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Belgique : du plan B au plan C

Numéro 10 Octobre 2010 par Lechat Benoît

octobre 2010

En ce 12 sep­tembre 2010, quelles sont les leçons pro­vi­soires que l’on peut tirer de trois mois de négo­cia­tions en vue de la for­ma­tion d’un gou­ver­ne­ment belge ? Réflexions en huit points. Pre­mier point : il a fal­lu la pers­pec­tive du gouffre pour que les par­tis fran­co­phones acceptent de faire bou­ger leurs lignes de posi­tion­ne­ment sur le visage […]

En ce 12 sep­tembre 2010, quelles sont les leçons pro­vi­soires que l’on peut tirer de trois mois de négo­cia­tions en vue de la for­ma­tion d’un gou­ver­ne­ment belge ? Réflexions en huit points.

Pre­mier point : il a fal­lu la pers­pec­tive du gouffre pour que les par­tis fran­co­phones acceptent de faire bou­ger leurs lignes de posi­tion­ne­ment sur le visage de la future Bel­gique. De la presse aux par­tis poli­tiques fran­co­phones, un consen­sus se dégage pour recon­naitre que plus de trois ans ont été per­dus depuis les échecs des négo­cia­tions qui ont sui­vi les élec­tions de 2007. En calant Leterme (qui, il est vrai, était aus­si capable de s’autobloquer), les par­tis fran­co­phones ont fait gon­fler la N‑VA au-delà de toute pro­por­tion. Du coup, le prix qu’ils paye­ront en 2010 sera bien supé­rieur à celui qu’ils auraient payé en 2007, si une vraie négo­cia­tion avait pu s’engager. Mais cette image du « prix à payer » est encore trom­peuse… Car elle enferme les par­tis fran­co­phones encore et tou­jours dans une logique défen­sive de pré­ser­va­tion d’un cadre qui ne fonc­tionne pas bien, mais auquel ils s’accrochent envers et contre tout, sur­tout par inca­pa­ci­té à se pro­je­ter dans l’avenir.

Seconde point : les lignes ont incon­tes­ta­ble­ment bou­gé du côté fran­co­phone. Les trois par­tis fran­co­phones qui ont par­ti­ci­pé à la négo­cia­tion ont clai­re­ment accep­té la scis­sion de Bruxelles-Hal- Vil­vorde, moyen­nant cer­taines pro­tec­tions pour les habi­tants des com­munes à faci­li­tés. Ils ont don­né leur aval à un trans­fert de com­pé­tences fédé­rales vers les enti­tés fédé­rées esti­mé à un total de 15,8 mil­liards et don­né un accord de prin­cipe sur une réforme en pro­fon­deur de la loi de finan­ce­ment des com­mu­nau­tés et des Régions. Mais glo­ba­le­ment, le centre de gra­vi­té du sys­tème pro­po­sé reste fédé­ral, même si près de la moi­tié des recettes qui y entrent seront ensuite répar­ties vers les enti­tés fédé­rées. Le ren­ver­se­ment coper­ni­cien d’un sys­tème fédé­ral (dis­po­sant certes déjà depuis long­temps de traits confé­dé­raux) n’a pas eu lieu et en est res­té à un effet de dis­cours. Cer­tains s’en réjouissent, d’autres le regrettent, et le MR dénonce de manière irres­pon­sable les conces­sions que cela repré­sen­te­rait… tout en fai­sant offre de ser­vice à la N‑VA pour une réforme plus appro­fon­die. Mais la ques­tion de fond qui est par contre trop peu abor­dée est de savoir si ces réformes vont réel­le­ment contri­buer à sor­tir de la para­ly­sie du sys­tème belge en per­met­tant aux enti­tés fédé­rées d’assumer plei­ne­ment et effi­ca­ce­ment à la fois auto­no­mie et solidarité.

Troi­sième point : l’histoire donne rai­son à ceux qui avaient pré­dit depuis les années nonante que les allo­ca­tions fami­liales seraient la pre­mière branche de la sécu­ri­té sociale dont l’application serait octroyée aux enti­tés fédé­rées. Visi­ble­ment, les par­tis fla­mands se sont ren­du compte que scin­der les soins de san­té était tech­ni­que­ment très com­plexe et ris­quait de leur cou­ter beau­coup plus cher que pré­vu. À Bruxelles, les allo­ca­tions fami­liales seraient trans­fé­rées via la Com­mis­sion com­mu­nau­taire com­mune, ce qui cor­res­pond à une régio­na­li­sa­tion de fait et non à une com­mu­nau­ta­ri­sa­tion, comme l’aurait vou­lu la N‑VA. La vision natio­na­liste fl amande d’une Bel­gique à deux com­mu­nau­tés prin­ci­pales s’est notam­ment heur­tée au risque de dépenses sup­plé­men­taires d’un choix com­mu­nau­taire pure­ment uti­li­taire de la part des Bruxel­lois. Il est à pré­sent cru­cial de don­ner un sens plus posi­tif à la future Bel­gique à trois, et bien­tôt quatre, Régions qui se dessine.

Qua­trième point : pour la pre­mière fois depuis long­temps, le cli­vage gauche-droite a réémer­gé en Flandre dans une dis­cus­sion ins­ti­tu­tion­nelle. Le S.PA et Groen ! ont fait preuve d’un grand cou­rage en accep­tant la pro­po­si­tion finale du pré-for­ma­teur Elio Di Rupo. La crainte de voir se ren­for­cer un axe de « droite » dans la dis­cus­sion bud­gé­taire a incon­tes­ta­ble­ment pesé. Mais les pro­gres­sistes fla­mands doivent aus­si s’interroger sur l’appui qu’ils devront appor­ter à une « refon­da­tion fédé­rale ». Si la gauche fran­co­phone veut les aider dans cette direc­tion, elle doit tout faire pour cas­ser l’image d’un « fédé­ra­lisme (fran­co­phone) de consom­ma­tion ». Cela implique que dans la négo­cia­tion sur la loi de fi nan­ce­ment, les fran­co­phones acceptent le risque qu’une res­pon­sa­bi­li­sa­tion des com­mu­nau­tés et des régions puisse se tra­duire par une perte de recettes. Celle-ci ne doit en rien être obli­ga­toire, mais bien dépendre de l’action des enti­tés fédé­rées, ce qui per­met­tra de com­bi­ner soli­da­ri­té et efficacité.

Cin­quième point : il est temps de confron­ter les élec­teurs de la N‑VA au para­doxe de leur vote. Celui-ci repose en par­tie sur la volon­té de résoudre une bonne fois pour toutes les blo­cages d’un sys­tème belge inef­fi­cace. Mais il nour­rit en même temps un double fan­tasme : celui de la pos­si­bi­li­té d’avancées fla­mandes sans conces­sions aux fran­co­phones et celui de la pos­si­bi­li­té d’arriver à des solu­tions de long terme, struc­tu­relles et donc stables avec un par­ti qui veut — in fi ne — l’indépendance… Les Wal­lons et les Bruxel­lois ont donc d’autant plus inté­rêt à reven­di­quer une volon­té de réforme effi­cace du sys­tème belge.

Sixième point : il est plus que jamais indis­pen­sable que les fran­co­phones sortent du « syn­drome Bye Bye Bel­gium » qu’ont mani­fes­té ces der­nières semaines les poli­tiques fran­co­phones — et sin­gu­liè­re­ment le PS, qui revient à croire que la N‑VA et les autres par­tis fla­mands ose­ront tom­ber les masques et exi­ge­ront l’indépendance fl amande pour laquelle il n’y a en Flandre pas de majo­ri­té sociale ou poli­tique. Bart De Wever sait que cela le pla­ce­rait en posi­tion de fai­blesse et il ne tom­be­ra donc jamais dans un piège aus­si gros­sier. Si on fait abs­trac­tion des médias fran­çais — qui conti­nuent glo­ba­le­ment de ne pas com­prendre grand-chose à la Bel­gique — de moins en moins de per­sonnes sont dupes. Ce scé­na­rio a été évo­qué par le PS uni­que­ment pour des rai­sons tac­tiques : for­cer la reprise de la négo­cia­tion sur les bases engran­gées jusqu’au début sep­tembre et empê­cher le retour des libé­raux. Même José Hap­part recon­nait que si écla­te­ment il devait y avoir, il serait encore plus com­pli­qué à mener à bien, notam­ment eu égard aux contraintes du droit international.

Sep­tième point : les fan­tasmes entre­te­nus sur l’existence d’un « plan B » qui ver­rait les fran­co­phones assu­rer leur sur­vie éco­no­mique en cas de lâchage hypo­thé­tique par la Flandre doivent être aban­don­nés. Le temps est venu plus que jamais de construire un « plan C » qui serait celui d’une Bel­gique radi­ca­le­ment réfor­mée et en l’occurrence d’une Bel­gique dont le centre de gra­vi­té rési­de­rait dans ses quatre régions. Les Wal­lons et les Bruxel­lois doivent être plus auto­no­mistes que les fla­mands : deman­der l’autonomie pour ensuite la pro­lon­ger par la coopé­ra­tion. Mais cette auto­no­mie est impos­sible si d’emblée la N‑VA et le CD&V cherchent à empê­cher son exer­cice par les Régions, que ce soit poli­ti­que­ment ou bud­gé­tai­re­ment. Ni la Flandre, ni la Wal­lo­nie n’ont à déci­der pour les Bruxel­lois. En revanche, les Bruxel­lois ont à prou­ver leur capa­ci­té à orga­ni­ser non seule­ment la pro­tec­tion, mais sur­tout la pro­mo­tion des mino­ri­tés et de la diver­si­té qui carac­té­rise leur Région. Quelle que soit la repré­sen­ta­tion sta­tis­tique fla­mande dans une Région qui res­te­ra capi­tale et liée éco­no­mi­que­ment au Bra­bant fla­mand, l’enjeu de la mai­trise du néer­lan­dais à Bruxelles, et donc tout par­ti­cu­liè­re­ment de son ensei­gne­ment dans les écoles fran­co­phones, est à cet égard central. 

Hui­tième point : la confec­tion de ce « plan C » impose que pour la pré­sente légis­la­ture régio­nale, soient négo­ciées de nou­velles décla­ra­tions poli­tiques régio­nale et com­mu­nau­taire. Celles-ci devront non seule­ment anti­ci­per les trans­ferts de nou­velles com­pé­tences. Elles devront éga­le­ment appro­fon­dir et accé­lé­rer les réformes de la gou­ver­nance : à la fois pour pré­pa­rer le sur­croit de res­pon­sa­bi­li­té finan­cière des enti­tés fédé­rées et pour construire l’approche pro­pre­ment auto­nome requise par un fédé­ra­lisme à quatre régions. Avant d’envisager une coopé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, il faut d’abord qu’existe une vraie Wal­lo­nie auto­nome et que les fran­co­phones cessent de pré­sen­ter Bruxelles comme une enti­té exclu­si­ve­ment fran­co­phone. En clair, cela implique notam­ment que le par­le­ment wal­lon qui sera élu en 2014 com­prenne une par­tie de par­le­men­taires élus dans une cir­cons­crip­tion wal­lonne unique, qui, avec les cir­cons­crip­tions bruxel­loise et ger­ma­no­phone for­me­ra le pen­dant régio­nal d’une cir­cons­crip­tion fédé­rale unique dont la créa­tion doit être plus que jamais recherchée.

Lechat Benoît


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