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Au-delà du souffle europhile : les non-dits de Macron

Blog - Délits d’initiés - Allemagne France UE (Union européenne) par Olivier Derruine

septembre 2017

Quelques jours après les impor­tants dis­cours sur « l’état de l’Union » du pré­sident de la Com­mis­sion et celui de The­re­sa May sur les pers­pec­tives du Brexit, Emma­nuel Macron expo­sait ce mar­di sa vision de l’Europe pour la décen­nie à venir. La date avait été pro­gram­mée de manière à confor­ter une Ange­la Mer­kel qui devait être réélue dans un […]

Délits d’initiés

Quelques jours après les impor­tants dis­cours sur « l’état de l’Union » du pré­sident de la Com­mis­sion et celui de The­re­sa May sur les pers­pec­tives du Brexit, Emma­nuel Macron expo­sait ce mar­di sa vision de l’Europe pour la décen­nie à venir. La date avait été pro­gram­mée de manière à confor­ter une Ange­la Mer­kel qui devait être réélue dans un fau­teuil. Les élec­teurs alle­mands en ont tou­te­fois déci­dé autrement. 

Alors qu’il devait durer 45 minutes, le speech du pré­sident fran­çais s’est éten­du sur 1h30. Son inter­ven­tion pleine de souffle a cer­tai­ne­ment mis du baume au cœur de ce qui reste d’europhiles sur le conti­nent. Elle contraste avec les dis­cours de ses pré­dé­ces­seurs qui man­quèrent cruel­le­ment de vision pour l’Europe et/ou res­tèrent téta­ni­sés par le « non » au pro­jet de trai­té consti­tu­tion­nel en 2005. 

Un élé­ment anec­do­tique, que cer­tains consi­dèrent comme sym­bo­lique, témoigne du sérieux avec lequel Macron prend la chose euro­péenne : sa pro­po­si­tion que les pays fon­da­teurs renoncent à « leur » com­mis­saire pour réduire la taille de l’exécutif euro­péen. Qui aurait pu conce­voir que la France accepte qu’un de ses illustres res­sor­tis­sants ne fasse pas par­tie de cet aréopage ?

Que faut-il lire entre les lignes ?

Le clou du spec­tacle devait être le dévoi­le­ment de ses pro­po­si­tions sur la zone euro qui, soyons francs, consti­tue le cœur de l’UE. Comme on pou­vait s’y attendre, il a bien évo­qué l’i­dée d’un ministre « com­mun » des Finances et un bud­get de la zone euro — ce qui, ne nous trom­pons pas, reste une abstraction. 

S’il a don­né des pistes pour ren­for­cer le bud­get (taxes envi­ron­ne­men­tale et sur la valeur ajou­tée des entre­prises digi­tales), elles ne pour­raient rap­por­ter qu’un mon­tant assez faible. D’ailleurs, qu’en ferait-on ? Macron est res­té éva­sif sur l’utilisation de ce bud­get qui serait par ailleurs néces­saire pour sta­bi­li­ser l’économie en cas de crise, pour inves­tir ensemble, pour créer un début d’assurance-chômage euro­péenne par exemple.
Concer­nant le ministre des Finances « com­mun », il semble avoir effec­tué une courbe ren­trante depuis les élec­tions alle­mandes… en noyant le pois­son : « com­mun », cela veut-il dire zone euro ou pour l’en­semble de l’UE ? Quelles seraient ses com­pé­tences, serait-il res­pon­sable devant le Par­le­ment euro­péen (où sont adou­bés après un exa­men oral tous les commissaires)? 

On reste frap­pé par l’o­mis­sion, dans le dis­cours de la Sor­bonne, de toute réfé­rence à l’Eu­ro­groupe (le club des ministres des Finances de la zone euro) qui est l’ins­ti­tu­tion la plus opaque et la plus puis­sante de l’U­nion. N’ou­blions pas que c’est elle qui a mis en place la « troï­ka » et l’a super­vi­sée, que c’est dans ce « saint des saints » que se défi­nissent glo­ba­le­ment les poli­tiques d’aus­té­ri­té (pro­po­sées par la Commission). 

Ain­si, Macron s’est can­ton­né aux arran­ge­ments ins­ti­tu­tion­nels de la zone euro, à ses rouages, et a com­plè­te­ment élu­dé la ques­tion de l’o­rien­ta­tion des poli­tiques éco­no­miques de l’UE. Sont-elles appro­priées ou doivent-elles être revues ? Cette ques­tion est en réa­li­té la seule qui importe. S’il veut rabi­bo­cher les citoyens avec l’Eu­rope, il fau­dra aban­don­ner l’aus­té­ri­té qui a exa­cer­bé les inéga­li­tés et le désen­chan­te­ment à l’é­gard de l’Europe. 

De même, s’il veut inves­tir mas­si­ve­ment des deniers publics dans les nom­breux domaines qu’il a indi­qués (cli­mat, éco­no­mie numé­rique, etc.), il ne pour­ra le faire qu’à la condi­tion de revoir les très strictes règles bud­gé­taires européennes. 

Deux hypo­thèses non exclu­sives peuvent expli­quer cet état de fait : d’une part, sa volon­té de ne pas com­pli­quer la tâche pour Mer­kel, qui doit consti­tuer une majo­ri­té avec des par­te­naires que beau­coup de choses opposent ; d’autre part, sa satis­fac­tion face au cap libé­ral pris depuis long­temps par l’UE.

La lutte contre les chan­ge­ments cli­ma­tiques est un autre grand chan­tier que Macron a esquis­sé, pous­sé dans le dos par Nico­las Hulot (le can­di­dat Macron étant res­té plu­tôt éva­sif à ce sujet durant sa cam­pagne). Pre­nant ses par­te­naires de court, il avait annon­cé, à la clô­ture du G20, en juillet der­nier, son sou­hait d’organiser en décembre un som­met sur le cli­mat pour le deuxième anni­ver­saire de l’accord cli­ma­tique de Paris. Or, s’il a bien été ques­tion, hier, de la tran­si­tion éner­gé­tique, Macron n’a nul­le­ment évo­qué la COP21, ni même l’efficacité éner­gé­tique ou les éner­gies renou­ve­lables qui sont des piliers de la tran­si­tion éner­gé­tique. Celle-ci ne peut se résu­mer à la fixa­tion d’une taxe car­bone aux fron­tières de l’Europe, aux inter­con­nexions des réseaux éner­gé­tiques entre pays ou aux véhi­cules « propres ». Cette omis­sion est d’autant plus intri­gante que son gou­ver­ne­ment dévoi­lait, la veille du dis­cours, un plan d’investissement de 57 mil­liards d’euros sur cinq ans fai­sant la part belle à la tran­si­tion éco­lo­gique. Com­ment faut-il com­prendre cet oubli ?

Macron entend rendre l’Eu­rope dési­rable et don­ner voix au cha­pitre aux citoyens. Il pro­pose que des « conven­tions démo­cra­tiques » soient créées dans les États membres pour redé­fi­nir les prio­ri­tés. Ceci rap­pelle furieu­se­ment l’exer­cice entre­pris par Yanis Varou­fa­kis avec son mou­ve­ment DIEM25… En même temps, Macron euro­péa­nise la dyna­mique de sa plate-forme élec­to­rale, En Marche. 

Cela dit, le pré­sident manque de cré­di­bi­li­té car 400.000 péti­tion­naires fran­çais ont signé l’ap­pel Stop-TTIP/­CE­TA alors qu’il était, de tous les can­di­dats à la pré­si­den­tielle fran­çaise, le plus fervent par­ti­san de l’accord UE-Cana­da. Cher­chez l’er­reur ! De même, il se pose en Pro­mé­thée de la démo­cra­tie euro­péenne, mais a lui-même réfor­mé le mar­ché du tra­vail fran­çais à coups d’or­don­nances et a fait en sorte que sa majo­ri­té par­le­men­taire, issue, dit-il, de la socié­té civile, soit com­po­sée de presse-bou­tons aux ordres de l’E­ly­sée. Il y a là de quoi redou­ter une ins­tru­men­ta­li­sa­tion des conven­tions citoyennes qu’il pro­pose. Il n’en demeure pas moins vrai que l’Eu­rope sor­ti­rait revi­ta­li­sée si des « assem­blées consti­tuantes » (peu importe le nom qu’on leur donne) pou­vaient rebattre les cartes et faire en sorte que le pro­jet euro­péen colle aux aspi­ra­tions des citoyens et réponde à leurs attentes. 

Dépasser le stade de l’exercice de communication

La majo­ri­té des pro­po­si­tions for­mu­lées par Macron va dans le bon sens et, pour cette rai­son, ren­con­tre­ra la résis­tance d’un cer­tain nombre d’États membres. Il en est conscient et a annon­cé la cou­leur : « non à la frag­men­ta­tion, oui à la dif­fé­ren­cia­tion ». Néan­moins, en ce qui concerne la zone euro, il lui fau­dra convaincre l’ensemble des dix-neuf pays par­ta­geant actuel­le­ment la mon­naie unique. En effet, on ima­gine mal que le bud­get propre à la zone euro ne soit por­té que par quelques pays de ce groupe ou que le nou­veau ministre des Finances supra­na­tio­nal n’exerce ses com­pé­tences qu’à l’égard de quelques-uns. Or, depuis 2012, on ne compte plus les pro­po­si­tions et feuilles de route signées par les pré­si­dents de la Com­mis­sion, du Conseil euro­péen, de la Banque cen­trale euro­péenne, de l’Eurogroupe et du Par­le­ment euro­péen. Pour­tant, aucun pro­jet n’a pro­gres­sé. Même le pro­jet de taxe sur les tran­sac­tions finan­cières, qui avait le vent en poupe au début de la décen­nie, n’en finit pas d’être revu à la baisse : d’abord envi­sa­gé comme pro­jet euro­péen, il est ensuite « des­cen­du » au niveau de la zone euro, puis à celui de coopé­ra­tion ren­for­cée. Les ambi­tions du pro­jet ont aus­si dimi­nué sous les coups de butoir du gou­ver­ne­ment de Charles Michel et de celui de… Emma­nuel Macron (notam­ment).

La balle est désor­mais dans le camp des autres pays, à com­men­cer par l’Allemagne. La com­po­si­tion du futur gou­ver­ne­ment de Mer­kel ain­si que la per­son­na­li­té même de ses ministres déter­mi­ne­ront pour beau­coup le sort des pro­po­si­tions de Macron et les chances de sur­vie de l’Union euro­péenne. Union euro­péenne pour laquelle, de l’aveu de cha­cun, le sta­tu quo n’est pas une option viable.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen