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Belges en guerre. Images inconnues

Numéro 3 Mars 2013 par Roland Baumann

mars 2013

Exposition Onbekende beelden, sterke verhalen. Belgen in oorlog.

Jusqu’au 21 avril 2013 ; mardi au dimanche de 10 – 18 heures ;

Historische Huizen Gent-Sint-Pietersabdij ; 9 Sint-Pietersplein, 9000 Gent, www.sintpietersabdijgent.be

Jusqu’au 21 avril, à l’abbaye Saint-Pierre de Gand, l’exposition Images inconnues, histoires insolites. Belges en guerre évoque par la photographie une série de conflits armés auxquels des « gens de chez nous » ont été confrontés dans le monde, du XIXe siècle à nos jours. Ces « photos souvenirs » des points chauds du globe esquissent une petite histoire de la guerre moderne, vécue par des personnes « ordinaires », le plus souvent des civils. Vingt photos « inconnues » et les histoires « insolites » qui s’y associent, racontées par les vingt « commissaires invités » de l’exposition : historiens, et aussi journalistes ou témoins directs des faits photographiés.

Certes, l’exposition s’attache à documenter en images les deux guerres mondiales, la crise congolaise et le génocide tutsi. Mais elle tire aussi de l’oubli l’engagement de Belges dans les combats de l’Unification italienne, dans la guerre des Boers, l’occupation de la Ruhr, la guerre civile espagnole… de même que les luttes de libération en Amérique latine. Des images qui stimulent la mémoire collective. Leurs auteurs, parfois anonymes, sont d’origines très diverses : photographes professionnels, de studio ou ambulants, journalistes, ou le plus souvent simples amateurs.

Images inconnues… témoigne d’une prise de conscience des historiens qui, face à l’explosion contemporaine des cultures de l’image, réalisent l’importance croissante prise par l’analyse des documents visuels dans la recherche historique. L’attention des historiens pour la photographie documentaire et vernaculaire répond aussi à l’intérêt du marché et des musées d’art pour la « photo vintage » et les images photographiques anonymes produites en masse à la suite de la démocratisation des techniques photographiques à la fin du XIXe siècle. Comme le soulignent ses organisateurs, l’exposition évite de montrer des photos emblématiques, mais les images sélectionnées, « banales » à première vue, représentent « les grands drames » du XXe siècle. Mettant en scène ces images inconnues et les récits qui les accompagnent, l’exposition gantoise « invente » donc en quelque sorte une série inédite d’icônes de notre histoire nationale.

Coréalisée par l’Historische Huizen Gent, l’Institut d’histoire publique de l’université de Gand et le Ceges (Centre d’études et de documentation guerre et sociétés contemporaines), Images inconnues… incite le visiteur à explorer chacune des photos de l’exposition à l’aide de techniques multimédias avancées. Par le biais d’écrans tactiles et de tablettes installées devant les tirages grand format des « icônes » de l’exposition, le visiteur peut faire défiler des séries d’autres photos qui leur sont associées, en faire apparaitre les légendes et notices, « examiner à la loupe les détails importants » de l’image, jusqu’à en faire « une fenêtre ouverte sur le monde et sur son histoire ». L’ouvrage accompagnant l’exposition reproduit l’ensemble des photos et des textes (néerlandais, français, anglais) montrés à l’abbaye Saint-Pierre. L’exposition et le livre veulent enrichir l’approche critique de sources iconiques relatives au passé et surtout inciter le visiteur à se poser des questions telles que : « Ces photos montrent-elles la réalité de la guerre ? Rendent-elles palpables l’horreur de la guerre ? »

L’imposant travail de mise en contexte historique rend certaines de ces photos extrêmement poignantes. Citons pour la Deuxième Guerre mondiale ce terrifiant instantané de victimes du bombardement de Mortsel en 1943, tout comme cette photo médicolégale de la dépouille mortelle du collaborateur Paul Colin exécuté par la Résistance. Aussi ce « vrai portrait de champion » du volontaire de la Waffen-SS flamand Marcel Vercoutter, posant au guidon de sa moto, en Ukraine, l’été 1941. Tué par la Résistance dans l’Aveyron le 5 juin 1944, ce vétéran du Front de l’Est est « vengé » par ses « frères d’armes » de la deuxième division SS Das Reich dans les massacres de Tulle et d’Oradour-sur-Glane… Mais, parmi ces vingt « images inconnues », seule la photographie ouvrant le parcours de l’exposition réalise pleinement les objectifs des historiens qui veulent mettre en pleine lumière le moment historique capté sur la pellicule argentique par le regard du photographe. Objet du travail de description et d’analyse minutieux de l’historien Lieven Saerens (Ceges), cet instantané du photographe de presse anversois Xavier Rensing, pris de la fenêtre de son domicile, avenue Plantin-Moretus, montre l’embarquement dans un camion semi-remorque découvert de civils, hommes, femmes et aussi des enfants… Des déportés ? Sont-ils juifs ? L’analyse rigoureuse et informée de Saerens fait de cette photo de datation incertaine et au sujet « mystérieux » un document historique inestimable et aussi une véritable icône de l’histoire de la photographie en Belgique.

Pour conclure cette brève introduction à une exposition si riche en contenus, on s’étonne de l’absence totale de bibliographie dans l’ouvrage qui accompagne l’exposition et dont la version française accuse parfois une traduction un peu hâtive. Cela limite la portée scientifique d’une publication censée prolonger le travail de questionnement suscité par l’exposition. Regrettons aussi l’absence dans l’exposition des tirages d’époque (ou des négatifs) à partir desquels ont été réalisées toutes les copies numérisées de ces « images inconnues ». Cette absence totale des documents visuels originaux surprend dans une exposition de photographies et suggère un manque d’intérêt pour l’objet photographique en tant que tel. Ainsi, seule une page de « crédits photographiques », en fin d’ouvrage documente brièvement la provenance de toutes les photos reproduites.

Images inconnues1… ne se limite pas à l’engagement de citoyens belges dans des conflits, mais porte aussi son regard sur l’engagement des colonisés — soldats congolais vainqueurs de Tabora (1916) — tout comme celui des Juifs étrangers vivant en Belgique et volontaires lors de la Guerre d’Espagne, telles ces jeunes Juives d’Anvers et de Bruxelles, posant pour une photo de groupe sur la plaza de Catalunya à Barcelone le 1er mai 1937, toutes infirmières volontaires pour l’hôpital fondé par l’Internationale socialiste à Ontenyent, près d’Alicante.

Le travail de mémoire de la fille d’un combattant juif des Brigades internationales, Efraïm Wuzek2 (1904 – 1998), nous initie au parcours tortueux d’un Juif polonais de famille religieuse qui a émigré en Palestine en 1922. Emprisonné par les Britanniques pour son engagement communiste, et définitivement expulsé en 1937, avec sa femme Hanka et leur fille Larissa, il gagne l’Espagne et les Brigades internationales, servant dans la compagnie Botwin, unité juive dont une partie des volontaires et des officiers a vécu en Belgique.

Paris, 1945, après des années d’épreuves, Efraïm retrouve Larissa, enfant cachée. Hanka n’est pas revenue de déportation. Remarié et rentré en Pologne pour construire le communisme, c’est à Varsovie en 1964, qu’il publie en yiddish son livre de souvenirs sur la compagnie Botwin dont Larissa vient de faire éditer la traduction française, précédée de son émouvant récit « Les vies d’Efraïm Wuzek ». Mariée à un juif polonais né à Bruxelles et avec lequel elle émigre en Belgique en 1957, Larissa y retrace et contextualise les grandes étapes de la biographie déconcertante de son père, communiste « retraité », que, en 1968 l’antisémitisme des autorités polonaises force à émigrer en Israël, où lui et sa femme survivent, avant de rejoindre leur fille à Bruxelles où ils finiront tous deux leurs jours.

Exposition Onbekende beelden, sterke verhalen. Belgen in oorlog.

Jusqu’au 21 avril 2013 ; mardi au dimanche de 10 – 18 heures ;

Historische Huizen Gent-Sint-Pietersabdij ; 9 Sint-Pietersplein, 9000 Gent, www.sintpietersabdijgent.be

  1. Ouvrage accompagnant l’exposition : Bruno De Wever, Martine Van Ash et Rudi Van Doorslaer (dir.), Belges en Guerre. Images inconnues, histoires mémorables, éditions Renaissance du Livre, 2012. Traduction de Belgen in oorlog. Onbekende beelden, sterke verhalen, Uitgeverij Hannibal, 2012.
  2. Efraïm Wuzek, Combattants juifs dans la guerre d’Espagne. La compagnie Botwin. Présenté et annoté par Larissa Wuzek-Gruszow, traduit du yiddish par Jacques Kott, éditions Syllepse, 2012.

Roland Baumann


Auteur

Roland Baumann est historien d’art et ethnologue, professeur à l’Institut de radioélectricité et de cinématographie (Inraci), assistant à l’Université libre de Bruxelles (ULB).