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C’est parce que je dérange !

Blog - Anathème par Anathème

novembre 2022

Long­temps, on a consi­dé­ré la désap­pro­ba­tion comme le signe d’un man­que­ment ou d’une faute. Atti­rait-on des regards indi­gnés au res­tau­rant, que l’on se repre­nait et ces­sait de prendre des frites avec les doigts dans l’assiette de son voi­sin. Était-on en butte aux cri­tiques de nos col­lègues, que l’on se déci­dait à contre­cœur à arri­ver au tra­vail avant 11 heures. Se fai­sait-on cri­ti­quer par la popu­la­tion, que l’on se deman­dait en quoi on aurait pu man­quer à ses enga­ge­ments en tant qu’élu. Bref, face à une oppo­si­tion col­lec­tive, l’individu se remet­tait en question.

Anathème

Long­temps, on a consi­dé­ré la désap­pro­ba­tion comme le signe d’un man­que­ment ou d’une faute. Atti­rait-on des regards indi­gnés au res­tau­rant, que l’on se repre­nait et ces­sait de prendre des frites avec les doigts dans l’assiette de son voi­sin. Était-on en butte aux cri­tiques de nos col­lègues, que l’on se déci­dait à contre­cœur à arri­ver au tra­vail avant 11 heures. Se fai­sait-on cri­ti­quer par la popu­la­tion, que l’on se deman­dait en quoi on aurait pu man­quer à ses enga­ge­ments en tant qu’élu. Bref, face à une oppo­si­tion col­lec­tive, l’individu se remet­tait en question.
Quelle erreur !
Fort heu­reu­se­ment, une pro­po­si­tion alter­na­tive s’est fait jour, plus huma­niste, plus pro­gres­siste, qui parie sur les qua­li­tés de cha­cun et sur la pos­si­bi­li­té pour l’individu de don­ner le meilleur de lui-même. L’idée se résume aisé­ment : si vous êtes en butte à la cri­tique, ce n’est pas que vous ayez tort, c’est au contraire parce que vous avez rai­son, mais que cela en dérange cer­tains. La posi­tion est deve­nue cou­rante sur les réseaux, sociaux, mais aus­si au-delà. C’est ain­si à peu près en ces termes que, récem­ment, un poli­tique défen­dait un de ses col­lègues aux rap­ports hou­leux avec l’ensemble du monde poli­tique et une bonne part de l’opinion publique.
Dès lors, si vous faites part sur les réseaux sociaux d’hypothèses ori­gi­nales, par exemple en matière d’épidémiologie, d’économie ou de géo­po­li­tique, et que vous ren­con­trez d’innombrables objec­tions, si l’on vous cite des cher­cheurs uni­ver­si­taires, des docu­ments issus d’agences offi­cielles ou même un article Wiki­pé­dia pour vous indi­quer que vous êtes dans l’erreur, c’est à coup sûr le signe que vous avez rai­son, mais que vos idées dérangent.
De même, si vous pas­sez auprès de tous pour un gros­sier merle, inca­pable d’écouter autrui, assé­nant son opi­nion sur un ton mépri­sant, se contre­di­sant sans cesse, mais sans jamais le recon­naitre, ins­tru­men­ta­li­sant cha­cun à son béné­fice exclu­sif, ce n’est pas que vous êtes une ordure cynique, c’est que vous êtes brillant, tel­le­ment que c’en est insup­por­table au vul­gum pecus.
Encore, si l’on vous accuse de res­sas­ser de vieilles idées, de pro­po­ser des solu­tions dépas­sées, d’envisager des options poli­tiques ou tech­niques dont l’inefficacité a été démon­trée ou bien de ver­ser dans le racisme, le sexisme ou le popu­lisme les plus abjects, ce n’est pas le signe de votre médio­cri­té intel­lec­tuelle ou morale, c’est sim­ple­ment que vos inter­lo­cu­teurs ne sont pas capables de com­prendre à quel point vos vues sont géniales et avant-gar­distes, ce dont ils prennent logi­que­ment ombrage.
Cette façon de voir les choses est, certes, dérou­tante, mais le fait même qu’elle le soit, et qu’elle soit pré­sen­tée comme idiote ou mal­hon­nête par de nom­breuses per­sonnes, donne à pen­ser qu’au contraire, elle doit être géniale et dévoi­ler la véri­table nature des choses. La contra­dic­tion, la désap­pro­ba­tion, voire même la détes­ta­tion sont à n’en pas dou­ter des signes d’excellence
Comme nous avons pu nous trom­per, toutes ces années, nous qui pen­sions apprendre de nos erreurs et des autres, alors que nos échecs et l’adversité n’étaient que les signes de notre excel­lence. Désor­mais, celui qui ne trou­ve­ra pas d’emploi pour­ra en déduire que c’est en rai­son de ses grandes qua­li­tés, le mal­heu­reux en amour devra se consi­dé­rer comme trop sédui­sant et celui qui échoue­ra à se faire élire ne pour­ra qu’en conclure que le pou­voir lui est dû, vu ses qua­li­tés insignes.
Bien enten­du, c’est toute une révo­lu­tion sociale qui s’ouvre à nous, révo­lu­tion sur laquelle le monde de l’entreprise a comme de cou­tume pris de l’avance. Cha­cun connait, bien enten­du, des exemples d’un patron hon­ni qui sait que l’opposition dont il est l’objet est la consé­quence de ses qua­li­tés et de l’envie des médiocres qu’il emploie.
Ce prin­cipe doit être éten­du ! Accor­dons le cré­dit qu’ils méritent aux méde­cins dont les thèses sont reje­tées par l’ensemble de la com­mu­nau­té médi­cale, aux pro­fes­seurs blâ­més par l’inspection, aux poli­ciers en déli­ca­tesse avec les ins­tance de contrôle des forces de l’ordre, ou encore aux taxi­men qui ont échoué au per­mis de conduire. C’est même tout un sys­tème poli­tique qu’il faut recon­si­dé­rer, pour réno­ver la démo­cra­tie. Désor­mais, par un jeu de coop­ta­tions, les indi­vi­dus les moins popu­laires auprès de l’électorat et les plus détes­tés de par­te­naires poli­tiques poten­tiels devront être recon­nus comme les plus légi­times à gou­ver­ner. Il devra en être de même de ceux dont les mesures auront été le plus una­ni­me­ment cri­ti­quées par les sec­teurs pro­fes­sion­nels concer­nés ou par les scientifiques.
Dès demain, donc, œuvrons à un monde sans consen­sus, où cha­cun aura rai­son contre tous ! Vous trou­vez l’idée déli­rante ? C’est qu’elle est géniale, mais que le génie vous dérange !

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.