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Analphabétisme économique ou hystérie austéritaire démoniaque ?
« Le gouvernement fédéral va devoir trouver plus de 2 milliards pour combler le “trou” dans le budget 2016. Pour la N‑VA, les économies devraient passer en grande partie par une gestion plus sévère de l’assurance-maladie et de l’assurance-chômage. Les nationalistes flamands sont dans la droite ligne de ce que leur chef avait déjà annoncé dans son […]
« Le gouvernement fédéral va devoir trouver plus de 2 milliards pour combler le “trou” dans le budget 2016. Pour la N‑VA, les économies devraient passer en grande partie par une gestion plus sévère de l’assurance-maladie et de l’assurance-chômage. Les nationalistes flamands sont dans la droite ligne de ce que leur chef avait déjà annoncé dans son discours de rentrée en janvier de cette année. Bart De Wever avait alors expliqué que les inévitables dépassements budgétaires imposés par la crise migratoire et la menace terroriste devaient être compensés par des économies sur la Sécu. » C’est ainsi que Le Soir résume la situation et la dernière saillie inepte de la N‑VA.
Il est vrai que, à l’origine, le ministre Van Overtveldt, ce grand expert de l’économie (!) et ancien rédacteur en chef de Trends, avait surestimé les recettes fiscales. Mais, en même temps, il ne faudrait pas oublier que le même ministre pestait contre la Commission il y a deux mois à peine parce qu’elle demandait à la Belgique de récupérer 700 millions d’euros gracieusement octroyé à 35 mutlinationales. Ces aides dispensées par ce paradis fiscal qu’est notre pays étaient jugées illégales par l’exécutif européen. Attention, on parle ici du tiers du fameux trou budgétaire !
Quand bien même cet argent rentrerait-il dans les caisses de l’État (contre la volonté du ministre, mais passons) qu’un déficit subsisterait et que la Belgique ne serait pas sur la trajectoire budgétaire convenue avec la Commission. Et quoi ? Serait-ce grave, mortel ou illégal ?
Mémoire sélective
Non, bien sûr, mais ce serait contre-productif sur le plan économique : le Fonds monétaire international (FMI) a montré en 2013 (il y a presque trois ans, une éternité en politique) que, en temps de crise, une réduction de 1% du déficit (en % du PIB) pouvait avoir pour effet d’amputer le PIB jusqu’à 1,7% par le jeu de divers mécanismes économiques. Mécaniquement, cela conduirait à empirer le taux de déficit de l’année suivante.
Certes, pas plus tard que ce mercredi, « la Commission a également fait part à la Belgique, à la Croatie, à la Finlande, à l’Italie et à la Roumanie de ses inquiétudes quant au respect par ces pays de leurs obligations budgétaires. […] Nous avons désormais fait tout ce qui est en notre pouvoir pour alerter les autorités nationales sur les risques de non-respect de leurs engagements, a expliqué le Commissaire Moscovici, chargé des Affaires économiques et financières. Il leur incombe maintenant d’en tenir compte lorsqu’elles présenteront leurs plans budgétaires à moyen terme en avril. »
Bien. Cela démontre que, et tant le gouvernement belge que la Commission l’oublient – voire l’ignorent ou, pire, le dissimulent – , l’exigence du respect des engagements budgétaires n’est pas absolue. En effet, en vertu d’une importante loi européenne adoptée en 2011 dans le cadre de la dite « gouvernance économique », lorsqu’elle estime qu’un pays enregistre un déficit et qu’elle en évalue l’ampleur, la Commission doit tenir « compte de tous les facteurs pertinents […] dans la mesure où ils affectent significativement l’évaluation du respect des critères du déficit et de la dette par l’État membre concerné. […] La Commission accorde expressément toute l’attention voulue à tout autre facteur, qui de l’avis de l’État membre concerné, est pertinent pour pouvoir évaluer globalement le respect des critères du déficit et de la dette, et qu’il a présenté au Conseil et à la Commission. Dans ce contexte, une attention particulière est accordée aux contributions financières destinées à encourager la solidarité internationale et à favoriser la réalisation des objectifs des politiques de l’Union, à la dette résultant d’un soutien bilatéral et multilatéral entre États membres dans le cadre de la préservation de la stabilité financière et à la dette liée aux opérations de stabilisation financière pendant des crises financières majeures. »
Autrement dit, le « les inévitables dépassements budgétaires imposés par la crise migratoire et la menace terroriste » évoqués par De Wever relèvent de la solidarité internationale et d’objectifs politiques de l’Union inscrits à l’article 3 du Traité sur le Fonctionnement de l’UE.
La BCE à la rescousse
Enfin, admettons que l’on persiste à faire preuve de mauvaise volonté, un dernier argument viendrait finir de convaincre que l’on peut déroger aux engagements budgétaires. Il nous vient en droite ligne de… Francfort, de la Banque centrale européenne elle-même ! Son président, Mario Draghi, a annoncé ce jeudi le renforcement de mesures exceptionnelles : outre un nouvel abaissement d’un taux directeur de la Banque au niveau du zéro afin d’exhorter les banques à prêter davantage pour faire tourner la machine économique (sinon, en déposant leurs liquidités à la BCE, elles seront sanctionnées par une taxe implicite), la BCE a décidé d’amplifier son « programme étendu d’achat des actifs » (ou « quantitative easing » en anglais). Lancé en mars 2015 pour faire face à « un environnement économique et financier sans précédent », ce programme devait s’éteindre en septembre 2016, mais fut prolongé en janvier dernier lorsqu’il devint évident que celui-ci ne parviendrait pas à atteindre les objectifs économiques qu’il visait. Et deux mois plus tard, rebelotte : il est à nouveau renforcé, les achats d’actifs financiers passant de 60 à 80 milliards par mois (!). C’est donc un signe évident que la situation économique de la zone euro est particulièrement grave et que les perspectives ne sont pas des plus brillantes. Or, un autre texte législatif de la gouvernance économique indique que « lors d’une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l’État membre concerné ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou en période de grave récession économique affectant la zone euro ou l’ensemble de l’Union, les États membres peuvent être autorisés, à s’écarter temporairement de la trajectoire d’ajustement en vue de la réalisation de l’objectif budgétaire à moyen terme visé au troisième alinéa, à condition de ne pas mettre en péril la viabilité budgétaire à moyen terme. »
Par conséquent, le gouvernement belge peut s’appuyer sur la BCE pour éviter de devoir à tout prix combler le trou budgétaire, et encore moins sabrer dans la Sécurité sociale. Car outre le fait que de telles coupes fragiliseraient ceux qui sont déjà les plus faibles et accentueraient les inégalités, le calcul économique serait désastreux : une étude du FMI montre que si l’on réduit de 1% la part du PIB qui va aux 20% les plus pauvres de la population, la croissance économique se réduit de 0,38%. Or, le trou de 2 milliards équivaut à environ 0,5% du PIB.
Encore faudrait-il être sûr que cette menace pour la Sécu n’est pas, aux yeux de certains partenaires de la majorité, un effet bénéfique de la crise budgétaire actuelle. D’un certain point de vue, il peut y avoir un intérêt à se laisser prendre dans l’étau budgétaire, voire à y contribuer volontairement. La perte (temporaire?) de crédibilité du ministre des Finances ne serait alors qu’un dommage collatéral d’un plan plus machiavélique.
En conclusion, rien sinon une idéologie que l’on pourrait qualifier d’«hystérie mortifère démoniaque sur la base de radicalisme [néolibéral], d’addiction [à l’austérité] peut-être aussi d’éléments de substances » (merci, Joëlle!) ne justifie que l’on ne diffère pas le retour à l’équilibre budgétaire.