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Colombie : sortir du conflit sous une paix fragile

Blog - e-Mois - Amériques Colombie par Laurence Mazure

février 2015

L’écho inter­na­tio­nal du pro­ces­sus de paix colom­bien en dit long sur la cré­di­bi­li­té que le gou­ver­ne­ment et la gué­rilla des Forces armées révo­lu­tion­naires de Colom­bie (FARC) ont réus­si à insuf­fler à leurs négo­cia­tions au cours de ces deux der­nières années. L’accueil réser­vé au pré­sident San­tos lors de sa récente tour­née euro­péenne en est l’illustration. « La paix n’a […]

e-Mois

L’écho inter­na­tio­nal du pro­ces­sus de paix colom­bien en dit long sur la cré­di­bi­li­té que le gou­ver­ne­ment et la gué­rilla des Forces armées révo­lu­tion­naires de Colom­bie (FARC) ont réus­si à insuf­fler à leurs négo­cia­tions au cours de ces deux der­nières années. L’accueil réser­vé au pré­sident San­tos lors de sa récente tour­née euro­péenne en est l’illustration.

« La paix n’a jamais été aus­si proche », cette décla­ra­tion du pré­sident Fran­çois Hol­lande lors de la visite offi­cielle de son homo­logue colom­bien le 26 jan­vier der­nier a une double signi­fi­ca­tion. D’une part, la France s’engage à jouer un rôle actif dans la période dite du « post­con­flit » en matière de jus­tice, d’éducation agri­cole afin de rendre le sec­teur agraire plus com­pé­ti­tif, et de gen­dar­me­rie, soit la créa­tion d’une force armée char­gée de mis­sion de police dans les zones rurales. L’Agence fran­çaise de déve­lop­pe­ment va aus­si accor­der à Bogo­ta des prêts sup­plé­men­taires. D’autre part, un comi­té stra­té­gique fran­co-colom­bien sera mis sur pied d’ici le mois de juin. Il fera des sug­ges­tions dans les sec­teurs de l’énergie, de l’eau, des trans­ports et des infra­struc­tures. C’est dire si la pers­pec­tive de la « paix » pro­met des situa­tions mutuel­le­ment pro­fi­tables, tant pour la Colom­bie qui a connu un taux de crois­sance de près de 5% en 2014, que pour les inves­tis­seurs étran­gers. Quant à l’Union euro­péenne, elle a mani­fes­té en novembre der­nier son sou­tien à la créa­tion d’un fonds des­ti­né à l’accompagnement de la période « post­con­flit », mais dont le mon­tant n’a pas encore été fixé.

L’optimisme du pré­sident Hol­lande confirme qu’au niveau inter­na­tio­nal, on per­çoit l’aboutissement pro­chain des négo­cia­tions de paix enga­gées à La Havane depuis novembre 2012. L’année 2015 devrait être cru­ciale car les deux par­ties ont mani­fes­té leur inten­tion d’accélérer les négo­cia­tions pour abou­tir à un accord de paix rapidement.

Des avancées significatives

Cette dyna­mique s’est accé­lé­rée le 20 décembre der­nier, quand la gué­rilla des FARC a mis en place un ces­sez-le-feu uni­la­té­ral pour une durée indé­ter­mi­née — une ini­tia­tive his­to­rique. Le 5 jan­vier, à Car­ta­ge­na, au terme de la troi­sième confé­rence des négo­cia­teurs du gou­ver­ne­ment et des experts inter­na­tio­naux, le pré­sident San­tos a sou­li­gné que les FARC avaient tenu leur pro­messe et res­pec­té leur ces­sez-le-feu. De là, sa volon­té d’aboutir le plus vite pos­sible à un accord de paix : l’équipe de négo­cia­teurs va retour­ner très vite à La Havane. Et elle y retourne avec l’objectif et les ins­truc­tions d’accélérer le rythme de ces négo­cia­tions, afin de mettre fin le plus vite pos­sible et une fois pour toutes à ce conflit armé.

Dix jours plus tard, le pré­sident San­tos pré­ci­sait qu’il allait pro­mou­voir la déses­ca­lade du conflit pour accom­pa­gner les négo­cia­tions vers un accord final : « J’ai don­né des ordres aux négo­cia­teurs pour qu’ils com­mencent le plus le plus vite pos­sible à débattre d’un ces­sez-le-feu et des hos­ti­li­tés bila­té­ral et définitif. »

Confor­mé­ment à cet agen­da, la délé­ga­tion du gou­ver­ne­ment colom­bien retourne en février à La Havane et deux sous-com­mis­sions vont être mises en place pour débrous­sailler les ques­tions de désar­me­ment, démo­bi­li­sa­tion, et réin­ser­tion (mieux connues sous l’acronyme de DDR) qui, en règle géné­rale, doivent mar­quer la fin des conflits et le retour à la paix.

Même si l’espoir pré­vaut en ce début d’année, il reste encore des incon­nues concer­nant la suite des négo­cia­tions. La ques­tion rele­vant des vic­times du conflit, de leurs droits et donc de la jus­tice tran­si­tion­nelle à mettre en place, et la ques­tion de l’instauration d’un pro­ces­sus de DDR reste extrê­me­ment sensibles.

Les FARC sont inquiètes à ce sujet : le 28 jan­vier, leur com­man­dant en chef, Timo­léon Jimé­nez, a fait connaitre l’intention du gou­ver­ne­ment San­tos de tra­vailler à la mise en place d’une jus­tice tran­si­tion­nelle, mais à deux vitesses. Les forces armées béné­fi­cie­raient d’une amnis­tie pour leurs crimes, mais pas la gué­rilla. Quant aux annonces chocs sur un pos­sible ces­sez-le-feu bila­té­ral, elles ne masquent pas l’ambivalence des auto­ri­tés colom­biennes. Même s’il recon­nait que la gué­rilla a res­pec­té les enga­ge­ments de son ces­sez-le-feu uni­la­té­ral, le gou­ver­ne­ment conti­nue de mener des opé­ra­tions mili­taires contre les FARC. Le très bel­li­ciste ministre de la Défense Juan Car­los Pinzón tient d’ailleurs un dis­cours à l’opposé d’une volon­té de désescalade.

La société civile menacée

Mais il n’y a pas que les risques d’une reprise des affron­te­ments mili­taires entre gué­rilla et forces armées qui pour­raient com­pli­quer un pro­ces­sus de paix enga­gé dans sa der­nière ligne droite. La guerre en Colom­bie, c’est aus­si la per­sé­cu­tion des mou­ve­ments sociaux et des orga­ni­sa­tions qui mobi­lisent la socié­té civile

Si un point de non-retour a été atteint dans les négo­cia­tions, il faut sou­li­gner le rôle essen­tiel qu’ont joué la socié­té civile et tous les sec­teurs pro­gres­sistes. Mal­gré la grande dis­cré­tion des négo­cia­tions, les mou­ve­ments sociaux, ONG, lea­deurs com­mu­nau­taires, repré­sen­tants des vic­times, acti­vistes des droits de l’homme, de l’environnement, et syn­di­ca­listes ont réus­si à faire entendre leurs attentes en faveur d’une paix juste. Cet obs­tacle ayant été plus ou moins sur­mon­té, il reste encore un che­min long et dan­ge­reux à par­cou­rir avant d’envisager la concré­ti­sa­tion d’un état de paix en Colom­bie — une réa­li­té encore dif­fé­rente de celle que désigne le terme « post­con­flit » et qui se réfère à la période sui­vant immé­dia­te­ment l’arrêt défi­ni­tif des hos­ti­li­tés et le début de l’application de futurs accords visant à une recons­truc­tion du pays.

En effet, pour le moment, plu­sieurs fac­teurs jouent contre l’émergence d’une période de « post­con­flit » sans violence.

Sur le ter­rain, le cli­mat se carac­té­rise par une mon­tée très pré­oc­cu­pante des menaces de morts et des assas­si­nats contre les sec­teurs pro­gres­sistes de la socié­té colom­bienne et leurs lea­deurs. Ces menaces émanent notam­ment de groupes para­mi­li­taires jamais vrai­ment démo­bi­li­sés comme les Águi­las Negras. Or les per­sonnes visées par ces per­sé­cu­tions sont celles-là mêmes qui devaient deve­nir les inter­lo­cu­teurs entre le gou­ver­ne­ment et les Colom­biens dans une future période de « postconflit ».

Le 21 jan­vier der­nier, Car­los Pedra­za est assas­si­né. Il était le lea­deur du mou­ve­ment Congre­so de los pue­blos, une orga­ni­sa­tion agraire impor­tante qui fait par­tie du mou­ve­ment social Mar­cha patrió­ti­ca créée comme un vaste ras­sem­ble­ment de gauche fin 2010. Pedra­za était connu pour son rôle très actif dans les grandes mobi­li­sa­tions agraires de 2013, et son assas­si­nat est per­çu comme emblé­ma­tique. À tra­vers lui, c’est à la fois les mobi­li­sa­tions pay­sannes qui sont visées, mais aus­si les enjeux et espoirs poli­tiques à venir de la Mar­cha patriótica.

Les 25 et 27 octobre pro­chains se tien­dront les élec­tions muni­ci­pales et régio­nales. Or, la Mar­cha com­prend non seule­ment des orga­ni­sa­tions sociales, mais aus­si des par­tis poli­tiques de gauche, ain­si que des per­son­na­li­tés qui ont un enga­ge­ment et une influence local qui pour­raient être déci­sifs le jour des scrutins.

Une semaine avant l’assassinat de Pedra­za, cinq grands lea­deurs et per­son­na­li­tés de la Mar­cha patrió­ti­ca, dont l’ex-sénatrice libé­rale Pie­dad Cór­do­ba, la pré­si­dente du par­ti de gauche Polo Cla­ra López et le séna­teur du même par­ti Iván Cepe­da, se sont ren­dus au palais pré­si­den­tiel pour faire part de leur inquié­tude face à l’intensification des menaces de mort à leur encontre après avoir reçu des cou­ronnes mor­tuaires envoyées par les Águi­las Negras. Dénon­çant les inti­mi­da­tions contre les défen­seurs du pro­ces­sus de paix, ils ont exi­gé l’ouverture d’une enquête. Après qu’ils ont été reçus par le géné­ral Óscar Naran­jo, ministre conseiller au post­con­flit, et le conseiller pré­si­den­tiel aux droits de l’homme Guiller­mo Rive­ra, le pré­sident San­tos a annon­cé la créa­tion d’un « com­man­do spé­cial dépen­dant du minis­tère de la Jus­tice et des ser­vices de ren­sei­gne­ments » pour faire la lumière sur des exac­tions trop sou­vent impunies.

Ces évè­ne­ments s’inscrivent dans une ten­dance à long terme : en cinq ans, plus de 70 lea­deurs de res­ti­tu­tions de terres spo­liées qui aident les pay­sans dépla­cés à récu­pé­rer leurs biens ont été assas­si­nés. Au cours de la seconde moi­tié de l’année 2014, 157 cas de menaces de mort et 15 assas­si­nats ont été recen­sés. Au mois d’aout der­nier, 93 jour­na­listes ont été mena­cés. Début décembre, 16 col­la­bo­ra­teurs de médias alter­na­tifs et com­mu­nau­taires, qui sont aus­si les plus pré­sents sur le ter­rain, notam­ment dans les zones de conflit, ont eux aus­si reçu des menaces du groupe para­mi­li­taire Águi­las Negras.

Par le pas­sé, les espoirs de paix ont été sabor­dés à coup de mas­sacres et d’assassinats de per­son­na­li­tés poli­tiques de pre­mier plan. Aujourd’hui comme hier, les menaces viennent tou­jours de forces armées récal­ci­trantes, de leurs anciens alliés para­mi­li­taires et des sec­teurs poli­tiques et éco­no­miques qui les ont sou­te­nus, mais leurs cibles ont chan­gé. Les morts d’aujourd’hui se comptent par­mi les lea­deurs com­mu­nau­taires et acti­vistes de droits fon­da­men­taux qui, tout en jouant un rôle cru­cial sur le ter­rain, sont incon­nus hors du pays — l’ampleur de cette vio­lence poli­tique est donc beau­coup moins visible.

Le plus grand défi de l’année 2015 sera donc de concré­ti­ser sur le ter­rain, au-delà des effets d’annonces, les pro­messes de ces mots que sont « ces­sez-le-feu bila­té­ral », « pro­ces­sus de DDR », « post­con­flit » pour faire évo­luer la Colom­bie vers un véri­table « état de paix ».

Laurence Mazure


Auteur

http://www.lecourrier.ch/journaliste/laurence_mazure