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Au-delà du souffle europhile : les non-dits de Macron
Quelques jours après les importants discours sur « l’état de l’Union » du président de la Commission et celui de Theresa May sur les perspectives du Brexit, Emmanuel Macron exposait ce mardi sa vision de l’Europe pour la décennie à venir. La date avait été programmée de manière à conforter une Angela Merkel qui devait être réélue dans un […]
Quelques jours après les importants discours sur « l’état de l’Union » du président de la Commission et celui de Theresa May sur les perspectives du Brexit, Emmanuel Macron exposait ce mardi sa vision de l’Europe pour la décennie à venir. La date avait été programmée de manière à conforter une Angela Merkel qui devait être réélue dans un fauteuil. Les électeurs allemands en ont toutefois décidé autrement.
Alors qu’il devait durer 45 minutes, le speech du président français s’est étendu sur 1h30. Son intervention pleine de souffle a certainement mis du baume au cœur de ce qui reste d’europhiles sur le continent. Elle contraste avec les discours de ses prédécesseurs qui manquèrent cruellement de vision pour l’Europe et/ou restèrent tétanisés par le « non » au projet de traité constitutionnel en 2005.
Un élément anecdotique, que certains considèrent comme symbolique, témoigne du sérieux avec lequel Macron prend la chose européenne : sa proposition que les pays fondateurs renoncent à « leur » commissaire pour réduire la taille de l’exécutif européen. Qui aurait pu concevoir que la France accepte qu’un de ses illustres ressortissants ne fasse pas partie de cet aréopage ?
Que faut-il lire entre les lignes ?
Le clou du spectacle devait être le dévoilement de ses propositions sur la zone euro qui, soyons francs, constitue le cœur de l’UE. Comme on pouvait s’y attendre, il a bien évoqué l’idée d’un ministre « commun » des Finances et un budget de la zone euro — ce qui, ne nous trompons pas, reste une abstraction.
S’il a donné des pistes pour renforcer le budget (taxes environnementale et sur la valeur ajoutée des entreprises digitales), elles ne pourraient rapporter qu’un montant assez faible. D’ailleurs, qu’en ferait-on ? Macron est resté évasif sur l’utilisation de ce budget qui serait par ailleurs nécessaire pour stabiliser l’économie en cas de crise, pour investir ensemble, pour créer un début d’assurance-chômage européenne par exemple.
Concernant le ministre des Finances « commun », il semble avoir effectué une courbe rentrante depuis les élections allemandes… en noyant le poisson : « commun », cela veut-il dire zone euro ou pour l’ensemble de l’UE ? Quelles seraient ses compétences, serait-il responsable devant le Parlement européen (où sont adoubés après un examen oral tous les commissaires)?
On reste frappé par l’omission, dans le discours de la Sorbonne, de toute référence à l’Eurogroupe (le club des ministres des Finances de la zone euro) qui est l’institution la plus opaque et la plus puissante de l’Union. N’oublions pas que c’est elle qui a mis en place la « troïka » et l’a supervisée, que c’est dans ce « saint des saints » que se définissent globalement les politiques d’austérité (proposées par la Commission).
Ainsi, Macron s’est cantonné aux arrangements institutionnels de la zone euro, à ses rouages, et a complètement éludé la question de l’orientation des politiques économiques de l’UE. Sont-elles appropriées ou doivent-elles être revues ? Cette question est en réalité la seule qui importe. S’il veut rabibocher les citoyens avec l’Europe, il faudra abandonner l’austérité qui a exacerbé les inégalités et le désenchantement à l’égard de l’Europe.
De même, s’il veut investir massivement des deniers publics dans les nombreux domaines qu’il a indiqués (climat, économie numérique, etc.), il ne pourra le faire qu’à la condition de revoir les très strictes règles budgétaires européennes.
Deux hypothèses non exclusives peuvent expliquer cet état de fait : d’une part, sa volonté de ne pas compliquer la tâche pour Merkel, qui doit constituer une majorité avec des partenaires que beaucoup de choses opposent ; d’autre part, sa satisfaction face au cap libéral pris depuis longtemps par l’UE.
La lutte contre les changements climatiques est un autre grand chantier que Macron a esquissé, poussé dans le dos par Nicolas Hulot (le candidat Macron étant resté plutôt évasif à ce sujet durant sa campagne). Prenant ses partenaires de court, il avait annoncé, à la clôture du G20, en juillet dernier, son souhait d’organiser en décembre un sommet sur le climat pour le deuxième anniversaire de l’accord climatique de Paris. Or, s’il a bien été question, hier, de la transition énergétique, Macron n’a nullement évoqué la COP21, ni même l’efficacité énergétique ou les énergies renouvelables qui sont des piliers de la transition énergétique. Celle-ci ne peut se résumer à la fixation d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, aux interconnexions des réseaux énergétiques entre pays ou aux véhicules « propres ». Cette omission est d’autant plus intrigante que son gouvernement dévoilait, la veille du discours, un plan d’investissement de 57 milliards d’euros sur cinq ans faisant la part belle à la transition écologique. Comment faut-il comprendre cet oubli ?
Macron entend rendre l’Europe désirable et donner voix au chapitre aux citoyens. Il propose que des « conventions démocratiques » soient créées dans les États membres pour redéfinir les priorités. Ceci rappelle furieusement l’exercice entrepris par Yanis Varoufakis avec son mouvement DIEM25… En même temps, Macron européanise la dynamique de sa plate-forme électorale, En Marche.
Cela dit, le président manque de crédibilité car 400.000 pétitionnaires français ont signé l’appel Stop-TTIP/CETA alors qu’il était, de tous les candidats à la présidentielle française, le plus fervent partisan de l’accord UE-Canada. Cherchez l’erreur ! De même, il se pose en Prométhée de la démocratie européenne, mais a lui-même réformé le marché du travail français à coups d’ordonnances et a fait en sorte que sa majorité parlementaire, issue, dit-il, de la société civile, soit composée de presse-boutons aux ordres de l’Elysée. Il y a là de quoi redouter une instrumentalisation des conventions citoyennes qu’il propose. Il n’en demeure pas moins vrai que l’Europe sortirait revitalisée si des « assemblées constituantes » (peu importe le nom qu’on leur donne) pouvaient rebattre les cartes et faire en sorte que le projet européen colle aux aspirations des citoyens et réponde à leurs attentes.
Dépasser le stade de l’exercice de communication
La majorité des propositions formulées par Macron va dans le bon sens et, pour cette raison, rencontrera la résistance d’un certain nombre d’États membres. Il en est conscient et a annoncé la couleur : « non à la fragmentation, oui à la différenciation ». Néanmoins, en ce qui concerne la zone euro, il lui faudra convaincre l’ensemble des dix-neuf pays partageant actuellement la monnaie unique. En effet, on imagine mal que le budget propre à la zone euro ne soit porté que par quelques pays de ce groupe ou que le nouveau ministre des Finances supranational n’exerce ses compétences qu’à l’égard de quelques-uns. Or, depuis 2012, on ne compte plus les propositions et feuilles de route signées par les présidents de la Commission, du Conseil européen, de la Banque centrale européenne, de l’Eurogroupe et du Parlement européen. Pourtant, aucun projet n’a progressé. Même le projet de taxe sur les transactions financières, qui avait le vent en poupe au début de la décennie, n’en finit pas d’être revu à la baisse : d’abord envisagé comme projet européen, il est ensuite « descendu » au niveau de la zone euro, puis à celui de coopération renforcée. Les ambitions du projet ont aussi diminué sous les coups de butoir du gouvernement de Charles Michel et de celui de… Emmanuel Macron (notamment).
La balle est désormais dans le camp des autres pays, à commencer par l’Allemagne. La composition du futur gouvernement de Merkel ainsi que la personnalité même de ses ministres détermineront pour beaucoup le sort des propositions de Macron et les chances de survie de l’Union européenne. Union européenne pour laquelle, de l’aveu de chacun, le statu quo n’est pas une option viable.