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À un doigt de la présidence

Blog - Anathème par Anathème

décembre 2021

Mes fidèles lec­teurs ne s’étonneront pas d’apprendre que je fus un des plus fer­vents par­ti­sans de l’investiture pré­si­den­tielle d’Eric Zem­mour. Je plaide depuis assez long­temps en ces pages pour un renou­veau de l’Occident fon­dé sur nos inté­rêts maté­riels, nos pré­ju­gés et nos fan­tasmes pour ne pas avoir très tôt pen­sé à l’opportunité que serait une France […]

Anathème

Mes fidèles lec­teurs ne s’étonneront pas d’apprendre que je fus un des plus fer­vents par­ti­sans de l’investiture pré­si­den­tielle d’Eric Zem­mour. Je plaide depuis assez long­temps en ces pages pour un renou­veau de l’Occident fon­dé sur nos inté­rêts maté­riels, nos pré­ju­gés et nos fan­tasmes pour ne pas avoir très tôt pen­sé à l’opportunité que serait une France aux mains d’un tel homme.

Jusqu’ici, je dois dire que tout en lui m’assurait de sa grande des­ti­née : sa visible absence de scru­pule, sa volon­té de plier le réel (futur, mais aus­si pré­sent et pas­sé) à sa volon­té, sa manière de sub­sti­tuer l’éloquence à la rai­son, sa capa­ci­té à faire preuve d’une grande vio­lence (sym­bo­lique pour l’instant) à l’égard des plus faibles et des vic­times, la faci­li­té avec laquelle il reniait tous ceux qui auraient pu être tenus pour « les siens » et, par-des­sus tout, sa ferme volon­té de tour­ner la page de l’humanisme et du libé­ra­lisme poli­tique. Qui ima­gi­ner de plus adé­quat que quelqu’un à même de glo­ri­fier le Maré­chal Pétain tout en se récla­mant du Géné­ral de Gaulle, de se pro­cla­mer démo­crate tout en raillant l’État de droit, de décla­rer son amour à la France tout en rêvant de lui refaire le por­trait jusqu’à la rendre mécon­nais­sable et de prô­ner le renou­veau en agi­tant des idées moribondes ?

Bref, je ne tenais plus, impa­tient d’entendre sa pro­chaine sor­tie pro­vo­ca­trice, de prendre connais­sance de sa can­di­da­ture offi­cielle, de décou­vrir les cinq-cents signa­taires lui fai­sant la courte-échelle pour l’élection, d’assister à ses mee­tings, de le voir mettre en pièces ses adver­saires, etc. Demain Outre-Quié­vrain, demain chez nous, me disais-je… Et, ce fai­sant, je me pré­pa­rais, ache­tant des actions de la firme pro­dui­sant le Taser®, consti­tuant une liste des métèques et gau­chistes de mon quar­tier, pas­sant en revue mon arbre généa­lo­gique pour m’assurer que n’y figu­rait aucune tache qui pour­rait me valoir les foudres du nou­veau pou­voir… et puis… patatras !

Ima­gi­nez mon désar­roi quand, aux infor­ma­tions, j’ai vu pas­ser la pho­to de mon idole fai­sant un « doigt d’honneur » à une dame (qui lui en avait fait un) et lorsque j’appris qu’il l’accompagna d’un « et bien pro­fond »… Quelle vul­ga­ri­té ! Quelle bassesse !

Com­pre­nons-nous bien : je par­tage par­fai­te­ment le mépris de M. Zem­mour pour les gau­chistes tels que cette mani­fes­tante, et je comp­tais pré­ci­sé­ment sur lui pour nous en débar­ras­ser, au besoin en les fai­sant enter­rer — bien pro­fond — dans des fosses com­munes ; mais je ne peux pour autant cau­tion­ner la vul­ga­ri­té. Nous pou­vons expri­mer notre mépris de plus élé­gante et plus effi­cace manière… Non, ce n’est pas de la sen­si­ble­rie ! Comme tant de mes conci­toyens, je vis par­fai­te­ment bien en étant abreu­vé d’images de migrants noyés, en côtoyant en rue le spec­tacle de la misère la plus repous­sante et en sachant par­fai­te­ment qu’une part impor­tante des femmes de ma connais­sance subissent régu­liè­re­ment des agres­sions en rue et des coups à la maison.

Cepen­dant, si je ne suis pas sen­sible et si je peux faire preuve de l’inhumanité néces­saire à la bonne marche de notre monde, je ne sup­porte pas pour autant la sau­va­ge­rie ni la gros­siè­re­té. Nous ne sommes pas des ani­maux, que diable ! Ne nous abais­sons pas au niveau de ceux dont nous entre­pren­drons bien­tôt l’élimination ou le rapa­trie­ment ! Et s’il fal­lait, à un moment, que quelqu’un fît preuve de ces défauts, nous pour­rions trou­ver des ner­vis issus de la fange qui feront pour nous la sale besogne ! Mais qu’un can­di­dat aux ors de la Répu­blique agite de la sorte un doigt dres­sé est pro­pre­ment inad­mis­sible et le dis­qua­li­fie d’emblée. Nous ne pou­vons tolé­rer que notre pro­jet soit por­té par un rustre.

Je trouve cepen­dant une conso­la­tion dans le fait que la France semble par­ta­ger mon élé­va­tion morale et ma haute exi­gence vis-à-vis de ceux qui sont appe­lés à nous diri­ger. Elle parait en effet sur le point de faire de ce doigt un obs­tacle majeur dans la course à l’Élysée, lors même qu’elle bron­cha à peine face aux condam­na­tions pour inci­ta­tion à la haine raciale, aux sor­ties sexistes et aux accu­sa­tions d’agressions sexuelles.
Certes, mon espoir est déçu, mais mon cœur est récon­for­té. Si M. Zem­mour n’est pas digne d’être l’homme pro­vi­den­tiel de la France, il s’en trou­ve­ra un autre pour reprendre le flam­beau, fer­me­ment, le petit doigt levé.

Anathème


Auteur

Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s'est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd'hui le regard lucide d'un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes. Son expérience du pouvoir l'incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d'ordre dans ce monde qui va à vau-l'eau.