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Birmanie. Une transition sous contrôle

Numéro 07/8 Juillet-Août 2012 - Asie par Aurélie Leroy

juillet 2012

Cin­quante ans de dic­ta­ture mili­taire, vingt ans de sanc­tions éco­no­miques. La Bir­ma­nie compte par­mi les socié­tés les plus répres­sives et les plus fer­mées au monde. Et pour­tant, depuis peu, les diri­geants bir­mans semblent des­ser­rer gra­duel­le­ment le huis clos qu’ils impo­saient à leur popu­la­tion et redou­bler d’efforts pour s’acheter une conduite. Les réformes du gou­ver­ne­ment Thein Sein […]

Cin­quante ans de dic­ta­ture mili­taire, vingt ans de sanc­tions éco­no­miques. La Bir­ma­nie compte par­mi les socié­tés les plus répres­sives et les plus fer­mées au monde. Et pour­tant, depuis peu, les diri­geants bir­mans semblent des­ser­rer gra­duel­le­ment le huis clos qu’ils impo­saient à leur popu­la­tion et redou­bler d’efforts pour s’acheter une conduite.

Les réformes du gou­ver­ne­ment Thein Sein frappent, au pre­mier coup d’œil, par leur sem­blant de radi­ca­li­té. L’ouverture actuelle tranche avec les habi­tudes d’une junte au pou­voir depuis 1962, renou­ve­lée en 1988 après un coup d’État qui s’est tra­duit par une poli­ti­sa­tion accrue des mili­taires et l’aggravation du cli­mat répres­sif. Répres­sion san­glante de la « révo­lu­tion de safran » hier, conver­sion démo­cra­tique aujourd’hui. Les auto­ri­tés bir­manes auraient-elles fait table rase du passé ?

Avancées et limites du processus de transition

Les lignes bougent, mais les struc­tures de domi­na­tion per­sistent. Mal­gré l’autodissolution de la junte et la confi­gu­ra­tion désor­mais plus « civile » des ins­ti­tu­tions (pré­si­dence de l’Union, gou­ver­ne­ment et Par­le­ment élu), l’influence de l’armée reste pri­mor­diale à ces trois niveaux de pou­voir, et les marges de manœuvre de l’opposition demeurent res­treintes1. La période de tran­si­tion en cours n’est pas abou­tie et doit se pour­suivre. Les élec­tions légis­la­tives de 2015 où 75% des sièges seront remis en jeu et l’éventuelle révi­sion de la Consti­tu­tion qui confère des pou­voirs éten­dus à l’armée seront les pro­chains ren­dez-vous cru­ciaux que la Bir­ma­nie pour­rait avoir avec la démocratie.

Outre leur carac­tère inache­vé, les réformes n’ont rien d’irréversible, comme l’a rap­pe­lé Aung San Suu Kyi. Les dés­illu­sions démo­cra­tiques pas­sées — confis­ca­tion de la vic­toire élec­to­rale de la Ligue natio­nale pour la démo­cra­tie en 1990, répres­sion des sou­lè­ve­ments pro-démo­cra­tiques de 1988 et 2007 — invitent dou­ble­ment à la pru­dence. Tout d’abord, en rai­son de la crainte d’une volte-face poli­tique qui se tra­dui­rait par le retour des tenants de la ligne dure avec les­quels le pré­sident réfor­miste Thein Sein doit com­po­ser. Ensuite, à cause du risque d’un agen­da caché dont le but non avouable par les mili­taires serait d’évoluer pour mieux se maintenir.

Les diri­geants occi­den­taux ont sou­pe­sé ces risques poten­tiels et choi­si de sou­te­nir, à l’image d’une cer­taine oppo­si­tion bir­mane, le nou­veau lea­deur­ship réfor­ma­teur. La sus­pen­sion par­tielle et pour un an des sanc­tions euro­péennes témoigne de la pos­ture opti­miste, mais pru­dente adoptée.

Pourquoi maintenant ?

La sin­gu­la­ri­té et la cré­di­bi­li­té du pro­ces­sus de tran­si­tion actuel sont liées à l’absolue néces­si­té de chan­ge­ment pour le pays, en rai­son de motifs inté­rieurs et exté­rieurs. C’est donc plus par prag­ma­tisme que par convic­tion que les tenants du pou­voir ont signi­fié leur volon­té d’évoluer.

Sur le plan domes­tique d’abord, plu­sieurs décen­nies d’isolement et de mau­vaise ges­tion de la junte mili­taire ont mis l’économie bir­mane au tapis. Le pays est clas­sé par­mi les der­niers en matière de déve­lop­pe­ment humain, les inves­tis­se­ments dans l’éducation et la san­té res­tent déri­soires au regard des dépenses mili­taires, l’agriculture néces­site une réforme urgente. La Bir­ma­nie est minée par les divi­sions eth­niques et par une classe oli­gar­chique corrompue.

Le contexte éco­no­mique désas­treux et le cli­mat social poten­tiel­le­ment explo­sif ont pous­sé les gou­ver­nants à enga­ger des réformes socioé­co­no­miques et à négo­cier avec les dif­fé­rentes oppo­si­tions. Depuis les élec­tions de 2010, le jeu par­le­men­taire a ain­si été plus ouvert et l’opposition poli­tique a été auto­ri­sée à jouer davan­tage son rôle de poil à grat­ter, la socié­té civile émer­gente est deve­nue « plus auda­cieuse et reven­di­ca­tive2 » et davan­tage consul­tée, Aung San Suu Kyi et des cen­taines de pri­son­niers poli­tiques ont été libé­rés et la Ligue natio­nale démo­cra­tique s’est pré­sen­tée avec suc­cès au scru­tin par­tiel d’avril 2012. Enfin, un pro­ces­sus de récon­ci­lia­tion natio­nale a été entre­pris avec les groupes eth­niques rebelles.

La situa­tion inte­nable de la Bir­ma­nie sur le plan exté­rieur a éga­le­ment pous­sé les diri­geants au rebond. Mis au ban de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, le pays avait dû, pour sur­vivre, déve­lop­per une « rela­tion d’intérêt et de néces­si­té3 » avec son puis­sant voi­sin. Au fil des années, la tutelle éco­no­mique chi­noise a tou­te­fois sus­ci­té un pro­fond res­sen­ti­ment au sein de la popu­la­tion et de l’élite mili­taire, et réveillé des sen­ti­ments natio­na­listes, voire xéno­phobes, face à la menace d’«absorption » chi­noise. Pour des­ser­rer cette étreinte et influer sur la poli­tique des sanc­tions, Nay­pyi­daw a alors lan­cé une offen­sive de séduc­tion diplo­ma­tique à l’adresse des puis­sances occi­den­tales, de ses voi­sins immé­diats et des pays de l’Asean en prô­nant des réformes atten­dues. La libé­ra­tion d’Aung San Suu Kyi, icône et sym­bole de la lutte pour la démo­cra­tie, consti­tue le prin­ci­pal coup gagnant de diri­geants en recherche de légitimité.

Une conver­gence de vue s’est aus­si des­si­née entre l’Occident et la Bir­ma­nie pour contre­ba­lan­cer l’influence chi­noise. En décla­rant la sus­pen­sion du pro­jet de bar­rage Myit­sone sur le fleuve Irra­wad­dy dans l’État Kachin, dans lequel la Chine s’apprêtait à inves­tir 3,6 mil­liards de dol­lars, le pré­sident Thein Sein a fait d’une pierre deux coups mal­gré le mécon­ten­te­ment de Pékin. Il s’est atti­ré les bonnes grâces des diri­geants amé­ri­cains et celles de son oppo­si­tion inté­rieure lar­ge­ment mobi­li­sée contre ce projet.

La prise en compte des reven­di­ca­tions poli­tiques et des aspi­ra­tions socioé­co­no­miques de la popu­la­tion est appa­rue éga­le­ment dans les efforts de récon­ci­lia­tion natio­nale avec les mino­ri­tés eth­niques. Le pour­ris­se­ment de la situa­tion qui a pré­do­mi­né jusqu’ici — déni des droits humains, poli­tique de dis­cri­mi­na­tion sys­té­ma­tique — consti­tue à pré­sent une épine dans le pied des diri­geants réfor­mistes qui doit être extraite pour espé­rer une levée défi­ni­tive des sanctions.

Nul ne sait vers quel ave­nir se dirige la Bir­ma­nie. La conver­gence d’intérêts actuelle entre gou­ver­nants, gou­ver­nés et com­mu­nau­té inter­na­tio­nale en faveur d’une ouver­ture, rend pos­sible l’idée de démo­cra­ti­sa­tion. La mai­trise du pro­ces­sus en cours reste tou­te­fois pour l’essentiel aux mains des nou­veaux diri­geants civils issus de l’armée, mais aus­si de la vieille garde « retrai­tée » et d’oligarques mafieux dont les pré­oc­cu­pa­tions ne sont pas iden­tiques. La tran­si­tion d’un pou­voir mili­taire vers une auto­ri­té civile et le pro­bable « com­bat des chefs » à l’œuvre au sein de l’institution mili­taire ont créé des ten­sions que le pays devra obli­ga­toi­re­ment sur­mon­ter pour sor­tir de l’impasse dans laquelle il se trouve coin­cé depuis plu­sieurs décennies.

  1. L’opposition ne détient actuel­le­ment que 42 des 659 sièges du Parlement.
  2. Egre­teau R., Tour­nier A. (2012), « Bir­ma­nie : Pré­mices d’une tran­si­tion annon­cée » dans Jammes J., de Tré­glo­dé B. (dir.), Asie du Sud-Est 2012, p. 91 – 111, Les Indes savantes-Irasec.
  3. Le Bail H., Tour­nier A. (2010), De kun­ming à Man­da­lay : la nou­velle route de Bir­ma­nie, mars, IFRI.

Aurélie Leroy


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