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Be.One, le pari des minorités
Il y a quelques jours, Dyab Abou Jahjah, ancien leadeur de la Ligue arabe européenne (AEL), et ses colistiers lançaient le parti Be.One, le parti pour la paix et la justice, avec comme priorités l’égalité radicale entre citoyens, la lutte contre le grand capital, la décolonisation et l’affirmation de Bruxelles comme Région à part entière[« Abou Jahjah lance […]
Il y a quelques jours, Dyab Abou Jahjah, ancien leadeur de la Ligue arabe européenne (AEL), et ses colistiers lançaient le parti Be.One, le parti pour la paix et la justice, avec comme priorités l’égalité radicale entre citoyens, la lutte contre le grand capital, la décolonisation et l’affirmation de Bruxelles comme Région à part entière[« Abou Jahjah lance son parti : quatre questions sur “Be.one”, qui prône l’égalité radicale », Le Soir, 8 février 2018.]]. Le parti entend présenter des listes aux élections locales, régionales et fédérales en Flandre et à Bruxelles. De fait, le site internet du parti place l’antiracisme et l’inclusion au sommet de son manifeste. On y retrouve des propositions concernant l’introduction de quotas dans les administrations publiques et la mise en œuvre de programmes d’affirmative action. Concrètement, Be.One « s’oppose à la pression assimilationniste de la société »1. Be.One entend donc clairement, d’une part, accentuer l’aspect multiculturaliste des politiques d’intégration en Flandre (détricoté depuis la mise en œuvre de l’inburgering en 2004) et, à Bruxelles, d’autre part, rompre avec la politique d’euphémisation de la cohésion sociale mise en œuvre par le décret de 2004 qui préfère cibler des zones urbaines sur la base d’indicateurs socioéconomiques plutôt que mentionner explicitement les populations immigrées et d’origine étrangère2.
La deuxième thématique mise en exergue dans le manifeste de Be.One est la question du libre choix que le parti décline essentiellement contre toute interdiction des signes religieux (que ce soit dans le privé ou le public) et de l’abattage rituel (récemment interdit en Flandre avec une période dérogatoire jusqu’en 2019). Quant à l’axe « politique internationale » du manifeste du parti, il est fortement axé sur le conflit israélo-palestinien préconisant notamment la libération de la Palestine, la fin du blocus de Gaza, la mise en œuvre de sanctions contre Israël et la fin de ses accords de coopération avec l’Union européenne. Ces différents accents politiques sont susceptibles de rencontrer les aspirations de franges sans doute non négligeables, mais difficilement chiffrables, des populations d’origine étrangère, en particulier de confession musulmane qui vivent dans leur chair la mise en problème public (quasiment constante) d’une partie de leur identité au travers des débats sur l’intégration et la laïcité et subissent dans leur quotidien les multiples processus de discrimination dans l’emploi, le logement ou le champ scolaire dont la Belgique peine à se défaire.
En Belgique, toutes les formations politiques démocratiques, tout comme l’extrême droite3, se sont, plus ou moins vite, ouvertes aux « candidats de la diversité ». De fait, l’entrée dans les partis politiques traditionnels (de gauche et de centre droit d’abord) a été l’une des principales voies d’accès au politique utilisées par des candidats d’origine étrangère qui exercent désormais des mandats tant au niveau local (conseiller communal, échevin, bourgmestre, etc.) qu’au niveau régional et fédéral tant au sein de l’Exécutif que du Parlement. L’émergence d’élus d’origine étrangère qui s’opère depuis la moitié des années 1990, incarne une étape importante dans la participation politique des populations issues de l’immigration4. Et en Belgique, il faut dire que la représentation politique des minorités ethniques est importante d’un point de vue électoral au regard de la situation dans d’autres pays européens ou occidentaux. Cependant, la représentation (statistique) d’une population particulière dans les assemblées ne garantit pas la représentation des intérêts de cette population5. C’est exactement ce que Be.One affirme lorsqu’il déclare que « la stratégie d’influence sur les partis politiques traditionnels n’a pas vraiment abouti […] Il y a beaucoup de travail à faire sur ce point, surtout quand il s’agit d’égalité sur la base des origines, l’égalité ethnique. Il y a toujours des discriminations très profondes, structurelles, qu’on ne veut pas éliminer car il n’y a pas de volonté politique. »6 Cet extrait d’interview illustre tant la critique de la représentation classique par les partis dits traditionnels que celle de la représentation descriptive — à savoir un certain nombre d’élus considérés comme semblables — qui n’est plus vue comme suffisante pour que les intérêts du groupe soient pris en compte. Des mouvements politiques comme Be.One plaident donc plutôt en faveur d’une représentation substantielle qui implique que les expériences de « mépris social » des groupes minorisés, pour reprendre les termes de la théorie de la reconnaissance chère à Axel Honneth7, ainsi que la dénonciation des mécanismes structurels de la domination soient prises en compte dans les assemblées. Le propre de la représentation substantielle ou inclusive pour reprendre le terme de Samuel Hayat n’est alors pas tant la ressemblance entre représentants et représentés ni même la défense d’un groupe social et de ses intérêts, mais que les représentés apparaissent directement sur la scène publique, qu’ils formulent des jugements, expriment leurs volontés, contestent ce qui est dit et fait en leur nom et construisent des institutions alternatives8. En d’autres termes, les acteurs ne se mobilisent plus uniquement à partir du moment où leurs intérêts prédéfinis liés aux inégalités socioéconomiques et à la défense d’intérêts catégoriels seraient menacés, mais aussi en raison de motifs d’ordre symbolique que sont l’estime sociale, l’égale contribution des groupes au bien commun et le respect des différences.
Déjà en 2009, le parti Égalité se structurait autour d’un premier volet volontairement axé sur l’international (Palestine, Irak, Afghanistan et Congo) et l’anticolonialisme9 et d’un deuxième volet où la dénonciation de l’islamophobie et du racisme occupait une place centrale. L’un des membres du mouvement critiquait déjà la représentation par les partis traditionnels en ces termes : « Nous avons l’impression que les citoyens ne se reconnaissent pas vraiment dans les autres partis traditionnels. Au PS, on assiste clairement à un nettoyage avec moins de candidats arabes, mais toujours les mêmes qui ne font pas grand-chose. À Écolo aussi, il n’y a pas beaucoup de candidats allochtones pour les places visibles. C’est donc le bon moment de sanctionner ces élus sortants et de voter pour une liste qui prône l’égalité entre tous les citoyens. » Aux élections régionales de 2009, Égalité avait obtenu 4289 voix, soit 1,05 % des suffrages exprimés sur les listes francophones bruxelloises et aux élections fédérales de 2010, 5670 voix, soit 1,10 % des voix valablement exprimées dans les cantons bruxellois. Plus récemment, la liste Islam, résolument orientée autour de revendications pragmatiques des communautés musulmanes (port du foulard dans les écoles, halal dans les cantines, jours de congé spécifiques) avait recueilli 5150 voix cumulées (cases de tête et voix de préférence) aux élections communales de 2012 dont 1833 voix (soit 2,9 %) à Bruxelles Ville, 1839 voix (soit 4,13 %) à Anderlecht et 1478 voix (soit 4,12 %) à Molenbeek. Ses résultats lui ont valu l’élection de deux conseillers communaux dans ces deux dernières communes, une première dans la longue, mais tumultueuse histoire des partis musulmans10. Lors des élections régionales et législatives de 2014, Islam modernise son site internet et présente quatre listes en recrutant d’ailleurs un ancien candidat du mouvement Égalité en tant que suppléant : deux à Bruxelles où il recueille au total plus de 15000 voix et deux à Liège où il a remporté près de 7500 voix. Ces résultats ne lui permettront toutefois pas d’obtenir des élus.
Le positionnement de Be.One n’est donc pas totalement nouveau, mais le réduire à sa dimension d’expression des préoccupations des groupes d’origine étrangère serait bancal puisqu’il s’articule à une autre dimension particulièrement intéressante et inédite par rapport aux autres tentatives préalablement passées en revue : l’égalité des genres. Au débat relatif au dilemme de la représentation descriptive versus substantielle, s’ajoute donc un nouveau concept, celui d’intersectionnalité qui postule l’interaction des grands axes de la différenciation sociale que sont les catégories de sexe/genre, classe, race, ethnicité, âge, handicap et orientation sexuelle dans la production et la reproduction des inégalités sociales. À n’en pas douter, les campagnes électorales de 2018 et 2019 s’avèreront passionnantes pour observer l’articulation de ces différentes problématiques dans les programmes et déclarations des candidat.e.s.
- |Ibid.
- Rea A., « L’étude des politiques d’immigration et d’intégration des immigrés dans les sciences sociales en Belgique francophone », dans Martiniello, Rea et Dassetto (eds.), Immigration et intégration en Belgique francophone. État des savoirs, Louvain-La-Neuve, Academia Bruylant, 2007, p. 103 – 140.
- Voir le site de suffrage universel, site qui se consacre depuis 1998 à l’observation de la participation politique des personnes issues de l’immigration, des minorités ethno-nationales et religieuses, créé et géré par Pierre-Yves Lambert et une véritable mine d’or pour toute personne qui s’intéresse à ces questions.
- Martiniello M., Rea A., Boussetta H., Jacobs D., Swyngedouw M., « Les Belges d’origine étrangère dans le système politique bruxellois (1994 – 2004)», dans Jacobs, Boussetta, Rea, Martiniello, Swyngedouw (dir.), Qui sont les candidats aux élections bruxelloises ?, Louvain-la-Neuve, Académia/Bruylant, 2006, p. 7 – 20.
- Martiniello M., « Quelle participation politique », dans Coenen (dir.), La Belgique et ses immigrés. Les politiques manquées, Bruxelles, De Boeck Université, 1997.
- « Abou Jahjah lance son parti », op cit.
- Honneth A., La lutte pour la reconnaissance, Paris, Les éditions du Cerf, 2002, 232 p.
- Hayat S., « La représentation inclusive », Raisons politiques, 2 (50), 2013.
- Koksal M., « Nordine Saïdi (ESG): “Il est temps que les enfants d’immigrés prennent leur destin en main”», Parlemento.com, 24 mars 2009.
- Torrekens C., « De la discrétion à la lutte contre les discriminations. Représenter les musulmans en Belgique », dans Julien Talpin, Julien O’Miel, Franck Frégosi (eds.), L’islam : un vecteur d’engagement dans les quartiers populaires, Presses universitaires du Septentrion, 2017.