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Belgique, terre d’écueils
Les mesures restrictives prises par la secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations l’ont portée au pinacle des sondages de popularité. Une situation qui témoigne du fait que les migrants et les sans-papiers constituent, en ces temps de crise, les boucs émissaires idéaux d’une part non négligeable de la population. Donner l’écho de leur situation et rappeler leurs droits constitue un défi de plus en plus difficile à relever.
[**Étrangers : protéger ou s’en protéger ?*]
[/ Céline Verbrouck /]
Plus que jamais, il se confirme en 2013 que la méfiance régit le rapport entre la Belgique et ses migrants. Deux exemples parmi d’autres puisés dans l’actualité témoignent de ce constat : le durcissement vis-à-vis des demandeurs d’autorisation de séjour pour motif médical et l’entrée en vigueur de nouvelles lois visant à contrôler davantage les intentions des couples désireux d’officialiser leur union que ce soit par mariage ou cohabitation légale.
Les malades, ces indésirables !
Peu banal : la Belgique a laissé un étranger illégal mourir, faute de soins. Notre pays a reconnu sa responsabilité. Il a indemnisé la famille de la victime avant d’y être contraint par une condamnation. C’est ce que nous apprend une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du 4 juin 2013 dans une affaire H.S. contre Belgique.
Ce cas s’ajoute aux autres condamnations de la CEDH que notre pays est en train de collectionner en matière d’immigration ces dernières années. Sans que l’on constate de modification des pratiques ou des lois. C’est très inquiétant.
S’agissant des demandes d’autorisation de séjour pour motifs médicaux (« 9ter »), début 2012, le législateur a instauré une phase de recevabilité (« filtre médical ») destinée à éviter l’introduction de demandes abusives. Certes, certaines personnes utilisaient la procédure 9ter de manière peu appropriée pour des maux de tête ou des rhumes… Toutefois, près de deux ans plus tard, on constate que l’Office des étrangers (OE) confond les phases de recevabilité et de fond des demandes. Ne passent pas le filtre de la recevabilité des certificats médicaux mentionnant par exemple le VIH ! L’examen prima facie voulu par le législateur pour éviter les abus est détourné de sa finalité. Les plus vulnérables et malades ne parviennent parfois tout simplement pas à introduire une demande pour le motif cruel qu’ils n’ont pas d’adresse de résidence.
On avait voulu des décisions urgentes sur la recevabilité, permettant les soins à ceux qui en avaient vraiment besoin. La pratique nous apprend qu’avant qu’un dossier soit examiné à ce premier stade, il se passe dans la toute grande majorité des cas de très longs mois.
Quant aux décisions sur le fond, elles sont prises sans examen médical, sur dossier, sans droit d’être entendu, sans cadre de travail clair des médecins, etc. Selon les chiffres issus des rapports d’activités de l’administration, elles étaient passées de 5,65 % de décisions positives en 2011 à seulement… 2,27 % en 2012, soit 629 étrangers autorisés au séjour pour motif médical. Une misère ! Et, il semble que de janvier à octobre 2013, il n’y ait eu que 126 acceptations.
Vies en danger
Des médecins qui ont tenté d’entrer en contact avec les médecins de l’OE pour expliquer davantage le cas de leur patient à leurs pairs se sont vu opposer un refus catégorique. Pourtant, la qualité des analyses des médecins fonctionnaires engagés par l’administration pour évaluer le volet médical des dossiers laisse souvent à désirer (usage de sites internet non fiables, absence de spécialisation du médecin, voire erreur clinique…).
Et comme si cela ne suffisait pas, on impose maintenant aux malades de prouver un risque vital en cas de retour à défaut de quoi, l’autorisation de séjour n’est pas accordée. Cela conduit à une situation absurde : si le patient est traité chez nous et que son état s’améliore, voire qu’il travaille, ces éléments lui sont opposés comme des bonnes raisons de rentrer !
Last but not least, notre malade mal évalué qui voudrait contester la décision rendue par l’administration dispose d’un recours en annulation qui ne suspend pas l’ordre de quitter le territoire et ne lui offre pas de séjour temporaire dans l’attente de la décision. Il restera illégal pendant des mois, voire des années. Il n’est pas rare, pour ne pas dire commun, d’attendre une fixation pendant deux à trois ans devant le Conseil du contentieux des étrangers dans ces matières. Et lorsque le juge évaluera le dossier, il ne se placera pas dans la situation du malade au moment où il statue, mais bien au moment de la décision, sur la base du dossier. Il ne pourra qu’éventuellement constater une illégalité (ou non) et renvoyer dans le meilleur des cas la copie à l’OE qui pourra… reprendre une nouvelle décision négative autrement motivée. Bref, un parcours du combattant qui ne respecte pas les exigences du droit à un recours effectif s’agissant de droits aussi fondamentaux que ceux du droit à la vie ou à l’absence de traitement inhumain et dégradant.
C’est toute la procédure actuelle d’examen des demandes de séjour pour motifs médicaux qui pose question. Il est urgent de la réévaluer et de la réformer. Dans cette optique, il faut se rappeler que depuis la directive « qualification » de 2004, les risques de traitements inhumains et dégradants en cas de retour sont en réalité des demandes de protection internationale. En principe, ils devraient donc être traités avec les demandes de statut de protection subsidiaire, elles-mêmes traitées avec les demandes de statut de réfugié. Si, en 2006, lorsque la Belgique a dû transposer la directive précitée, notre pays a conservé une procédure 9ter distincte des autres procédures de demandes de protections internationales, c’était pour des questions purement organisationnelles et budgétaires. La pratique a démontré que la procédure aurait pu être organisée de manière plus rationnelle, plus économique et surtout, plus respectueuse des droits humains.
À quand donc un traitement des demandes d’un séjour pour motif médical conforme à ce qu’elles sont : des demandes de protection internationale ?
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Mariages et cohabitations légales de complaisances : encore un pas plus loin
Vous connaissez le célèbre contentieux des divorces… Vous ne connaissez peut-être pas encore le contentieux des mariages (et des cohabitations légales). Monsieur le juge, mais si, si, ils s’aiment ! Regardez ces photos, ces voyages ensemble, ces factures de téléphone, les témoignages des voisins, des amis, des parents…
Par la porte et par la fenêtre, on cherchera à sonder vos reins et votre cœur, avant, pendant et après votre union si l’un de vous est un étranger qui « profite » d’un regroupement familial.
Certes, il y a des unions blanches ou grises. Mais l’énergie développée par le législateur, le parquet, les officiers de l’état civil et les ambassades pour contrer ces abus est tellement importante qu’on en vient à se poser la question de la proportionnalité de ces actions alors que, de l’aveu même de la ministre de l’Intérieur et de la secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations, le nombre de victimes des relations de complaisance n’est pas connu.
La vie amoureuse est rarement un long fleuve tranquille. Mais si vous êtes un étranger vous avez intérêt à vous tenir à carreau car vous pourriez mettre plusieurs années pour obtenir le droit de vous unir, puis éventuellement d’être réuni avec votre partenaire. Et il vous faudra au moins cinq ans de mariage ou de cohabitation légale en séjour régulier pour « gagner votre liberté ». Sans défendre les abuseurs, il est évident que des couples vivent une vraie épreuve de confiance/méfiance (pour les deux partenaires) durant une période d’essai aussi longue. L’efficacité de ces nouvelles règles pose donc aussi question au regard des nombreux effets pervers qu’elles entrainent.
Par contre, en ayant largement communiqué sur le sujet cette année, la Belgique marque un point de plus dans la stigmatisation accrue de l’étranger…
[**Liste des « pays d’origine surs » : une sureté bien relative*]
[/Marie Charles/]
Entre aout 2008 et janvier 2013, la Belgique a connu une crise de l’accueil sans précédent. Plus de dix-mille demandeurs d’asile se sont retrouvés à la rue, privés de leur droit d’être accueillis pendant le traitement par les autorités de leur demande de protection. Refusant de remettre en question les dysfonctionnements du système d’accueil de l’aide matérielle en vigueur depuis 2007 et de réactiver le plan de répartition, le pouvoir politique pointe comme principaux responsables les demandeurs d’asile eux-mêmes, dont un trop grand nombre abuserait de la procédure. S’ensuit le dépôt au Parlement d’une myriade de propositions de loi visant à restreindre leurs droits pour accélérer les procédures. Les demandeurs d’asile sont scindés en catégories, dont certaines sont considérées, à priori, comme abusant du droit de demander une protection. C’est le cas des demandeurs originaires de pays dits « surs ».
La Belgique tire de la directive « procédure1 » la possibilité d’établir une liste de « pays d’origine surs ». Cette directive fait partie d’un ensemble de textes visant, à terme, à harmoniser les différentes procédures d’asile des États membres de l’Union européenne (UE). Outre l’établissement de listes nationales, la directive permettait, à l’origine, aux États de s’accorder sur une liste minimale commune au niveau européen. Cette liste n’a jamais vu le jour. En effet, la Cour de justice de l’UE a annulé cette possibilité, estimant que la procédure prévue pour la réaliser devait être modifiée. Cet objectif d’harmonisation est dès lors loin d’être rencontré, puisque l’on se retrouve aujourd’hui avec des listes différentes au sein des États membres. Cette disparité démontre qu’établir une liste des pays dits « surs » n’a rien d’évident et que les États n’évaluent pas de la même façon le degré de sureté d’un État. Ainsi, alors que le Conseil d’État français retirait de la liste française l’Albanie et le Kosovo en mars 2012, la Belgique décidait de les inscrire sur sa propre liste au mois de mai…
En Belgique, l’établissement de la liste des « pays d’origine surs » a nécessité l’adoption de deux lois : l’une, datée du 19 janvier 2012, institue le concept de la liste, et l’autre, adoptée le 15 mars 2012, modifie la procédure devant le Conseil du contentieux des étrangers (CCE), l’instance d’appel en matière d’asile, pour les demandeurs originaires des pays considérés comme « surs ». La liste en elle-même a été édictée par l’arrêté royal du 26 mai 2012. Y figurent l’Inde, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Kosovo, le Monténégro et la Serbie. Contraint de revoir sa copie annuellement, le gouvernement a adopté un second arrêté royal, identique au premier, un an plus tard, le 7 mai 2013.
L’application combinée de ces règlementations réduit sensiblement les droits des demandeurs d’asile venant d’un pays listé.
Premièrement, leur demande d’asile est soumise à une procédure d’asile « accélérée ». Le Commissariat général aux réfugiés et apatrides (CGRA), première instance en matière d’asile, doit en principe rendre une décision dans un délai de quinze jours. Ensuite, la charge de la preuve de la persécution est alourdie en ce que la loi instaure une présomption d’absence de crainte de persécution à renverser par les demandeurs. En pratique, il est extrêmement difficile pour ces demandeurs de préparer correctement leur audition et de rassembler les preuves nécessaires dans ce laps de temps. Nombreux sont ceux qui n’ont même pas le temps de se voir désigner un avocat avant que leur demande de protection soit rejetée !
À cela s’ajoute un droit de recours réduit et dépourvu d’effet suspensif automatique. Si le demandeur interjette appel contre le refus du CGRA, le CCE n’est compétent que pour annuler cette décision et non, comme c’est le cas dans la procédure d’asile habituelle, pour se substituer au CGRA et réformer la décision. Cela prive le demandeur de la possibilité, au cours de la procédure, de présenter de nouveaux éléments pour renforcer sa demande. Si la directive « procédure » autorise, à certaines conditions, les États à prévoir une procédure accélérée, elle ne permet pas à l’État de priver les demandeurs d’un recours qui permettrait d’empêcher un retour vers un pays où leur intégrité ou leur vie est à risque. C’est ce qu’a fait, à nos yeux, le législateur belge en procédant de la sorte2.
Enfin, le droit à l’accueil des demandeurs issus de pays « surs » est limité : alors que les autres demandeurs en procédure en jouissent tant en première instance qu’en instance d’appel, ce droit s’éteint à partir de la décision de non-prise en considération du CGRA. Le demandeur qui souhaite faire appel de cette décision sera alors privé de l’aide matérielle qui recouvre hébergement, habillement, accompagnement social, médical, psychologique, accès à l’aide juridique et allocation journalière. Cette limitation est contraire à la directive « accueil », telle que modifiée en juin 20133, qui devra s’appliquer « à tous les stades et à tous les types de procédures de demande de protection internationale […] aussi longtemps que les demandeurs sont autorisés à rester sur le territoire en tant que demandeurs d’asile ». La refonte de la directive est à transposer en droit interne pour le 20 juillet 2015, mais l’obligation de transposition impose déjà à la Belgique de ne pas aller à l’encontre de son contenu. Le législateur est donc tenu de revoir sa copie sur ce point au moins. En laissant des demandeurs d’asile à la rue, même si ceux-ci sont considérés comme étant originaires de pays surs, la Belgique contrevient en outre à ses obligations internationales découlant de l’interdiction de torture, de traitements inhumains et dégradants consacrée par l’article 3 de la CEDH, qui ne souffre aucune dérogation.
Critères de sélection douteux
Outre ces considérations procédurales, le choix des pays listés pose question. Au moment des travaux préparatoires qui ont précédé l’adoption de la loi introduisant le principe de la liste, la plupart des pays des Balkans étaient déjà dans le collimateur du législateur. Or, l’étude du degré de sureté de ces États n’avait même pas encore eu lieu ! Il semble dès lors que ce soient plutôt des considérations tenant aux nombres d’arrivées de demandeurs d’asile qui aient influencé le gouvernement dans son appréciation, à la période où il tentait de mettre un terme à la crise de l’accueil. Pour rappel, en 2011, quatre des sept pays listés figuraient parmi le top 10 des demandes d’asile introduites…
Il est d’autant plus curieux de considérer comme « surs » des pays dont les ressortissants se voient, in fine, reconnaitre le statut de réfugié régulièrement. Certains demandeurs d’asile, et particulièrement ceux issus de minorités ethniques, entre autres Roms, sont victimes dans ces pays « surs » de discriminations répétées et d’atteintes à leurs droits fondamentaux dénoncées depuis des années. Pourquoi, dès lors que des persécutions sont avérées, considérer ces pays comme surs à priori ? En 2012, le CGRA a ainsi octroyé le statut de réfugié à 123 Albanais et à 55 Kosovars. Cela démontre que des persécutions s’y produisent de manière non exceptionnelle, mais bien répétée, et que ces pays ne peuvent pas être considérés comme réellement « surs » pour tous leurs ressortissants.
- Dir. 2005/85/EG du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.
- Addendum : le 16 janvier 2014, la Cour constitutionnelle a rejoint cette analyse en annulant la disposition concernant la procédure de recours pour les demandeurs d’asile originaires des pays « surs » dont la demande n’a pas été prise en considération par le CGRA. Désormais, ils auront droit à un recours effectif qui suspendra leur ordre de quitter le territoire le temps que le juge se prononce sur le fond de leur demande. Plus d’infos : http://bit.ly/1kTk0Bl.
- Directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant de normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte).