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Arts de la scène : statut des travailleurs artistiques, enjeu majeur du renouvèlement des contrats programmes

Numéro 8 - 2017 - artistes culture FWB (Fédération Wallonie-Bruxelles) par Frédéric Young

décembre 2017

Quelque trois-mille signa­tures en trois jours au bas d’un mani­feste « Pour l’emploi artis­tique et pour le sou­tien accru aux créa­trices et créa­teurs de la FWB » lan­cé par l’Union des artistes et la Socié­té des auteurs et com­po­si­teurs dra­ma­tiques (SACD), tel est le signe que la situa­tion des tra­vailleuses et tra­vailleurs artis­tiques fran­co­phones des arts de […]

Le Mois

Quelque trois-mille signa­tures en trois jours au bas d’un mani­feste « Pour l’emploi artis­tique et pour le sou­tien accru aux créa­trices et créa­teurs de la FWB » lan­cé par l’Union des artistes et la Socié­té des auteurs et com­po­si­teurs dra­ma­tiques (SACD), tel est le signe que la situa­tion des tra­vailleuses et tra­vailleurs artis­tiques fran­co­phones des arts de la scène doit désor­mais être prise au sérieux par les auto­ri­tés publiques.

La sub­si­dia­ri­té, der­rière laquelle se cachent encore bien des aprio­ris idéo­lo­giques des années 1980, et le lais­ser-faire de ce mar­ché de l’emploi ubé­ri­sé ne sont plus des posi­tions poli­tiques tenables pour le PS et le CDH au pouvoir.

Une réforme d’envergure est néces­saire si ce n’est pour des rai­sons éthiques au moins parce que l’Onem a ces­sé de jouer son rôle de per­fu­sion silen­cieuse et que l’opposition de gauche sur­git dans les sondages.

Il n’y a (tou­jours) pas de ser­vice public du théâtre

L’histoire moderne de nos arts de la scène a pro­duit un pay­sage ori­gi­nal, extrê­me­ment créa­tif, car fon­dé sur un cycle hyper­ra­pide de production/consommation de pro­jets, sou­vent en com­pé­ti­tion, et sur la mul­ti­pli­ca­tion de lieux, pri­vés par nature juri­dique (des asbl) et publics par leur finan­ce­ment (75% à 95% de sub­ven­tions dans leurs recettes).

L’examen de la situa­tion des trois der­nières décen­nies per­met d’y consta­ter une des­truc­tion sévère de l’emploi artis­tique per­ma­nent, un phé­no­mène qui s’est accé­lé­ré avec les trans­ferts bud­gé­taires vers d’autres prio­ri­tés (via les dés­in­dexa­tions notamment).

L’activité épar­pillée du sec­teur ne struc­ture qua­si­ment aucune com­pa­gnie géné­ra­trice de sta­bi­li­té pour plus de deux ou trois per­sonnes, ni qua­si aucun artiste indé­pen­dant connu, et donc poten­tiel­le­ment influent. Et les nom­breuses orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles, sou­vent sans res­sources, inca­pables de s’accorder dura­ble­ment sur des objec­tifs com­muns, par­ti­cipent-elles aus­si, en toute bonne volon­té, à cette vibrion­nante dispersion.

La légi­time reven­di­ca­tion d’autonomie artis­tique, la pro­fu­sion de la pro­duc­tion, sa diver­si­té en sous-sec­teurs mor­ce­lés, sa qua­li­té sou­vent, les quelques contrexemples d’employeurs essen­tiel­le­ment muni­ci­paux (Le Parc, le Théâtre de Namur, le Théâtre de liège…), l’existence du Pacte cultu­rel insé­rant les par­tis dans les conseils d’administration des asso­cia­tions sub­si­diées ont per­mis aux res­pon­sables poli­tiques d’éviter de poser au niveau de la FWB la ques­tion de l’utilité de l’instauration d’un ser­vice public des arts de la scène, comme il en existe en matière de radio­té­lé­vi­sion ou d’enseignement et donc de débattre démo­cra­ti­que­ment de la plu­part des ques­tions trans­ver­sales qui en découleraient.

Chère Sub­si­dia­ri­té, disions-nous.
Cou­teuse pour qui ?

Deux effets importants de cette histoire belge

Le « modèle belge fran­co­phone » de l’apparition du « Jeune théâtre » à la « crise des défi­cits » (plan Val­my Féaux), des « EGC » à « Bou­ger les lignes », jus­ti­fie­rait bien sûr de déve­lop­per ici ana­lyse bien plus détaillée.

Conten­tons-nous de poin­ter deux effets en lien avec la crise de l’emploi artis­tique à laquelle font face, à recu­lons, le gou­ver­ne­ment de la FWB et le sec­teur dans son ensemble.

L’effet struc­tu­rel le plus mar­quant est l’émergence d’un sys­tème ten­dant à la (sur)production et à la (sur)consommation à flux ten­du de spec­tacles et à une orga­ni­sa­tion du tra­vail lar­ge­ment ubé­ri­sé dans son fonc­tion­ne­ment pro­fes­sion­nel et social.

Les struc­tures asbl de pro­duc­tion y récoltent les sub­sides « au nom et pour compte des pro­jets cultu­rels futurs des artistes », les gèrent avec une équipe per­ma­nente admi­nis­tra­tive, tech­nique (néces­saire à la ges­tion des lieux) et de com­mu­ni­ca­tion plus ou moins nom­breuse, et puisent leur main‑d’œuvre artis­tique qua­li­fiée dans l’immense réser­voir d’énergies et de talents que diplôment les écoles supé­rieures année après année.

Entre deux pro­duc­tions, les artistes y sur­vivent comme bon leur semble et notam­ment grâce à un amé­na­ge­ment « en leur faveur » (sic) des règles du chô­mage (en contra­dic­tion avec son carac­tère assu­ran­tiel). De quoi se plaignent-ils/elles ? Pré­fè­re­raient-ils/elles être des fonctionnaires ?

La situa­tion est aggra­vée par le jeu de ratio­na­li­tés contra­dic­toires, tour­nées vers l’autoproduction rapide qui ne favo­risent guère la mise en réseau entre pôles pro­duc­tifs et sur­tout pas la col­la­bo­ra­tion avec les centres cultu­rels dont le nou­veau cadre décré­tal les éloigne des pré­oc­cu­pa­tions de la démo­cra­ti­sa­tion cultu­relle.

Les spec­tacles font donc quelques dates à leur créa­tion, et tournent trop peu pour assu­rer aux artistes du tra­vail en quan­ti­té et en salaires suf­fi­sants. Faute d’un modèle éco­no­mique plus large et mieux dif­fu­sé, les répé­ti­tions ne sont presque pas finan­cées, ni l’écriture d’ailleurs.

À la marge éco­no­mique, de modestes sub­sides ouvrent une étroite sou­pape aux artistes por­teurs de pro­jets qui ne sont pas admis dans les ins­ti­tu­tions, ou qui innovent dans des recoins artis­tiques plus impro­bables les uns que les autres.

De poli­tique des tra­vailleurs et des tra­vailleuses artis­tiques, de poli­tique des autrices et auteurs, de car­rière artis­tique, ou de mise en avant vers les publics des artistes, indé­pen­dam­ment des ins­ti­tu­tions, il ne peut être concrè­te­ment ques­tion à un niveau global.

Il n’en est pas plus réel­le­ment ques­tion au niveau de chaque contrat programme.

Contrat programme : expression de trois décennies de subsidiarité, d’ubérisation et de démocratie culturelles

Gérer des pro­duc­tions de qua­li­té, enga­ger des sala­riés per­ma­nents, déve­lop­per une rela­tion aux publics, entre­te­nir des lieux ne peut pas se faire pro­fes­sion­nel­le­ment dans l’incertitude totale d’un finan­ce­ment ponc­tuel dépen­dant de l’avis tou­jours incer­tain d’une com­mis­sion (même si on y siège). Les forces vives du sec­teur ont donc reven­di­qué et obte­nu un modus viven­di avec la Com­mu­nau­té fran­çaise sous la forme de contrats pro­grammes de quatre puis cinq ans, fai­sant se cor­res­pondre, d’un côté, un pro­jet ins­ti­tu­tion­nel et artis­tique plu­ri­an­nuel et, de l’autre, un enga­ge­ment de la FWB quant à l’octroi d’une sub­ven­tion annuelle globalisée.

Ces contrats pro­grammes portent sur des sub­sides de quelques 50.000 à 7 mil­lions d’euros annuels qui, à ce jour, s’avèrent tous extrê­me­ment limi­tés. Quelques indi­ca­teurs d’objectifs y sont insé­rés quant à l’emploi, l’emploi artis­tique (vague­ment défi­ni), le nombre de spec­tacles à pro­duire ou à coproduire/accueillir, la mise en rési­dence (què­sa­co?) par­fois d’artistes externes, selon le pro­jet pro­po­sé et vali­dé par l’instance d’avis, sans que les cri­tères de cette vali­da­tion ne soient néces­sai­re­ment explicités.

Les éva­lua­tions sont tar­dives et les chiffres opti­mistes quand il le faut. Les articles de presse en servent de garants… ou de cen­seurs impitoyables.

Outils de pré­vi­si­bi­li­té impor­tants dans le cadre de la poli­tique de sub­si­dia­ri­té, les contrats pro­grammes tels qu’ils ont été pra­ti­qués depuis plus de vingt ans décident en pra­tique de la vie ou de la mort pro­fes­sion­nelle d’un lieu ou d’une équipe dans le sec­teur. Trai­tés au cas par cas, dans le splen­dide iso­le­ment reven­di­qué par chaque pro­jet (puisque son ori­gi­na­li­té artis­tique est sa rai­son d’être dans le pay­sage), ces contrats ne consti­tuent pas une poli­tique cultu­relle lisible. La manière de les attri­buer, de les rédi­ger et de les éva­luer dis­perse jusqu’à l’invisibilité le sens des déci­sions prises, comme celui des abs­ten­tions cyniques ou prudentes.

Pour­tant, ils auto­risent sans nul doute l’énorme pré­ca­ri­té, le déclas­se­ment socio­pro­fes­sion­nel, l’ubé­ri­sa­tion pour employer ce concept récent, mais élo­quent, dans les­quels ont été ins­tal­lés les autrices et auteurs, les artistes « inter­mit­tents chô­meurs », et ponc­tuel­le­ment contractualisés ?

Dans notre modèle belge fran­co­phone, le sta­tut des artistes, c’est le chô­mage, plus la Smart asbl. Un non-état pro­fes­sion­nel stig­ma­ti­sant, et déva­lo­ri­sant au moment de négo­cier un cachet, dont les moda­li­tés ont été assou­plies au début des années 2000 afin de per­mettre d’en favo­ri­ser l’accès et d’en assu­rer la péren­ni­té sans limite pour les « artistes », caté­go­rie mal définie.

Dans notre sec­teur des arts de la scène (mais pas seule­ment), le sta­tut d’artiste est une solu­tion bud­gé­tai­re­ment per­for­mante pour la FWB : Et même gra­tuite puisque finan­cée prin­ci­pa­le­ment par les coti­sa­tions des autres caté­go­ries de tra­vailleurs et par le bud­get du fédéral.

Ceci suf­fit-il à expli­quer pour­quoi la FWB n’a jamais réa­li­sé ce cadastre des emplois du sec­teur, mille fois pro­mis au moment des élec­tions, tou­jours oublié ensuite ?

L’Onem sonne la fin du modèle

Pri­son­niers d’un mar­ché du tra­vail de fac­to ultra­li­bé­ral, vic­times et moteurs d’une rota­tion accé­lé­rée des per­sonnes et des pro­jets, les créa­teurs et artistes ne sont pas par­ve­nus au cours des dix der­nières années à frei­ner ces évo­lu­tions, ni même à faire entendre leur situa­tion auprès des poli­tiques, sauf pour Éco­lo et pour quelques par­le­men­taires isolés.

Ils n’exigeront d’ailleurs que rare­ment une autre poli­tique, mal équi­pés col­lec­ti­ve­ment pour la for­mu­ler et esti­mant à titre indi­vi­duel que l’Onem, garante de quelques cen­taines d’euros par mois, reste leur unique planche de salut pour se main­te­nir dans des métiers qu’ils ont choi­sis et pour les­quels ils ont été diplômés.

Para­doxa­le­ment, aujourd’hui le prin­ci­pal fac­teur de chan­ge­ment du modèle, c’est l’Onem.

L’anomalie règle­men­taire que consti­tue ce « sta­tut d’artistes » ne cesse de per­tur­ber ses diri­geants, et paraît de plus en plus cou­teuse à ses ges­tion­naires. C’est que le nombre des béné­fi­ciaires a crû avec la sur­pro­duc­tion des pro­jets, et que des abus ont été détec­tés aus­si. Enfin, la majo­ri­té a chan­gé et, semble-t-il, durablement.

Aujourd’hui, en ver­tu des déci­sions du gou­ver­ne­ment fédé­ral pré­cé­dent, les jeunes créa­teurs et artistes n’accèdent plus aux condi­tions mini­males pour émar­ger comme chô­meurs inter­mit­tents. Ils sont sim­ple­ment aban­don­nés sans protection.

Les plus anciens se démènent pour trou­ver les moyens de se main­te­nir, pous­sant les contra­dic­tions de leur vie mul­ti-acti­vi­tés jusqu’au « sur­réa­lisme », comme l’on qua­li­fie chez nous bien des choses hon­teuses ou injustifiables.

Le gou­ver­ne­ment de la FWB pro­teste bien sûr au comi­té de concer­ta­tion entre État fédé­ral et enti­tés fédé­rées, pro­met une alliance bien­veillante pour les artistes avec la Flandre libé­rale natio­nale, exa­mine si le rap­port annuel le CCAS annonce une embel­lie, pro­met une étude dans le pro­chain plan quin­quen­nal de l’OPC.

La FWB, avec sa majo­ri­té PS-CDH, dis­pose, il faut le craindre, de peu de moyens de convaincre l’Onem de chan­ger sa poli­tique avant que celle-ci ne la force à chan­ger la sienne.

Ou avant que les créa­teurs et artistes de qua­li­té, affa­més et démo­ti­vés, ne désertent défi­ni­ti­ve­ment le sec­teur cultu­rel, avec les publics à leur suite.

De nou­veaux modèles
de contrats programmes

Quelque trois-mille signa­taires pour chan­ger de type de contrats pro­grammes ? Ou pour faire sor­tir de l’impasse actuelle le modèle social ubé­ri­sé mis en place dans notre sec­teur cultu­rel et audiovisuel ?

Le décret des arts de la scène, modi­fié il y a deux ans sous la pres­sion du ter­rain, ouvre des pers­pec­tives. Et le renou­vè­le­ment en une seule vague de 263 contrats pro­grammes, pour enve­loppe de près d’un demi-mil­liard d’euros sur la période, consti­tue un momen­tum de poli­tique cultu­relle qui ne revien­dra que dans cinq ans.

Reste à en négo­cier les moda­li­tés trans­ver­sa­le­ment pour réta­blir l’emploi artis­tique et déve­lop­per le sou­tien direct aux créa­teurs et créa­trices, et ce en lien avec une réflexion sur les évo­lu­tions des attentes et des com­por­te­ments des publics au temps du numérique.

Ou à s’en abs­te­nir comme par le pas­sé sous cou­vert de la sub­si­dia­ri­té.

Qui contes­te­ra sérieu­se­ment que le moment est venu de mettre « l’artiste
au centre » ?

Frédéric Young


Auteur

licencié en sciences politiques et agrégé en sciences économiques, sociales et politiques, délégué général pour la Belgique de la SACD et de la SCAM