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Au cœur des agences de notation

Numéro 2 Février 2012 par Fabienne Collard

février 2012

Le 10 novembre 2011, l’a­gence de nota­tion Stan­dard & Poor’s annonce « par erreur » à cer­tains de ses abon­nés qu’elle compte dégra­der la note de la France (un triple A)… avant de se rétrac­ter. Et c’est tout un pays qui tremble. Car les mar­chés, eux, ne retiennent que cette fausse annonce, avec pour consé­quence que l’é­cart entre les taux des obli­ga­tions à dix ans de l’Al­le­magne, autre pays noté triple A, et de la France atteint un nou­veau record depuis la créa­tion de la zone euro. Trois agences dominent le sec­teur de la nota­tion au plan inter­na­tio­nal : Stan­dard & Poor’s, Moo­dy’s et Fitch Ratings. Leur influence dérange de plus en plus, mais leur uti­li­té n’est à ce jour pas démentie.

Si les agences de nota­tion se retrouvent quo­ti­dien­ne­ment sur le devant de la scène, c’est essen­tiel­le­ment pour leur acti­vi­té prin­ci­pale, la nota­tion. Une entre­prise, une banque ou une enti­té publique peut sol­li­ci­ter contre rému­né­ra­tion un rating. Selon une grille de nota­tion propre à chaque agence, ce rating indi­que­ra le degré de sol­va­bi­li­té de l’entité notée. Glo­ba­le­ment, les ratings émis appar­tiennent à la caté­go­rie « inves­tis­se­ment1 » lorsqu’ils tra­duisent un risque de défaut2 inexis­tant ou faible de la part de l’entité notée, ou à la caté­go­rie « spé­cu­la­tif3 » lorsqu’apparait un risque de cré­dit4 plus ou moins impor­tant. Cette infor­ma­tion est cru­ciale pour les inves­tis­seurs car ceux-ci ne sou­haitent pas pla­cer leur argent aveu­glé­ment. Mais ce rating influence éga­le­ment, via le taux d’intérêt pra­ti­qué par les orga­nismes prê­teurs, le cout de finan­ce­ment des ins­tances notées. Une bonne note faci­lite le recours au crédit.

Les bases de la notation

À l’origine, les nota­tions des agences visaient les obli­ga­tions émises par des entre­prises, des banques ou, très vite, des col­lec­ti­vi­tés publiques et des États. Elles se sont ensuite por­tées sur les émet­teurs de titres eux-mêmes. Dans la plu­part des cas, ces nota­tions sont aujourd’hui sol­li­ci­tées par ces émet­teurs, car le cout de la nota­tion est sup­po­sé moindre que l’avantage offert par une bonne note sur le mar­ché du cré­dit. Mais les agences publient par­fois éga­le­ment des notes non sol­li­ci­tées. Depuis 2009, l’Europe impose que les notes non sol­li­ci­tées soient iden­ti­fiées comme telles. En ce qui concerne la Bel­gique, seules les notes de Fitch Ratings sont sollicitées.

Un rating repose à la fois sur des cri­tères quan­ti­ta­tifs et qua­li­ta­tifs. La nota­tion cor­po­rate, visant les entre­prises ou les banques et assu­rances, repose ain­si sur des cri­tères tels que le flux de tré­so­re­rie ou le taux d’endettement, mais aus­si sur le pro­fil du sec­teur d’activité ou sur la stra­té­gie de mana­ge­ment. De même pour la nota­tion sou­ve­raine, liée aux États : le ratio dette/recettes bud­gé­taires ou l’évolution du pro­duit inté­rieur brut (PIB) par habi­tant côtoient, par­mi les cri­tères de nota­tion, des indi­ca­teurs tels que la sta­bi­li­té ins­ti­tu­tion­nelle et poli­tique du pays concerné.

Com­pa­rer le tra­vail des agences reste très dif­fi­cile, étant don­né qu’elles conservent à ce jour des échelles et des méthodes de nota­tion dif­fé­rentes. Comme l’explique Nor­bert Gaillard, consul­tant à la Banque mon­diale et spé­cia­liste de la nota­tion sou­ve­raine, « Stan­dard & Poor’s se montre “plus sévère” dès qu’elle juge exces­sif l’endettement d’un pays, tan­dis que ses deux concur­rentes Fitch et Moody’s prennent davan­tage en compte la puis­sance éco­no­mique des États ». Les échelles de nota­tion au sein d’une même agence sont par contre uni­for­mi­sées de telle manière qu’une entre­prise notée b sera asso­ciée au même risque de défaut qu’un État ayant obte­nu le même rating.

Le rating, ou sa révi­sion, est dis­cu­té et voté au sein d’un comi­té de nota­tion com­po­sé de plu­sieurs ana­lystes. Une note peut être révi­sée à la hausse (upgrade) ou à la baisse (down­grade) en fonc­tion de l’évolution de la sol­va­bi­li­té escomp­tée de l’émetteur. Les agences émettent éga­le­ment des pers­pec­tives de nota­tion (out­look) qui peuvent être posi­tives, stables ou néga­tives et reflètent la manière dont l’agence appré­hende l’avenir de l’émetteur. En moyenne, les agences pro­cèdent à une nou­velle éva­lua­tion chaque année, mais elles peuvent éga­le­ment déci­der de pré­ci­pi­ter les choses. Une crise poli­tique, la dégra­da­tion finan­cière d’un émet­teur ou des opé­ra­tions telles qu’une fusion ou une acqui­si­tion sont des évè­ne­ments qui induisent géné­ra­le­ment une mise sous sur­veillance d’une nota­tion ou de son out­look. Pré­ci­sons enfin qu’avant publi­ca­tion d’une note, l’émetteur a le droit de contes­ter celle-ci, mais dans des délais rela­ti­ve­ment courts.

Dans de nom­breux pays, la nota­tion fait par­tie des condi­tions préa­lables à l’émission de pro­duits finan­ciers com­plexes : les « pro­duits struc­tu­rés ». Fait plus trou­blant : moyen­nant rému­né­ra­tion, les agences de nota­tion par­ti­cipent à la créa­tion des pro­duits struc­tu­rés ain­si qu’à leur éva­lua­tion. Cela sou­lève la ques­tion de pos­sibles conflits d’intérêt, sur laquelle nous reviendrons.

Outre la nota­tion de titres de dette, l’aide à la concep­tion et l’évaluation de pro­duits struc­tu­rés, les agences peuvent encore comp­ter sur une troi­sième source de finan­ce­ment, pro­ve­nant de la vente d’informations sta­tis­tiques, d’études et de fichiers.

À l’origine, les chemins de fer américains

Les ori­gines de la nota­tion finan­cière remontent à 1868, lorsque Hen­ry Var­num Poor publie pour la pre­mière fois le Manual of the Rail­roads of the Uni­ted States. Cette publi­ca­tion annuelle pro­pose des infor­ma­tions éco­no­miques et finan­cières aux inves­tis­seurs dési­reux de confier leur épargne aux grandes socié­tés de che­min de fer amé­ri­caines alors en plein essor. De son côté, John Moo­dy publie en 1900 le Manual of Indus­trial and Mis­cel­la­neous Secu­ri­ties et pro­pose dès 1909 un sys­tème de nota­tion sous forme de lettres (de Aaa à C) pour éva­luer lui aus­si la qua­li­té des inves­tis­se­ments liés aux entre­prises de che­min de fer.

Ces nota­tions ont pour voca­tion de lut­ter contre l’asymétrie d’information entre émet­teurs d’obligation et inves­tis­seurs. Dès 1910, cer­tains ser­vices aux col­lec­ti­vi­tés sont déjà sou­mis à la nota­tion de Moody’s (les dis­tri­bu­teurs d’énergie, la com­pa­gnie du télé­phone), qui s’attaquera ensuite, en 1918, à la nota­tion des États, sui­vie sur cette voie par Poor’s Publi­shing en 1920.

Poor’s et Stan­dard Sta­tis­tics fusionnent en 1941 pour for­mer Stan­dard & Poor’s, dont le groupe amé­ri­cain McGraw-Hill, qui édite notam­ment l’hebdomadaire Busi­ness Week, fera l’acquisition en 1966. Une dizaine d’années aupa­ra­vant, en 1957, Stan­dard & Poor’s lance éga­le­ment le S&P 500 Stock Index, com­po­sé de cinq-cents titres cotés à la bourse de New York. De son côté, l’agence Moody’s est cotée en bourse depuis 2000 et déte­nue, à hau­teur de 13%, par le fonds d’investissement Berk­shire Hatha­way, pro­prié­té du mil­liar­daire War­ren Buf­fet. Après un long pas­sage à vide, l’agence Fitch Ratings, fon­dée en 1913, est quant à elle rache­tée en 1997 par la hol­ding fran­çaise Fima­lac, avant de fusion­ner l’année sui­vante avec la socié­té bri­tan­nique IBCA, spé­cia­liste en nota­tion des banques. Depuis 2009, Fitch Ratings est contrô­lée par Fima­lac à hau­teur de 60% et par le groupe Hearst (groupe de médias amé­ri­cain) à hau­teur de 40%.

Il est com­mu­né­ment admis que ces trois prin­ci­pales agences de nota­tion trans­na­tio­nales se par­tagent entre 90% et 95% des reve­nus géné­rés par la nota­tion finan­cière5. Par­mi les petites agences se par­ta­geant le reste du gâteau, citons la cana­dienne Domi­na­tion Bond Rating Ser­vice (DBRS), l’américaine AM Best et les japo­naises Japan Cre­dit Rating Agen­cy (JCR) et Rating and Invest­ment Infor­ma­tion (R&I), qui se sont spé­cia­li­sées dans cer­taines niches géo­gra­phiques ou sec­to­rielles6.

Renversement du mode de financement

Durant plu­sieurs décen­nies, les nota­tions ont été finan­cées par les inves­tis­seurs qui cher­chaient à s’informer sur la qua­li­té des actifs finan­ciers qu’ils sou­hai­taient acqué­rir. Ils ache­taient les ana­lyses et les notes émises par les agences concer­nant des entre­prises ou des orga­nismes publics.

Ce sys­tème de finan­ce­ment a tou­te­fois subi un chan­ge­ment majeur dans les années sep­tante. À par­tir de ce moment, les agences ont fac­tu­ré leurs ser­vices aux émet­teurs des titres de dette. Le déve­lop­pe­ment, à cette époque, de la pho­to­co­pie n’est pas étran­ger à ce chan­ge­ment notable. De plus en plus d’investisseurs ont uti­li­sé des pho­to­co­pies « illi­cites » des manuels publiés par les agences et ces der­nières ont alors vu leurs marges béné­fi­ciaires enta­mées. Dans le même temps, la crise éco­no­mique sévis­sait par­tout dans le monde et par­ti­cu­liè­re­ment aux États-Unis, ber­ceau de la nota­tion. De nom­breuses entre­prises ont cher­ché à ras­su­rer et à atti­rer de nou­veaux inves­tis­seurs, et l’obtention d’un bon rating pou­vait les y aider. Elles deviennent alors clientes des agences de nota­tion et com­mencent à payer celles-ci pour l’émission de ratings. Les entre­prises et cer­tains États, dans l’espoir de trou­ver des capi­taux à moindres frais, col­la­borent avec les agences et leur donnent accès aux docu­ments qui leur sont utiles. Les nota­tions cor­po­rate deviennent alors sol­li­ci­tées, de même qu’une par­tie des nota­tions souveraines.

De leur côté, les agences expliquent que la com­plexi­fi­ca­tion du sys­tème finan­cier dans la deuxième moi­tié du XXe siècle a induit des couts d’analyse crois­sants pour les agences que les inves­tis­seurs seuls ne sont pas prêts à supporter.

Dans le camp des détrac­teurs, ce nou­veau sys­tème de finan­ce­ment a sur­tout sou­le­vé la ques­tion de pos­sibles conflits d’intérêt. Les agences se retrouvent en effet juges et par­ties. Com­ment s’assurer par exemple qu’elles ne favo­risent pas leurs clients en leur attri­buant une bonne note ?

La notation souveraine

La nota­tion des États fait de plus en plus débat dans un contexte de crise de la dette tou­chant plu­sieurs pays euro­péens, en pre­mier lieu la Grèce. De nom­breux obser­va­teurs poli­tiques accusent les trois grandes agences de nota­tion d’influencer direc­te­ment, par l’attribution de leurs ratings, les poli­tiques menées au plan natio­nal ou euro­péen7. Les cri­tiques concer­nant l’influence gran­dis­sante des agences sur la sphère poli­tique ne sont pas nou­velles. En février 1996, le chro­ni­queur du New York Times, Tho­mas Fried­man, décla­rait : « Il y a deux super­puis­sances dans le monde aujourd’hui : les États-Unis et Moody’s. Et croyez-moi, il n’est pas tou­jours facile de savoir laquelle des deux a le plus de pouvoir. »

À contre­cou­rant des cri­tiques envers le pré­su­mé dik­tat des agences de nota­tion, le pré­sident fran­çais, Nico­las Sar­ko­zy, expli­quait, quant à lui, au len­de­main du som­met euro­péen accou­chant du plan de sau­ve­tage de la Grèce, que le pro­blème de la France, mena­cée de perdre son triple A, ce ne sont pas les agences de nota­tion, mais bien la dette, car c’est elle qui donne du pou­voir aux agences. Le chef de l’État fran­çais semble ain­si rendre aux agences leur rôle de « ther­mo­mètre » que nous évo­que­rons plus loin. Dans le cas de la récente dégra­da­tion, le 25 novembre 2011, de la note de la Bel­gique par Stan­dard & Poor’s, d’AA+ à AA, l’économiste et pro­fes­seur à la kul Paul De Grauwe estime même que le rating n’a fait que suivre les mar­chés8.

Georges Ugeux, PDG de Gali­leo Glo­bal Advi­sors, explique sur son blog finan­cier que pour convaincre les États de par­ti­ci­per au pro­ces­sus de nota­tion, les agences ont exer­cé une forme de chan­tage en fai­sant valoir qu’il était dans leur inté­rêt de coopé­rer plu­tôt que de se voir impo­ser une nota­tion. Pour Georges Ugeux, les banques d’affaires auraient sou­te­nu le dis­cours des agences, expli­quant aux États que sans nota­tion le cout de leurs emprunts serait supé­rieur. Il pré­cise encore que mal­gré leurs nom­breuses fai­blesses, atta­quer les agences de nota­tion relève de l’hypocrisie de la part des diri­geants euro­péens : « Il suf­fit pour s’en convaincre de les voir s’attribuer le mérite des nota­tions posi­tives et le blâme sur les agences de rating des nota­tions négatives. »

Cent-et-quinze pays sont actuel­le­ment notés par les agences de nota­tion. Le mode de fac­tu­ra­tion des États reste tou­te­fois très opaque, « avec des parts fixes et des parts variables, en fonc­tion des niveaux de dette et de la com­plexi­té des pro­duits pro­po­sés. Cela peut aller de quelques dizaines de mil­liers d’euros ou dol­lars par an à plu­sieurs cen­taines de mil­liers. Sans que cela soit offi­ciel, il est vrai­sem­blable d’ailleurs que les grands pays, comme les États-Unis, la France ou l’Allemagne, ne payent pas ou très peu les agences, puisqu’ils sont de toute façon incon­tour­nables pour les inves­tis­seurs », explique Nor­bert Gaillard9. Du côté des pays émer­gents par contre, qui sou­haitent atti­rer les inves­tis­seurs, on ima­gine moins de réti­cence à payer une nota­tion, dans l’espoir que celle-ci soit favo­rable au pays émetteur.

Le temps des revers et des critiques

La crise asia­tique de 1997, les scan­dales finan­ciers début 2000 (Enron, World­com et Par­ma­lat), la crise des sub­primes en 2007 et la crise actuelle de la dette en Europe et aux États-Unis : aucun de ces évè­ne­ments n’a été réel­le­ment anti­ci­pé par les trois grandes agences trans­na­tio­nales. Elles ont atten­du le 28 novembre 2001, soit quatre jours avant la faillite, pour pla­cer Enron en caté­go­rie « spé­cu­la­tif ». Le même constat peut être fait pour Leh­man Bro­thers, noté « a » au moment de sa ban­que­route à l’automne 2008.

À l’inverse, il est sou­vent repro­ché aux agences d’avoir ten­dance à sur­réa­gir et de pré­ci­pi­ter les dif­fi­cul­tés de cer­tains émet­teurs en révi­sant à la baisse la qua­li­té de leur cré­dit sur la base de juge­ments esti­més hâtifs par les émet­teurs concer­nés. Pour Jean-René Four­tou, deve­nu PDG du groupe Viven­di Uni­ver­sal en rem­pla­ce­ment de Jean-Marie Mes­sier, les agences de nota­tion finan­cière ont contri­bué à dété­rio­rer la situa­tion de l’entreprise plon­gée durant l’été 2002 dans une spi­rale dépres­sive qui l’a menée aux portes de la faillite. Déjà confron­tée à un pro­blème de dette colos­sale, Viven­di, après la dégra­da­tion de sa note par Stan­dard & Poor’s et sur­tout Moody’s, a été sou­mise à une grave crise de liqui­di­tés, ne pou­vant plus recou­rir que dif­fi­ci­le­ment au mar­ché du cré­dit. C’est ce que cer­tains obser­va­teurs nomment le phé­no­mène d’autoréalisation ou self-ful­filling pro­phe­cy. Au lieu de pré­ve­nir le risque d’insolvabilité, la dégra­da­tion par­fois tar­dive et sévère d’une nota­tion concré­tise le risque de défaut en ren­dant le mar­ché du cré­dit moins acces­sible à ceux qui reçoivent une mau­vaise note. Plus récem­ment, en juillet der­nier, après que Moody’s a dégra­dé la note du Por­tu­gal de quatre crans, Pier Car­lo Padoan, secré­taire géné­ral adjoint et chef éco­no­miste de l’OCDE, s’en est pris aux trois grandes et à leurs ten­dances pro­cy­cliques : « Elles pro­duisent des pro­phé­ties qui s’autoréalisent. C’est comme pous­ser quelqu’un qui est au bord d’un ravin. Elles aggravent la crise. »

Mais cette cri­tique d’autoréalisation a éga­le­ment son pen­dant. De nom­breux obser­va­teurs estiment en effet que les agences de rating ne font que jouer leur rôle de « ther­mo­mètre ». « Quand on est malade, on n’accuse pas le ther­mo­mètre, on se soigne. Or les pays occi­den­taux sont malades d’avoir trop dépen­sé, d’être trop endet­tés », explique par exemple sur son blog Yves Thréard, jour­na­liste et édi­to­ria­liste au Figa­ro.

Des instances incontournables

Si trois agences dominent le sec­teur de la nota­tion, c’est notam­ment parce qu’elles ont toutes les trois un siècle d’expertise, voire plus, à faire valoir et qu’elles œuvrent au niveau trans­na­tio­nal. Le poids de la répu­ta­tion est ici indé­niable. Cette situa­tion oli­go­po­lis­tique est donc d’une cer­taine manière intrin­sèque au sec­teur. Même s’il avait le choix entre un grand nombre d’agences de nota­tion dif­fé­rentes, l’émetteur aurait tout inté­rêt à sol­li­ci­ter celles qui ont la meilleure réputation.

En 1975, la Secu­ri­ties and Exchange Com­mis­sion (SEC), l’autorité amé­ri­caine de règle­men­ta­tion et de contrôle des mar­chés finan­ciers, ins­taure l’obligation pour les agences de nota­tion d’obtenir une accré­di­ta­tion sur la base de cri­tères infor­mels qui se sont avé­rés rela­ti­ve­ment favo­rables aux trois grandes. Ces der­nières sont d’ailleurs les seules, à l’origine, à obte­nir cet agré­ment. Aujourd’hui, dix agences de nota­tion sont recon­nues par la SEC et ont reçu le titre de Natio­nal­ly Reco­gni­zed Sta­tis­ti­cal Rating Orga­ni­za­tions (NRSRO)10.

De plus, si de nou­veaux acteurs de la nota­tion ont pu espé­rer se faire une place dans les années sep­tante et quatre-vingt, Stan­dard & Poor’s, Fitch Ratings et Moody’s ont rache­té la plu­part de ces petites agences (plus d’une tren­taine) dans les années nonante et deux-mille.

Mais ce qui a indé­nia­ble­ment assis la supré­ma­tie de Stan­dard & Poor’s, Moody’s et Fitch Ratings, c’est la réfé­rence qui leur est faite dans des règle­men­ta­tions offi­cielles. Dans les années trente déjà, à la suite de la crise, il est deman­dé aux banques amé­ri­caines de se sépa­rer des titres « spé­cu­la­tifs » et de ne conser­ver que ceux pou­vant appar­te­nir à la caté­go­rie « inves­tis­se­ment ». Et c’est aux agences de nota­tion que la SEC, tout juste créée, confie le soin d’évaluer la qua­li­té des titres en ques­tion. Au plan mon­dial, ce sont les accords de Bâle ii, entrés en vigueur fin 2006, sur la réforme des normes pru­den­tielles qui offrent leur heure de gloire aux agences de nota­tion. Bâle ii avait pour voca­tion de mieux appré­hen­der les risques de cré­dit des banques via une révi­sion des exi­gences en fonds propres. Les accords de Bâle ii imposent aux banques le ratio Mc Donough qui prend en compte le risque de défaut des emprun­teurs et implique une éva­lua­tion de ce risque par les agences de nota­tion. Entre­temps, il y a eu la crise des sub­primes, en 2007, et ses consé­quences sur les sec­teurs finan­cier et ban­caire. Sous l’impulsion du G20, les accords de Bâle iii sont publiés en sep­tembre 2010 et visent à ren­for­cer à nou­veau les fonds propres et les garan­ties de liqui­di­tés des banques. La Com­mis­sion euro­péenne est la pre­mière à adop­ter, le 20 juillet 2011, un texte visant la trans­po­si­tion de ces accords. À cette occa­sion, Michel Bar­nier, com­mis­saire euro­péen char­gé du Mar­ché inté­rieur, a décla­ré : « Nous sommes trop dépen­dants vis-à-vis des nota­tions, et je sou­haite sup­pri­mer autant que pos­sible la réfé­rence aux nota­tions dans les règles prudentielles. »

Juge et partie

Depuis les années sep­tante, les agences fac­turent leurs ser­vices aux émet­teurs de titres qu’elles notent, ce qui sou­lève la ques­tion des conflits d’intérêt. Les agences se retrouvent en effet juges et par­ties, et cer­tains mettent en doute leur objec­ti­vi­té, par­tant du prin­cipe que la ten­ta­tion doit être grande pour elles de sur­no­ter leurs clients.

Les agences défendent le sérieux de leurs ana­lyses en rap­pe­lant que seule leur répu­ta­tion leur assure la confiance du mar­ché et qu’il ne serait pas dans leur inté­rêt d’attribuer des notes par com­plai­sance. Tou­jours est-il que Stan­dard & Poor’s et Moody’s appliquent, par pru­dence, une décote aux ratings que Fitch Ratings attri­bue aux pro­duits struc­tu­rés. Elles consi­dèrent que cette der­nière, béné­fi­ciant d’une répu­ta­tion moindre qu’elles, pour­rait avoir ten­dance à sur­no­ter les émis­sions pour atti­rer de nou­veaux clients et accroitre ses parts de marché.

Pierre Caille­teau, ancien chief inter­na­tio­nal eco­no­mist de Moody’s, explique que s’il fal­lait reve­nir en arrière, vers un sys­tème de rating finan­cé par les inves­tis­seurs, il y aurait alors pri­va­ti­sa­tion de la nota­tion. « Cette sor­tie du domaine public de la nota­tion impli­que­rait la dis­pa­ri­tion de dizaines de mil­liers de notes. Les lumières des phares s’éteindraient, mais cer­tains auraient leur GPS…»

Avec l’émergence de la titri­sa­tion dans les années nonante, les ins­ti­tu­tions finan­cières char­gées de consti­tuer et de dis­tri­buer des pro­duits struc­tu­rés se sont tour­nées vers les agences de nota­tion dans un rôle de conseil. Ces agences étaient éga­le­ment res­pon­sables, dans un second temps, d’établir un rating pour ces mêmes pro­duits. Dans ce cas de figure, les conflits d’intérêt sont rela­ti­ve­ment évi­dents. « Un stu­dio de ciné­ma qui paie les cri­tiques et se sert ensuite de leurs éloges à des fins publi­ci­taires », c’est en ces termes que le séna­teur amé­ri­cain Jim Bun­ning décrit les rela­tions entre les banques et les agences de nota­tion dans le cadre de la crise des sub­primes. Plu­sieurs éco­no­mistes, s’appuyant sur un rap­port de la SEC publié en juillet 2008, indiquent éga­le­ment que cer­taines agences, sans que cela soit deve­nu la règle, ont pu faire prendre en charge par les mêmes pro­fes­sion­nels la nota­tion et des acti­vi­tés de conseil. À la veille de la crise des sub­primes, l’activité concen­trée autour des pro­duits struc­tu­rés consti­tuait 50% du chiffre d’affaires des trois grandes.

Une opinion, juste une opinion

Comme les agences de nota­tion aiment à le rap­pe­ler, les ratings qu’elles émettent ne sont que des opi­nions que les inves­tis­seurs et les mar­chés ont la liber­té de suivre ou non11. Ce terme d’opinion est impor­tant car le pre­mier amen­de­ment de la Consti­tu­tion amé­ri­caine pro­tège la liber­té d’expression. Les agences ont éga­le­ment décla­ré à plu­sieurs reprises que, si elles étaient par­fai­te­ment pres­cientes, elles ne pro­po­se­raient que deux types de nota­tion : « fera défaut » ou « ne fera pas défaut ».

Pour Pierre Caille­teau, les agences de nota­tion s’exposent de par leur fonc­tion à la cri­tique. Leurs ratings sont publics et deviennent donc une cible facile pour des ana­lyses rétros­pec­tives. « De même, il est dans la nature des choses que les “bons” ratings soient aus­si peu com­men­tés que les trains qui arrivent à l’heure. »

Jusqu’à il y a peu, ame­ner une agence de nota­tion devant la jus­tice sem­blait mis­sion impos­sible. Pro­té­gées par le pre­mier amen­de­ment de la Consti­tu­tion amé­ri­caine, leur res­pon­sa­bi­li­té ne pou­vait être évo­quée que si un émet­teur par­ve­nait à prou­ver qu’elles avaient four­ni des ana­lyses erro­nées de manière mal­veillante12 ou si un inves­tis­seur éta­blis­sait une fraude de la part de l’agence (publi­ca­tion d’une opi­nion dans le but de trom­per les inves­tis­seurs)13. Très peu d’affaires ont ain­si été menées en jus­tice. Tou­te­fois, des brèches com­mencent à se creu­ser. En 2009, des déci­sions de jus­tice aux États-Unis estiment que le pre­mier amen­de­ment ne peut être évo­qué lorsque les plai­gnants sont un petit groupe d’investisseurs, car l’opinion déli­vrée par les agences vise alors un groupe res­treint et non le public en géné­ral. Avec l’adoption du Dodd-Frank Act, en juillet 2010, les États-Unis recon­naissent aux agences de nota­tion le sta­tut d’expert et les sou­mettent à des dis­po­si­tions plus strictes en matière de res­pon­sa­bi­li­té civile, fon­dées sur une loi de 1933. Plus récem­ment, le 15 novembre 2011, la Com­mis­sion euro­péenne émet une série de nou­velles pro­po­si­tions concer­nant les agences et indique qu’«une agence de nota­tion doit être tenue pour res­pon­sable si elle enfreint, inten­tion­nel­le­ment ou par négli­gence, le règle­ment sur les agences de nota­tion, en cau­sant un pré­ju­dice à un inves­tis­seur qui s’est fon­dé sur la note four­nie à la suite d’une telle infrac­tion. Ces inves­tis­seurs devraient inten­ter une action en res­pon­sa­bi­li­té civile auprès des tri­bu­naux natio­naux. La charge de la preuve incom­be­rait à l’agence de notation ».

Paral­lè­le­ment à cette évo­lu­tion juri­dique, l’idée d’une règle­men­ta­tion plus contrai­gnante appli­quée aux agences de rating fait son che­min de part et d’autre de l’Atlantique. Jusqu’à il y a peu, les grandes agences de nota­tion ont prô­né avec force les ver­tus de l’autorégulation. Mais sous le poids des cri­tiques, elles ont dû peu à peu y renon­cer. Même si le pro­ces­sus d’encadrement de l’activité des agences a été enta­mé tar­di­ve­ment et timi­de­ment, il semble s’être accé­lé­ré ces der­nières années.

Une règlementation tardive

Les agences de nota­tion ne sont sou­mises à aucune obli­ga­tion règle­men­taire jusqu’en 1975. À ce moment, la SEC leur impose d’obtenir le sta­tut NRSRO (Natio­nal­ly Reco­gni­zed Sta­tis­ti­cal Rating Orga­ni­za­tions). Cette accré­di­ta­tion est accor­dée au cas par cas et ne repose à l’origine sur aucun cri­tère strict. Pour­tant, seuls les ratings des agences ayant obte­nu cette accré­di­ta­tion peuvent être uti­li­sés à des fins pru­den­tielles aux États-Unis. Pour acqué­rir ce sta­tut, les agences doivent démon­trer à la SEC qu’elles dis­posent des res­sources finan­cières adé­quates et d’un per­son­nel de qua­li­té pour mener à bien leur acti­vi­té, et que leurs ratings ins­pirent la confiance aux prin­ci­paux inves­tis­seurs publics du pays. En 1975, seules les trois grandes reçoivent le titre de NRSRO.

À la suite des scan­dales finan­ciers d’Enron, World­com et Par­ma­lat, un code de bonne conduite est adres­sé aux agences de nota­tion en décembre 2004, dans le cadre de l’Organisation inter­na­tio­nale des com­mis­sions de valeurs (OICV). Même si ce code de bonne conduite n’est pas contrai­gnant, il sonne sans doute le début de la fin de l’autorégulation pure et simple prô­née par les agences de rating. Le code sti­pule, par exemple, que les agences de nota­tion doivent sépa­rer l’activité de nota­tion de toute autre acti­vi­té ou sti­pu­ler si une nota­tion a été éta­blie avec la par­ti­ci­pa­tion, ou non, de l’émetteur. Ce code sera révi­sé à plu­sieurs reprises.

Ce n’est qu’en 2006, avec l’adoption du Cre­dit Rating Agen­cy Reform Act, qu’interviennent pour la pre­mière fois une défi­ni­tion et des condi­tions d’obtention offi­cielles du sta­tut NRSRO. Selon cette nou­velle loi, ce sta­tut est déli­vré à des agences de nota­tion actives depuis au moins trois années consé­cu­tives avant leur demande d’agrément, dont la qua­li­té des ratings est recon­nue par les grands inves­tis­seurs ins­ti­tu­tion­nels des États-Unis et qui sont enre­gis­trées auprès de la SEC. Pour pro­cé­der à cet enre­gis­tre­ment, la SEC réclame aux agences cer­taines infor­ma­tions sur leur struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle ou sur l’utilisation faite des don­nées confi­den­tielles. Les béné­fi­ciaires de ce nou­veau sta­tut doivent éga­le­ment com­mu­ni­quer à la SEC des infor­ma­tions concer­nant leurs pro­cé­dures et métho­do­lo­gies ain­si que des don­nées sta­tis­tiques rela­tives à la robus­tesse des nota­tions. Tout conflit d’intérêt sus­cep­tible d’exister au sein d’une agence doit éga­le­ment être com­mu­ni­qué à la SEC. Le 27 sep­tembre 2007, celle-ci a for­mel­le­ment recon­nu sept agences en tant que NRSRO. Elles sont aujourd’hui au nombre de dix.

Dans le sillage du Credit Rating Agency Reform Act

Peu de temps après l’adoption du Cre­dit Rating Agen­cy Reform Act, la crise des sub­primes relance le débat autour de l’encadrement accru des agences de rating. C’est dans ce contexte dif­fi­cile que la SEC adopte, début 2009, de nou­velles mesures réfor­mant le cadre légis­la­tif en place.

La SEC veut notam­ment intro­duire davan­tage de trans­pa­rence dans la nota­tion des pro­duits struc­tu­rés. Sou­vent, les inves­tis­seurs n’ont pas fait preuve de suf­fi­sam­ment de vigi­lance et se sont fiés à des nota­tions qui ont l’avantage de res­ter simples pour éva­luer ces pro­duits pour­tant extrê­me­ment com­plexes. Selon les nou­velles règles édic­tées par la SEC, les agences habi­li­tées NRSRO doivent désor­mais publier un rap­port sur les spé­ci­fi­ci­tés du risque lié aux pro­duits struc­tu­rés et sur les pro­cé­dures et métho­do­lo­gies de nota­tion qui s’y rap­portent. Une alter­na­tive leur est tou­te­fois offerte, celle d’utiliser un sym­bole propre à la nota­tion de ces pro­duits struc­tu­rés, les dif­fé­ren­ciant des autres types de notation.

Grâce à plu­sieurs mesures, la SEC s’attaque éga­le­ment au pro­blème des conflits d’intérêt. Elle inter­dit ain­si aux agences NRSRO de noter une socié­té ayant pré­cé­dem­ment béné­fi­cié de recom­man­da­tions de leur part dans le cadre de leur acti­vi­té de conseil. Il est éga­le­ment inter­dit aux ana­lystes impli­qués dans le pro­ces­sus de nota­tion de prendre part aux débats concer­nant les hono­raires à ver­ser par l’émetteur.

La réaction des agences

Compte tenu des évo­lu­tions règle­men­taires, les agences de nota­tion adoptent, dans la seconde moi­tié des années 2000, une série de mesures des­ti­nées notam­ment à mieux faire face aux conflits d’intérêt. Ain­si, en 2008, Fitch Ratings regroupe dans une nou­velle divi­sion, Fitch Solu­tions, des ser­vices annexes à la nota­tion tels que la dif­fu­sion de la recherche, l’offre d’outils d’évaluation, de for­ma­tion, ou encore de conseil. La même année, Moody’s adopte la même atti­tude en créant Moody’s Ana­ly­tics. Dans le même temps, Moody’s et Stan­dard & Poor’s inter­disent à leurs ana­lystes de prendre part aux négo­cia­tions com­mer­ciales des agences. Fait notable, Stan­dard & Poor’s a mis en place en 2009 une rota­tion pério­dique de ses ana­lystes. À l’exception de ceux tra­vaillant sur les pro­duits struc­tu­rés, ces ana­lystes ne peuvent exer­cer leurs fonc­tions pour un même émet­teur pen­dant plus de cinq années consécutives.

Accu­sées d’avoir dégra­dé trop tard la note des pro­duits struc­tu­rés incor­po­rant les sub­primes, les trois grandes agences indiquent avoir ren­for­cé, dès 2007, les effec­tifs char­gés de la sur­veillance des nota­tions et avoir déve­lop­pé de nou­veaux modèles et outils sur le seg­ment des pro­duits struc­tu­rés. Début 2010, les trois grandes annoncent éga­le­ment leur inten­tion de se confor­mer aux exi­gences règle­men­taires en ajou­tant aux notes de pro­duits de finan­ce­ment struc­tu­rés un sym­bole (« sf » ou « sf » selon les agences) qui les dis­tingue des notes attri­buées à d’autres types de produits.

Adoption du Dodd-Frank Act

La crise éco­no­mique et finan­cière qui sévit en 2008 pousse le Congrès amé­ri­cain à lan­cer le plus impor­tant chan­tier de réforme du sys­tème finan­cier aux États-Unis depuis les années 1930. La loi Dodd-Frank14, adop­tée en juillet 2010, est l’aboutissement de ces tra­vaux. Il s’agit d’un véri­table mas­to­donte légis­la­tif dont toutes les dis­po­si­tions n’ont pas encore été mises en œuvre.

Les agences de nota­tion sont visées. La loi pré­voit ain­si la créa­tion d’un dépar­te­ment au sein de la SEC, l’Office of Cre­dit Ratings, char­gé de super­vi­ser l’activité des agences de rating. L’obligation d’informer la SEC sur les métho­do­lo­gies en vigueur au sein de ces agences est une nou­velle fois ren­for­cée, bien que la com­plexi­té et l’opacité des­dites méthodes res­tent un frein au contrôle. La loi Dodd-Frank impose éga­le­ment une res­tric­tion de la réfé­rence aux agences de nota­tion dans toute une série de dis­po­si­tions légales. Mal­gré cette mesure, il n’existe pas, à ce jour, de réelle alter­na­tive à la nota­tion financière.

L’Europe refait son retard

Depuis le 1er juillet 2011, l’Autorité euro­péenne des mar­chés finan­ciers (AEMF) cer­ti­fie et super­vise les agences de nota­tion pour l’Europe, en col­la­bo­ra­tion avec les ins­tances de super­vi­sion des États membres. À la mi-novembre, vingt-huit agences ont reçu une accré­di­ta­tion de l’AEMF, dont les trois grandes15.

L’accréditation de l’AEMF est sou­mise au res­pect d’une série de règles : les inté­rêts com­mer­ciaux de l’agence ne peuvent faire obs­tacle à la garan­tie d’indépendance de ses ana­lyses ; l’expérience et la qua­li­fi­ca­tion des ana­lystes doivent être recon­nues ; ces ana­lystes ne peuvent pas noter une enti­té dans laquelle ils détiennent une par­ti­ci­pa­tion ; l’agence doit divul­guer tout conflit d’intérêt exis­tant et dis­po­ser des pro­cé­dures orga­ni­sa­tion­nelles lui per­met­tant de pré­ve­nir, détec­ter, éli­mi­ner ou gérer ce type de conflits ; l’agence ne peut four­nir des ser­vices de consul­tant ou de conseil à une enti­té notée ; l’agence doit infor­mer l’entité notée au moins douze heures avant publi­ca­tion du rating ; l’agence doit uti­li­ser pour la nota­tion des pro­duits struc­tu­rés un sym­bole sup­plé­men­taire qui les dis­tingue des autres enti­tés, ins­tru­ments finan­ciers ou obli­ga­tions ; l’agence doit iden­ti­fier comme telles les nota­tions non sol­li­ci­tées, etc. Ste­ven Mai­joor, pré­sident de l’AEMF, com­men­tait en novembre 2011 : « Je m’attends à ce que nous ayons conduit des ins­pec­tions sur place pour toutes les grandes agences de nota­tion d’ici à la fin de l’année. À par­tir de ce tra­vail, nous comp­tons publier notre pre­mier rap­port aux alen­tours du 1er avril pro­chain. […] Si nous trou­vons des infrac­tions mineures, nous pou­vons don­ner des ins­truc­tions à l’agence de nota­tion concer­née. Si l’infraction est plus sérieuse, nous pou­vons deman­der à l’agence d’arrêter la nota­tion d’une enti­té pour quelque temps, pro­non­cer une amende, pou­vant aller jusqu’à 750.000 euros, voire, dans le pire des cas, reti­rer la licence. »

Le 15 novembre 2011, quelques jours après l’«erreur » de Stan­dard & Poor’s qui dégra­dait la note de la France avant de se rétrac­ter, la Com­mis­sion euro­péenne a édic­té une série de nou­velles mesures qui devront être pro­chai­ne­ment débat­tues au Par­le­ment euro­péen et au Conseil. C’est un nou­veau tour de vis que Michel Bar­nier sou­haite impo­ser aux agences. Les grands axes de cette nou­velle pro­po­si­tion de règle­men­ta­tion sont : l’obligation pour les inves­tis­seurs d’également effec­tuer leurs propres éva­lua­tions de cré­dit ; la mise à dis­po­si­tion des inves­tis­seurs de toutes les nota­tions dis­po­nibles pour un ins­tru­ment de créance don­né, sous la forme d’un indice euro­péen de nota­tion ; la fré­quence accrue de la nota­tion des États membres (tous les six mois au lieu de douze, avec un délai de contes­ta­tion avant publi­ca­tion de la note por­té à vingt-quatre heures); l’obligation pour les émet­teurs de chan­ger tous les trois ans l’agence qui les note ; l’exigence de deux nota­tions pro­ve­nant de deux agences dif­fé­rentes pour les ins­tru­ments finan­ciers struc­tu­rés com­plexes ; la pos­si­bi­li­té d’invoquer la res­pon­sa­bi­li­té civile des agences de notation.

Une autre pro­po­si­tion impor­tante était sur la table, celle visant à sus­pendre tem­po­rai­re­ment la nota­tion des États ayant requis une aide finan­cière de la part du FMI ou de l’Europe16. Le pro­jet a tou­te­fois été jugé trop peu abou­ti et a été remis à plus tard.

Un cer­tain nombre de voix s’étaient éga­le­ment éle­vées, dont celle de la chan­ce­lière alle­mande Ange­la Mer­kel, en faveur d’une agence de nota­tion euro­péenne. Celle-ci ne ver­ra fina­le­ment pas le jour. Le 15 novembre 2011, Michel Bar­nier expli­quait ain­si cette déci­sion : « Nous avons cal­cu­lé qu’il fau­drait 300 mil­lions d’euros pour la mettre en route. Je ne veux pas d’une agence publique qui res­pecte les règles et à côté, les autres agences qui tra­vaillent comme avant. » Il faut sans doute aus­si se deman­der si une telle agence, ne pou­vant reven­di­quer l’expérience et la noto­rié­té de Stan­dard & Poor’s, Moody’s ou Fitch, aurait pu convaincre les inves­tis­seurs et se faire une place auprès des trois grandes…

  1. De AAA à BBB pour Stan­dard & Poor’s et Fitch, pour les enga­ge­ments sur plus d’un an. De Aaa à Baa3 pour Moody’s.
  2. Par « risque de défaut », on entend le risque de ne pas pou­voir hono­rer ses enga­ge­ments finan­ciers aux échéances prévues.
  3. De BB à c pour Stan­dard & Poor’s et Fitch. De Ba1 à C pour Moody’s. Stan­dard & Poor’s et Fitch éta­blissent éga­le­ment des ratings de « défaut de paie­ment » allant de la note SD pour l’un, RD pour l’autre, à la note D.
  4. Le risque de cré­dit repré­sente le niveau d’incertitude de voir l’émetteur du titre de dette hono­rer ses obli­ga­tions envers les investisseurs.
  5. En 2010, le chiffre d’affaires des « trois grandes » était de 2,9 mil­liards de dol­lars pour Stan­dard & Poor’s, 2 mil­liards pour Moody’s Cor­po­ra­tion et 732,5 mil­lions pour Fitch Ratings.
  6. Une liste des prin­ci­pales agences de nota­tion réper­to­riées à ce jour au plan mon­dial est dis­po­nible sur inter­net. Voir www.defaultrisk.com.
  7. En juillet 2011, la chan­ce­lière alle­mande, Ange­la Mer­kel, décla­rait à l’AFP : « Concer­nant le sau­ve­tage de la Grèce, il est impor­tant que nous, la Com­mis­sion euro­péenne, le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal et la Banque cen­trale euro­péenne, ne nous lais­sions pas pri­ver de notre liber­té de juge­ment par les agences de notation. »
  8. Le ren­de­ment obli­ga­taire à dix ans de la Bel­gique flirte fin novembre avec les 6% alors qu’il n’était que de 4,35% le 22 octobre 2011.
  9. « Qui paye les agences de nota­tion ? », La Croix, 20 octobre 2011, www.lacroix.com.
  10. La liste de ces dix agences NRSRO est consul­table sur le site www.NRSRO.com.
  11. On peut ain­si lire sur le site inter­net de Moody’s : Cre­dit ratings are, and must be construed sole­ly as, sta­te­ments of opi­nion and not sta­te­ments of fact or recom­men­da­tions to pur­chase, sell or hold any securities.
  12. Res­pon­sa­bi­li­té dans le cadre d’une rela­tion contractuelle.
  13. Res­pon­sa­bi­li­té délictuelle.
  14. Du nom des deux dépu­tés amé­ri­cains qui ont ins­pi­ré cette loi, Chris Dodd et Bar­ney Frank.
  15. Celles-ci appa­raissent sous le nom de leurs dif­fé­rents bureaux euro­péens et n’ont été enre­gis­trées que le 31 octobre 2011. La liste des agences accré­di­tées par l’AEMF est dis­po­nible via l’adresse inter­net www.esma.europa.eu.
  16. En écho à l’annonce de la dégra­da­tion de la note attri­buée à la Grèce tom­bée à peu de chose près au même moment que l’annonce du plan de sou­tien à ce pays.

Fabienne Collard


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