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Avril à l’horizon
Le jour venait de se lever. Du haut de la colline pelée, on voyait nettement se dessiner la ligne d’horizon. Une ligne tendue, sans accroc, infiniment fine, pareille à un fil d’or. C’était l’image de la constance que nous avions sous les yeux, l’immuable, un repère strict, vaste et puissant. Un voile de lumière rose orangé […]

Le jour venait de se lever. Du haut de la colline pelée, on voyait nettement se dessiner la ligne d’horizon. Une ligne tendue, sans accroc, infiniment fine, pareille à un fil d’or.
C’était l’image de la constance que nous avions sous les yeux, l’immuable, un repère strict, vaste et puissant.
Un voile de lumière rose orangé venait réveiller le ciel bleu et fondre dans sa masse la couleur du levant. Pendant que l’aube perçait le jour, nous attendions que le soleil cogne dans nos regards d’enfants. Nos yeux perdus dans le ciel s’accrochaient au vol des rapaces en chasse qui tournoyaient au-dessus de nos têtes, à l’affut des odeurs de charogne et de sang. Nous les regardions se perdre dans les rares ciels tendres des journées de novembre.
Puis l’hiver s’installa. C’était un hiver de froid sec et de vent saisissant, pétrifié par des nuées d’herbes givrées. Malgré le climat sévère, le paysage était notre abri, notre refuge, le terreau fertile de nos existences.
Enveloppés dans nos doudounes gonflées de plumes d’oie, nous marchions, téméraires et joyeux, en route vers les lacs gelés. Dans nos poches, nos mains tuméfiées cherchaient à soulager la douleur causée par le froid. Cet hiver rude allait bientôt nous condamner au repli forcé.
Janvier venait tout juste de se terminer. Nous entrions dans la saison des paysages de désolation, des paysages habités par un bataillon de ronces barbelées. Les branches hautes des arbres anémiés se reposaient sous la brume et, nous, nous restions plantés là, à attendre que la pluie cesse de remplir le vide. Nous la laissions, oblique et froide, s’abattre sur nos corps tout entiers, puis nous rentrions à la maison, lavés de tout.
Nous passions ensuite nos soirées à veiller près du feu, l’œil égaré dans la valse des flammes, et nous allions nous coucher, gravitant dans le spectre étiolé de nos nuits éthérées. Blottis dans nos couvertures de plomb, nous avions besoin d’air.
Les jours étaient désormais régentés par les caprices saisonniers. Le soleil se cachait derrière des essaims de nuages volants. La lumière se perdait quelque part là-haut, nous privant de ses rayons tutélaires. L’air était morne, trouble et brouillé. Des jours entiers nous vivions dans le noir. Nous regardions de près la vie se dégrader, noyés dans le cafard cruel des hécatombes. Sur le chemin des perspectives dérivantes, nous attendions que le poison tenace se lasse et que la menace s’essouffle.
Avec le printemps comme complice, nous allions laisser derrière nous le temps des horizons sinistres. Nous allions bientôt retrouver la tempérance et l’embellie dans nos cœurs vagabonds. Comme des naufragés délivrés, nos épaules allaient enfin se dénouer. Devant le paysage nu, nous allions nous retrouver. Nous retrouver, étrangement vivants.
Edwige Ziarkowski est née en 1981. Diplômée de l’École supérieure d’Art de Clermont Métropole en 2007, elle développe une pratique artistique basée sur le dessin, l’écriture, la peinture, le volume et l’installation. Naviguant depuis plusieurs années d’une discipline à l’autre, elle consacre à présent une partie de son temps à des projets littéraires. 2007 marque la création de sa première autoédition, Accords conformatics, un recueil de textes courts accompagnés de dessins. Dans la même lignée, elle fait paraitre en 2015 Entre le monde et moi, un livre tandem associant un récit à des illustrations. La narration se recentre exclusivement sur les mots lorsqu’elle publie en 2019 une nouvelle intitulée Matin blanc. Depuis quelques mois, l’auteure travaille sur Crésus is not dead, une fiction qu’elle envisage également de diffuser. En parallèle de sa pratique, Edwige Ziarkowski encadre des ateliers de création. Elle intervient dans différentes structures associatives accueillant des groupes d’enfants et d’adultes. Avec l’envie profonde de transmettre et de soutenir la culture artistique en milieu rural, elle propose également des conférences en histoire de l’art dans son département. « Un peu loin des mouvances et des réseaux à tout prix, j’ai toujours travaillé malgré moi et naturellement sur les choses de la vie. Vaste mélimélo. Sur des histoires ordinaires : échos sur le temps qu’il fait, ressentis, états d’âme, souvenirs, rêves, paysages, sensibleries… qui s’infusent en moi et qui me nourrissent en douce. Comme les sapins blancs de neige, la belette solitaire, les constellations, les refuges, le silence, la chute du mur, l’abandon, la détention ou le tir aux pigeons. » |