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BHV, « faux problème » ?

Numéro 05/6 Mai-Juin 2010 par Pascal Fenaux

mai 2010

Face aux enjeux éco­no­miques et sociaux aux­quels doit faire face la Bel­gique à l’instar de la plu­part des États euro­péens, BHV est-il ce « faux pro­blème » ou ce « pro­blème futile » que dénoncent de nom­breux res­pon­sables poli­tiques de Bel­gique fran­co­phone ? Si c’est le cas, com­ment pareille « futi­li­té » a‑t‑elle pu alors empoi­son­ner la vie poli­tique belge au point de […]

Le Mois

Face aux enjeux éco­no­miques et sociaux aux­quels doit faire face la Bel­gique à l’instar de la plu­part des États euro­péens, BHV est-il ce « faux pro­blème » ou ce « pro­blème futile » que dénoncent de nom­breux res­pon­sables poli­tiques de Bel­gique fran­co­phone ? Si c’est le cas, com­ment pareille « futi­li­té » a‑t-elle pu alors empoi­son­ner la vie poli­tique belge au point de mettre au tapis quatre gou­ver­ne­ments en moins de trois ans ? His­to­ri­que­ment, BHV a tou­jours été un « vrai pro­blème » et, aujourd’hui, ce pro­blème s’est aggra­vé en des termes dif­fé­rents de ceux pro­po­sés par les mondes poli­tiques fran­co­phone et fla­mand à leurs élec­to­rats respectifs.

Face aux défis que ne man­que­ra pas de poser à la Wal­lo­nie et à la Région de Bruxelles-Capi­tale la vaste réforme de l’État fédé­ral reven­di­quée par l’ensemble des par­tis démo­cra­tiques fla­mands, com­ment ne pas res­ter inter­dit devant l’énergie gas­pillée par les trois par­tis fran­co­phones du gou­ver­ne­ment sor­tant pour, trois ans durant, mul­ti­plier les manœuvres d’obstruction face à ce qu’ils répètent sans cesse être un « faux problème » ?

Dans le même temps, sou­vent relayés par des médias audio­vi­suels qui débordent d’imagination pour pro­po­ser à leurs « consom­ma­teurs » les scé­na­rios les plus cau­che­mar­desques ou néo­bel­gi­cains, les res­pon­sables poli­tiques fran­co­phones déclarent plus sou­vent qu’à leur tour que la scis­sion de BHV, ce « faux pro­blème », ne serait rien d’autre qu’un pas de plus fran­chi vers la scis­sion pure et simple de la Bel­gique, l’indépendance de la Flandre, l’étranglement de Bruxelles et l’effondrement de la Wal­lo­nie. Rien de moins.

Mais quelle Bel­gique de si nom­breux res­pon­sables poli­tiques et organes de presse fran­co­phones offrent-ils à com­prendre à leur opi­nion publique ? Ou, pour le dire autre­ment, dans quelle Bel­gique font-ils vivre les Belges fran­co­phones ? Certes, l’échafaudage ins­ti­tu­tion­nel de la Bel­gique fédé­rale n’est guère des plus lisibles, mais est-ce une rai­son pour taire la réa­li­té poli­tique et ins­ti­tu­tion­nelle actuelle ? Com­bien de Belges fran­co­phones ont-ils com­pris que BHV avait été scin­dé il y a déjà… qua­rante-sept ans ?

La scission a eu lieu il y a quarante-sept ans

Le 31 octobre 1962, après une décen­nie de ten­sions au sein des trois grands par­tis tra­di­tion­nels uni­taires belges, le Par­le­ment1 déci­da de « cli­cher » la fron­tière lin­guis­tique sépa­rant les arron­dis­se­ments admi­nis­tra­tifs fran­co­phones et néer­lan­do­phones, d’une part, et celle sépa­rant, dans l’arrondissement de Ver­viers, les huit can­tons fran­co­phones et les deux can­tons ger­ma­no­phones d’Eupen et Saint-Vith. De même, cette loi éri­geait les limites infor­melles de l’agglomération bilingue bruxel­loise au rang de fron­tière lin­guis­tique. Le 2 aout 1963, les quatre régions lin­guis­tiques (néer­lan­daise, fran­çaise, alle­mande et bruxel­loise bilingue) ain­si déli­mi­tées défi­ni­ti­ve­ment furent consa­crées par l’adoption de la loi sur l’emploi des langues dans l’administration. Enfin, le 24 décembre 1970, les régions lin­guis­tiques furent ins­crites dans la Consti­tu­tion, cette der­nière sti­pu­lant que leurs limites « ne peuvent être chan­gées ou rec­ti­fiées que par une loi adop­tée à la majo­ri­té des suf­frages dans chaque groupe lin­guis­tique de cha­cune des Chambres ».

Jusqu’en aout 1963, l’agglomération bruxel­loise (offi­ciel­le­ment bilingue, mais admi­nis­trée en fran­çais au niveau com­mu­nal) fai­sait par­tie de l’arrondissement de Bruxelles, un arron­dis­se­ment admi­nis­tra­tif plus vaste qui englo­bait sa péri­phé­rie rurale bra­ban­çonne fla­mande. La loi du 2 aout 1963 sur l’emploi des langues eut pour consé­quence de scin­der l’arrondissement de Bruxelles en deux nou­veaux arron­dis­se­ments admi­nis­tra­tifs déli­mi­tés sur la base de la fron­tière lin­guis­tique : l’agglomération bilingue des dix-neuf com­munes bruxel­loises devint l’arrondissement bilingue de Bruxelles-Capi­tale et sa péri­phé­rie fla­mande devint l’arrondissement uni­lingue néer­lan­dais de Hal-Vil­vorde2. Depuis 1963, le carac­tère poli­tique fon­da­men­tal de la fron­tière lin­guis­tique a été sans cesse confir­mé dès lors que c’est son tra­cé qui déli­mite le ter­ri­toire des trois Régions fédé­rées ain­si que les ter­ri­toires sur les­quels cha­cune des trois Com­mu­nau­tés cultu­relles exerce ses compétences.

En résu­mé, depuis 1963, les déli­cats com­pro­mis belges s’appuient tous sur l’intangibilité d’une fron­tière lin­guis­tique qui, en outre, est à l’origine de la scis­sion de l’ancien arron­dis­se­ment de Bruxelles, il y a qua­rante-sept ans. Autre­ment dit, les Bruxel­lois fran­co­phones et étran­gers qui s’installent en péri­phé­rie sont cen­sés savoir que, depuis 1963, ce ter­ri­toire est consti­tu­tion­nel­le­ment et défi­ni­ti­ve­ment admi­nis­tré en néer­lan­dais, tan­dis que, depuis 1980, il est tout aus­si consti­tu­tion­nel­le­ment et défi­ni­ti­ve­ment admi­nis­tré par une enti­té poli­tique fédé­rée : la Flandre.

L’anachronisme de l’arrondissement électoral birégional

La len­teur impres­sion­nante avec laquelle une majo­ri­té de fran­co­phones (et par­ti­cu­liè­re­ment ceux s’installant en péri­phé­rie fla­mande) ont inté­gré les fon­de­ments ter­ri­to­riaux et lin­guis­tiques du com­pro­mis belge s’explique par le fait que la loi du 2 aout 1963 n’est pas allée au bout de sa logique. Le légis­la­teur a main­te­nu l’arrondissement de Bruxelles pour les matières judi­ciaires, tan­dis que, pour l’organisation des élec­tions légis­la­tives et euro­péennes3, l’arrondissement n’a pas davan­tage été scin­dé, mais a sim­ple­ment été rebap­ti­sé Bruxelles-Hal-Vil­vorde, ce qui a per­mis aux par­tis fran­co­phones de recueillir les voix d’électeurs qui, s’il y avait eu scis­sion, auraient dû choi­sir entre voter pour des listes fla­mandes ou pour des par­tis reven­di­ca­tifs fran­co­phones (voir plus bas).

Qua­li­fier la reven­di­ca­tion fla­mande de scis­sion des arron­dis­se­ments judi­ciaire et élec­to­ral de BHV (reven­di­ca­tion expri­mée depuis un demi-siècle) de « faux pro­blème » est un affront à la réa­li­té his­to­rique et poli­tique de ce pays, ain­si qu’à la classe poli­tique fla­mande dans son ensemble. Pour le monde poli­tique fla­mand, BHV ne sera jamais un « faux pro­blème », mais le sym­bole et le reli­quat d’une époque où la capi­tale belge, bien que située en « pays fla­mand », fut pen­dant cent-trente ans admi­nis­trée presque exclu­si­ve­ment en fran­çais, tan­dis que les admi­nis­tra­tions com­mu­nales, majo­ri­tai­re­ment fran­co­phones, rechi­gnaient à orga­ni­ser un ensei­gne­ment en néer­lan­dais à des­ti­na­tion de locu­teurs fla­mands qui, jusqu’à la Pre­mière Guerre mon­diale, consti­tuaient encore la moi­tié de la popu­la­tion de l’actuelle agglo­mé­ra­tion bruxel­loise. L’émigration (en pro­ve­nance des pro­vinces fla­mandes et wal­lonnes) et l’urbanisation des fau­bourgs de Bruxelles se dérou­lant essen­tiel­le­ment en fran­çais, l’agglomération bruxel­loise bilingue créée en 1910 a conti­nué de s’étendre au sein de l’arrondissement de Bruxelles.

Chassés-croisés démographiques et linguistiques

Après l’adjonction en 1954 de trois der­niers fau­bourgs fran­ci­sés (Ber­chem-Sainte-Agathe, Evere et Gan­sho­ren), la majo­ri­té poli­tique fla­mande de Bel­gique, effrayée par l’extension conti­nue de la « tache d’huile » fran­co­phone, a obte­nu en 1962 – 1963 de la mino­ri­té belge fran­co­phone le « cli­chage » de la fron­tière lin­guis­tique, la scis­sion de l’arrondissement admi­nis­tra­tif de Bruxelles, l’imposition de lois lin­guis­tiques plus contrai­gnantes en région bruxel­loise et le finan­ce­ment d’un réseau sco­laire néer­lan­dais dans cha­cune des dix-neuf com­munes du nou­vel arron­dis­se­ment bilingue de Bruxelles-Capi­tale. Seule­ment, si l’effondrement du néer­lan­dais s’est ralen­ti en chiffres bruts en région bruxel­loise, il n’en a rien été en termes relatifs.

En cause les éton­nants chas­sés-croi­sés démogra­phiques et lin­guis­tiques dont Bruxelles et sa péri­phé­rie sont deve­nus le théâtre. D’une part, à par­tir de la seconde moi­tié des années sep­tante, de plus en plus de Bruxel­lois (majo­ri­tai­re­ment fran­co­phones) ont quit­té les quar­tiers de vieille urba­ni­sa­tion pour s’installer dans la péri­phé­rie verte, c’est-à-dire en Flandre. D’autre part, loin de relâ­cher la pres­sion « fran­ci­sa­trice » sur Bruxelles-Capi­tale, cette émi­gra­tion fran­co­phone a été com­pen­sée par l’immigration constante et mas­sive de rési­dents non belges. Héri­tant d’un siècle et demi de fran­ci­sa­tion de la vie publique et peu tou­chés par un réseau sco­laire néer­lan­do­phone consti­tu­ti­ve­ment et ini­tia­le­ment défen­sif, ces nou­veaux Bruxel­lois (majo­ri­tai­re­ment ori­gi­naires du Magh­reb, de Tur­quie et d’Afrique sub­sa­ha­rienne) ont adop­té le fran­çais comme lin­gua fran­ca.

Aujourd’hui, en chiffres bruts, s’il y a moins de Belges de culture fla­mande à Bruxelles-Capi­tale qu’en 1963, année du « cli­chage » de la fron­tière lin­guis­tique, il s’y trouve éga­le­ment moins de Belges fran­co­phones. En 2008, Bruxelles est habi­tée par 63% de Belges fran­co­phones, 9% de Belges néer­lan­do­phones et 28% de res­sor­tis­sants étran­gers tan­dis que, sur le plan de la pra­tique lin­guis­tique quo­ti­dienne, 27% de la popu­la­tion bruxel­loise sont des allo­phones, c’est-à-dire que, dans le domaine pri­vé, ils pra­tiquent soit une diglos­sie fran­çais-langue étran­gère, soit uni­que­ment une langue étran­gère4. Simul­ta­né­ment, entre 1980 et 2008, l’émigration conti­nue en pro­ve­nance de Bruxelles-Capi­tale vers sa péri­phé­rie fla­mande (l’arrondissement de Hal-Vil­vorde) a eu pour effet d’y faire pas­ser le nombre de Belges fran­co­phones de 79.000 (15%) à 111.000 (19%) et de res­sor­tis­sants étran­gers de 21.000 (4%) à 46.000 (8%), tan­dis que, sans dimi­nuer en termes bruts, la pro­por­tion de Belges néer­lan­do­phones y est tom­bée de 81% à 73%5.

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Un enjeu francophone plus électoraliste que démocratique

BHV, un « faux pro­blème » ? Les res­pon­sables poli­tiques fran­co­phones com­prennent-ils réel­le­ment ce que repré­sente pour le monde poli­tique fla­mand la non-scis­sion de l’arrondissement élec­to­ral de BHV ? Cette ano­ma­lie poli­tique (à l’aune de l’évolution ins­ti­tu­tion­nelle de la Bel­gique) per­met aux par­tis fran­co­phones natio­naux de jouer avec la masse cri­tique de Bruxelles-Capi­tale pour, par exemple, recueillir en moyenne 30% des voix dans le can­ton de Hal et 39% des voix dans le can­ton de Zaven­tem6 lors des élec­tions natio­nales, alors que ces par­tis n’ont pra­ti­que­ment aucune res­pon­sa­bi­li­té locale et régio­nale à y assu­mer. Une autre consé­quence désas­treuse, d’un point de vue stric­te­ment démo­cra­tique, est que les élus néer­lan­do­phones de Hal-Vil­vorde ne repré­sentent de fac­to pas leurs conci­toyens francophones.

Ce que semblent par contre par­fai­te­ment com­prendre cer­tains par­tis fran­co­phones, c’est l’importance d’un élec­to­rat pres­sen­ti de plus ou moins 76.000 élec­teurs, des élec­teurs envers les­quels ils n’ont en pra­tique que peu de comptes à rendre, mais qui gardent une valeur indu­bi­table dans la consti­tu­tion de majo­ri­tés dans le col­lège élec­to­ral fran­çais sur le plan natio­nal. Le voi­là le « vrai pro­blème » pour les états-majors fran­co­phones. Rare­ment rele­vé dans les médias fran­co­phones, cet enjeu davan­tage élec­to­ra­liste que démo­cra­tique est-il vrai­ment à la hau­teur du défi que posent à la Wal­lo­nie et à Bruxelles-Capi­tale la pro­chaine réforme de l’État fédé­ral et le nou­veau trans­fert de com­pé­tences stra­té­giques vers les enti­tés fédérées ?

Voir les par­tis fran­co­phones gas­piller leur éner­gie depuis trois ans sur BHV est d’autant plus décon­cer­tant que l’expérience indique que la scis­sion (ins­crite dans les astres depuis qua­rante-sept ans) de cet arron­dis­se­ment élec­to­ral biré­gio­nal ne serait pas for­cé­ment vécue comme une tra­gé­die par l’électorat fran­co­phone de Hal-Vil­vorde. D’une part, un déni démo­cra­tique est d’autant plus impro­bable que les fran­co­phones de Hal-Vil­vorde, citoyens belges dis­po­sant du droit de vote, seront tou­jours libres de pré­sen­ter des listes sépa­rées et de voter pour des can­di­dats fran­co­phones. D’autre part, lors des élec­tions régio­nales du 7 mai 2009 orga­ni­sées sur la base des deux arron­dis­se­ments dis­tincts de Bruxelles-Capi­tale (pour le Par­le­ment bruxel­lois) et de Hal-Vil­vorde (pour le Par­le­ment fla­mand), seule­ment 58% d’électeurs fran­co­phones de ce der­nier arron­dis­se­ment ont voté pour une liste fran­co­phone, en l’occurrence une Union fran­co­phone (UF) à forte colo­ra­tion FDF, ce qui signi­fie que, pla­cés devant la réa­li­té poli­tique d’une Bel­gique régio­na­li­sée, 42% des élec­teurs fran­co­phones de Hal-Vil­vorde ont voté pour des listes fla­mandes clas­siques7.

Les véritables enjeux de Bruxelles et de sa périphérie

Bruxelles-Hal-Vil­vorde est un « vrai pro­blème ». Mais, embar­qués res­pec­ti­ve­ment dans un pro­ces­sus de radi­ca­li­sa­tion auto­no­miste et de repli néo­bel­gi­cain, les res­pon­sables poli­tiques fla­mands et fran­co­phones se sont enga­gés dans des stra­té­gies qui ne sont pas à la hau­teur des enjeux réels que sont l’expansion ter­ri­to­riale « natu­relle » de la région urbaine de Bruxelles vers le Bra­bant fla­mand et le Bra­bant wal­lon8. Le bilin­guisme très approxi­ma­tif d’une majo­ri­té écra­sante d’autochtones fran­co­phones et la crois­sance démo­gra­phique (tant à Bruxelles qu’en péri­phé­rie) d’une popu­la­tion immi­grée « bruxel­lo-cen­trée » de plus de 300.000 âmes qui a le fran­çais pour lin­gua fran­ca, repré­sente plus du quart de la popu­la­tion de la capi­tale (et un cin­quième de la popu­la­tion de BHV), mais est lar­ge­ment décon­nec­tée d’un mar­ché de l’emploi qui exige la connais­sance et la pra­tique du néer­lan­dais, tan­dis qu’elle ne par­ti­cipe pas au débat élec­to­ral et au conflit communautaire.

Face à ces enjeux, fran­co­phones et Fla­mands se sont enfer­més dans des stra­té­gies pour le moins déca­lées. Les pre­miers ont adop­té une pos­ture stric­te­ment ter­ri­to­ria­liste en reven­di­quant, ora­le­ment, un impro­bable élar­gis­se­ment de la Région bilingue de Bruxelles-Capi­tale, mais à un usage stric­te­ment et objec­ti­ve­ment fran­co­phone, tan­dis que les seconds s’accrochent, ora­le­ment et tech­ni­que­ment, à des pra­tiques stric­te­ment et objec­ti­ve­ment défen­sives et exclu­sives, comme en témoignent le détour­ne­ment des décrets règle­men­tant l’accès au loge­ment social et de pra­tiques dis­cri­mi­na­trices et offi­cieuses dans le domaine de l’accès au loge­ment pri­vé9.

Dans un monde idéal, on se pren­drait à rêver avec le poli­to­logue fla­mand Dave Sinar­det qui, le 19 avril, adres­sait une lettre ouverte au « démi­neur » Jean-Luc Dehaene, avant que ce der­nier ne renonce fina­le­ment à sa mis­sion et que le pays ne s’engage dans une crise de régime10.

« L’organisation d’un réseau d’enseignement bilingue dans la Région bruxel­loise est une com­pé­tence non exer­cée du niveau fédé­ral. Pour­quoi ne pas le lais­ser l’exercer (cela peut se faire immé­dia­te­ment) ou trans­fé­rer cette com­pé­tence et les moyens néces­saires à la Région bruxel­loise (ce qui pren­drait un peu plus de temps)? Ain­si, vous satis­fe­riez la demande fran­co­phone d’un refi­nan­ce­ment de Bruxelles, non par un énième trans­fert de fonds sau­pou­drés vers des bas­tions com­mu­naux du PS, mais par un intel­li­gent inves­tis­se­ment sur le long terme. Ain­si, vous remé­die­riez à la pénu­rie criante d’écoles à Bruxelles et vous sou­la­ge­riez finan­ciè­re­ment à la fois les Com­mu­nau­tés fran­çaise et fla­mande, les­quelles ne peuvent ou ne veulent mani­fes­te­ment pas inves­tir dans la créa­tion de davan­tage d’écoles à Bruxelles. Ain­si, vous évi­te­riez qu’à long terme, les lois lin­guis­tiques qui régissent Bruxelles soient encore plus assou­plies, comme vous le pré­voyez déjà main­te­nant, parce que l’on ne trouve pas de per­son­nel connais­sant suf­fi­sam­ment le néer­lan­dais. Ain­si, vous répa­re­riez éga­le­ment une erreur his­to­rique du mou­ve­ment fla­mand qui, en s’accrochant à sa logique com­mu­nau­taire, a lais­sé la res­pon­sa­bi­li­té prin­ci­pale de l’enseignement du néer­lan­dais dans sa “capi­tale fla­mande” à l’enseignement fran­co­phone, lequel a mani­fes­te­ment échoué sur toute la ligne, avec comme consé­quence une fran­ci­sa­tion accrue de la ville sur le ter­rain. Mais sur­tout, ain­si, vous inves­ti­riez dans la réso­lu­tion d’un pro­blème struc­tu­rel à Bruxelles : le manque cruel de connais­sances lin­guis­tiques qui est en par­tie à l’origine d’un taux de chô­mage dra­ma­tique, lequel n’est lui-même pas tout à fait étran­ger aux pro­blèmes de coha­bi­ta­tion urbaine et d’insécurité. »

« Si cette modeste réforme vous met­tait en appé­tit, vous pour­riez dans la fou­lée ins­crire à l’article 127 de la Consti­tu­tion que le gou­ver­ne­ment fédé­ral peut déter­mi­ner les exi­gences géné­rales mini­males pour l’enseignement de l’autre langue natio­nale dans tout le pays. Ce serait la seule manière effi­cace d’éviter que des fran­co­phones venant habi­ter en péri­phé­rie ou ailleurs ne connaissent pas le néer­lan­dais. Si de nom­breux jeunes fran­co­phones réa­lisent désor­mais que la connais­sance des langues — et notam­ment du néer­lan­dais — est essen­tielle, beau­coup de leurs repré­sen­tants poli­tiques actuels sont encore coin­cés dans leur logique uni­lingue, ce en quoi ils sont encou­ra­gés par leurs col­lègues fla­mands. Cela per­met­trait aus­si d’éviter que le niveau de connais­sance du fran­çais en Flandre conti­nue à dimi­nuer comme c’est le cas depuis plu­sieurs années. En outre, en inves­tis­sant dans le bilin­guisme, les fran­co­phones pour­raient prou­ver que leurs pro­fes­sions de foi en faveur de l’État fédé­ral ne sont pas des paroles en l’air et les Fla­mands démon­trer que la cari­ca­ture sépa­ra­tiste qui est faite d’eux et dont ils ont marre est sans fondement. »

Nous ne sommes pas dans un monde idéal et la lettre ouverte de ce poli­to­logue connu tant au Nord qu’au Sud du pays (il est par­fait bilingue) n’a, cette fois, fait l’objet d’aucun com­men­taire dans les médias fran­co­phones et fla­mands. Par consé­quent, la tour­nure que semble d’ores et déjà prendre la cam­pagne élec­to­rale auto­rise un pes­si­misme non tempéré.

  1. À l’époque, la Chambre comp­tait 212 dépu­tés : 107 élus dans les arron­dis­se­ments fla­mands, 76 dans les arron­dis­se­ments wal­lons et 29 dans l’arrondissement de Bruxelles (l’actuel BHV). Le 31 octobre 1962, le « cli­chage » de la fron­tière lin­guis­tique fut voté par 130 dépu­tés (dont 93 Fla­mands), tan­dis que 56 autres (dont 45 Wal­lons) s’y opposèrent.
  2. La loi de 1963 créait éga­le­ment un petit arron­dis­se­ment dis­tinct com­po­sé de six com­munes péri­phé­riques en cours de fran­ci­sa­tion et dotées de faci­li­tés admi­nis­tra­tives pour les fran­co­phones : Crain­hem, Dro­gen­bos, Lin­ke­beek, Rhode-Saint-Genèse, Wem­mel et Wezem­beek-Oppem. Le 1er jan­vier 1971, cet arron­dis­se­ment « en l’air » (selon l’expression du socia­liste wal­lon Fred­dy Ter­wagne) fut sup­pri­mé et les six com­munes défi­ni­ti­ve­ment inté­grées à l’arrondissement uni­lingue néer­lan­dais de Hal-Vilvorde.
  3. Depuis 1993 et l’élection directe des Par­le­ments bruxel­lois et fla­mand, le double scru­tin régio­nal est orga­ni­sé fort logi­que­ment dans le cadre de deux arron­dis­se­ments élec­to­raux dis­tincts : Bruxelles-Capi­tale et Hal-Vilvorde.
  4. Rudi Jans­sens, « Taal­ge­bruik in Brus­sel en de plaats van het Neder­lands. Enkele recente bevin­din­gen », Brus­sels Stu­dies n° 13, 7 jan­vier 2008.
  5. Les pro­por­tions de Belges et d’étrangers à Bruxelles-Capi­tale et à Hal-Vil­vorde sont four­nies par l’Institut natio­nal de sta­tis­tiques (INS). Les pro­por­tions de Belges fran­co­phones et néer­lan­do­phones sont obte­nues en extra­po­lant les résul­tats bruts obte­nus par les listes natio­nales fran­co­phones et fla­mandes dans l’arrondissement élec­to­ral biré­gio­nal de BHV lors des élec­tions légis­la­tives du 10 juin 2007 et des élec­tions euro­péennes du 7 juin 2009. Ces résul­tats sont acces­sibles sur le site Inter­net du SPF Inté­rieur : http://elections2007.belgium.be/fr/index‑2.html et http://elections2009.belgium.be/fr/.
  6. Le can­ton de Hal regroupe les com­munes fla­mandes de Beer­sel (avec les sec­tions à forte mino­ri­té fran­co­phone de Beer­sel et Alsem­berg), Hal, Pepin­gen et Leeuw-Saint-Pierre (avec la sec­tion à forte mino­ri­té fran­co­phone de Ruis­broek), ain­si que les trois com­munes à faci­li­tés de Dro­gen­bos, Lin­ke­beek et Rhode-Saint-Genèse. Le can­ton de Zaven­tem regroupe les enti­tés com­mu­nales d’Hoeilaert, Ove­ri­jse, Stee­nok­ker­zeel et Zaven­tem (avec les sec­tions à forte mino­ri­té fran­co­phone de Ster­re­beek et Woluwe-Saint-Étienne), ain­si que les deux com­munes à faci­li­tés de Crain­hem et Wezembeek-Oppem.
  7. Résul­tats four­nis par le [SPF Intérieur->http://elections
    2009.belgium.be/fr/vla/results/results_start.html].
  8. L’INS défi­nit une région urbaine de Bruxelles com­po­sée d’une agglo­mé­ra­tion et d’une ban­lieue. L’agglomération englobe une large par­tie de la péri­phé­rie fla­mande et les deux com­munes wal­lonnes de Water­loo et Braine‑l’Alleud. La ban­lieue englobe l’ouest de l’arrondissement de Lou­vain (Bra­bant fla­mand), mais aus­si les com­munes bra­ban­çonnes wal­lonnes de Beau­ve­chain, Braine-le-Châ­teau, Chau­mont-Gis­toux, Enghien, Grez-Doi­ceau, Ittre, La Hulpe, Lasne, Nivelles, Otti­gnies-Lou­vain-la-Neuve, Rixen­sart, Tubize et Wavre.
  9. Dou­glas De Coninck, « De cor­recte term is broo­droof », De Mor­gen, 7 avril 2010.
  10. Dave Sinar­det, « Graag echt een vette vis », De Stan­daard, 19 avril 2010.

Pascal Fenaux


Auteur

Pascal Fenaux est membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle depuis 1992. Sociologue, il a poursuivi des études en langues orientales (arabe et hébreu). Il est spécialiste de la question israélo-palestinienne, ainsi que de la question linguistique et communautaire en Belgique. Journaliste indépendant, il est également «vigie» (veille presse, sélection et traduction) à l’hebdomadaire Courrier international (Paris) depuis 2000. Il y traite et y traduit la presse «régionale» juive (hébréophone et anglophone) et arabe (anglophone), ainsi que la presse «hors-zone» (anglophone, yiddishophone, néerlandophone et afrikaansophone).