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Arabie saoudite, Yémen, Oman, Bahrein, Irak, Syrie, Algérie

Numéro 4 Avril 2011 par Alexis Van Doosselaere

janvier 2015

Ara­bie Saou­dite L’avenir de la monar­chie en Ara­bie saou­dite pose ques­tion depuis bien avant la « crise » que connait le monde arabe actuel­le­ment. Pour­tant, le royaume a tou­jours réus­si à s’adapter, en lâchant à chaque fois du lest et en appli­quant cer­taines réformes pour gar­der le sou­tien de sa popu­la­tion. Ain­si, le roi Abdal­lah a débour­sé 25,6 mil­liards d’euros de […]

Arabie Saoudite

L’avenir de la monar­chie en Ara­bie saou­dite pose ques­tion depuis bien avant la « crise » que connait le monde arabe actuel­le­ment. Pour­tant, le royaume a tou­jours réus­si à s’adapter, en lâchant à chaque fois du lest et en appli­quant cer­taines réformes pour gar­der le sou­tien de sa popu­la­tion. Ain­si, le roi Abdal­lah a débour­sé 25,6 mil­liards d’euros de dépenses sociales depuis le début des révoltes et des mani­fes­ta­tions arabes.

En fait, il n’y a pas eu de véri­tables émeutes ni même de grosses mani­fes­ta­tions en Ara­bie saou­dite. Si une par­tie de la mino­ri­té chiite — seuls 8% de la popu­la­tion font par­tie de cette confes­sion reli­gieuse — a mani­fes­té pour la libé­ra­tion de pri­son­niers poli­tiques, presque per­sonne n’a bat­tu le pavé le 11 mars der­nier pour ce qui devait être un « jour de colère ». Il faut dire que les mani­fes­ta­tions ont été inter­dites dans ce pays gou­ver­né par la cha­ria. Et que le gou­ver­ne­ment et les auto­ri­tés reli­gieuses ont bien fait com­prendre à la popu­la­tion qu’il ne fal­lait pas sor­tir dans les rues.

Des pro­grammes télé­vi­sés, des mes­sages par télé­phones por­tables et des rumeurs sur inter­net ont été lar­ge­ment dif­fu­sés dans le pays pour empê­cher un quel­conque mou­ve­ment pro­tes­ta­taire. Les rumeurs pré­ten­daient que les orga­ni­sa­teurs fomen­taient un com­plot ira­nien et que les mani­fes­tants ris­quaient de lourdes amendes et des peines de pri­son. Le jour même de la mani­fes­ta­tion, le dis­po­si­tif poli­cier était énorme et de nom­breux bar­rages de sécu­ri­té ont été ins­tal­lés. Les digni­taires reli­gieux, qui ont une grande auto­ri­té dans ce pays très conser­va­teur, appuyaient évi­dem­ment le gou­ver­ne­ment et jus­ti­fiaient l’interdiction de manifester.

Comme elle ne pou­vait admettre l’idée d’un ren­ver­se­ment de régime d’un des membres du Conseil de coopé­ra­tion du Golfe (CCG), l’Arabie saou­dite a, avec les Émi­rats arabes unis, envoyé des troupes au Bah­reïn voi­sin pour sou­te­nir le roi Hamad et mon­trer l’exemple.

Le roi Abdal­lah a néan­moins pro­gram­mé un cer­tain nombre de dépenses pour désa­mor­cer l’agitation popu­laire. Des mil­liards d’euros ont été déblo­qués pour amé­lio­rer la sécu­ri­té sociale, finan­cer des cré­dits au loge­ment, ou sou­te­nir des étu­diants dému­nis. Le gou­ver­ne­ment répond donc par des mesures socioé­co­no­miques alors que les pro­tes­ta­taires auraient vou­lu une ouver­ture poli­tique dans un pays où il n’existe tou­jours pas de Par­le­ment et où beau­coup de blo­gueurs, écri­vains ou essayistes ont été empri­son­nés pour avoir posé des ques­tions dérangeantes.

Le 25 mars 2011


Yémen

Il existe éga­le­ment une place Tah­rir à Sanaa, la capi­tale du Yémen. C’est notam­ment sur ce lieu sym­bo­lique que se sont don­né ren­dez-vous des mani­fes­tants, prin­ci­pa­le­ment des étu­diants, le 12 février der­nier, afin de pro­tes­ter contre le régime d’Ali Abdal­lah Saleh. 

Encou­ra­gés par les évè­ne­ments égyp­tiens et tuni­siens, des mou­ve­ments de contes­ta­tion ont été orga­ni­sés dans ce pays gou­ver­né depuis trente-trois ans par le pré­sident Saleh. Si la répres­sion fut impor­tante dès le début, elle n’empêcha pas le mou­ve­ment de gros­sir et de pro­vo­quer d’importants chan­ge­ments dans le gouvernement.

Après un mois et demi de mani­fes­ta­tions, la contes­ta­tion a pris un tour dra­ma­tique le 18 mars, lorsque des sni­pers ont ouvert le feu sur la foule. Cin­quante-deux per­sonnes ont été tuées et six-cents autres ont été bles­sés. Le pré­sident nie toute res­pon­sa­bi­li­té dans ce mas­sacre et accuse l’opposition d’inciter à la vio­lence et au chaos, tan­dis que des mani­fes­tants, eux, pré­tendent avoir cap­tu­ré cinq sni­pers avec des cartes d’identité du gouvernement. 

À la suite de cette répres­sion meur­trière, plu­sieurs membres du gou­ver­ne­ment Saleh ont démis­sion­né, par­mi ceux-ci l’ambassadeur du Yémen aux Nations unies ain­si que les ministres des Biens reli­gieux, du Tou­risme et des Droits de l’homme.

Les prin­ci­paux acteurs de l’opposition sont le Par­ti socia­liste yémé­nite et le par­ti isla­mo-tri­bal al-Islah. Ceux-ci se sont ras­sem­blés, sous le nom de « la Ren­contre com­mune », et ont éga­le­ment orga­ni­sé plu­sieurs mani­fes­ta­tions. Néan­moins, il ne semble pas qu’ils puissent vrai­ment incar­ner le ras-le-bol géné­ral qui secoue le pays. Les deux par­tis ont déjà par­ti­ci­pé au pou­voir et ils ne cherchent pas à entrer en confron­ta­tion directe avec le gou­ver­ne­ment actuel. De plus, cette Ren­contre com­mune allie des par­tis aux pro­grammes poli­tiques radi­ca­le­ment dif­fé­rents et on voit mal com­ment un pro­jet poli­tique cohé­rent pour­rait être mis en place par cette coalition.

Ce n’est pas non plus, à la mi-mars, du côté de l’armée yémé­nite, qui regroupe en son sein beau­coup de membres de la famille du pré­sident, que la popu­la­tion va pou­voir trou­ver un appui. Ce sont plu­tôt les chefs tri­baux qui ont un rôle majeur dans l’évolution du mouvement. 

Depuis la fin février, des puis­santes tri­bus semblent de plus en plus tour­ner le dos au régime et sou­te­nir la popu­la­tion. C’est le cas notam­ment du clan al-Ahmar qui a récem­ment deman­dé à Saleh de prendre en consi­dé­ra­tion les demandes du peuple et de par­tir pacifiquement. 

Le pré­sident refuse d’abdiquer avant la fin de son man­dat en 2013.

Le 21 mars 2011


Oman

Bien qu’il conserve une image d’État pai­sible et stable, et que l’on ne parle que très peu de lui dans la presse, le sul­ta­nat d’Oman connait lui aus­si des heurts vio­lents entre mani­fes­tants et agents de l’ordre. Le 27 février 2011, deux mani­fes­tants ont même été abat­tus par la police, qui n’hésite pas à répri­mer vio­lem­ment la moindre cri­tique du régime en place.

C’est à Sohar, au nord de la capi­tale Mas­cate, que les pro­tes­ta­tions sont les plus intenses. De nom­breux ras­sem­ble­ments et sit-in ont eu lieu dans ce centre indus­triel, sur le rond­point du Globe qui est deve­nu le lieu sym­bo­lique de la contes­ta­tion. Les reven­di­ca­tions sont très simi­laires à celles des autres pays arabes en révolte. Les mani­fes­tants dénoncent la cor­rup­tion des élites poli­tiques et demandent des réformes consti­tu­tion­nelles ain­si que la liber­té d’expression.

Il est vrai que si le sul­tan Qabous bin Saïd Al-Said a fait beau­coup pour son pays, notam­ment avec la construc­tion de nom­breuses infra­struc­tures rou­tières et d’hôpitaux, mais il ne tolère pas qu’on mette son pou­voir ou ses déci­sions en cause. C’est pour­tant un diri­geant qui se veut proche du peuple, et qui effec­tue régu­liè­re­ment des visites dans les tri­bus du sul­ta­nat pour écou­ter les pro­blèmes que connait sa popu­la­tion. Il conserve néan­moins les rênes du pays.

Le monarque, qui a éga­le­ment œuvré pour amé­lio­rer la place des femmes dans la socié­té oma­naise, est au pou­voir depuis 1970, date à laquelle il a ren­ver­sé son père avec l’aide du Royaume-Uni. Celui-ci voyait dans le sul­tan Qabous un homme capable de moder­ni­ser le pays et sur­tout d’exploiter le pétrole, décou­vert peu avant cette année-là. L’or noir repré­sente d’ailleurs 65 % du PIB du sultanat.

La répres­sion n’a pour­tant pas été la seule réponse à l’agitation popu­laire qui a débu­té fin février. Le gou­ver­ne­ment a connu trois modi­fi­ca­tions impor­tantes en un mois et plu­sieurs ministres contro­ver­sés ont été limo­gés. Le sul­tan a éga­le­ment pro­mis la créa­tion de cin­quante-mille nou­veaux emplois.

Ce pays du Golfe compte trois mil­lions d’habitants dont plus d’un quart est d’origine étran­gère. Énor­mé­ment de migrants, en pro­ve­nance d’Inde, du Pakis­tan, du Sri Lan­ka, etc., s’installent dans ce pays consi­dé­ré comme plus stable. Alors que c’est plu­tôt ces « étran­gers » qui étaient régu­liè­re­ment contrô­lés, la popu­la­tion oma­naise arabe a vu les bar­rages et les contrôles de police se multiplier. 

Plu­sieurs acti­vistes ont été arrê­tés et sont tou­jours en déten­tion. Cer­tains pro­tes­ta­taires sont allés mani­fes­ter devant l’ambassade amé­ri­caine pour deman­der une inter­ven­tion de la grande puis­sance occi­den­tale. Celle-ci ne semble pas avoir l’intention de s’immiscer dans les ten­sions que connait ce pays. 

Le 31 mars 2011


Bahreïn

Les mani­fes­tants chiites Bah­reï­nies aus­si vou­draient un geste de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale en leur faveur, et cri­tiquent l’intervention mili­taire en Lybie. Car si il y a bien eu des mou­ve­ments de troupes étran­gères sur l’archipel, c’était pour sou­te­nir le gou­ver­ne­ment en place et pas pour appuyer les mou­ve­ments de contes­ta­tion qui secouent le pays depuis plus d’un mois. Le Conseil de coopé­ra­tion du Golfe (CCG) a, en effet, envoyé mille hommes au Bah­reïn, prin­ci­pa­le­ment en pro­ve­nance d’Arabie Saou­dite, les 13 et 14 mars, tan­dis que l’état d’urgence a été ins­tau­ré le 15 mars par le roi Hamad pour ten­ter d’enrayer les mou­ve­ments pro­tes­ta­taires qui se mul­ti­plient dans le pays.

Les liens qui unissent le royaume saou­dien et l’ile sont par­ti­cu­liers, puisque les deux pays exploitent en com­mun un gise­ment de pétrole. L’arrivée des sol­dats saou­diens a d’ailleurs pro­vo­qué une vive réac­tion de la part de l’Iran, qui a long­temps reven­di­qué l’archipel.

Les reven­di­ca­tions des pro­tes­ta­taires portent sur des sujets sociaux et incluent des demandes de réformes pro­fondes. Ils remettent notam­ment en cause le Pre­mier ministre Sheikh Kha­li­fa, un des oncles du roi, en place depuis 1971, qui repré­sente la vieille garde diri­geante — rap­pel d’un pas­sé dou­lou­reux. Les mani­fes­tants exigent éga­le­ment une modi­fi­ca­tion de la nou­velle Consti­tu­tion de 2002, date à laquelle l’émir devint roi. Cette Consti­tu­tion, écrite dès les pre­mières années de règne du roi Hamad bin Isa Al Kha­li­fa, laisse bien trop de pou­voir à celui-ci. Les mani­fes­tants vou­draient l’instauration d’une monar­chie constitutionnelle.

Néan­moins, même si l’opposition et les mani­fes­tants clament qu’il s’agit de contes­ta­tion prin­ci­pa­le­ment poli­tique, celles-ci prennent place dans un pays où deux com­mu­nau­tés confes­sion­nelles coha­bitent dans une paix sociale toute rela­tive. La dynas­tie des Al Kha­li­fa, en place depuis deux-cents ans, est sun­nite tan­dis que plus ou moins 70% de la popu­la­tion est de confes­sion chiite.

Il existe chez les chiites un véri­table sen­ti­ment de dis­cri­mi­na­tion. La situa­tion éco­no­mique n’est pas flo­ris­sante et dans la course à l’emploi, ce sont sou­vent des sun­nites qui rem­portent les postes admi­nis­tra­tifs. De plus, les auto­ri­tés ont été accu­sées d’avoir écha­fau­dé un plan pour modi­fier la démo­gra­phie du pays en natu­ra­li­sant de nom­breux sun­nites de pays voi­sins. Si la famille royale ne désire pas s’exprimer à ce sujet, elle ne met pas pour autant en cause la véra­ci­té de ces accu­sa­tions. Les ten­sions poli­tiques actuelles pour­raient donc agran­dir la frac­ture entre les deux com­mu­nau­tés confes­sion­nelles. À moins que le prince héri­tier Sal­man ben Hamad Al Kha­li­fa, qui passe pour un réfor­ma­teur, puisse amé­na­ger des chan­ge­ments dans le fonc­tion­ne­ment du pays.

Le 23 mars 2011


Irak

Depuis les révoltes de ces der­niers mois dans le monde arabe, l’Irak et la Pales­tine ont quit­té l’avant de la scène média­tique. En Irak, des mani­fes­ta­tions ont pour­tant éga­le­ment lieu, par­fois direc­te­ment ins­pi­rées par les évè­ne­ments de la place Tah­rir au Caire.

Au Kur­dis­tan d’Irak, les pro­tes­ta­taires ont inves­ti la « place du Palais », un lieu his­to­rique impor­tant de la ville de Süley­ma­niye, la capi­tale de la région. Place où débu­tèrent, en 1930, les pre­mières pro­tes­ta­tions contre l’occupant bri­tan­nique. Durant la période baa­siste diri­gée par Sad­dam Hus­sein, l’endroit connut plu­sieurs débuts de sou­lè­ve­ment contre le pou­voir de Bag­dad. Des exé­cu­tions capi­tales y ont éga­le­ment eu lieu durant les années quatre-vingt. Les mani­fes­ta­tions actuelles ont débu­té le 17 février 2011 par un ras­sem­ble­ment de sou­tien aux Tuni­siens et aux Égyp­tiens. Elles ont rapi­de­ment dégé­né­ré et se sont sol­dées, dès le pre­mier jour, par des jets de pierres en direc­tion du quar­tier géné­ral du Par­ti démo­cra­tique du Kur­dis­tan (PDK), dont le diri­geant, Mas­soud Bar­za­ni, est l’actuel pré­sident de la région auto­nome du Kur­dis­tan. Sa milice d’État a réagi en atta­quant les mani­fes­tants et en lan­çant des opé­ra­tions de repré­sailles sur les sièges des par­tis d’opposition. Ce qui ne fit que pro­vo­quer d’autres mani­fes­ta­tions dans d’autres villes de la pro­vince de Süley­ma­niye. Ces évè­ne­ments ont fait au moins neuf morts et trois-cents bles­sés. Les contes­ta­taires, orga­ni­sés au sein d’un comi­té inté­ri­maire, ont rebap­ti­sé cette « place du Palais » en place Tah­rir, en réfé­rence au Caire. Des imams, des mili­tants d’extrême gauche, ou encore des artistes, sont regrou­pés sur la place et par­ti­cipent au comi­té inté­ri­maire. Les reven­di­ca­tions vont du jihad à la lutte des classes sans que cela ne pose pour l’instant de pro­blèmes d’incompatibilités idéologiques.

Simul­ta­né­ment, au centre de l’Irak, dans la pro­vince de Wasit, un nou­veau gou­ver­neur a été dési­gné fin mars 2011, après un mois de mani­fes­ta­tions contre la mau­vaise gou­ver­nance et la cor­rup­tion. La contes­ta­tion s’est concen­trée dans la ville d’Al-Kout, la capi­tale de cette pro­vince. Cette nomi­na­tion n’a pas satis­fait les reven­di­ca­tions, car le gou­ver­neur n’est pas ori­gi­naire d’Al-Kout, ce qui était expres­sé­ment sol­li­ci­té par les mani­fes­tants. Les obser­va­teurs ont cru voir dans les mani­fes­ta­tions à Al-Kout le pen­dant ira­kien du prin­temps arabe, alors que d’autres remous ont eu lieu à Bag­dad, Mosoul, Bas­ra et Rama­di, entre autres. Mais les évè­ne­ments d’Al-Kout ont connu un épi­logue violent. Les réac­tions des forces de sécu­ri­té, qui auraient tiré à balles réelles, selon cer­taines sources, ont fait cin­quante-cinq bles­sés et un mort.

Dans l’ensemble des villes ira­kiennes, les mani­fes­tants ont sur­tout deman­dé une amé­lio­ra­tion des four­ni­tures d’électricité, des oppor­tu­ni­tés d’emploi, etc. Le Pre­mier ministre Al-Mali­ki a réagi en don­nant cent jours à son admi­nis­tra­tion pour pré­sen­ter un plan afin d’endiguer la cor­rup­tion et d’améliorer les ser­vices de l’État tels que l’électricité et les cartes de ration­ne­ment ali­men­taire. Al-Mali­ki a pro­mis, qu’après ce mora­toire de cent jours, il démis­sion­ne­ra les ministres négli­gents. Entre­temps, le Par­le­ment ira­kien a éga­le­ment annon­cé vou­loir abo­lir qua­torze-mille lois édic­tées durant la période du gou­ver­ne­ment inté­ri­maire amé­ri­cain et, avant cela, pen­dant le régime de Sad­dam Hus­sein. Rap­pe­lons que Paul Bre­mer, l’ancien envoyé du pré­sident Bush en Irak et diri­geant de l’autorité pro­vi­soire entre mai 2003 et juin 2004, a été for­te­ment cri­ti­qué pour cer­taines de ses déci­sions. Les plus contes­tées étant la démo­bi­li­sa­tion de l’armée ira­kienne et le déman­tè­le­ment des struc­tures de l’État baasiste. 

Le 12 avril 2011


Syrie

Le par­ti Baath prend le pou­voir en Syrie le 8 mars 1963, depuis cette date l’état d’urgence est ins­tau­ré. Qua­rante-huit ans plus tard, les pro­tes­ta­tions popu­laires qui embrasent le pays, même dure­ment répri­mées, obligent le pré­sident Bachar al-Assad à effec­tuer de grandes réformes et, peut-être, à lever cet état d’urgence.

En atten­dant ces réformes, les mani­fes­tants subissent une forte répres­sion et de nom­breuses per­sonnes ont déjà été tuées par balle, par la police ou des sni­pers non iden­ti­fiés. Les villes de Deraa, Sana­meïn, Tafas, Homs, Hama et Lat­ta­quié connaissent des affron­te­ments entre les forces de l’ordre et des pro­tes­ta­taires. Des dizaines de civils ont per­du la vie et des cen­taines de per­sonnes ont été blessées.

Bien que le pré­sident auto­ri­taire Assad passe pour un réfor­ma­teur et que son arri­vée au pou­voir en 2000, après la mort de son père Hafez al-Assad, avait sus­ci­té un peu d’espoir d’ouverture poli­tique, le régime en place gère d’une main de fer la vie poli­tique syrienne. Les arres­ta­tions ont for­te­ment aug­men­té ces der­niers jours, alors que le gou­ver­ne­ment relâche d’autres pri­son­niers poli­tiques pour désa­mor­cer les protestations.

Seul le sec­teur éco­no­mique a véri­ta­ble­ment pro­fi­té des chan­ge­ments appor­tés par Assad. Depuis la pré­sence de celui-ci au pou­voir, la Syrie est une terre d’accueil pour les inves­tis­seurs, notam­ment dans le domaine du tou­risme et de l’immobilier. Néan­moins, la grande majo­ri­té de la popu­la­tion ne béné­fi­cie pas de la poli­tique néo­li­bé­rale du pré­sident syrien et en paie même le prix puisque les aides sociales baissent tan­dis que les prix augmentent.

La Syrie n’échappe donc pas aux révoltes qui ébranlent le monde arabe. Et si la répres­sion mêlée d’annonces de vagues réformes ren­force les simi­li­tudes avec les autres pays tou­chés par des mou­ve­ments d’insurrection, l’appartenance confes­sion­nelle semble par contre être par­ti­cu­liè­re­ment déci­sive dans ce pays. 60% de la popu­la­tion est sun­nite alors que les diri­geants sont alaouites. Celle-ci, qui est une mino­ri­té dont est issu le pré­sident, s’est mis à dos la majeure par­tie de la popu­la­tion en mono­po­li­sant le pou­voir et les postes haut placés.

Le 22 mars, lors d’une mani­fes­ta­tion à Deraa, des slo­gans au conte­nu confes­sion­nel ont été cla­més par les mani­fes­tants. À ce sujet, le gou­ver­ne­ment accuse les fon­da­men­ta­listes de vou­loir « détruire la coexis­tence » dont la Syrie est un exemple1. Une coexis­tence qui semble pour­tant être for­te­ment mise à l’épreuve ces der­niers jours.

Le 29 mars 2011


Algérie

Kamel Daoud est édi­to­ria­liste au Quo­ti­dien d’Oran et tient la rubrique « Raï­na Raï­koum » (« notre opi­nion-votre opi­nion »). L’article que nous repre­nons est repré­sen­ta­tif du contexte algérien.

On ne joue pas avec l’appétit d’un peuple : à la fin, il vous mange. C’est la consé­quence de la réforme par la semoule du régime algé­rien. Après la chute de Ben Ali, la stra­té­gie algé­rienne pour arrê­ter l’effet domi­no a été double : de la semoule à la place de la démo­cra­tie et des pro­messes à la place des réformes. L’État d’urgence a été levé sur papier, mais le reste est res­té : inter­dic­tions diverses, ver­rouillages, dia­logue avec soi-même, cor­res­pon­dance par lettres avec la plèbe tenue à dis­tance, matraques et « bal­ta­guia2 ». Donc du côté démo­cra­tie, rien, et le Pou­voir a cru la ques­tion réglée. C’est du côté ali­men­taire que le risque pointe désor­mais. Des popu­la­tions entières ont été pro­vo­quées par les pro­messes d’emploi, de loge­ments et de cré­dits ban­caires sans que l’État en ait les moyens. Suc­com­bant à la men­ta­li­té du magique propre à la gou­ver­nance en Algé­rie (dès qu’on pond un décret, on croit que le pro­blème est réglé), le Pou­voir a lan­cé une vaste opé­ra­tion de charme qui com­mence à déce­voir cruel­le­ment les gens : les loge­ments pro­mis n’existent pas, en effet, des agences d’ANSEJ3 sont prises d’assaut ou même sac­ca­gées, des usines sont encer­clées, des routes sont cou­pées. La réforme par le sucre a réveillé une bête qui a faim, qui chôme depuis long­temps et qui veut sa part alors que Bou­te­fli­ka et les siens n’ont pas les moyens d’y répondre dans le temps et avec jus­tice. Du coup, le pays est plon­gé dans le chaos d’une table, mal ser­vi, bous­cu­lé par une sorte de har­wa­la4 vers la part de cha­cun, affo­lé de rater encore une fois le bien vacant. Bou­te­fli­ka a réus­si à réunir des popu­la­tions entières autour de la pré­si­dence, mais pas pour le réélire. Les pro­tes­ta­taires y viennent direc­te­ment car quand on veut tout cen­tra­li­ser, on cen­tra­lise aus­si les mécon­ten­te­ments et on s’offre comme cible directe de la colère. La solu­tion à cette situa­tion est du domaine de l’impossible depuis long­temps. Une sorte de SMIG par la décep­tion est désor­mais là et si les poli­tiques ne peuvent pas en faire un immense par­ti d’opposition, les concer­nés peuvent en faire une révo­lu­tion sans poli­tique pré­cise que le rassasiement.

La situa­tion est ren­due encore plus stu­pé­fiante avec des gré­vistes qui entourent eux-mêmes une pré­si­dence en grève ! Car la pré­si­dence elle-même assure le ser­vice mini­mum de récep­tion des étran­gers, ne com­mu­nique plus que par lettres, a un délé­gué en la per­sonne de Bel­kha­dem, n’apparait plus au bou­lot comme autre­fois et fronce les sour­cils quand elle est fil­mée. La dif­fé­rence est qu’on connait les reven­di­ca­tions du peuple, mais pas ceux de la pré­si­dence en grève d’image et de parole depuis des mois. Beau­coup de gens aiment inver­ser le fameux slo­gan « le peuple veut chan­ger de régime » et plai­san­ter sur le fameux « le régime veut chan­ger de peuple ». Et si c’était vrai­ment vrai et dra­ma­ti­que­ment impos­sible depuis dix ans ?

Le 26 mars 2011

  1. Bous­saï­na Chaa­bane, dans Domi­nique Lucas, « En Syrie, de nou­veaux affron­te­ments auraient fait des dizaines de morts », Le Monde, 29 mars 2003.
  2. « Bal­ta­guia » est un terme typique du par­lé égyp­tien qui signi­fie les « gros bras », uti­li­sés par les pou­voirs auto­ri­taires pour cas­ser et pro­vo­quer des troubles lors de mani­fes­ta­tions paci­fiques d’opposants (ndlr).
  3. Agence natio­nale de sou­tien à l’emploi des jeunes (ndlr).
  4. C’est un mot de dia­lecte arabe algé­rien qui veut dire marche rapide, pas hâtif, empres­se­ment, pré­ci­pi­ta­tion (ndlr).

Alexis Van Doosselaere


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