Victoria accusait M. Santos de livrer le pays aux FARC, présentant comme victimes notamment les forces armées et les propriétaires terriens.
Ces excès de style resteraient anecdotiques si certains secteurs, comme les hauts gradés des forces armées et les milieux agro-industriels ne les reprenaient dans le cadre d’efforts visant à délégitimer le président Santos et à saborder l’avenir des négociations de paix.
Ambigüité des forces armées
Du côté des forces armées, l’année 2014 s’est ouverte sur deux scandales d’une gravité majeure révélés à huit jours d’intervalle par l’hebdomadaire colombien Semana.
Le premier porte sur les écoutes illégales menées par les renseignements militaires dans le cadre de l’opération « Andromeda » qui a visé l’équipe des négociateurs du gouvernement à La Havane, ainsi que les journalistes couvrant les négociations sur place, et les courriers électroniques personnels du président Santos. Le second fait état de trafic d’armes au plus haut de l’état-major qui a conduit à la démission ou suspension de plusieurs fonctionnaires et huit hauts gradés.
Du coup, M. Santos se voit contraint d’anticiper des problèmes qui pourraient survenir d’ici le 25 mai : « On a intercepté mes courriers personnels. Quelqu’un est entré et a sorti tous les courriers électroniques personnels de mon ordinateur […]. La seule chose qui m’inquiète c’est que je connais la stratégie qui consiste à prendre un courrier qui est vrai et à y glisser des fragments de faux courriers […] Mais ce que j’ai dit en général dès les premiers jours, c’est qu’ils peuvent publier ce qu’ils veulent car je n’ai rien à cacher. »
Anticipation aussi, lorsqu’il attribue d’éventuelles futures publications à des « mercenaires de l’information » qu’il tient pour responsables de la révélation du scandale Andromeda et des écoutes secrètes sans toutefois donner de plus amples détails — une expression qui place les personnes ainsi désignées à mi-chemin entre le secteur militaire et la presse.
Ces propos soulèvent des interrogations quant au soutien des forces armées au chef de l’État. Peut-on parler de crise de confiance ? Le jour de l’entrevue, M. Santos répond en des termes qui laissent entrevoir la dureté des rapports de force : « On ne peut pas parler de crise. L’armée a compris qu’il faut défendre l’institution au-dessus de toute autre chose, et que s’il y a eu des anomalies à l’intérieur de cette institution, il faut les couper à la racine. […] Nous avons agi avec une équanimité, une justice totale et une fermeté sans appel. »
Cette opinion ne semble pas être partagée par les militaires. Trois jours plus tard, le 16 mars, l’armée de terre publie un communiqué en sept points signalant notamment « sa préoccupation, son indignation, et son refus » des circonstances dans lesquelles ces scandales ont été connus de l’opinion publique. Face à un gouvernement qui sanctionne et à une justice qui enquête, les militaires réclament le respect des procédures qui leur sont dues, et le droit à sauvegarder l’honneur et le prestige de leur nom — de belles formules qui cachent un désir d’impunité qui est aussi une longue tradition.
Rappelons aussi que les forces armées sont le secteur qui aura le plus à perdre de futurs accords de paix en termes de budgets et privilèges — or toute perspective de « post-conflit » va imposer des changements profonds dans les mentalités et les habitudes, notamment dans les perceptions à l’égard d’anciens ennemis destinés à prendre leur place dans la vie politique nationale. De ce point de vue là, l’ère Uribe marquée par les scandales à répétition du DAS, les services de renseignements de l’État au point de requérir la dissolution puis la refonte de cette structure, a laissé un héritage très lourd en termes d’équipements d’écoutes « perdus » et de mise au pas d’anciens employés douteux et aujourd’hui hors de contrôle.
La deuxième tentative de discrédit des négociations de paix vient de puissants secteurs de l’industrie agroalimentaire représentés par la SAC, Société des agriculteurs colombiens, et son président Rafael Mejia. Le 6 mars dernier, à trois jours des législatives, il s’interrogeait sur l’avenir de la propriété privée et du modèle économique libéral entre les mains de M. Santos, en dénonçant l’opacité des accords conclus à La Havane sur la question agraire, pour lancer, dans une entrevue accordée au Tiempo : « Qui est-ce qui commande ici ? Le président ou l’ile de Cuba ? »
À l’origine du conflit : l’accès à la terre
Derrière ces propos se trouve le nœud à ce jour non résolu de l’origine du conflit colombien : celui de l’accès à la terre, de l’opposition inébranlable de certains secteurs économiques à toute réforme agraire et de la concentration des terres au service de leurs intérêts. De ce côté-là, on trouve les industries agroalimentaires, mais aussi les mégaprojets hydroélectriques et miniers qui président à l’expropriation d’un nombre toujours croissant de petits paysans. Ces secteurs sont liés aux orientations macroéconomiques du président Santos et se méfient de ce qui pourrait surgir dans les futurs accords de paix avec la guérilla des FARC.
Mais le secteur agraire en crise dépasse largement ces lobbys économiques : des dizaines de milliers de petits paysans à travers toute la Colombie sont de nouveau mobilisées depuis le 17 mars de façon soutenue et continue pour demander un soutien de l’État à leur production, notamment une protection contre les effets dévastateurs des traités de libre commerce avec les États-Unis et l’Europe, et la mise en place de culture de remplacement dans les zones de narcotrafic. Ils dénoncent aussi la pénétration des OGM et de la multinationale Monsanto dont les pratiques économiques s’articulent autour de législations sur mesure qui servent leurs intérêts au détriment des agriculteurs et de l’environnement.
Surtout, ces dizaines de milliers de personnes sont représentées par la MIA, une coordination qui regroupe les organisations sociales et politiques des communautés indigènes, afro-colombiennes et des autres secteurs paysans bien au-delà des partis politiques de gauche traditionnels. Le secteur rural populaire, loin d’avoir disparu, s’est organisé et est devenu l’enjeu d’initiatives politiques décisives, dont la restitution des terres aux quatre millions de victimes déplacées par la guerre en vertu de la loi 1448 de 2011, une des plus marquantes du premier mandat du président Santos.
Mais là où les ambitions prévoyaient la restitution de cent-soixante mille propriétés aux victimes expropriées en quatre ans, force est de constater un échec inquiétant : aujourd’hui, il y a « peu de terres et beaucoup de morts » dans une situation où, début février, selon les chiffres de l’UNHCR, on recensait déjà pour l’année 2014 l’assassinat de huit leadeurs communautaires à la tête de demandes de restitutions.
Pris entre une ultra-droite dorénavant représentée au Congrès, très active sur les divers terrains du conflit, et les attentes de paix et de compensation de millions de Colombiens, la marge de manœuvre du président Santos ainsi que l’avenir de tout accord de paix avec la guérilla des FARC semblent fragilisés par une délégitimation dangereuse. Une semaine après les législatives, un sondage publié dans l’hebdomadaire colombien Semana constatait que si le soutien à une solution négociée au conflit demeurait majoritaire dans l’opinion publique, seules 37 % des personnes interrogées croient à une future démobilisation des FARC contre 54 % en 2012 au début des négociations. Et surtout, une constante demeure : 70 % des Colombiens ne veulent pas d’une réintégration des FARC dans la vie politique du pays. Convaincre les secteurs les plus rigides de la société colombienne que la paix ne pourra exister qu’à ce prix demeure un exercice politique aussi périlleux qu’essentiel.
D’autant que les rancunes politiques, là où la démocratie a joué en faveur de la gauche, sont impitoyables. Ainsi le maire élu de Bogota, Gustavo Petro, ancien guérilléro du M‑19, démobilisé en 1990, fort d’une trajectoire politique remarquable de conseiller municipal, puis de sénateur, pour aboutir en 2011 au second poste le plus important du pays, a été abusivement démis de ses fonctions le 18 mars dernier. Or le président Santos, qui seul pouvait et devait arrêter une destitution dont la Cour interaméricaine des droits de l’homme venait de dénoncer la nature illégale, n’en a rien fait. Cette destitution a été vécue comme un véritable coup d’État par les secteurs populaires et assombrit les perspectives d’une intégration véritable de la guérilla des FARC à une vie politique post-conflit.
Photo : Bogota
- Les négociations entre le gouvernement colombien et les FARC ont débuté en Norvège et se poursuivent pour l’instant dans la capitale cubaine.