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Autonomie de la culture et culture de l’autonomie, l’envers et l’endroit

Numéro 3 - 2015 par Cynthia Dal Jean-Pierre Delchambre

mai 2015

Si le modèle de la dis­tinc­tion de Bour­dieu, éta­blis­sant une cor­res­pon­dance entre espace des posi­tions sociales et espace des styles de vie (« dis-moi ce que tu aimes, je te dirai qui tu es ») a struc­tu­ré depuis les années 1970 le champ de la socio­lo­gie de la culture, ce modèle se trou­ve­rait en par­tie fra­gi­li­sé par les évo­lu­tions contem­po­raines au pro­fit d’un modèle plus indi­vi­dua­li­sant. De nos jours, ce ne serait plus tant le manie­ment d’un réper­toire de gouts et de pra­tiques appar­te­nant à la culture « savante » qui serait source de dis­tinc­tion, mais bien la capa­ci­té de pou­voir navi­guer de manière auto­nome dans des uni­vers cultu­rels contras­tés. Loin d’annihiler les logiques sociales, la nou­velle atti­tude valo­ri­sée tien­drait donc davan­tage dans une forme d’éclectisme mesu­ré, ne se confon­dant pas avec une consom­ma­tion tous azi­muts de biens cultu­rels. Cepen­dant, cette reven­di­ca­tion de pou­voir choi­sir libre­ment, cette culture de l’autonomie dans le domaine des pra­tiques et gouts cultu­rels n’a pu prendre corps qu’en ver­tu de l’autonomisation, dif­fé­ren­cia­tion et seg­men­ta­tion pro­gres­sives de la culture comme champ, offrant un panel bigar­ré de biens cultu­rels autour des­quels se nouent des appar­te­nances et des luttes symboliques.

Dossier

Le champ de la culture, envi­sa­gé ici sous l’angle des pra­tiques et des gouts cultu­rels (plu­tôt que du point de vue de la créa­tion artis­tique-esthé­tique), se prête bien à une inter­ro­ga­tion sur la place et le sta­tut de l’autonomie dans ce domaine. Nous mène­rons notre réflexion à par­tir d’une recherche qua­li­ta­tive (sur la base d’entretiens) por­tant sur les pra­tiques cultu­relles en Bel­gique fran­co­phone, enquête réa­li­sée entre mai 2012 et jan­vier 2014. Mais nous tien­drons éga­le­ment compte d’enseignements qui res­sortent des tra­vaux mar­quants en socio­lo­gie de la culture au cours des deux ou trois décen­nies pas­sées. Sans pré­tendre résu­mer les prin­ci­pales ten­dances qui se sont faites jour pen­dant cette période, on peut sug­gé­rer, en guise de repé­rage ini­tial, deux pro­po­si­tions à pre­mière vue non concor­dantes, mais néan­moins tout à fait com­pa­tibles, et sans doute même complémentaires.

L’omnivorité, nouvelle forme de distinction ?

D’une part, la plu­part des auteurs admettent le dépas­se­ment du modèle de la « dis­tinc­tion » tel qu’il avait été for­mu­lé par Bour­dieu à la fin des années 1970 (sur la base d’enquêtes empi­riques remon­tant aux années 1960). Ce modèle conce­vait les gouts cultu­rels comme des mar­queurs sociaux, ren­voyant à des posi­tions-tra­jec­toires de classes et à des « luttes de clas­se­ment » (les classes domi­nantes et leur sens de la dis­tinc­tion, les classes moyennes et leur « bonne volon­té cultu­relle », les classes popu­laires et leur sens du néces­saire), confé­rant du même coup un pri­vi­lège à la culture légi­time, capable de faire dou­ter ou de dis­qua­li­fier les autres expres­sions cultu­relles, en par­ti­cu­lier celles des classes popu­laires (notion de vio­lence symbolique…).

Le modèle clas­sique de la dis­tinc­tion aurait été rem­pla­cé par un modèle plus souple et plus indi­vi­dua­li­sant, dans lequel le lien entre pra­tiques cultu­relles et ins­crip­tions sociales est, semble-t-il, moins évident, tan­dis que la légi­ti­mi­té de la culture « domi­nante » ou « savante » s’est vue mise en ques­tion de mul­tiples façons, per­met­tant l’affirmation de légi­ti­mi­tés « alter­na­tives », cor­res­pon­dant à l’efflorescence d’options cultu­relles qui ne se laissent plus inti­mi­der par la « haute culture » (il va de soi que ces trans­for­ma­tions sont cor­ré­lées à des grandes ten­dances socio­lo­giques telles que l’extension de l’éducation et du loi­sir, le pas­sage de la démo­cra­ti­sa­tion de la culture à la démo­cra­tie cultu­relle, les indus­tries cultu­relles indui­sant à la fois une mas­si­fi­ca­tion et une seg­men­ta­tion, voire une frag­men­ta­tion des « sous-cultures », etc. — sans que nous puis­sions déve­lop­per ici ces aspects).

Deux expres­sions sont sou­vent rete­nues pour dési­gner ce nou­veau modèle : l’éclectisme des gouts et des pra­tiques (la méta­phore de l’omni­vo­ri­té selon Richard A. Peter­son), ain­si que les pro­fils dis­so­nants selon Ber­nard Lahire (« nuan­ciers cultu­rels indi­vi­duels » et « expé­riences hété­ro­gènes », plu­ra­li­té des dis­po­si­tions et varié­té des contextes et des tra­jec­toires…). Voi­là pour la pre­mière tendance.

D’autre part, un cer­tain nombre d’auteurs ont récem­ment atti­ré l’attention sur le fait que le pas­sage à un modèle moins homo­gène et plus indi­vi­dua­li­sant, loin d’annuler les logiques sociales et les jeux sym­bo­liques de dis­tinc­tion, en redes­si­nait plu­tôt les formes et les moda­li­tés. Autre­ment dit, la dis­tinc­tion n’a pas dis­pa­ru, en réa­li­té, elle se pare de nou­veaux habits — ce point étant étayé par nos propres tra­vaux. Dans la nou­velle confi­gu­ra­tion, axée sur la contes­ta­tion d’une légi­ti­mi­té exclu­si­viste (l’ancienne culture supé­rieure, noble ou bour­geoise…) au pro­fit d’une diver­si­té cultu­relle inves­tie de manière plu­rielle et inten­sive, c’est l’éclectisme, l’ouverture, la dis­so­nance, la vora­ci­té qui passent pour la nou­velle atti­tude valo­ri­sée, tan­dis que l’étroitesse de vue, les gouts mono­spé­cia­li­sés, l’univorité, le pro­vin­cia­lisme cultu­rel ou le repli sur soi appa­raissent comme autant de traits de rin­gar­dise, blâ­mables et stig­ma­ti­sés. L’élargissement des gouts dans une optique de « tolé­rance » et de « curio­si­té » peut donc aller de pair avec le main­tien de formes d’aversion ou de dégout (une for­mule mise en avant par les socio­logues anglais de la culture tra­duit bien cela : Any­thing but Hea­vy Metal…).

L’enquête qua­li­ta­tive a ain­si fait appa­raitre que, dans le dis­cours des indi­vi­dus les plus prompts à affi­cher une forme d’autonomie et d’éclectisme en matière de pré­fé­rences et de com­por­te­ments cultu­rels, cette ouver­ture reven­di­quée se trouve rapi­de­ment contre­ba­lan­cée par l’affirmation de ses limites et ce, en main­te­nant cer­tains uni­vers cultu­rels à forte distance.

Un autre indice de la réma­nence des logiques de dis­tinc­tion semble rési­der dans la capa­ci­té de ces indi­vi­dus à manier des caté­go­ries, à opé­rer des clas­se­ments et à se dépla­cer sur un conti­nuum allant de l’engagement au déta­che­ment, du pre­mier degré au second degré, du sérieux au diver­tis­se­ment pour défi­nir leur rap­port aux pro­duits cultu­rels. Il ne s’agit donc pas d’embrasser indis­tinc­te­ment toutes les formes cultu­relles, mais bien d’opérer des incur­sions plus ou moins pous­sées dans des uni­vers cultu­rels contras­tés tout en étant capable d’établir une hié­rar­chie entre ces pratiques.

Cet éclec­tisme mesu­ré consti­tue une com­pé­tence inéga­le­ment dis­tri­buée en ce qu’elle reste l’apanage des indi­vi­dus bien dotés en capi­tal cultu­rel, social et éco­no­mique. Se poser en acteur de sa par­ti­ci­pa­tion à la vie cultu­relle, en consom­ma­teur cultu­rel auto­nome, va bien sou­vent de pair avec la valo­ri­sa­tion de démarches d’exploration indi­vi­duelles, de com­por­te­ments proac­tifs per­met­tant de déni­cher des objets de qua­li­té, d’une liber­té de choi­sir par­mi une offre cultu­relle diver­si­fiée, etc. Cepen­dant, ce refus de se défi­nir comme des récep­tacles pas­sifs de biens cultu­rels n’est pas pour autant syno­nyme de rup­ture ou d’opposition avec les influences socia­li­sa­trices de l’entourage social.

Dans un contexte où la recherche de la socia­bi­li­té consti­tue une puis­sante moti­va­tion des pra­tiques cultu­relles, l’autonomie se pense davan­tage comme une capa­ci­té de ne pas se lais­ser domi­ner par une ten­dance crois­sante de mar­chan­di­sa­tion de la culture. Dénon­çant l’assimilation des formes cultu­relles à des pro­duits des­ti­nés à la vente et à la recherche du pro­fit, les enquê­tés les plus enga­gés dans la vie cultu­relle n’y voient bien sou­vent qu’inauthenticité, dérives de la créa­ti­vi­té, éro­sion de la diver­si­té ou encore homo­gé­néi­sa­tion de la culture. En met­tant à dis­tance cette culture mar­chande assi­mi­lée à une offre de pro­duits qua­li­ta­ti­ve­ment médiocres, for­ma­tés et per­çue par­fois comme source d’aliénation, ces indi­vi­dus inves­tissent des pra­tiques per­çues comme alter­na­tives, consi­dé­rées comme plus authen­tiques et qui sont par là même hau­te­ment valorisées.

Cet effet de dis­tinc­tion s’accompagne éga­le­ment d’un effet de socia­bi­li­té. Cette quête de pra­tiques en marge de la culture dite de masse induit de fac­to des formes d’entre-soi à l’égard des­quelles les enquê­tés peuvent pré­sen­ter un rap­port ambi­va­lent. Ces consom­ma­teurs cultu­rels affi­chant une large palette de gouts et pra­tiques et s’inscrivant dans une logique d’individualisation de leur pro­fil cultu­rel vont par­fois jusqu’à recon­naitre l’existence de « micro­cosmes » struc­tu­rés autour de ces pra­tiques et pré­fé­rences pen­sées comme alter­na­tives et qui sont tan­tôt vus posi­ti­ve­ment tan­tôt néga­ti­ve­ment, déplo­rant cette seg­men­ta­tion des publics, l’absence de mixi­té. Cette ouver­ture à la diver­si­té bran­die de manière plus ou moins osten­ta­toire ne s’accompagne donc pas pour autant d’une ouver­ture à des espaces sociaux différenciés.

L’autonomie dans le champ culturel

Com­ment se pose dès lors la ques­tion de l’autonomie à par­tir de cette nou­velle confi­gu­ra­tion du champ cultu­rel, esquis­sée ici à gros traits ? Dans le modèle de l’éclectisme et des pro­fils variés ou dis­so­nants, le consom­ma­teur de biens cultu­rels est cen­sé avoir des pra­tiques et des gouts hau­te­ment diver­si­fiés et indi­vi­dua­li­sés, lui pro­cu­rant des apports en termes d’expérience créa­tive ou d’affirmation de soi, d’épanouissement ou d’«authenticité ». La notion de choix est ici cen­trale, à tel point que la méta­phore du mar­ché vient immé­dia­te­ment à l’esprit.

À ce point, il importe de pré­ci­ser deux choses. Pri­mo, l’individualisation des pra­tiques et l’importance du choix s’accompagnent de phé­no­mènes qui ne semblent pas for­cé­ment aller dans le même sens, voire qui peuvent pas­ser pour des « résis­tances » par rap­port aux logiques d’individualisation et d’autonomisation. Secun­do, l’autonomie du choix indi­vi­duel dans le champ cultu­rel sup­pose des condi­tions sociales très par­ti­cu­lières, qui se sont mises en place selon une tem­po­ra­li­té longue, et qui font que notre manière de vivre « la culture », même si elle nous paraît des plus fami­lières, est loin d’aller de soi (d’un point de vue socioan­thro­po­lo­gique et d’un point de vue his­to­rique). Un indice à ce pro­pos : il suf­fit d’interroger les gens sur leurs pra­tiques cultu­relles, dans le cadre de n’importe quel pro­to­cole d’enquête, pour véri­fier à quel point cette notion char­rie de nom­breux pré­sup­po­sés qui ne sont pas neutres (« la culture ? mais quelle culture ? qu’entendez-vous par là ? », « moi je ne suis pas culti­vé », « la culture en géné­ral ou ma propre culture ? », etc.), et qui bien enten­du induisent des biais avec les­quels le cher­cheur doit com­po­ser dans le cadre de son tra­vail de récolte et d’interprétation des données.

Réfléchissons‑y : notre manière de pra­ti­quer, de consom­mer ou de faire l’expérience de la (ou d’une) culture (par­mi d’autres) requiert que nous posions sans cesse des choix : quel spec­tacle allons-nous aller voir ce soir ? À quelle acti­vi­té de loi­sir (plus ou moins [ré]créatif) m’adonner lors de mon « temps libre » ? par quel(s) style(s) vais-je me lais­ser influen­cer si je pra­tique un art plas­tique ? quel genre de musique va jouer (entre « inven­tion » et réap­pro­pria­tion) le petit groupe for­mé par des amis ? etc. Or, bien que cette pré­con­di­tion passe sou­vent inaper­çue, cette facul­té de choix sup­pose que la culture ait été pro­duite sous la forme de pro­duits ou d’options dif­fé­ren­ciées, géné­rées et ren­dues dis­po­nibles à la faveur de l’autonomisation d’un champ cultu­rel. Expri­mons cela de façon sug­ges­tive et sim­pli­fiée (même si des nuances devraient être intro­duites): à l’époque de l’émergence du blues et des autres musiques qui ont consti­tué la matrice d’une bonne par­tie des musiques dites popu­laires (ou pop, au sens anglo-saxon), on ima­gine mal le blues­man en herbe se lever, prendre sa gui­tare (ou son ban­jo), en se deman­dant : « Quel style de musique vais-je choi­sir d’interpréter aujourd’hui ? » Comme le sug­gèrent LeRoi Jones ou Alan Lomax, le blues ou le jazz, « à leurs débuts » (à ceci près qu’il convient de résis­ter, en ce domaine comme en d’autres, à la fas­ci­na­tion des ori­gines) étaient vécus moins comme des choix que comme des néces­si­tés, au sens où ils étaient la mise en forme de modes d’existence et d’expériences his­to­riques (sou­vent dou­lou­reuses), ou la réac­tion créa­tive — faite pour une part d’«invention », mais aus­si pour une autre part d’emprunts et de mélanges — face à des condi­tions his­to­riques et sociales qui ont été lar­ge­ment subies (escla­vage, déra­ci­ne­ment, exploi­ta­tion, ségré­ga­tion, misère, injustices…).

Par contraste, à notre époque — celle du mar­ché des biens cultu­rels et des styles de vie, telle que décrite par exemple par Simon Rey­nolds dans Rétro­ma­nia. Com­ment la culture pop recycle son pas­sé pour s’inventer un futur —, chaque ama­teur, consom­ma­teur ou créa­teur est ame­né à se poser, de façon au moins tacite, voire hyper­cons­cien­ti­sée ou « réflexive », la ques­tion du choix qu’il va être ame­né à effec­tuer face à la pro­fu­sion bario­lée des options cultu­relles. Mais encore une fois, ce choix sup­pose que la culture (ou les cultures) ait été pro­duite en tant qu’artefact spé­cia­li­sé, ce que les socio­logues de la moder­ni­té ana­lysent en termes de dif­fé­ren­cia­tion et de spé­cia­li­sa­tion du champ culturel.

Il est tou­jours utile de rap­pe­ler à cet égard la fameuse dis­tinc­tion entre la concep­tion anthro­po­lo­gique de la culture et la concep­tion socio­lo­gique. La culture au sens anthro­po­lo­gique du terme, ce sont les cou­tumes, les rites, les manières de faire et les façons de voir (mythes, récits, savoirs par­ta­gés…) propres à un groupe ou à une com­mu­nau­té. On pour­rait aus­si par­ler de modes de vie ou de formes de vie. Toutes ces notions sont lar­ge­ment impli­cites, fonc­tion­nant dans le registre du non-dit : c’est comme ça, c’est « natu­rel » (certes il s’agit de la « seconde nature », pro­duite socia­le­ment, mais vécue comme une évi­dence, allant de soi…). Dès lors il ne vien­drait à l’idée de per­sonne de se poser des ques­tions à pro­pos de sa propre culture conçue en ce sens, et l’ethnologue sait qu’il com­met­trait une erreur métho­do­lo­gique fatale (sans doute aggra­vée par une dis­cour­toi­sie inter­cul­tu­relle) en deman­dant tout de go aux gens ce qu’il en est de leurs pra­tiques culturelles…

Au contraire, la culture au sens des socio­logues a été consti­tuée his­to­ri­que­ment et socia­le­ment comme objet spé­cia­li­sé, depuis l’émergence de la figure de l’artiste vers la Renais­sance, jusqu’à l’institutionnalisation du champ cultu­rel (Bour­dieu) et des « mondes de l’art » (Becker) aux XIXe et XXe siècles, se pro­lon­geant par une mar­chan­di­sa­tion et une tech­no­lo­gi­sa­tion accrues des biens cultu­rels (indus­tries cultu­relles, culture de masse, médias, sub­cul­tures, tech­no­lo­gies numé­riques, etc.). Le pro­ces­sus d’autonomisation a per­mis que les objets cultu­rels (« la culture », « ma culture », « les cultures»…) soient ren­dus dis­po­nibles à la fois pour des appro­pria­tions (indi­vi­duelles et/ou col­lec­tives) et des luttes sym­bo­liques (culture légi­time vs. autres expres­sions cultu­relles, moins légi­times ou affir­mant des légi­ti­mi­tés alter­na­tives…). Dans ces condi­tions, par­ler de « la » culture ne va tou­jours pas de soi (il s’agit tou­jours de se situer par rap­port à des enjeux impli­cites de légi­ti­ma­tion), mais au moins il devient pos­sible, et même par­fois aisé voire gra­ti­fiant, de par­ler de ses pra­tiques et gouts culturels.

* * * * *

Ain­si, l’«autonomie de la culture » appa­rait comme condi­tion de la « culture de l’autonomie » dans ce domaine et si ces deux pro­ces­sus sont indis­so­ciables, ils s’alimentent, se ren­forcent mutuel­le­ment. Un para­doxe mérite éga­le­ment d’être sou­li­gné à pro­pos de ces indi­vi­dus refu­sant de se voir impo­ser une « culture » qui n’aurait pas fait l’objet d’un choix conscient et reven­di­quant une logique d’individualisation de leur pro­fil cultu­rel. Leurs com­por­te­ments s’inscrivent dans un contexte nor­ma­tif par­ti­cu­lier où la figure de l’autonomie est hau­te­ment valo­ri­sée et lorsque ceux-ci prônent la facul­té de pou­voir choi­sir libre­ment leurs pré­fé­rences et acti­vi­tés cultu­relles, ils ne font donc que se sou­mettre à cette injonc­tion contem­poraine qui tra­verse l’ensemble des champs sociaux.

Deux idées sont à rete­nir : d’une part, l’autonomisation et l’individualisation des pra­tiques cultu­relles, confé­rant une impor­tance cen­trale à la notion de choix, sont des pro­ces­sus sociaux dont il convient de rendre compte his­to­ri­que­ment et socio­lo­gi­que­ment (à rebours des visions alar­mistes qui invoquent un indi­vi­dua­lisme mena­çant de dis­soudre le social); d’autre part, l’autonomisation d’un champ n’est jamais totale, et de même que les fron­tières entre champs res­tent le plus sou­vent incer­taines et poreuses, l’autonomie des pra­tiques reste rela­tive — autre­ment dit, elle demande à être recon­tex­tua­li­sée en tis­sant des liens avec des logiques sociales envi­ron­nantes, fût-ce sous une forme plus souple et plus com­plexe (à la limite, si une pra­tique — cultu­relle ou autre — devient vrai­ment « désen­cas­trée », au sens de Pola­nyi à pro­pos de l’économie, ou au sens d’Olivier Roy à pro­pos du fait reli­gieux, alors on risque d’avoir affaire à un phé­no­mène « patho­lo­gique » indui­sant des consé­quences néfastes).

Cynthia Dal


Auteur

Jean-Pierre Delchambre


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