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Aux grands et petits hommes, le Parti reconnaissant

Numéro 4 Avril 2010 par Francq Bernard

avril 2010

Sous le titre : « PS : un par­ti popu­laire en Wal­lo­nie, le déclin ou la recon­quête ? », le numé­ro de décembre 2009 de la revue Poli­tique consacre son thème à nous aider à voir plus clair sur une énigme : pour­quoi le PS a‑t‑il gagné les élec­tions de juin 2009 ? À tra­vers dix contri­bu­tions dont deux entre­tiens — celui d’Anne Deme­lenne, secré­taire géné­rale de […]

Sous le titre : « PS : un par­ti popu­laire en Wal­lo­nie, le déclin ou la recon­quête ? », le numé­ro de décembre 2009 de la revue Poli­tique consacre son thème à nous aider à voir plus clair sur une énigme : pour­quoi le PS a‑t-il gagné les élec­tions de juin 2009 ? À tra­vers dix contri­bu­tions dont deux entre­tiens — celui d’Anne Deme­lenne, secré­taire géné­rale de la FGTB, et celui d’Elio Di Rupo —, le par­cours qui nous est pro­po­sé ne manque pas d’intérêt. Parce qu’il est révé­la­teur, à se tenir au plus près des constats, des affir­ma­tions, par­fois des ana­lyses, que l’on peut lire, d’une obses­sion et de nom­breuses limites.

L’obsession tourne autour de l’étonnement de voir cette « vieille chose » qu’est le PS se main­te­nir comme pre­mier par­ti en Wal­lo­nie alors que les son­dages annon­çaient sa défaite. Les limites, c’est un jeu tra­gique et comique où le lec­teur se voit pro­po­ser des couples expli­ca­tifs tels que le Par­ti est popu­laire et authen­tique, il est proche et éloi­gné, il est à l’article de la mort et tou­jours prêt à renaitre des cendres de l’axe gauche-droite. C’est bien sûr moi qui mets en avant ces asso­cia­tions qui balisent le trai­te­ment du thème par Poli­tique et, comme je vais cher­cher à le mon­trer, il est révé­la­teur d’une autre asso­cia­tion, celle du comique et du tra­gique qui laisse le lec­teur dubi­ta­tif devant tant d’accouplements.

Populaire et authentique

Jean Faniel en cher­chant à répondre à la ques­tion « Le Par­ti socia­liste est-il popu­laire ? » se livre à un exer­cice — pas facile — qui consiste à essayer de cer­ner ce qui pour­rait être popu­laire : sur le plan élec­to­ral, « la popu­la­ri­té du PS est tout à la fois avé­rée et fra­gi­li­sée» ; sur celui de son élec­to­rat, la défi­ni­tion basique du Larousse (« popu­laire, soit rela­tif au peuple, en tant que milieu social ») ne nous per­met guère de savoir de quoi il retourne et la bonne vieille oppo­si­tion entre les petits et les gros n’est pas mobi­li­sée pour expli­quer ce qui peut être au cœur des mobi­li­sa­tions autres qu’électorales ; vient la ques­tion de savoir si le PS est popu­laire, pour­quoi l’est-il ? Par l’importance de ses adhé­rents, par le maillage local (les fameuses unions socia­listes com­mu­nales), par son enra­ci­ne­ment local, bref par « une réelle proxi­mi­té avec les citoyens ».

Si J. Faniel éta­blit un bilan nuan­cé des com­po­santes orga­ni­sa­tion­nelles du Par­ti (la pro­fes­sion­na­li­sa­tion de ses per­ma­nents, la per­sis­tance de cer­taines valeurs), vient la vraie rai­son du « pour­quoi le PS se main­tient en tout cas élec­to­ra­le­ment » : la rhé­to­rique du « sans nous, ce serait pire ». Qu’y a‑t-il der­rière cette rhé­to­rique ? La bonne vieille oppo­si­tion que Mar­cel Lieb­man déve­lop­pait dans ses ouvrages sur Les socia­listes belges, entre réforme et révo­lu­tion, le Par­ti ouvrier belge ayant joué tout au long de son his­toire sur une cer­ti­tude : la réa­li­té — c’est un terme qui revient sou­vent sous la plume des contri­bu­teurs — s’est impo­sée au main­tien et au déve­lop­pe­ment du Par­ti. Le popu­laire prend alors une réso­nance light : au fond, peu importent les écarts entre la rhé­to­rique et la réa­li­té (réfor­miste, bien sûr), sans le PS ce serait peut-être pire, avec lui, c’est vrai­ment mieux. Pre­mier aspect tragicomique.

L’entretien avec le « patron » (tra­di­tion oblige depuis Émile Van­der­velde) Elio Di Rupo nous fait entrer dans un autre type d’explication : le réel n’est pas accep­table, il pense qu’il doit être abso­lu­ment chan­gé. Cha­cun aura com­pris que le réel en ques­tion est la pen­sée unique néo­li­bé­rale, mais encore le pro­jet blai­riste auquel Elio Di Rupo n’a jamais adhé­ré car le PS n’est pas social-démo­crate. Il est authen­ti­que­ment socia­liste et il l’a prou­vé en se recen­trant sur l’axe gauche-droite en pro­cla­mant quelques jours avant les élec­tions qu’il ne ferait aucune alliance avec le Mou­ve­ment réfor­ma­teur, le MR, par­ti des liber­tés et du pro­grès. Le par­ti est res­té authen­tique parce qu’il n’a pas comme d’autres par­tis socia­listes en Europe cédé aux charmes de la dis­tance avec l’État, il a main­te­nu le cap de la défense des emplois publics, il a tra­vaillé à un contrat d’avenir pour la Wal­lo­nie (peu invo­quée dans les contri­bu­tions), bref il a été res­pon­sable… et les élec­teurs — popu­laires — l’ont per­çu en se per­sua­dant que sans lui, ce serait pire ! C’est bien la force du par­ti, cette « prise en compte du réel » avec un ancrage à gauche par rap­port à l’idéologie cen­triste et contre l’agressivité libé­rale de Reyn­ders. Bref, l’explication du main­tien du PS, voire de sa vic­toire aux élec­tions, c’est la clar­té de sa pos­ture idéo­lo­gique quant à la défense de… À lire l’interview d’Elio Di Rupo, on ne sait trop si c’est le peuple, les ins­ti­tu­tions qui font le maillage socia­liste sur le ter­rain, la néces­si­té d’avoir une « vraie » force à gauche, bref comme le dit le « patron », « le conflit de classes et de castes est plus réel que jamais ».

Mais ce n’est pas la seule expli­ca­tion pour expli­quer le main­tien du PS. Les petits et les Grands Hommes y occupent une place essen­tielle. Mais avant d’aborder ce thème, voyons ce que nous appre­nons en nous plon­geant dans les « bas­tions socia­listes » (je reven­dique le terme puisqu’il ser­vait à démon­ter dans mon livre Les deux morts de la Wal­lo­nie sidé­rur­gique, ce qui fai­sait la dif­fé­rence avec les for­te­resses rouges cen­trées sur un syn­di­ca­lisme de combat).

Proximité et éloignement

Le mot « proxi­mi­té » revient bien une dizaine de fois dans ce dos­sier sans qu’il fasse l’objet d’une réflexion cri­tique. Sur­tout dans les articles consa­crés à Liège, Char­le­roi, Mons, La Lou­vière — pour­quoi pas Saint-Gilles, Cha­pelle-lez-Her­lai­mont ou Seraing ou Tour­nai, pro­chaine terre d’élection de Rudy Demotte —, le lec­teur est frap­pé par la répé­ti­tion d’une sorte d’explication allant de soi : le PS a un ancrage local, il est dans un rap­port de proxi­mi­té avec les gens du peuple, il « fait peuple ». Comme si l’essentiel conti­nuait à se jouer dans les per­ma­nences sociales du same­di matin, les verres de l’amitié dans les cafés qui n’évoquent plus guère les mai­sons du peuple, les bra­de­ries et les fêtes de la rose où le contact avec les élus serait les lieux où s’épanouissent les « vraies rela­tions », les liens sociaux forts, la dis­po­ni­bi­li­té rap­pro­chée… Bref, une proxi­mi­té qui manque de conte­nu, mais qui se défi­nit par les formes, la per­ma­nence, la den­si­té. Pour rendre ser­vice ? Per­sonne ne déve­loppe cette thé­ma­tique qui pour­tant est récur­rente quant à la manière dont le PS conti­nue à entre­te­nir des liens pri­vi­lé­giés avec le sup­po­sé peuple.

Les mêmes auteurs du pas­sage en revue de l’état des forces locales de Char­le­roi à Mons ne résistent pas à une autre expli­ca­tion : s’il y a clien­té­lisme, sa nature est dif­fé­rente ; il dénote l’existence d’une ten­dance interne au sein du Par­ti, soit le pro­fes­sion­na­lisme. Ce que cer­tains appellent les « cabi­ne­tards », des pro­fes­sion­nels de la poli­tique, voire des poli­tiques sociales, urbaines, d’emploi, etc. Bref, les « experts » qui per­mettent au Par­ti de tenir les ins­ti­tu­tions, de repré­sen­ter le Par­ti en leur sein, sur­tout dans les inter­com­mu­nales (assez peu évo­quées dans le dos­sier), de réa­li­ser en acte le main­tien du cap de la pré­sence dans l’État. Au risque de se tech­no­cra­ti­ser, de prendre de la dis­tance par rap­port au bon peuple, de conce­voir comme natu­rel que si le Par­ti n’était pas là, ce serait pire. Effet tra­gi­co­mique garanti.

On aurait aimé avoir une ana­lyse un peu plus sou­te­nue de ce qui carac­té­rise l’occupation de l’État à tra­vers l’occupation du pou­voir au fédé­ral, au régio­nal et au local pour savoir ce que ça pro­dui­sait. Certes des rela­tions avec le bon peuple, mais des rela­tions pri­vi­lé­giées entre les ins­ti­tu­tions que le Par­ti a sou­vent géné­rées pour assu­rer sa repré­sen­ta­tion, comme les inter­com­mu­nales. S’il y a clien­té­lisme aujourd’hui, c’est moins avec les gens qu’entre ces ins­ti­tu­tions inter­mé­diaires comme les inter­com­mu­nales qui assurent la pré­sence des inté­rêts du Par­ti, y com­pris ceux des man­da­taires qui font recon­naitre une exper­tise « au nom du bon peuple ». De Char­le­roi à M. Don­fut, la démons­tra­tion reste à faire quant aux limites de ce mode de démo­cra­tie repré­sen­ta­tive. Ici, le dos­sier nous laisse sur notre faim. C’est pour mieux avan­cer une autre explication.

Grands et petits

Un des traits qui est pré­sent tout au long des contri­bu­tions avec, bien sûr, des inten­si­tés variables, c’est ce que le « patron » met lon­gue­ment en exergue dans son inter­view, soit le rôle des per­son­na­li­tés. Citons : « Enfin, il y a les per­son­na­li­tés. Cette fois-ci, il y avait à la fois du renou­veau, du souffle et des gens qui repré­sen­taient quelque chose. (sic) Comme per­son­na­li­té, un Michel Daer­den n’a rien à voir avec un Charles Pic­qué ou un Paul Magnette. Notez que les per­son­na­li­tés mises en avant par les autres par­tis ont aus­si joué un rôle. Les choses se sont cla­ri­fiées, car le dif­fé­ren­tiel d’image (c’est moi qui sou­ligne) que l’on pro­jette de soi-même et des autres était plus net à cette élec­tion-ci qu’à d’autres occa­sions. Tout cela, ce sont des élé­ments internes au par­ti » (p. 40).

Ces pro­pos sont cor­ro­bo­rés par à peu près cha­cun des contri­bu­teurs au numé­ro avec plus ou moins d’insistance, la palme allant à ce remar­quable jeune homme qu’est Paul Magnette, uni­ver­si­taire qui a su se mettre à la hau­teur du bon peuple. Dit autre­ment, sans les Grands Hommes, les petits, ceux du Peuple, ne seraient pas repré­sen­tés à leur juste mesure. C’est ce qui manque au PS fla­mand qui se perd en conjec­tures et qui n’est pas sym­bo­li­sé par une per­son­na­li­té forte (voir l’article de Carl Devos et Ste­ven Lan­noo). Le lec­teur pren­dra la mesure du dif­fé­ren­tiel d’image en com­pa­rant les pro­pos enchan­tés de Domi­nique Cabiaux, syn­di­ca­liste chré­tien très socia­li­sé, sur l’«apprenti patron de la fédé­ra­tion de Char­le­roi » et sur « la manière dont Magnette s’y pren­dra pour recréer à Char­le­roi cette coa­li­tion de toutes les forces vives » avec ceux de Luc Del­val qui cau­che­marde sur la cer­ti­tude « sans le PS, ce serait pire », signe révé­la­teur d’une absence de pro­jet poli­tique. En effet, la réfé­rence aux Grands Hommes laisse dans l’ombre le pour­quoi des orien­ta­tions poli­tiques du PS quant au fond de son pro­gramme. Troi­sième effet tra­gi­co­mique garan­ti. Celui-ci est peu invo­qué dans les contri­bu­tions, il n’est guère évo­qué sauf le ren­voi à l’axe gauche-droite passe-par­tout ; il n’est guère non plus convo­qué pour prendre la mesure de ce socia­lisme du réel qui oscille en per­ma­nence entre l’occupation des places (élec­tives) et des réa­li­tés (effec­tives). Le « patron » se montre d’ailleurs le vrai héri­tier de ceux qui, de Van­der­velde à Spaak, ont tou­jours expli­qué les limites de l’action du Par­ti : le fait qu’il ne jouisse pas d’une majo­ri­té abso­lue (« Don­nez-moi une majo­ri­té abso­lue, je ferai plus », p. 42). Pas sûr.

Faut-il pleu­rer, faut-il en rire ? Disons que le titre du dos­sier — « PS : un par­ti popu­laire, déclin ou recon­quête ? » — est assez déca­lé par rap­port au conte­nu des dif­fé­rents articles puisqu’il s’agit bien plus d’expliquer pour­quoi le PS se main­tient. L’énigme « Sans le PS, ce serait peut-être pire » demeure. Elle laisse la place à des expli­ca­tions qui nous ren­voient à une « proxi­mi­té » sup­po­sée réelle, mais jamais démon­trée, ou encore à la cer­ti­tude que sans lea­deur­ship, sans tra­vail sur les dif­fé­ren­tiels d’image, le Par­ti ne serait pas ce qu’il est. Un par­ti de par­ve­nus, disait Elio Di Rupo. Disons un par­ti qui reste enfer­mé dans un vieux modèle de démo­cra­tie repré­sen­ta­tive, peu à même d’envisager sa moder­ni­sa­tion à tra­vers la construc­tion d’une démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive (le mot « par­ti­ci­pa­tion » est absent du dos­sier) assu­rant une place aux citoyens et non aux clients. Ce manque est com­blé par l’invocation « aux Grands Hommes, le Par­ti recon­nais­sant », Pan­théon oblige. D’autres pen­se­ront que la culture poli­tique du PS ne bouge pas d’un cil et que le cau­che­mar risque de se pro­lon­ger. Il me semble, quant à moi, plus que néces­saire de faire une grande enquête — non pas un son­dage — sur le rap­port des­dits citoyens à la poli­tique dans notre pays. La ques­tion est bien plus vaste que celle du seul PS puisqu’elle nous engage à réflé­chir sur la consis­tance de la légi­ti­mi­té des par­tis poli­tiques à nous repré­sen­ter et à lui trou­ver une alter­na­tive plus délibérative.

Francq Bernard


Auteur

Professeur émérite Cridis/Iacchos/UCL, cerhcehrua ssocié au Cadis/EHESS (Paris)