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Avoir un projet
Mais Chantal, as-tu un projet ? Elle se tait boudeuse, ulcérée de ne pouvoir passer la nuit à l’hôpital. Chantal, qui est à la limite de la débilité mentale, souffre d’une pathologie psychiatrique lourde et rechignait à se soigner, trouvant qu’elle « n’avait plus sa tête » avec les médicaments. Habituellement, elle « gère », comme elle dit, mais là sa vie avait […]
Mais Chantal, as-tu un projet ? Elle se tait boudeuse, ulcérée de ne pouvoir passer la nuit à l’hôpital. Chantal, qui est à la limite de la débilité mentale, souffre d’une pathologie psychiatrique lourde et rechignait à se soigner, trouvant qu’elle « n’avait plus sa tête » avec les médicaments. Habituellement, elle « gère », comme elle dit, mais là sa vie avait débordé et elle s’était laissé emporter. Pour éviter qu’elle ne mette sa santé en danger, les médecins ont décidé sa « mise en observation » (l’ancienne collocation) qui s’est prolongée pendant un an. Celle-ci ne s’est achevée qu’à la condition que Chantal revienne à l’hôpital psychiatrique une fois par mois pour assurer la poursuite du traitement. Sa dernière crise vient de la conduire en urgence dans le service psychiatrique d’une clinique qui la laisse sortir dans un état de grande nervosité. La bénévole qui est venue la chercher s’en inquiète et n’ose prendre le risque de la ramener chez elle ; elle décide donc de la conduire à l’hôpital dont Chantal dépend afin qu’elle y passe la nuit en sécurité.
À la fin de l’après-midi, elles sont reçues par l’interne de garde qui, avec beaucoup de bonne volonté, s’enquiert du « projet » qui motive la demande de Chantal. A‑t-elle un projet ? La question scandera les deux heures qui vont suivre. De projet, elle n’a pas, épuisée par la colère qui l’a fait hurler dans la voiture pendant quarante kilomètres, de la clinique à l’hôpital.
La bénévole, qui pourrait tout aussi bien ne pas exister, tente d’expliquer à l’interne qu’elle estime dangereux pour la santé de Chantal de la laisser passer la nuit seule chez elle. « C’est juste pour cette nuit-ci », tente-t-elle de plaider. En vain, l’interne ne se soucie que du projet de Chantal. Elle ne peut pas revenir à l’hôpital comme ça, quand bon lui chante, il faut qu’elle ait un projet. Être à la fin d’une crise ne semble pas répondre à la définition d’un projet…
Le temps passe, la situation semble sans issue. L’interne lui signifie : « Pas de projet, pas d’hospitalisation. » Ce que la bénévole avait pris pour une espèce de jeu, jouer à trouver quelque chose à dire à l’interne qui va l’agréer pour qu’il dise enfin qu’il accepte de la garder pour la nuit, commence à l’inquiéter. Que faire de Chantal si l’hôpital lui ferme la porte ?
L’interne l’a reconduite dans le hall d’entrée, ouvre la porte en lui disant qu’il ne peut rien pour elle. Oui, mais quel est ton projet, Chantal ? La discussion se poursuit debout dans le hall avec un infirmier, un éducateur, on ne sait, l’interne ayant renoncé. Tu sais que si tu n’as pas de projet, tu ne peux pas venir avant ta semaine d’hospitalisation qui est dans quinze jours… Chantal s’enferme dans le mutisme. Mais enfin, tu sais bien ce que l’on peut te proposer ici, il y a l’ergothérapie… Elle voit enfin l’ouverture et s’y engouffre. Elle marmonne, je veux aller à l’ergo. La bénévole se dit que c’est un peu léger comme projet. Mais surprise, ça marche. Ah, tu vois que tu as un projet… Soulagement général, Chantal a un lit pour la nuit.
La bénévole remonte dans sa voiture, ne sachant en fin de compte si le jeu était sérieux ou pas. Si Chantal n’avait finalement pas compris ce qu’elle devait répondre, les différents intervenants l’auraient-ils laissée rentrer chez elle, avec pour seule ressource de téléphoner à la police en pleine nuit, chose dont Chantal est coutumière en cas de problème ? Ont-ils fait semblant, ont-ils joué avec une jeune femme qui, manifestement, était à ce moment-là au-delà de toute idée de projet, surtout quand celui-ci se résume à enfiler des perles à l’ergo ?