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Ceci n’est pas une crise

Blog - Anathème - crise par Anathème

février 2015

Depuis des mois, il n’est ques­tion que de crise. Les États s’enfoncent dans la dette, les éco­no­mies dans la réces­sion, l’Europe dans le ridi­cule et l’austérité, les chô­meurs dans la misère et les tra­vailleurs dans le chô­mage… Des mil­liards s’évaporent, on annonce un saut d’index, la défla­tion, une hausse de la TVA, la réduc­tion des ser­vices de l’État, le train à des­ti­na­tion de Namur avec un retard pro­bable de 25 minutes,…

Pen­dant ce temps, la haine monte, et le ter­ro­risme, le racisme, le sen­ti­ment d’insécurité. Les jeunes cri­tiquent les vieux, les­quels ont peur des jeunes. Les gens d’âge moyen se prennent à regret­ter d’avoir fait des gosses, qui se demandent pour­quoi ils ont des parents.

Anathème

Bref, notre socié­té est débous­so­lée, cha­cun court dans la rue, hur­lant, se tor­dant les mains, comme s’il venait d’apprendre que la fin du monde était proche. Ou que la reine Fabio­la était morte.

Heu­reu­se­ment, quand les mousses paniquent, quand les pas­sa­gers se rongent les sangs, le vieux loup de mer tient fer­me­ment la barre. Une tem­pête ? Un cyclone ? La fin des temps ? Voyons, un simple coup de tabac. Si le vent conti­nue de nous pous­ser de la sorte nous serons d’ailleurs plus vite à destination !

Voi­là que, dans cette Bel­gique téta­ni­sée, se lèvent des guides éclai­rés. Le ciré jaune leur va à ravir. Leur barbe drue impose le res­pect. Leur che­ve­lure argen­tée nous rap­pelle qu’ils en ont vu d’autre. Leur cuir bou­ca­né indique que les élé­ments n’ont pas prise sur eux. Au tra­vers des embruns et des trombes ils voient, eux, que l’histoire conti­nue au-delà des quelques sou­bre­sauts que nous res­sen­tons actuel­le­ment. D’une voix de sten­tor, l’œil vif, la tête haute, ils tonnent.

« Ceci n’est pas une crise ! »

Ils connaissent visi­ble­ment Magritte.

Enfin, quelqu’un ose se lever et dire la véri­té ! En fait, tout va bien, pas de panique. Ceci n’est pas une crise parce que ce qui arrive fait par­tie du fonc­tion­ne­ment nor­mal du sys­tème. Ce ne sont que quelques chan­ge­ments et le chan­ge­ment, n’est-ce pas, c’est la vie. Et puis, tout a tou­jours chan­gé, alors pour­quoi s’inquiéter ?

Car cha­cun le sait, rien de pire pour les mar­chés et l’économie que la sinis­trose. Bien­tôt, assu­rés que tout ceci n’est en rien une crise, ni le chant du signe d’une forme de com­pro­mis entre les puis­sants et leurs serfs, ni l’annonce d’un monde d’exclusion et d’intolérance, bien­tôt, donc, nous pour­rons serei­ne­ment faire nos courses le dimanche. Et jusqu’à 22 heures. Dans un monde enfin apaisé.

Alors, consom­ma­teurs heu­reux, heu­reux parce que consom­ma­teur, le sou­rire aux lèvres, nous nous rap­pel­le­rons notre naï­ve­té, quand nous crai­gnions la crise, quand nous pen­sions notre monde au bord de l’implosion, quand nous nous remet­tions en ques­tion, quand nous son­gions qu’un monde nou­veau sor­ti­rait du grand chambardement.
Heu­reu­se­ment, des hommes sages, et blancs, et riches, et bien insé­rés — des exemples en tout point donc — nous ont rap­pe­lé à la réa­li­té : nulle crise, tout au plus quelques évo­lu­tions, une tran­si­tion, en fait. Comme lorsqu’on passe de vie à tré­pas, pas de quoi fouet­ter un chat, tant qu’on veille au vivre ensemble. Pour ceux qui restent.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.