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Aux grands et petits hommes, le Parti reconnaissant
Sous le titre : « PS : un parti populaire en Wallonie, le déclin ou la reconquête ? », le numéro de décembre 2009 de la revue Politique consacre son thème à nous aider à voir plus clair sur une énigme : pourquoi le PS a‑t‑il gagné les élections de juin 2009 ? À travers dix contributions dont deux entretiens — celui d’Anne Demelenne, secrétaire générale de […]
Sous le titre : « PS : un parti populaire en Wallonie, le déclin ou la reconquête ? », le numéro de décembre 2009 de la revue Politique consacre son thème à nous aider à voir plus clair sur une énigme : pourquoi le PS a‑t-il gagné les élections de juin 2009 ? À travers dix contributions dont deux entretiens — celui d’Anne Demelenne, secrétaire générale de la FGTB, et celui d’Elio Di Rupo —, le parcours qui nous est proposé ne manque pas d’intérêt. Parce qu’il est révélateur, à se tenir au plus près des constats, des affirmations, parfois des analyses, que l’on peut lire, d’une obsession et de nombreuses limites.
L’obsession tourne autour de l’étonnement de voir cette « vieille chose » qu’est le PS se maintenir comme premier parti en Wallonie alors que les sondages annonçaient sa défaite. Les limites, c’est un jeu tragique et comique où le lecteur se voit proposer des couples explicatifs tels que le Parti est populaire et authentique, il est proche et éloigné, il est à l’article de la mort et toujours prêt à renaitre des cendres de l’axe gauche-droite. C’est bien sûr moi qui mets en avant ces associations qui balisent le traitement du thème par Politique et, comme je vais chercher à le montrer, il est révélateur d’une autre association, celle du comique et du tragique qui laisse le lecteur dubitatif devant tant d’accouplements.
Populaire et authentique
Jean Faniel en cherchant à répondre à la question « Le Parti socialiste est-il populaire ? » se livre à un exercice — pas facile — qui consiste à essayer de cerner ce qui pourrait être populaire : sur le plan électoral, « la popularité du PS est tout à la fois avérée et fragilisée» ; sur celui de son électorat, la définition basique du Larousse (« populaire, soit relatif au peuple, en tant que milieu social ») ne nous permet guère de savoir de quoi il retourne et la bonne vieille opposition entre les petits et les gros n’est pas mobilisée pour expliquer ce qui peut être au cœur des mobilisations autres qu’électorales ; vient la question de savoir si le PS est populaire, pourquoi l’est-il ? Par l’importance de ses adhérents, par le maillage local (les fameuses unions socialistes communales), par son enracinement local, bref par « une réelle proximité avec les citoyens ».
Si J. Faniel établit un bilan nuancé des composantes organisationnelles du Parti (la professionnalisation de ses permanents, la persistance de certaines valeurs), vient la vraie raison du « pourquoi le PS se maintient en tout cas électoralement » : la rhétorique du « sans nous, ce serait pire ». Qu’y a‑t-il derrière cette rhétorique ? La bonne vieille opposition que Marcel Liebman développait dans ses ouvrages sur Les socialistes belges, entre réforme et révolution, le Parti ouvrier belge ayant joué tout au long de son histoire sur une certitude : la réalité — c’est un terme qui revient souvent sous la plume des contributeurs — s’est imposée au maintien et au développement du Parti. Le populaire prend alors une résonance light : au fond, peu importent les écarts entre la rhétorique et la réalité (réformiste, bien sûr), sans le PS ce serait peut-être pire, avec lui, c’est vraiment mieux. Premier aspect tragicomique.
L’entretien avec le « patron » (tradition oblige depuis Émile Vandervelde) Elio Di Rupo nous fait entrer dans un autre type d’explication : le réel n’est pas acceptable, il pense qu’il doit être absolument changé. Chacun aura compris que le réel en question est la pensée unique néolibérale, mais encore le projet blairiste auquel Elio Di Rupo n’a jamais adhéré car le PS n’est pas social-démocrate. Il est authentiquement socialiste et il l’a prouvé en se recentrant sur l’axe gauche-droite en proclamant quelques jours avant les élections qu’il ne ferait aucune alliance avec le Mouvement réformateur, le MR, parti des libertés et du progrès. Le parti est resté authentique parce qu’il n’a pas comme d’autres partis socialistes en Europe cédé aux charmes de la distance avec l’État, il a maintenu le cap de la défense des emplois publics, il a travaillé à un contrat d’avenir pour la Wallonie (peu invoquée dans les contributions), bref il a été responsable… et les électeurs — populaires — l’ont perçu en se persuadant que sans lui, ce serait pire ! C’est bien la force du parti, cette « prise en compte du réel » avec un ancrage à gauche par rapport à l’idéologie centriste et contre l’agressivité libérale de Reynders. Bref, l’explication du maintien du PS, voire de sa victoire aux élections, c’est la clarté de sa posture idéologique quant à la défense de… À lire l’interview d’Elio Di Rupo, on ne sait trop si c’est le peuple, les institutions qui font le maillage socialiste sur le terrain, la nécessité d’avoir une « vraie » force à gauche, bref comme le dit le « patron », « le conflit de classes et de castes est plus réel que jamais ».
Mais ce n’est pas la seule explication pour expliquer le maintien du PS. Les petits et les Grands Hommes y occupent une place essentielle. Mais avant d’aborder ce thème, voyons ce que nous apprenons en nous plongeant dans les « bastions socialistes » (je revendique le terme puisqu’il servait à démonter dans mon livre Les deux morts de la Wallonie sidérurgique, ce qui faisait la différence avec les forteresses rouges centrées sur un syndicalisme de combat).
Proximité et éloignement
Le mot « proximité » revient bien une dizaine de fois dans ce dossier sans qu’il fasse l’objet d’une réflexion critique. Surtout dans les articles consacrés à Liège, Charleroi, Mons, La Louvière — pourquoi pas Saint-Gilles, Chapelle-lez-Herlaimont ou Seraing ou Tournai, prochaine terre d’élection de Rudy Demotte —, le lecteur est frappé par la répétition d’une sorte d’explication allant de soi : le PS a un ancrage local, il est dans un rapport de proximité avec les gens du peuple, il « fait peuple ». Comme si l’essentiel continuait à se jouer dans les permanences sociales du samedi matin, les verres de l’amitié dans les cafés qui n’évoquent plus guère les maisons du peuple, les braderies et les fêtes de la rose où le contact avec les élus serait les lieux où s’épanouissent les « vraies relations », les liens sociaux forts, la disponibilité rapprochée… Bref, une proximité qui manque de contenu, mais qui se définit par les formes, la permanence, la densité. Pour rendre service ? Personne ne développe cette thématique qui pourtant est récurrente quant à la manière dont le PS continue à entretenir des liens privilégiés avec le supposé peuple.
Les mêmes auteurs du passage en revue de l’état des forces locales de Charleroi à Mons ne résistent pas à une autre explication : s’il y a clientélisme, sa nature est différente ; il dénote l’existence d’une tendance interne au sein du Parti, soit le professionnalisme. Ce que certains appellent les « cabinetards », des professionnels de la politique, voire des politiques sociales, urbaines, d’emploi, etc. Bref, les « experts » qui permettent au Parti de tenir les institutions, de représenter le Parti en leur sein, surtout dans les intercommunales (assez peu évoquées dans le dossier), de réaliser en acte le maintien du cap de la présence dans l’État. Au risque de se technocratiser, de prendre de la distance par rapport au bon peuple, de concevoir comme naturel que si le Parti n’était pas là, ce serait pire. Effet tragicomique garanti.
On aurait aimé avoir une analyse un peu plus soutenue de ce qui caractérise l’occupation de l’État à travers l’occupation du pouvoir au fédéral, au régional et au local pour savoir ce que ça produisait. Certes des relations avec le bon peuple, mais des relations privilégiées entre les institutions que le Parti a souvent générées pour assurer sa représentation, comme les intercommunales. S’il y a clientélisme aujourd’hui, c’est moins avec les gens qu’entre ces institutions intermédiaires comme les intercommunales qui assurent la présence des intérêts du Parti, y compris ceux des mandataires qui font reconnaitre une expertise « au nom du bon peuple ». De Charleroi à M. Donfut, la démonstration reste à faire quant aux limites de ce mode de démocratie représentative. Ici, le dossier nous laisse sur notre faim. C’est pour mieux avancer une autre explication.
Grands et petits
Un des traits qui est présent tout au long des contributions avec, bien sûr, des intensités variables, c’est ce que le « patron » met longuement en exergue dans son interview, soit le rôle des personnalités. Citons : « Enfin, il y a les personnalités. Cette fois-ci, il y avait à la fois du renouveau, du souffle et des gens qui représentaient quelque chose. (sic) Comme personnalité, un Michel Daerden n’a rien à voir avec un Charles Picqué ou un Paul Magnette. Notez que les personnalités mises en avant par les autres partis ont aussi joué un rôle. Les choses se sont clarifiées, car le différentiel d’image (c’est moi qui souligne) que l’on projette de soi-même et des autres était plus net à cette élection-ci qu’à d’autres occasions. Tout cela, ce sont des éléments internes au parti » (p. 40).
Ces propos sont corroborés par à peu près chacun des contributeurs au numéro avec plus ou moins d’insistance, la palme allant à ce remarquable jeune homme qu’est Paul Magnette, universitaire qui a su se mettre à la hauteur du bon peuple. Dit autrement, sans les Grands Hommes, les petits, ceux du Peuple, ne seraient pas représentés à leur juste mesure. C’est ce qui manque au PS flamand qui se perd en conjectures et qui n’est pas symbolisé par une personnalité forte (voir l’article de Carl Devos et Steven Lannoo). Le lecteur prendra la mesure du différentiel d’image en comparant les propos enchantés de Dominique Cabiaux, syndicaliste chrétien très socialisé, sur l’«apprenti patron de la fédération de Charleroi » et sur « la manière dont Magnette s’y prendra pour recréer à Charleroi cette coalition de toutes les forces vives » avec ceux de Luc Delval qui cauchemarde sur la certitude « sans le PS, ce serait pire », signe révélateur d’une absence de projet politique. En effet, la référence aux Grands Hommes laisse dans l’ombre le pourquoi des orientations politiques du PS quant au fond de son programme. Troisième effet tragicomique garanti. Celui-ci est peu invoqué dans les contributions, il n’est guère évoqué sauf le renvoi à l’axe gauche-droite passe-partout ; il n’est guère non plus convoqué pour prendre la mesure de ce socialisme du réel qui oscille en permanence entre l’occupation des places (électives) et des réalités (effectives). Le « patron » se montre d’ailleurs le vrai héritier de ceux qui, de Vandervelde à Spaak, ont toujours expliqué les limites de l’action du Parti : le fait qu’il ne jouisse pas d’une majorité absolue (« Donnez-moi une majorité absolue, je ferai plus », p. 42). Pas sûr.
Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Disons que le titre du dossier — « PS : un parti populaire, déclin ou reconquête ? » — est assez décalé par rapport au contenu des différents articles puisqu’il s’agit bien plus d’expliquer pourquoi le PS se maintient. L’énigme « Sans le PS, ce serait peut-être pire » demeure. Elle laisse la place à des explications qui nous renvoient à une « proximité » supposée réelle, mais jamais démontrée, ou encore à la certitude que sans leadeurship, sans travail sur les différentiels d’image, le Parti ne serait pas ce qu’il est. Un parti de parvenus, disait Elio Di Rupo. Disons un parti qui reste enfermé dans un vieux modèle de démocratie représentative, peu à même d’envisager sa modernisation à travers la construction d’une démocratie participative (le mot « participation » est absent du dossier) assurant une place aux citoyens et non aux clients. Ce manque est comblé par l’invocation « aux Grands Hommes, le Parti reconnaissant », Panthéon oblige. D’autres penseront que la culture politique du PS ne bouge pas d’un cil et que le cauchemar risque de se prolonger. Il me semble, quant à moi, plus que nécessaire de faire une grande enquête — non pas un sondage — sur le rapport desdits citoyens à la politique dans notre pays. La question est bien plus vaste que celle du seul PS puisqu’elle nous engage à réfléchir sur la consistance de la légitimité des partis politiques à nous représenter et à lui trouver une alternative plus délibérative.