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Avec nous, c’est moche. Sans nous, ce serait pire

Numéro 4/5 avril-mai 2014 - élections MR NVA partis politiques par La Revue nouvelle

mai 2014

Nous appro­chons des élec­tions fédé­­ra­­lo-régio­­na­­lo-euro­­péennes du mois de mai et la cam­pagne, qui semble avoir débu­té il y a des mois déjà, bat son plein. Tous les signes sont bien là : coups média­tiques, petites phrases assas­sines, tabas­sage publi­ci­taire en ligne (la NV‑A y est omni­pré­sente), strip­tease des uns et, déjà, hos­pi­ta­li­sa­tion des autres ; comme d’habitude, la campagne […]

Édito

Nous appro­chons des élec­tions fédé­ra­lo-régio­na­lo-euro­péennes du mois de mai et la cam­pagne, qui semble avoir débu­té il y a des mois déjà, bat son plein. Tous les signes sont bien là : coups média­tiques, petites phrases assas­sines, tabas­sage publi­ci­taire en ligne (la NV‑A y est omni­pré­sente), strip­tease des uns et, déjà, hos­pi­ta­li­sa­tion des autres ; comme d’habitude, la cam­pagne sera sans mer­ci. Elle ne sera pas pour autant sans rete­nue, certes, puisque per­sonne n’exclut aucun scé­na­rio, ne ferme la porte. Cha­cun s’affirme sans exclu­sive et sans aprio­ri. On se drague donc autant qu’on se tacle, et tout est bon pour, à la fois sem­bler se dis­tin­guer des autres et en res­ter suf­fi­sam­ment près pour être le pre­mier contac­té par le futur formateur…

Cha­cun qui veut gou­ver­ner est donc sans aprio­ri idéo­lo­gique, ce qui semble aujourd’hui une ver­tu car­di­nale, sauf pour ce qui est du mori­bond, mais tenace cor­don sani­taire. Car avoir une idéo­lo­gie semble la pire des choses que l’on puisse avouer. Pen­sez donc, entre­te­nir une vision du monde, avoir des points fixes, des prin­cipes, des inter­dits, des pré­re­quis, voire des rêves de len­de­mains meilleurs, quoi de plus effrayant dans un monde de coa­li­tions infi­ni­ment réver­sibles au ser­vice de pro­jets néces­sai­re­ment périssables ?

À cet égard, par­ti­cu­liè­re­ment déli­cate est la rhé­to­rique des par­tis au pou­voir. Il leur faut pro­mettre monts et mer­veilles — et donc se pré­va­loir d’une pen­sée du monde, même mini­male — tout en évi­tant le ter­rible écueil de la ques­tion qui fait mal : « N’étiez-vous pas au pou­voir ces der­nières années et, si oui, que n’avez-vous eu plus tôt cette idée qui, selon vous, nous sau­ve­ra tous, que n’avez-vous défen­du ce point de vue qui semble faire par­tie de votre patri­moine génétique ? »

C’est ain­si que le MR enfourche son che­val de bataille habi­tuel, pro­met­tant une large réforme fis­cale, bâtie sur les prin­cipes de tou­jours : allè­ge­ment des charges, baisse de la pro­gres­si­vi­té de l’impôt, hausse des seuils de taxa­tion… La recette est à la fois vieille comme le monde libé­ral et pro­mise à un brillant ave­nir, assu­rant la reprise, le retour au plein-emploi, l’encouragement des méri­tants… rien que cela. Ah, que n’ont-ils eu plus tôt les rênes de la fis­ca­li­té fédé­rale… Tiens, mais, sommes-nous surs qu’ils ne les ont pas eues ?

Paral­lè­le­ment, le PS, sen­tant dans son cou le souffle d’un PTB-GO en pleine ascen­sion, tente de don­ner des gages à gauche. Entre un « voter extrême gauche, c’est ren­for­cer la droite » et l’affirmation qu’ils ont tou­jours sou­te­nu les valeurs du peuple de gauche, on peine à dis­tin­guer la jus­ti­fi­ca­tion des poli­tiques récentes faites de tours de vis en matière de droits sociaux, d’accueil des étran­gers ou de redis­tri­bu­tion des richesses. Ils ont été aux affaires, mais n’avaient pas les mains libres. Il faut les comprendre.

Pen­dant ce temps, le CDH accouche de ses listes dans la dou­leur et tente de démon­trer qu’il n’est le satel­lite de per­sonne. Un pro­jet de nou­velle ville wal­lonne est posé sur la table. Ça occupe. Éco­lo, quant à lui, cri­tique le bilan des majo­ri­tés dont il ne fut pas et défend celui de celles aux­quelles il par­ti­ci­pa, ten­tant de faire com­prendre en quoi il pesa sur le cours des choses quand elles tour­nèrent bien et pour­quoi il n’est pas res­pon­sable des couacs qui sont impu­tés à ses gou­ver­ne­ments. Pour cha­cun, l’exercice est donc des plus périlleux.

Par­tout, cepen­dant, la même ren­gaine : sans nous, c’eût été pire, sans les autres, nous aurions mieux fait… Certes, nous sommes dans un fou­tu pétrin, mais ima­gi­nez un peu ce qui se serait pas­sé si nous n’avions pas été là, ce qui se pas­se­rait si nous vous lais­sions tom­ber, si vous ne nous man­da­tiez pas pour vous défendre encore. Voi­là donc le niveau actuel de l’argumentation poli­tique ; nous sommes pas­sés de la lutte pour la concré­ti­sa­tion d’idéologies à l’ambition de sau­ver les meubles. Der­rière la rhé­to­rique du pis-aller, pointe une ins­tru­men­ta­li­sa­tion de la peur. Peur de l’effondrement du sys­tème capi­ta­liste, de la sécu­ri­té sociale ou des éco­sys­tèmes, mais peur dans tous les cas.

Le dos­sier du mois pas­sé ensei­gnait notam­ment que la peur n’est pas tou­jours mau­vaise conseillère, mais quand elle devient un res­sort cen­tral du rap­port poli­tique au monde, on est en droit… de s’inquiéter.

Sommes-nous à ce point en mal de vision du monde que nous en sommes réduits à ces expé­dients ? Ne pou­vons-nous retrou­ver le che­min de nou­velles des­crip­tions du monde qui puissent fon­der de nou­velles pres­crip­tions, mais qui ne soient pas de vieilles recettes relif­tées ? Devons-nous néces­sai­re­ment choi­sir entre la dés­illu­sion d’une perte de tout repère fiable et le fan­tasme de la résur­rec­tion des vieux dis­cours, iden­ti­taires ou mar­xistes, qui ne nous pro­mettent en fait qu’emplâtres sur jambes de bois ?

Car, en poli­tique, c’est dans les vieilles cas­se­roles qu’on pré­pare les soupes les plus amères… Mais quels sont les pro­ces­sus à même d’assurer une remon­tée vers les sphères diri­geantes de l’inventivité idéo­lo­gique des citoyens, de la socié­té civile et des intel­lec­tuels ? Et qui nous dit que c’est au sein de la classe poli­tique que s’élaboreront les idées qui, demain, nous ser­vi­ront de guide ?

La Revue nouvelle


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