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Analphabétisme économique ou hystérie austéritaire démoniaque ?

Blog - Délits d’initiés par Olivier Derruine

mars 2016

« Le gou­ver­ne­ment fédé­ral va devoir trou­ver plus de 2 mil­liards pour com­bler le “trou” dans le bud­get 2016. Pour la N‑VA, les éco­no­mies devraient pas­ser en grande par­tie par une ges­tion plus sévère de l’assurance-maladie et de l’assurance-chômage. Les natio­na­listes fla­mands sont dans la droite ligne de ce que leur chef avait déjà annon­cé dans son […]

Délits d’initiés

« Le gou­ver­ne­ment fédé­ral va devoir trou­ver plus de 2 mil­liards pour com­bler le “trou” dans le bud­get 2016. Pour la N‑VA, les éco­no­mies devraient pas­ser en grande par­tie par une ges­tion plus sévère de l’assurance-maladie et de l’assurance-chômage. Les natio­na­listes fla­mands sont dans la droite ligne de ce que leur chef avait déjà annon­cé dans son dis­cours de ren­trée en jan­vier de cette année. Bart De Wever avait alors expli­qué que les inévi­tables dépas­se­ments bud­gé­taires impo­sés par la crise migra­toire et la menace ter­ro­riste devaient être com­pen­sés par des éco­no­mies sur la Sécu. » C’est ain­si que Le Soir résume la situa­tion et la der­nière saillie inepte de la N‑VA.

Il est vrai que, à l’origine, le ministre Van Overt­veldt, ce grand expert de l’économie (!) et ancien rédac­teur en chef de Trends, avait sur­es­ti­mé les recettes fis­cales. Mais, en même temps, il ne fau­drait pas oublier que le même ministre pes­tait contre la Com­mis­sion il y a deux mois à peine parce qu’elle deman­dait à la Bel­gique de récu­pé­rer 700 mil­lions d’euros gra­cieu­se­ment octroyé à 35 mut­li­na­tio­nales. Ces aides dis­pen­sées par ce para­dis fis­cal qu’est notre pays étaient jugées illé­gales par l’exécutif euro­péen. Atten­tion, on parle ici du tiers du fameux trou budgétaire !
Quand bien même cet argent ren­tre­rait-il dans les caisses de l’État (contre la volon­té du ministre, mais pas­sons) qu’un défi­cit sub­sis­te­rait et que la Bel­gique ne serait pas sur la tra­jec­toire bud­gé­taire conve­nue avec la Com­mis­sion. Et quoi ? Serait-ce grave, mor­tel ou illégal ?

Mémoire sélective

Non, bien sûr, mais ce serait contre-pro­duc­tif sur le plan éco­no­mique : le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal (FMI) a mon­tré en 2013 (il y a presque trois ans, une éter­ni­té en poli­tique) que, en temps de crise, une réduc­tion de 1% du défi­cit (en % du PIB) pou­vait avoir pour effet d’amputer le PIB jusqu’à 1,7% par le jeu de divers méca­nismes éco­no­miques. Méca­ni­que­ment, cela condui­rait à empi­rer le taux de défi­cit de l’année suivante.

Certes, pas plus tard que ce mer­cre­di, « la Com­mis­sion a éga­le­ment fait part à la Bel­gique, à la Croa­tie, à la Fin­lande, à l’Italie et à la Rou­ma­nie de ses inquié­tudes quant au res­pect par ces pays de leurs obli­ga­tions bud­gé­taires. […] Nous avons désor­mais fait tout ce qui est en notre pou­voir pour aler­ter les auto­ri­tés natio­nales sur les risques de non-res­pect de leurs enga­ge­ments, a expli­qué le Com­mis­saire Mos­co­vi­ci, char­gé des Affaires éco­no­miques et finan­cières. Il leur incombe main­te­nant d’en tenir compte lorsqu’elles pré­sen­te­ront leurs plans bud­gé­taires à moyen terme en avril. » 

Bien. Cela démontre que, et tant le gou­ver­ne­ment belge que la Com­mis­sion l’ou­blient – voire l’i­gnorent ou, pire, le dis­si­mulent – , l’exigence du res­pect des enga­ge­ments bud­gé­taires n’est pas abso­lue. En effet, en ver­tu d’une impor­tante loi euro­péenne adop­tée en 2011 dans le cadre de la dite « gou­ver­nance éco­no­mique », lorsqu’elle estime qu’un pays enre­gistre un défi­cit et qu’elle en éva­lue l’ampleur, la Com­mis­sion doit tenir « compte de tous les fac­teurs per­ti­nents […] dans la mesure où ils affectent signi­fi­ca­ti­ve­ment l’évaluation du res­pect des cri­tères du défi­cit et de la dette par l’État membre concer­né. […] La Com­mis­sion accorde expres­sé­ment toute l’attention vou­lue à tout autre fac­teur, qui de l’avis de l’État membre concer­né, est per­ti­nent pour pou­voir éva­luer glo­ba­le­ment le res­pect des cri­tères du défi­cit et de la dette, et qu’il a pré­sen­té au Conseil et à la Com­mis­sion. Dans ce contexte, une atten­tion par­ti­cu­lière est accor­dée aux contri­bu­tions finan­cières des­ti­nées à encou­ra­ger la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale et à favo­ri­ser la réa­li­sa­tion des objec­tifs des poli­tiques de l’Union, à la dette résul­tant d’un sou­tien bila­té­ral et mul­ti­la­té­ral entre États membres dans le cadre de la pré­ser­va­tion de la sta­bi­li­té finan­cière et à la dette liée aux opé­ra­tions de sta­bi­li­sa­tion finan­cière pen­dant des crises finan­cières majeures. »
Autre­ment dit, le « les inévi­tables dépas­se­ments bud­gé­taires impo­sés par la crise migra­toire et la menace ter­ro­riste » évo­qués par De Wever relèvent de la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale et d’objectifs poli­tiques de l’Union ins­crits à l’article 3 du Trai­té sur le Fonc­tion­ne­ment de l’UE.

La BCE à la rescousse

Enfin, admet­tons que l’on per­siste à faire preuve de mau­vaise volon­té, un der­nier argu­ment vien­drait finir de convaincre que l’on peut déro­ger aux enga­ge­ments bud­gé­taires. Il nous vient en droite ligne de… Franc­fort, de la Banque cen­trale euro­péenne elle-même ! Son pré­sident, Mario Dra­ghi, a annon­cé ce jeu­di le ren­for­ce­ment de mesures excep­tion­nelles : outre un nou­vel abais­se­ment d’un taux direc­teur de la Banque au niveau du zéro afin d’exhorter les banques à prê­ter davan­tage pour faire tour­ner la machine éco­no­mique (sinon, en dépo­sant leurs liqui­di­tés à la BCE, elles seront sanc­tion­nées par une taxe impli­cite), la BCE a déci­dé d’amplifier son « pro­gramme éten­du d’achat des actifs » (ou « quan­ti­ta­tive easing » en anglais). Lan­cé en mars 2015 pour faire face à « un envi­ron­ne­ment éco­no­mique et finan­cier sans pré­cé­dent », ce pro­gramme devait s’éteindre en sep­tembre 2016, mais fut pro­lon­gé en jan­vier der­nier lorsqu’il devint évident que celui-ci ne par­vien­drait pas à atteindre les objec­tifs éco­no­miques qu’il visait. Et deux mois plus tard, rebe­lotte : il est à nou­veau ren­for­cé, les achats d’actifs finan­ciers pas­sant de 60 à 80 mil­liards par mois (!). C’est donc un signe évident que la situa­tion éco­no­mique de la zone euro est par­ti­cu­liè­re­ment grave et que les pers­pec­tives ne sont pas des plus brillantes. Or, un autre texte légis­la­tif de la gou­ver­nance éco­no­mique indique que « lors d’une cir­cons­tance inha­bi­tuelle indé­pen­dante de la volon­té de l’État membre concer­né ayant des effets sen­sibles sur la situa­tion finan­cière des admi­nis­tra­tions publiques ou en période de grave réces­sion éco­no­mique affec­tant la zone euro ou l’ensemble de l’Union, les États membres peuvent être auto­ri­sés, à s’écarter tem­po­rai­re­ment de la tra­jec­toire d’ajustement en vue de la réa­li­sa­tion de l’objectif bud­gé­taire à moyen terme visé au troi­sième ali­néa, à condi­tion de ne pas mettre en péril la via­bi­li­té bud­gé­taire à moyen terme. »

Par consé­quent, le gou­ver­ne­ment belge peut s’appuyer sur la BCE pour évi­ter de devoir à tout prix com­bler le trou bud­gé­taire, et encore moins sabrer dans la Sécu­ri­té sociale. Car outre le fait que de telles coupes fra­gi­li­se­raient ceux qui sont déjà les plus faibles et accen­tue­raient les inéga­li­tés, le cal­cul éco­no­mique serait désas­treux : une étude du FMI montre que si l’on réduit de 1% la part du PIB qui va aux 20% les plus pauvres de la popu­la­tion, la crois­sance éco­no­mique se réduit de 0,38%. Or, le trou de 2 mil­liards équi­vaut à envi­ron 0,5% du PIB.

Encore fau­drait-il être sûr que cette menace pour la Sécu n’est pas, aux yeux de cer­tains par­te­naires de la majo­ri­té, un effet béné­fique de la crise bud­gé­taire actuelle. D’un cer­tain point de vue, il peut y avoir un inté­rêt à se lais­ser prendre dans l’é­tau bud­gé­taire, voire à y contri­buer volon­tai­re­ment. La perte (tem­po­raire?) de cré­di­bi­li­té du ministre des Finances ne serait alors qu’un dom­mage col­la­té­ral d’un plan plus machiavélique.

En conclu­sion, rien sinon une idéo­lo­gie que l’on pour­rait qua­li­fier d’«hystérie mor­ti­fère démo­niaque sur la base de radi­ca­lisme [néo­li­bé­ral], d’addiction [à l’austérité] peut-être aus­si d’éléments de sub­stances » (mer­ci, Joëlle!) ne jus­ti­fie que l’on ne dif­fère pas le retour à l’équilibre budgétaire.

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen