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Banro au Sud-Kivu, le secteur minier sous haute tension

Numéro 11 Novembre 2013 par Frédéric Triest

novembre 2013

La logique des para­dis sous terre qui se solde par des gains finan­ciers a beau être spé­cu­la­tive, elle n’a rien d’un jeu. Voi­ci une étude de ter­rain qui tient compte du poids réel des causes et des consé­quences. Elle ana­lyse les anté­cé­dents et l’impact de l’implantation de l’entreprise Ban­ro qui a été au cœur de la polé­mique au Cana­da et qui s’en est sor­tie judi­ciai­re­ment blanchie.

Géné­ra­le­ment qua­li­fiée de « scan­dale géo­lo­gique », la Répu­blique démo­cra­tique du Congo (RDC) pos­sède un poten­tiel minier hors du com­mun : son sous-sol contient plus de 1 100 sub­stances miné­rales dif­fé­rentes, pour une valeur esti­mée à 3 700 mil­liards de dol­lars. Elle pos­sède notam­ment les pre­mières réserves mon­diales de cobalt (50 %) et de dia­mant indus­triel (80 %), se situe à la qua­trième place pour les réserves mon­diales des cuivres et occupe éga­le­ment la sep­tième place mon­diale des pro­duc­teurs d’or (Muhi­gir­wa Rusem­bu­ka, 2 013).

Pour­tant, la RDC est « scan­da­leu­se­ment pauvre » : elle occupe la 186e et avant-der­nière place mon­diale en termes de déve­lop­pe­ment humain, et 87,7 % de sa popu­la­tion vit sous le seuil de pau­vre­té. Il appa­rait donc clai­re­ment que la manne minière, qui repré­sente 30 % du PIB congo­lais en 2012, ne per­met pas de sor­tir la popu­la­tion du marasme éco­no­mique et ne contri­bue pas à son déve­lop­pe­ment. Mêmes si les inves­tis­se­ments étran­gers dans le sec­teur minier n’ont ces­sé de croitre ces der­nières années, ses recettes ne repré­sentent en 2012 que 10 % du bud­get de l’État. Ce manque de retom­bées s’explique par la fraude et la cor­rup­tion, mais aus­si par les nom­breuses exo­né­ra­tions fis­cales accor­dées aux entre­prises minières et une libé­ra­li­sa­tion favo­ri­sant l’exportation des mine­rais sans presque créer de plus-value sur le ter­ri­toire. Viennent éga­le­ment s’ajouter une série d’impacts néga­tifs au niveau local en termes d’environnement et de droits de l’homme, notam­ment au Katan­ga, prin­ci­pal bas­sin minier indus­triel de la RDC : pol­lu­tions, acca­pa­re­ments de terres, insé­cu­ri­té ali­men­taire, nombre limi­té d’emplois, condi­tions de tra­vail indécentes.

La Com­mis­sion Jus­tice et Paix s’est ren­due à trois reprises entre 2009 et 2013 au Sud Kivu. Cette pro­vince est un point d’observation pri­vi­lé­gié de la dyna­mique minière en RDC. Comme d’autres (Kasaï, Katan­ga, Pro­vince orien­tale), elle est mar­quée par la coexis­tence de l’exploitation indus­trielle et arti­sa­nale1 et, comme au Nord-Kivu, le com­merce des mine­rais arti­sa­naux ali­mente les vio­lences armées.

L’arrivée de BANRO au Sud-Kivu

L’exploitation minière indus­trielle du Sud-Kivu a débu­té en 1923. Après l’indépendance, l’activité y a connu une baisse de ren­ta­bi­li­té pro­gres­sive. En 1976, la socié­té belge Somin­ki (Socié­té minière et indus­trielle du Kivu, socié­té mixte avec une par­ti­ci­pa­tion de 28 % de l’État congo­lais) fut créée, dis­po­sant de qua­rante-sept conces­sions cou­vrant près de 10 000 kilo­mètres car­rés, dont six où elle exploi­tait de l’or : trois à Kami­tu­ga et les trois autres à Lugu­sh­wa, Namoya, Twan­gi­za (l’une est dans le Manie­ma). Le marasme éco­no­mique des années 1980 entrai­na un effon­dre­ment des cours de l’étain et obli­gea la Somin­ki à fer­mer la plu­part de ses exploi­ta­tions, en dehors du sec­teur auri­fère qui res­tait rentable.

C’est dans ce contexte chao­tique que la junior cana­dienne Ban­ro rache­ta en 1996 la tota­li­té des parts déte­nues par l’actionnariat pri­vé belge de la Somin­ki (soit 72 % de la socié­té). Le déclen­che­ment de la guerre en 1996 condui­sit au pillage des ins­tal­la­tions de la Somin­ki. Un fois arri­vé au pou­voir, Laurent-Dési­ré Kabi­la contes­ta la vali­di­té des titres miniers déte­nus par Banro.

Avec le déclen­che­ment du second conflit en 1998 et l’occupation du Kivu par le RCD (Ras­sem­ble­ment congo­lais pour la démo­cra­tie), les anciennes conces­sions de la Somin­ki furent lais­sées aux mains des groupes armés, des notables locaux et des exploi­tants arti­sa­naux. À la signa­ture des accords de paix en 2002, le pré­sident Joseph Kabi­la cher­cha un arran­ge­ment à l’amiable avec Ban­ro qui récla­mait un mil­liard de dol­lars de dom­mages à l’État congo­lais devant une cour inter­na­tio­nale d’arbitrage à Washing­ton. Un décret éta­bli en avril 2003 auto­ri­sa Ban­ro à récu­pé­rer les conces­sions auri­fères. Le 20 novembre 2003, une céré­mo­nie offi­cielle à Buka­vu scel­lait le déploie­ment des acti­vi­tés de Ban­ro dans la pro­vince (Mayun­do Muyu­ba, 2006).

Ain­si, Ban­ro n’a jamais bais­sé les bras, même durant les années troubles de la guerre. Bien pla­cée pour appré­cier le poten­tiel du sous-sol dont elle reven­di­quait la pro­prié­té, et pro­ba­ble­ment encou­ra­gée par l’augmentation des cours des matières pre­mières début des années 2000, la socié­té cana­dienne, qui can­ton­nait jusque-là ses acti­vi­tés à l’exploration, a déci­dé de se lan­cer elle-même dans l’exploitation indus­trielle. Ce fait est assez rare pour être sou­li­gné : en tant que junior, Ban­ro aurait nor­ma­le­ment dû lais­ser l’exploitation à l’une des majors du sec­teur. Il en dit long sur la richesse du sous-sol concé­dé par l’État à l’entreprise…

La socié­té cana­dienne pos­sède actuel­le­ment quatre per­mis d’exploitation rela­tifs à des conces­sions auri­fères dans les pro­vinces du Sud-Kivu (Twan­gi­za, Lugu­sh­wa et Kami­tu­ga) et du Manie­ma (Namoya). La pro­duc­tion indus­trielle de l’or a offi­ciel­le­ment débu­té en octobre 2011 à Twan­gi­za où Ban­ro exploite une mine à ciel ouvert et a implan­té une usine de trai­te­ment. Une seconde usine est en cours de construc­tion à Namoya. À Lugu­sh­wa et Kami­tu­ga, la com­pa­gnie est en phase d’exploration avan­cée et devrait exploi­ter à ciel ouvert d’ici peu de temps. Sur tous ces sites, Ban­ro fait face à un défi majeur pour son image : la coexis­tence avec le sec­teur artisanal.

L’essor de l’artisanat minier

À l’inverse du Katan­ga, le Kivu mon­ta­gneux n’est pas une région tra­di­tion­nel­le­ment et prio­ri­tai­re­ment dédiée à l’exploitation minière. Aujourd’hui pour­tant, on y exploite un peu par­tout arti­sa­na­le­ment de l’or, du col­tan2 (mine­rai du tan­tale), du wol­fra­mite (mine­rai du tungs­tène) et de la cas­si­té­rite (mine­rai d’étain).

L’artisanat minier s’est répan­du en RDC dans les années 1980, lorsque le pré­sident Mobu­tu libé­ra­li­sa l’activité qui concer­nait, à l’époque, prin­ci­pa­le­ment le Kasaï et le Katan­ga. Durant la même décen­nie, la crise éco­no­mique mon­diale entrai­na un effon­dre­ment des cours de l’étain et obli­gea la Somin­ki à stop­per l’extraction de la cas­si­té­rite pour se concen­trer sur les prin­ci­paux sec­teurs auri­fères. Du déclen­che­ment de la guerre en 1996 jusqu’à la pro­duc­tion des pre­miers lin­gots d’or de Ban­ro à Twan­gi­za en 2011, l’exploitation indus­trielle dans la pro­vince du Sud-Kivu est res­tée à l’arrêt, lais­sant quinze années durant le champ libre à l’exploitation artisanale.

Le déve­lop­pe­ment de l’artisanat dans les Kivu s’explique éga­le­ment par ce que l’on a appe­lé le boom du col­tan des années 1999 – 2000 (de Failly, 2001). Le prix de ce mine­rai attei­gnit à cette époque les 350 dol­lars le kilo. Dans l’espoir de gagner plu­sieurs dizaines de dol­lars en quelques semaines, les rési­dents de la région, y com­pris de nom­breux enfants, se mirent en quête du pré­cieux mine­rai. Sous l’effet de ce boom, l’exploitation minière arti­sa­nale devint une échap­pa­toire éco­no­mique pour la popu­la­tion. En 2009, on esti­mait le nombre de creu­seurs arti­sa­naux à envi­ron 400 000 pour les pro­vinces du Sud et du Nord-Kivu. Rien que pour cette der­nière, le nombre de sites arti­sa­naux est esti­mé à près de neuf-cents !

Un autre fac­teur clé, de nature géo­gra­phique, explique l’émergence de l’exploitation arti­sa­nale à l’Est : l’enclavement des ter­ri­toires. Avant même la ques­tion de l’instabilité poli­tique du pays et de l’insécurité dans la région, l’installation d’usines et l’acheminement des mine­rais, depuis des sites per­dus dans la forêt et dis­tants par­fois de plu­sieurs cen­taines de kilo­mètres des grands centres urbains, repré­sentent des défis logis­tiques et finan­ciers dif­fi­ciles à rele­ver pour les inves­tis­seurs, publics ou privés.

Enfin, men­tion­nons l’avidité pour les res­sources minières des groupes armés qui pro­fitent lar­ge­ment du carac­tère infor­mel de l’exploitation arti­sa­nale. Il est aujourd’hui bien connu que dif­fé­rents groupes armés, natio­naux3 et étran­gers4, et des pays voi­sins5 sont illé­ga­le­ment impli­qués dans l’exploitation et le com­merce des mine­rais du Kivu. Cette avi­di­té, conju­guée à la déli­ques­cence de l’État congo­lais et à sa qua­si-absence dans les ter­ri­toires de l’est, explique l’enlisement actuel du conflit, fai­sant de la région des Grands Lacs le cas emblé­ma­tique de la pro­blé­ma­tique des « mine­rais des conflits » (conflict mine­rals).

Twangiza et Mukungwe : le modus operandi de BANRO sur la sellette

Dans ce contexte, le déploie­ment des acti­vi­tés de Ban­ro sou­lève de nom­breuses ques­tions et inquié­tudes. Le démar­rage de la pro­duc­tion de l’usine à Twan­gi­za consti­tue un pré­cé­dent sérieux : sur les quelques mil­liers de creu­seurs actifs sur le site avant son arri­vée6, l’entreprise n’en a enga­gé qu’environ six-cents, lais­sant les autres et leur famille sur le car­reau. Outre les consé­quences éco­no­miques désas­treuses pour la popu­la­tion, les méthodes de Ban­ro engendrent la méfiance : dia­lo­guer dans un pre­mier temps pour sau­ve­gar­der la paix sociale et inter­dire ensuite les car­rières aux exploi­tants artisanaux.

En effet, « à Twan­gi­za (dans les chef­fe­ries de Luh­wind­ja et de Burhi­nyi), où les tra­vaux ont vite évo­lué, la socié­té sem­blait au début tolé­rer la pré­sence des creu­seurs arti­sa­naux. Mais cette tolé­rance a été de courte durée. À la phase d’exploitation, les creu­seurs ont été chas­sés des sites qu’ils occu­paient […] Pour éva­cuer les creu­seurs de leur lieu de tra­vail, on leur pro­met­tait de l’emploi et l’amélioration de leurs condi­tions de vie à tra­vers des pro­jets d’intégration sociale […] Aujourd’hui, beau­coup de creu­seurs qui avaient été enga­gés comme jour­na­liers au sein des entre­prises de sous-trai­tance tra­vaillant avec Ban­ro sont mis à l’écart, car pen­dant la phase d’exploitation on a plus besoin de spé­cia­listes que de main‑d’œuvre lourde » (Kamun­da­la Byem­ba, 2012).

Les creu­seurs actifs dans les autres conces­sions de Ban­ro sont aver­tis et craignent pour leur sur­vie si le scé­na­rio de Twan­gi­za se repro­duit chez eux. Ils savent que Ban­ro n’engagera que peu de per­sonnes et estiment que les salaires pro­po­sés par les sous-trai­tants de Ban­ro sont trop peu éle­vés (entre 2 et 4 dol­lars par jour). À Kami­tu­ga et Mun­kungwe, les coopé­ra­tives et syn­di­cats de creu­seurs craignent le pire et la ten­sion monte au fur et à mesure que les inten­tions de Ban­ro se précisent.

Dans la car­rière d’or de Mukungwe, située non loin de Twan­gi­za, Ban­ro sou­haite enta­mer l’exploration du site… où tra­vaillent pas moins de trois-mille per­sonnes ! La com­pa­gnie cana­dienne fait valoir qu’elle dis­pose d’un droit d’explorer octroyé par Kin­sha­sa. Les conces­sion­naires, déten­teurs eux aus­si de titres miniers, et le syn­di­cat des creu­seurs contestent la vali­di­té du per­mis de Ban­ro et défendent que cette car­rière, exploi­tée arti­sa­na­le­ment depuis qua­rante ans, n’a jamais fait par­tie des anciennes conces­sions de la Somin­ki. Afin de gérer paci­fi­que­ment le conflit, un dia­logue au niveau de la pro­vince a été enga­gé entre Ban­ro, les auto­ri­tés locales (admi­nis­tra­tives et cou­tu­mières) et les creu­seurs (syn­di­cat et coopé­ra­tives). Une feuille de route serait même en cours d’élaboration.

Kamituga : une poudrière prête à exploser ?

Depuis le déclen­che­ment de la deuxième guerre en 1998, la ville de Kami­tu­ga a connu une impor­tante crois­sance démo­gra­phique, accom­pa­gnée par le déve­lop­pe­ment anar­chique de nom­breux quar­tiers. Le der­nier recen­se­ment offi­ciel d’avant la guerre fai­sait état d’environ trois-cent-mille habi­tants. Aujourd’hui, ce nombre a pro­ba­ble­ment dou­blé. Selon l’abbé Jacques Wilond­ja7, la sur­vie éco­no­mique de plus de la moi­tié de la popu­la­tion de Kami­tu­ga dépend actuel­le­ment de l’activité artisanale.

La mine prin­ci­pale de Mobale, exploi­tée de façon sou­ter­raine à l’époque de la Somin­ki, n’est plus acces­sible aux creu­seurs depuis 1998, après que la popu­la­tion l’a noyée pour la pré­ser­ver de la rapa­ci­té des groupes armés. Les creu­seurs arti­sa­naux exploitent donc d’autres car­rières aban­don­nées par la Somin­ki avant la guerre. Une car­rière peut à elle seule comp­ter des cen­taines de puits, comme celle de Tchan­da, située au pied de la col­line Kibu­ki­la, qui en compte près de trois-cents. En plus de Tchan­da, six autres car­rières arti­sa­nales loca­li­sées en ville et au moins six autres mines péri­phé­riques (situées dans un rayon de 40 kilo­mètres) sont actuel­le­ment exploi­tées. La pro­duc­tion de tous ces sites tran­site par Kamituga.

L’installation de Ban­ro à Kami­tu­ga engendre une situa­tion explo­sive. La com­pa­gnie pré­pare actuel­le­ment l’exploitation de la col­line Kibu­ki­la, sous laquelle se trouve l’ancienne mine inon­dée de Mobale. La popu­la­tion ne sou­haite pas voir cette col­line rasée par l’exploitation à ciel ouvert, car elle sur­plombe la ville et la pro­tège du vent. Les dizaines de mil­liers de creu­seurs tra­vaillant sur les autres car­rières craignent d’être chas­sés comme à Twan­gi­za. À l’initiative des coopé­ra­tives et syn­di­cats de creu­seurs, un dia­logue s’est ins­tau­ré loca­le­ment, mais le contact n’est pas encore éta­bli avec les res­pon­sables de Ban­ro basés à Buka­vu. Du côté des auto­ri­tés pro­vin­ciales et de Kin­sha­sa, c’est le silence radio.

Les creu­seurs n’ont aucune vision sur ce que leur réserve l’avenir. Selon l’abbé Jacques Wilond­ja, « le risque d’un déra­page en un conflit social violent existe », et plu­sieurs acteurs locaux ren­con­trés en 2013 pré­disent que « le sang cou­le­ra à Kami­tu­ga » si les auto­ri­tés poli­tiques locales et de Kin­sha­sa tardent à désa­mor­cer la situa­tion. C’est pour­tant ce qui semble se des­si­ner : il y a quelques semaines, des uni­tés de la police natio­nale venues de Buka­vu, ren­for­cées par celles de Kami­tu­ga et les FARDC, ont enva­hi les car­rières arti­sa­nales autour de la mine de Mobale, ont sai­si vingt-quatre concas­seurs uti­li­sés par les creu­seurs et les ont trans­por­tés jusqu’à Buka­vu. Cette action en rajoute encore au mécon­ten­te­ment de la popu­la­tion. Elle a en outre contraint les femmes à retour­ner mas­si­ve­ment tra­vailler dans les car­rières pour concas­ser les mine­rais en rem­pla­ce­ment des machines sai­sies8.

On est en droit éga­le­ment de se deman­der ce qu’il advien­dra lorsque Ban­ro déci­de­ra d’étendre l’exploitation de la col­line de Kibu­ki­la ? Dif­fé­rents filons et gale­ries qui com­po­saient la mine sou­ter­raine de Mobale se trouvent aujourd’hui sous des cen­taines d’habitations. Quelles sont les inten­tions de Ban­ro à pro­pos de ces filons ? Quelles garan­ties sa popu­la­tion a‑t-elle de ne pas voir ses habi­ta­tions détruites ?

La pré­sence de Ban­ro pré­sente aus­si le risque d’aggraver la situa­tion sécu­ri­taire dans la région. Bon nombre de creu­seurs sont d’anciens membres des groupes armés recon­ver­tis dans l’artisanat minier. Les risques sont que, livrés à eux-mêmes, ceux-ci reprennent les armes. Il existe aus­si pour les jeunes non sco­la­ri­sés qui se sont très tôt tour­nés vers les mines. Plu­sieurs creu­seurs ren­con­trés à Kami­tu­ga nous ont confié que si on leur inter­di­sait l’accès aux mines, ils pour­raient reprendre les armes et rejoindre la « rébel­lion ». Ce scé­na­rio est plau­sible puisque les six mois de sus­pen­sion de l’activité arti­sa­nale, décré­tée en 2010 par le pré­sident Kabi­la, se sont sol­dés par une aug­men­ta­tion de la cri­mi­na­li­té dans les com­mu­nau­tés minières contraintes du jour au len­de­main à l’oisiveté.

L’urgence du débat démocratique

L’installation de Ban­ro en RDC met en lumière les ten­sions qui entourent la ques­tion minière à l’est du pays. Elle confronte des visions dif­fé­rentes sur le rôle éco­no­mique du sec­teur minier pour le déve­lop­pe­ment du pays et sou­lève la ques­tion de la coexis­tence entre sec­teurs indus­triel et artisanal.

À Kin­sha­sa et à l’étranger, l’activité arti­sa­nale est géné­ra­le­ment consi­dé­rée comme un « piège à pau­vre­té » : der­rière l’apparence illu­soire d’un enri­chis­se­ment facile à très court terme, elle génère une dyna­mique d’appauvrissement (Inter­na­tio­nal Alert, 2009). Elle échappe pour l’essentiel au contrôle de l’État, les recettes fis­cales qui en sont tirées ne contri­buent pas signi­fi­ca­ti­ve­ment aux finances publiques. À contra­rio, le sec­teur indus­triel, dont découlent de juteux contrats avec les opé­ra­teurs miniers inter­na­tio­naux pri­vés (Cana­da, États-Unis, Angle­terre, Afrique du Sud) ou publics (Chine), est finan­ciè­re­ment plus inté­res­sant pour le gou­ver­ne­ment. Com­pa­rée aux mil­lions de dol­lars « en cash » géné­rés par le sec­teur indus­triel qui arrivent direc­te­ment sur la table du gou­ver­ne­ment à Kin­sha­sa, l’activité arti­sa­nale des pro­vinces éloi­gnées est peu attractive.

La pers­pec­tive des acteurs de l’est est dif­fé­rente. Si le sort des creu­seurs paraît peu enviable, vers quelle autre échap­pa­toire pour­raient-ils bien se tour­ner ? Ce sec­teur est net­te­ment plus créa­teur d’emplois que l’industrie et il per­met à des cen­taines de mil­liers de per­sonnes d’éviter de som­brer dans la pau­vre­té abso­lue ou d’en sor­tir. Sans cet ultime filet, la situa­tion sociale à l’est du Congo serait encore bien pire qu’elle ne l’est actuel­le­ment. Pas­ser la main aux mul­ti­na­tio­nales étran­gères est-il le meilleur choix ? À qui l’arrivée de Ban­ro au Sud-Kivu est-elle cen­sée profiter ?

L’article 58 de la Consti­tu­tion congo­laise sti­pule pour­tant que « tous les Congo­lais ont le droit de jouir des richesses natio­nales. L’État a le devoir de les redis­tri­buer équi­ta­ble­ment et de garan­tir le droit au déve­lop­pe­ment ». Au Sud-Kivu, on est bien loin du compte. Pour y par­ve­nir, les prio­ri­tés res­tent l’instauration de la démo­cra­tie et la res­tau­ra­tion de la sou­ve­rai­ne­té natio­nale sur le ter­ri­toire. Et il y a urgence ! Telles sont les condi­tions pour que des déci­sions, issues du débat démo­cra­tique, abou­tissent à une ges­tion (enfin) durable des innom­brables res­sources natu­relles du pays.

Pré­sence de groupes miniers en RDC
Il existe envi­ron 300 entre­prises minières en RDC dont une dizaine est cotée en bourse. Voi­ci un sur­vol de ce sec­teur mou­vant et mal connu. Il se concentre sur les groupes miniers les plus en vue, avec un com­men­taire sur la place du sec­teur artisanal .
-* Cuivre-cobalt
 — Pro­vince du Katanga
 — Glen­core inter­na­tio­nal (dans Katan­ga mining)
 — TFM (notam­ment dans Free­port-Mcmo­ran, Anvil mining, First Quantum).
L’activité indus­trielle est essen­tiel­le­ment loca­li­sée au Katan­ga. La Géca­mines (ex-Union minière) a négo­cié une répar­ti­tion public/privé des parts et des béné­fices avec des firmes étran­gères, notam­ment dans le cadre des contrats chi­nois. Au Kan­ta­ga, le sec­teur indus­triel coexiste, dans une grande ten­sion, avec le sec­teur artisanal.
-* Or
 — Pro­vince Orien­tale : Kiba­li Gold Mines (Rand­gold Resources et Anglo­gold Ashan­ti) ; Mawan­fri­ca ; Kilogold.
 — Kivu-Manie­ma : Ban­ro et sa filiale Lon­cor ; Transafrica.
La filière est jusqu’ici essen­tiel­le­ment arti­sa­nale (plus de 90 % des expor­ta­tions hors contrôle). Mais des conces­sions ont été récem­ment accor­dées au sec­teur indus­triel (Ban­ro, depuis 2011) et des explo­ra­tions sont en cours.
-* Fer
 — Pro­vince Orien­tale : Rio Tinto.
-* Bauxite
 — Bas-Congo : BHP Billiton.
-* Col­tan [colum­bite tantalite] 
 — Nord et Sud-Kivu ; Katanga.

Des per­mis d’exploration ont été accor­dés à de nom­breuses entre­prises pour ce mine­rai d’importance stra­té­gique dans les sec­teurs de la télé­com­mu­ni­ca­tion et de l’électronique. Mais la pro­duc­tion reste pour l’instant essen­tiel­le­ment artisanale.
-* Dia­mant [indus­triel]
 — Kasaï
L’industrie a décli­né (sauf pré­sence de la MIBA, entre­prise d’État), la pro­duc­tion est à 90 % arti­sa­nale (700 000 à 1 mil­lion de creuseurs).
Pro­ve­nance des entre­prises minières étrangères
 — Europe : Bel­gique, Grande-Bre­tagne, Suisse, Kazakhstan.
 — Amé­rique du Nord : Canada,
 — États-Unis.
 — Asie : Chine.
 — Amé­rique latine : Brésil.
 — Afrique : Afrique du Sud.
  1. L’activité minière arti­sa­nale est une éco­no­mie de sur­vie à grande échelle dont des cen­taines de mil­liers de Congo­lais dépendent. Elle concerne les pro­vinces du Katan­ga, du Manie­ma, du Nord-Kivu, du Sud-Kivu, et la pro­vince Orien­tale. Elle désigne l’activité minière lorsque l’extraction est réa­li­sée par des per­sonnes indi­vi­duelles, des arti­sans « creu­seurs », qui tra­vaillent soit à leur compte soit dans une zone qu’un indi­vi­du met à leur dis­po­si­tion en échange de l’exclusivité de la vente ou d’un pour­cen­tage de ce qu’ils ramassent (Banque mon­diale, 2008, p. 63).
  2. Le « col­tan » est le sur­nom don­né par les Congo­lais au colom­bo-tan­ta­lite. Après tami­sage et raf­fi­nage, reste le tan­tale qui est un excellent conduc­teur d’électricité, faci­le­ment mal­léable et très résis­tant à la cor­ro­sion et à la cha­leur. Bien qu’actuellement seuls 5 % à 10 % de la pro­duc­tion mon­diale vien­draient de la RD Congo — dans l’est, les pro­vinces du Kivu —, on dit que l’Afrique pos­sè­de­rait plus de 60 % des réserves mon­diales et que le col­tan du Kivu contien­drait l’un des taux de tan­tale les plus éle­vés au monde.
  3. Forces armées congo­laises (FARDC) et milices d’auto-défense (Maï-Maï).
  4. FDLR et M23 (ex-CNDP).
  5. Rwan­da et Ougan­da notamment.
  6. Cer­tains recen­se­ments font état de 13 000 per­sonnes. Le chiffre exact tour­ne­rait plu­tôt autour des 6 000.
  7. Res­pon­sable de la Com­mis­sion dio­cé­saine Jus­tice et Paix d’Uvira.
  8. Ces femmes sont appe­lées « mamans twan­gueuses ». Leur acti­vi­té s’est par­ti­cu­liè­re­ment déve­lop­pée à Kami­tu­ga depuis le déclen­che­ment du conflit en 1998.

Frédéric Triest


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