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Austérité : fatalité ?

Numéro 12 Décembre 2011 par Michaël Maira

novembre 2011

D’Athènes à Dublin en pas­sant par Lis­bonne, la crise finan­cière et éco­no­mique a néces­si­té l’adoption de mesures d’austérité (osons le mot) affec­tant les États-pro­­vi­­dences euro­péens. Ces réformes ciblent notam­ment l’éducation, les régimes de retraite ou encore les soins de san­té et se marquent par­ti­cu­liè­re­ment dans les trois capi­tales citées. Elles n’épargnent cepen­dant pas les vingt-quatre autres économies […]

D’Athènes à Dublin en pas­sant par Lis­bonne, la crise finan­cière et éco­no­mique a néces­si­té l’adoption de mesures d’austérité (osons le mot) affec­tant les États-pro­vi­dences euro­péens. Ces réformes ciblent notam­ment l’éducation, les régimes de retraite ou encore les soins de san­té et se marquent par­ti­cu­liè­re­ment dans les trois capi­tales citées. Elles n’épargnent cepen­dant pas les vingt-quatre autres éco­no­mies euro­péennes. Il est plus que pro­bable, par exemple, qu’un gou­ver­ne­ment belge de plein exer­cice ait à opé­rer des arbi­trages en matière d’indexation auto­ma­tique des salaires ou de réforme des pen­sions. Tout comme la France a été pous­sée à adap­ter son régime de retraite et la Grande-Bre­tagne a opé­ré d’importantes coupes budgétaires.

Il convient, dans un pre­mier temps, de s’arrêter briè­ve­ment sur le diag­nos­tic ins­pi­rant ces réformes. Le constat de départ est peu contes­té : l’économie euro­péenne souffre d’un défi­cit de com­pé­ti­ti­vi­té par rap­port à ses prin­ci­paux concur­rents (sud-)américains et asia­tiques. Défi­cit qui se marque davan­tage en temps de crise et qu’il convient de redres­ser au plus vite, en vue d’assurer une reprise rapide, apte à limi­ter les effets des actuelles tur­bu­lences éco­no­miques. Il serait mal­hon­nête de nier que les charges que nos modèles sociaux font peser sur les inves­tis­seurs poten­tiels par­ti­cipent aux carences euro­péennes en matière de com­pé­ti­ti­vi­té. L’obligation de contri­buer direc­te­ment ou indi­rec­te­ment au finan­ce­ment de nos États sociaux dimi­nue les béné­fices d’une acti­vi­té déve­lop­pée au sein de l’Union euro­péenne, en com­pa­rai­son des gains engen­drés par la même acti­vi­té sous cer­taines autres latitudes.

En consé­quence, l’adoption de mesures d’austérité repose sur l’espoir, à bien des égards dog­ma­tique, d’une com­pé­ti­ti­vi­té retrou­vée au prix de sacri­fices sociaux impor­tants. Une sor­tie de crise néces­site-t-elle tou­te­fois l’affaiblissement de modèles sociaux qui font la spé­ci­fi­ci­té du conti­nent et n’ont pas d’égaux outre-Atlan­tique ou dans les éco­no­mies émer­gentes ? Les réa­li­tés de notre éco­no­mie glo­ba­li­sée invitent à nuan­cer le pos­tu­lat d’un retour de la com­pé­ti­ti­vi­té qui découle auto­ma­ti­que­ment d’une limi­ta­tion des inter­ven­tions de l’État-providence et des charges qu’il fait peser sur les inves­tis­seurs. En effet, les éco­no­mies euro­péennes ne se déve­loppent pas dans le vide et leur com­pé­ti­ti­vi­té s’évalue à l’aune de leurs capa­ci­tés à riva­li­ser avec leurs concur­rents. Or, il est peu pro­bable qu’une révi­sion à la baisse des modèles sociaux per­mette de concur­ren­cer les pays émer­gents, la Chine en tête. La main‑d’œuvre y res­te­ra meilleur mar­ché qu’en Europe. L’absence d’État-providence confère à Pékin ou Del­hi un avan­tage com­pa­ra­tif en termes de main‑d’œuvre que jamais sans doute les Vingt-Sept ne par­vien­dront à concur­ren­cer. Qui plus est, la crois­sance expo­nen­tielle des inves­tis­se­ments chi­nois en matière de tech­no­lo­gie et d’innovation (notam­ment en matière d’énergies vertes) ques­tionne la capa­ci­té de l’UE à com­pen­ser, par sa supé­rio­ri­té tech­no­lo­gie et ses capa­ci­tés d’innovation, l’avantage des éco­no­mies émer­gentes en termes de main‑d’œuvre. Une baisse des stan­dards sociaux euro­péens ne rédui­ra pas, par ailleurs, le retard que les entre­prises euro­péennes enre­gistrent par rap­port à leurs concur­rents outre-Atlan­tique, en matière de tech­no­lo­gie et d’innovation.

Une véritable politique sociale

Mal­gré ces limites, les orien­ta­tions et dis­cours poli­tiques domi­nants semblent pré­co­ni­ser un allè­ge­ment des modèles sociaux euro­péens. Or, d’autres options existent. En lieu et place d’un pro­jet fon­dé sur la limi­ta­tion de (voire la renon­cia­tion à) cer­tains droits et avan­tages, des pistes inex­plo­rées per­mettent de pré­ser­ver les modèles sociaux euro­péens, tout en garan­tis­sant une éco­no­mie sou­te­nable dont la reprise s’inscrit dans la durée. En effet, les quelques consi­dé­ra­tions qui pré­cèdent démontrent les limites de recettes fon­dées sur le pos­tu­lat d’une hausse de la com­pé­ti­ti­vi­té auto­ma­ti­que­ment consé­quente de la limi­ta­tion du champ d’intervention de nos États sociaux. Pou­vons-nous dès lors faire le pari d’une com­pé­ti­ti­vi­té recou­vrée sans payer le prix de plus ou moins lourds sacri­fices sociaux ? Une telle orien­ta­tion semble envi­sa­geable, à condi­tion d’allier réformes euro­péennes internes et acti­visme de l’UE sur la scène internationale.

La pre­mière étape d’une sor­tie de crise pré­ser­vant les modèles sociaux euro­péens passe par Bruxelles et la mise en place pro­gres­sive d’une véri­table poli­tique sociale euro­péenne. Fon­dée sur cer­tains outils de finan­ce­ment, de redis­tri­bu­tion et de concer­ta­tion com­muns ain­si que sur des orien­ta­tions poli­tiques par­ta­gées, une réelle poli­tique sociale euro­péenne per­met­trait de lever une série d’obstacles à l’investissement. D’une part, elle atté­nue­rait les dis­tor­sions entre modèles natio­naux, ren­dant le pay­sage social euro­péen plus clair aux yeux des inves­tis­seurs exté­rieurs et éloi­gnant les risques de dum­ping social entre États membres. D’autre part, elle per­met­trait d’opérer des éco­no­mies d’échelles et de déve­lop­per des finan­ce­ments alter­na­tifs afin de dimi­nuer les charges pesant sur les inves­tis­seurs. Le fait qu’un tel pro­jet se heurte actuel­le­ment aux inté­rêts diver­gents des capi­tales euro­péennes ne le rend pas moins dési­rable. En outre, les coa­li­tions d’intérêts du moment ne pré­sagent en rien celles du futur, comme l’illustrent les récentes réformes en matière de gou­ver­nance éco­no­mique euro­péenne. Alors qu’une conver­gence des poli­tiques éco­no­miques au sein de la zone euro se heur­tait à de fortes résis­tances avant 2010, les mesures récem­ment adop­tées en vue d’atteindre un tel objec­tif mettent en lumière la nature mou­vante des coa­li­tions d’intérêts.

Les modèles sociaux euro­péens ne pour­ront cepen­dant être pré­ser­vés uni­que­ment grâce à ces réformes internes. L’UE et ses États membres doivent aus­si acti­ve­ment pro­mou­voir l’adoption de stan­dards sociaux mini­mum, au sein des forums inter­na­tio­naux dont ils sont membres (Orga­ni­sa­tion inter­na­tio­nale du tra­vail, G20, etc.). Ils doivent, en outre, pro­mou­voir des méca­nismes per­met­tant de s’assurer du res­pect des accords exis­tants ou futurs en la matière. En effet, l’Union souffre d’une concur­rence inter­na­tio­nale déloyale à cer­tains égards ; les prix des biens et ser­vices pro­duits dans les pays émer­gents ne reflé­tant pas leur cout social (… et envi­ron­ne­men­tal). Leurs poli­tiques sociales embryon­naires ou inexis­tantes réduisent les charges pesant sur les inves­tis­seurs et concourent à l’attrait de ces nou­velles éco­no­mies. Cette réus­site pose néan­moins ques­tion sur le plan qua­li­ta­tif en rai­son des couts humains, en termes de qua­li­té de vie notam­ment, qu’elle induit. Pro­mou­voir des stan­dards sociaux plus exi­geants et leur res­pect sur la scène inter­na­tio­nale encou­ra­ge­rait, dès lors, ces éco­no­mies à inté­grer davan­tage le cout humain (et envi­ron­ne­men­tal) de leur déve­lop­pe­ment. Cette stra­té­gie pré­sen­te­rait un double avan­tage. Pre­miè­re­ment, elle cor­ri­ge­rait quelque peu les dés­équi­libres de charges sociales exis­tants, ren­dant les délo­ca­li­sa­tions moins attrayantes. Deuxiè­me­ment, elle amé­lio­re­rait la qua­li­té de vie d’une part non négli­geable des forces pro­duc­trices sur les­quelles reposent les suc­cès des éco­no­mies émergentes.

Plus de deux ans après la crise, les États-pro­vi­dences euro­péens sont à la croi­sée des che­mins. Les réformes qui s’esquissent semblent pri­vi­lé­gier la voie de leur allè­ge­ment. Cepen­dant, il est loin d’être garan­ti que l’austérité que ces réformes impo­se­ront aux popu­la­tions sera com­pen­sée par un retour à la com­pé­ti­ti­vi­té garan­tis­sant le redé­mar­rage éco­no­mique et la crois­sance escomp­tés. Mal­gré quelques obs­tacles, des réformes euro­péennes et une atti­tude ambi­tieuse de l’UE sur la scène inter­na­tio­nale per­met­traient d’allier com­pé­ti­ti­vi­té et pré­ser­va­tion des modèles sociaux. Un pari osé qui dote­rait les Vingt-Sept d’une ambi­tion sociale com­plé­men­taire à l’intégration éco­no­mique et pré­ser­ve­rait une de leurs carac­té­ris­tiques spécifiques.

Michaël Maira


Auteur

Membre du comité de rédaction de La Revue nouvelle