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21 juillet, le Bal au pied

Blog - e-Mois - Belgique (België) Indépendance (Onafhankelijkheid) Pays-Bas (Nederland) par Delagrange

juillet 2017

Ce 21 juillet 2017 ne déro­ge­ra pas à la règle. Les Belges qui ne seront pas par­tis en vacances à Beni­dorm ou à Ibi­za par­ti­ci­pe­ront aux moments « forts » de leur Fête natio­nale ou les subi­ront : dis­cours œcu­mé­nique du roi (sous remote control gou­ver­ne­men­tal), défi­lé mili­taire approxi­ma­ti­ve­ment mar­tial, bal bon enfant dans le parc Royal (ou de la Warande) […]

e-Mois

Ce 21 juillet 2017 ne déro­ge­ra pas à la règle. Les Belges qui ne seront pas par­tis en vacances à Beni­dorm ou à Ibi­za par­ti­ci­pe­ront aux moments « forts » de leur Fête natio­nale ou les subi­ront : dis­cours œcu­mé­nique du roi (sous remote control gou­ver­ne­men­tal), défi­lé mili­taire approxi­ma­ti­ve­ment mar­tial, bal bon enfant dans le parc Royal (ou de la Warande) et feu d’artifice. Cer­tains, par­mi les moins ensu­qués, se pare­ront de ces coli­fi­chets que le monde libre et les révo­lu­tion­naires du monde entier nous envient : la pano­plie com­plète du sup­por­teur de l’équipe natio­nale de balle au pied.

Se tirer une balle dans le pied… Géné­ra­le­ment, les fêtes natio­nales célèbrent des évè­ne­ments majeurs, héroïques et sur­tout col­lec­tifs : les hauts faits d’armes d’une révo­lu­tion, les moments forts d’une lutte d’émancipation natio­nale, le jour où un régime hon­ni a été ren­ver­sé ou contraint de prendre les jambes à son cou, la prise d’une Bas­tille à la fran­çaise, la des­truc­tion d’une cathé­drale à la lié­geoise, et on en passe.

En Bel­gique, rien de tout cela. Indo­lent et brave, l’Homo Bel­gi­ca­nus célèbre, sou­vent sans le savoir, cette jour­née de juillet 1831 qui vit un prince étran­ger et de petite noblesse appo­ser sa signa­ture au bas d’un simple acte nota­rial. Un « India­na Jones » à la belge, en quelque sorte.

Ce ne sont pour­tant pas les dates qui auraient man­qué pour réveiller, ne serait-ce qu’une fois l’an, la fer­veur patrio­tique et la nos­tal­gie d’une « nation belge » chaque jour plus improbable.

Le 25 août ? Trop bobo. Ce jour de 1830, des groupes d’hipsters sortent du Théâtre de la Mon­naie pour s’égailler dans les rues de Bruxelles, se répandre en slo­gans anti-hol­lan­dais et, par­fois, faire le coup de poing avec la maré­chaus­sée ou mettre à sac les locaux de jour­naux orangistes.

Le 27 sep­tembre ? Trop révo­lu­tion­naire et trop « peuple ». Entrées dans Bruxelles le 23 sep­tembre 1830, les troupes « bel­giques » ou « néer­lan­daises » offi­cielles1 (c’est-à-dire com­po­sées de sol­dats hol­lan­dais mais aus­si fla­mands et wal­lons) en sont expul­sées par des milices bour­geoises et popu­laires dans la nuit du 26 au 27 après de vio­lents com­bats sur l’actuelle place des Bar­ri­cades. Et puis, depuis 1975, cette date est celle de la Fête de la Com­mu­nau­té fran­çaise de Bel­gique, par­don, de la Fédé­ra­tion Wallonie-Bruxelles.

Le 29 sep­tembre ? Trop hol­lan­dais. Ce jour de 1830, nous sommes cinq semaines après la crise de nerfs des bobos bruxel­lois. Dès lors, le 29 sep­tembre 1830, les États-Géné­raux du Royaume des Bel­giques2 (Par­le­ment des Pays-Bas), réunis à La Haye, décrètent (à une courte majo­ri­té « hol­lan­daise ») avec sou­la­ge­ment la sépa­ra­tion admi­nis­tra­tive d’avec des Pays-Bas méri­dio­naux qu’ils n’ont jamais vrai­ment digé­rés, au propre comme au figu­ré. Une façon pour l’aristocratie et la bour­geoi­sie mar­chande « hol­lan­daises » de faire un pied de nez au roi Guillaume en se débar­ras­sant du Sud catho­lique et libéral.

Le 4 octobre ? Trop mar­tial. Ce jour de 1830, cinq jours après le mot d’adieu poli­ment adres­sé par les élus « hol­lan­dais », le gou­ver­ne­ment pro­vi­soire pro­nonce la Décla­ra­tion d’indépendance des pro­vinces belges : « Les Pro­vinces de la Bel­gique, vio­lem­ment [mon Dieu…] déta­chées de la Hol­lande, consti­tuent un État indépendant ».

Le 18 novembre ? Trop « entre-soi ». Ce jour de 1830, le Congrès natio­nal, Par­le­ment élu par un corps élec­to­ral res­treint, mâle, cen­si­taire et majo­ri­tai­re­ment fran­co­phone (de Flandre et de Wal­lo­nie), pro­nonce, « au nom de la nation », la Décla­ra­tion d’indépendance du peuple belge.

Non, rien de tout cela. Le 22 novembre 1830, l’Assemblée consti­tuante a déci­dé que le régime du nou­vel État serait la monar­chie consti­tu­tion­nelle. Au grand dam des milieux répu­bli­cains, dont l’une des figures les plus mar­quantes, le Bru­geois Louis de Pot­ter, fon­da­teur du jour­nal répu­bli­cain et donc anti-oran­giste Le Cour­rier des Pays-Bas, pré­fé­re­ra démis­sion­ner de l’Assemblée et se reti­rer de la vie poli­tique, lui qui a lar­ge­ment payé de sa per­sonne durant la révo­lu­tion de 1830.

Fina­le­ment, la Bel­gique indé­pen­dante choi­si­ra comme fête natio­nale le 21 juillet. Ce jour de 1831, où un prince alle­mand, Leo­pold Georg Chris­tian Frie­drich von Sach­sen-Coburg und Gotha, a prê­té ser­ment comme Roi des Belges, non sans quelques hési­ta­tions préa­lables. On peut le com­prendre. Nous ne sommes jamais que quelques semaines après que des troupes hol­lan­daises recru­tées par le seul Guillaume d’Orange (contre l’avis de son Par­le­ment)3, aient failli recon­qué­rir les pro­vinces sudistes, avant d’être contraintes de se retran­cher dans le Fort d’Anvers et d’y capi­tu­ler sous la pres­sion de troupes… françaises.

Dans la chan­son de geste offi­cielle du royaume de Bel­gique, il est de bon ton de sou­li­gner que, en pré­fé­rant le titre de Roi des Belges à celui de Roi de Bel­gique, le nou­vel État a vou­lu sym­bo­li­ser l’union entre le sou­ve­rain et son bon peuple. La réa­li­té est pour­tant plus pro­saïque, pour ne pas dire piteuse. À une époque où les fonc­tions nobi­liaires et monar­chiques se décli­naient encore en latin, le titre de Roi de Bel­gique était déjà pris. Celui qui le déte­nait n’était autre que Guillaume d’Orange, roi des Pays-Bas. Ces « Grands-Pays-Bas » qui cor­res­pondent gros­so modo au Bene­lux actuel et qui, depuis la Renais­sance jusqu’à nos jours, sont dénom­més Bel­gium en latin.

Leo­pold von Sach­sen-Coburg und Gotha et ses suc­ces­seurs ont donc dû se conten­ter d’un titre de Rex Bel­ga­rum moins ron­flant. Et la Bel­gique indé­pen­dante opter pour la déno­mi­na­tion latine de Bel­gi­ca, un nom par lequel le latin ren­voie tra­di­tion­nel­le­ment à la catho­li­ci­té des anciens Pays-Bas méridionaux.

Bref, ce 21 juillet 2017, les Belges res­tés au pays célè­bre­ront un acte nota­rial cou­lant dans le marbre le carac­tère monar­chique et catho­lique de notre Bel­gi­ca Felix. Répu­bli­cains, que vous soyez par­le­men­ta­ristes ou pré­si­den­tia­listes, wal­lons ou fla­mands, pas­sez votre che­min. Mieux, pre­nez la route ou la voie des airs.

  1. À l’époque, en fran­çais, contrai­re­ment au néer­lan­dais et à l’allemand, il n’existe pas de qua­li­fi­ca­tif pour dire « des Pays-Bas » (dans leur accep­tion his­to­rique). De la Renais­sance jusqu’au milieu du XIXe siècle, « bel­gique » était l’adjectif dési­gnant les habi­tants et tout ce qui se rap­por­tait aux « Grands-Pays-Bas » (Bene­lux actuel). Ain­si, en 1790, un pre­mier État belge indé­pen­dant et éphé­mère prend le nom néer­lan­dais de « Vere­nigde Neder­landse Sta­ten » et fran­çais des « États-Bel­giques-Unis ». Enfin, sous le régime oran­giste, le néer­lan­dais (dans ses variantes hol­lan­daise et bra­ban­çonne) est offi­ciel­le­ment appe­lé en fran­çais « langue bel­gique », la lin­gua Bel­gi­ca des lati­nistes de la Renaissance.
  2. En fran­çais, le Royaume «-Uni » des Pays-Bas était offi­ciel­le­ment appe­lé « Royaume des Bel­giques », même si cela n’entra jamais vrai­ment dans l’usage diplomatique.
  3. Depuis les « jour­nées de sep­tembre » 1830, l’armée offi­cielle « bel­gique » ou « néer­lan­daise » s’est dis­lo­quée. Les sol­dats fla­mands et wal­lons ont déser­té et la plu­part des sol­dats « hol­lan­dais » répugne à ris­quer sa vie pour un Royaume des Bel­giques auquel ils ne se sont jamais identifiés.

Delagrange


Auteur

Pierre Delagrange est historien, politologue et traducteur néerlandais-français et afrikaans-français. Spécialiste de l'Histoire politique et sociale des {Pays-Bas/Belgiques} (Benelux actuel), il travaille particulièrement sur la {Question belge} et les dynamiques identitaires et politiques flamandes, wallonnes et bruxelloises.