Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Aimez les riches !

Blog - Anathème - justice sociale pauvreté richesse par Anathème

décembre 2014

Cha­cun en convien­dra, il importe de bien choi­sir l’objet de son amour. Même si l’on sait que l’amour est aveugle, il ne pro­tège pas des décon­ve­nues une fois l’emballement des pre­miers mois pas­sés, lorsque la pas­sion s’avère sans retour, voire mortifère.

Anathème

À cet égard, il en va de même du Grand Amour et des atta­che­ments plus modé­rés que sont l’estime, l’admiration, l’amitié, ou encore la com­pas­sion. À ce pro­pos, quoi de plus dou­lou­reux qu’une com­pas­sion mal pla­cée, payée en retour par le mépris, plu­tôt que par la gratitude ?
C’est ain­si que nom­breux sont ceux qui furent émus au spec­tacle de la pau­vre­té, de la jeu­nesse misé­reuse, du déclas­se­ment social ou du dénue­ment cultu­rel. Ce trai­ning mal lavé, cette coif­fure démo­dée, ce regard vide, cette figure bar­bouillée, ce car­table vide peuvent faire fré­mir. Faire l’aumône, réchauf­fer en son sein, tendre une main secou­rable appa­raissent alors comme des devoirs huma­nistes. Hélas, com­bien de fois le pauvre ne se révèle-t-il pas arro­gant, cla­mant l’injustice de son sort, l’iniquité de la socié­té, la res­pon­sa­bi­li­té d’un monde dans lequel il n’a pas eu sa chance ? Com­bien de fois, plu­tôt que de répondre d’un humble « Dieu vous le ren­dra » ou « Vous êtes bien bon », ne regarde-t-il pas ailleurs, indif­fé­rent, absent ? Com­bien de fois, plu­tôt que de pro­fi­ter du répit que vous lui offrez pour, devant une soupe chaude, pro­cé­der à son exa­men de conscience, ne pré­fère-t-il pas, devant une bière, écou­ter les dan­ge­reuses dia­tribes des bol­ché­viques qui l’appellent à la contes­ta­tion, voire à la révolution ?
Or, en notre socié­té démo­cra­tique et libé­rale, où tout est pos­sible à qui se donne de la peine, où l’aide sociale confine à l’assistanat, qui peut encore dire qu’il n’a pas eu sa chance ? En notre presque par­faite méri­to­cra­tie, les juge­ments du mar­ché valent ceux de Dieu à l’heure de la pesée des âmes. Sous nos cieux, nul n’échoue sans y être pour quelque chose. Forme-toi, chô­meur, bâtis ta mai­son, sans-abris, pro­pose tes ser­vices, déclas­sé, vends ton corps, mère céli­ba­taire ! Le bout du tun­nel n’est jamais loin pour qui veut, car qui veut, peut.
Dans de telles condi­tions, les petites gens hon­nêtes, les citoyens ordi­naires peuvent-ils se per­mettre de s’émouvoir du sort d’un mal­heu­reux ? On com­prend bien que non ! Lors même qu’eux suent pour se main­te­nir à flot, pour ne pas perdre pied et som­brer à leur tour, il leur faut des objets d’amour et d’admiration qui leur soient béné­fiques plu­tôt que d’ingrats coquins.
C’est pour­quoi il est pré­fé­rable que les braves gens consacrent leurs res­sources limi­tées à s’attacher à des gens qui leur feront réel­le­ment du bien : les riches. En pre­mier lieu, cet amour sera jus­ti­fié puisque la richesse ne consti­tue rien d’autre que l’éclatante preuve du mérite ; point de risque de se trom­per et de s’attacher à qui­conque de bas ou de veule.
En deuxième lieu, ils ne connaî­tront pas la dou­leur de devoir se sen­tir soli­daire, ni d’extirper à grand peine quelque pièce de leur poche. Il ne leur en coû­te­ra que de fer­mer les yeux sur l’un ou l’autre moyen qui, jus­ti­fié par la fin, per­mit aux puis­sants de s’élever. Quoi de plus facile puisqu’il suf­fit de ne pas s’inquiéter de ce qu’on ne cherche pas à leur faire connaître ? Car, après tout, qu’importe que les riches s’engraissent sur le dos des pauvres ? Qu’auraient donc fait ces der­niers des sommes dis­per­sées dans leurs poches, alors que, concen­trées dans celles de leurs maitres, elles per­mettent à ceux-ci de briller de mille feux, d’éclairer la vie de tous… et de s’offrir en par­faits objets d’amour et de véné­ra­tion. Il semble jus­ti­fié de les en remercier.

Pho­to : Chr. Mincke

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.