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Après septante ans, l’avenir continue ?

Numéro 3 - 2016 par Christophe Mincke

mai 2016

La ques­tion de l’information est au cœur de très nom­breux débats contem­po­rains. Il peut s’agir de poin­ter l’info­bé­si­té et les dif­fi­cul­tés qu’il y a, aujourd’hui, à dis­tin­guer l’essentiel de l’accessoire lorsqu’on est bom­bar­dé de nou­velles en per­ma­nence. Nom­breux sont aus­si ceux qui regrettent l’uniformisation du pay­sage média­tique, pri­vé de grandes voix, de points de vue, d’engagements militants […]

La ques­tion de l’information est au cœur de très nom­breux débats contem­po­rains. Il peut s’agir de poin­ter l’info­bé­si­té et les dif­fi­cul­tés qu’il y a, aujourd’hui, à dis­tin­guer l’essentiel de l’accessoire lorsqu’on est bom­bar­dé de nou­velles en per­ma­nence. Nom­breux sont aus­si ceux qui regrettent l’uniformisation du pay­sage média­tique, pri­vé de grandes voix, de points de vue, d’engagements mili­tants et de grilles d’analyse. L’uniformisation est aus­si celle des pro­prié­taires de médias et du for­ma­tage des « pro­duits » que vend la presse à ses « clients ». La presse est aus­si dénon­cée pour ses articles bâclés dans l’urgence et pour la dis­pa­ri­tion du temps de l’analyse en même temps que de la spé­cia­li­sa­tion des journalistes.

Par­lons-en, des jour­na­listes, tan­tôt hon­nis pour leur sup­po­sé manque de pro­fes­sion­na­lisme, tan­tôt plaints, pauvres idéa­listes aux prises avec un sys­tème qui les broie, les frustre, les empêche de se déve­lop­per, rend tout sim­ple­ment impos­sible leur tra­vail ; pré­ca­ri­té, urgence, sous-effec­tif, la liste des motifs de pré­oc­cu­pa­tion est longue. Bien enten­du, la place d’internet dans le pay­sage de l’information est éga­le­ment ques­tion­née. Au royaume du gra­tuit — der­rière la publi­ci­té, bien enten­du — com­ment vendre un article ? Quelle peut être l’utilité de la dif­fu­sion d’une infor­ma­tion fac­tuelle dans un média payant alors que les billets, les vidéos, les articles gra­tuits de la concur­rence cir­culent en tous sens ? Quelle peut être la durée de vie éco­no­mique d’une nou­velle dans un monde qui a réduit le « nou­veau » à un fugace ins­tant ? On ne peut non plus négli­ger les inter­ro­ga­tions éthiques sur une presse qui, trop sou­vent, aime à se vau­trer dans le cani­veau, à sur­fer sur le racisme, la haine et la bêtise pour « faire du clic » (publi­ci­tai­re­ment ren­table) ou pour vendre du papier. Col­por­ter des rumeurs, publier des non-infor­ma­tions sous des titres raco­leurs, cares­ser dans le sens du poil la bête qui som­meille en cha­cun de nous et se moquer comme d’une guigne des condam­na­tions morales des ins­tances déon­to­lo­giques : au bord du gouffre, cer­tains se rem­plissent les poches en louant l’accès à des tremplins.

Plaintes et pré­oc­cu­pa­tions concer­nant la presse se donnent ain­si à entendre de par­tout. A‑t-on jamais été aus­si insa­tis­fait du pay­sage média­tique qu’aujourd’hui ? Je ne sau­rais le dire. Ces plaintes sont-elles le signe d’exigences intel­lec­tuelles et démo­cra­tiques qui refusent de capi­tu­ler ? Peut-être. Sont-ce au contraire les habi­tuelles jéré­miades qui accom­pagnent l’enthousiaste élan vers le néant des socié­tés qui se sont per­dues depuis long­temps ? Espé­rons que non.

Tout n’est pour­tant pas noir. Inter­net met à notre dis­po­si­tion des réflexions innom­brables et sou­vent pas­sion­nantes lorsqu’on sait faire le tri. De nou­velles revues voient le jour, fon­dées sur le rêve d’écrire autre chose, autre­ment. Les tech­no­lo­gies modernes per­mettent de dif­fu­ser lar­ge­ment des conte­nus à moindres frais. Tout n’est pas noir.

Au milieu de tout cela, se tient une ancienne revue. La vôtre. La Revue nou­velle. Comme vous avez pu le consta­ter, un élan de renou­vè­le­ment, entre­pris par Luc Van Cam­pen­houdt, agite notre rédac­tion depuis plus de deux ans. Nou­velle maquette, nou­veau papier, nou­veau site, blogs, info­lettre, pré­sence accrue sur les réseaux sociaux, mul­ti­pli­ca­tion des évè­ne­ments, l’effort est consi­dé­rable pour notre petite structure.

Nous conti­nuons de faire le pari du papier, car nous pen­sons que le plai­sir de La Revue nou­velle ne tient pas qu’à ses conte­nus, mais éga­le­ment à l’objet qui arrive par la poste et que l’on découvre en déchi­rant l’enveloppe blanche.

Nous per­sis­tons dans notre choix de la prise de dis­tance et de l’analyse. À quoi sert-il de décrire des faits que cha­cun peut connaitre dans l’instant ? Pour­quoi ajou­ter un regard super­fi­ciel à des mil­liers d’autres ? Nous pré­fé­rons prendre le temps et pro­po­ser des points de vue construits, char­pen­tés. Nous pré­fé­rons aus­si prendre les devants et par­ler de ce qui n’est peut-être pas à la une, mais fini­ra par s’y trou­ver. Si l’on par­court les numé­ros de la revue, on ne peut qu’être frap­pé du nombre d’articles qui, un, deux ou dix ans après leur paru­tion, peuvent encore éclai­rer l’actualité la plus brulante.

Nous nous entê­tons à croire à l’intelligence du lec­teur, capable de lire des textes longs et com­plexes. Nous sommes en effet convain­cus que la sim­pli­fi­ca­tion à outrance pro­cède d’un mépris et que ce mépris, à la longue, entraine l’abrutissement ou le rejet.

Il ne faut cepen­dant pas se men­tir : la voie choi­sie en 1945 et que nous conti­nuons d’incarner sous une forme que nous pen­sons contem­po­raine, cette voie n’est pas la plus facile. La Revue nou­velle est fra­gile. Pas intel­lec­tuel­le­ment, pas mora­le­ment, pas idéo­lo­gi­que­ment, mais finan­ciè­re­ment. Les choses sont ain­si faites qu’il ne suf­fit pas d’être lu, il faut être payé pour cela. Actuel­le­ment, le pro­duit de nos ventes couvre les frais de pro­duc­tion maté­rielle de l’objet que vous tenez en main. Ce sont les sub­sides de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles qui per­mettent de payer les membres rému­né­rés de la rédac­tion. Les autres, auteurs, membres du comi­té de rédac­tion, direc­tion, n’ont d’autre rému­né­ra­tion que sym­bo­lique. Ils se paient de la joie de publier et de faire œuvre utile.

Qui peut garan­tir que les sub­sides seront main­te­nus à leur niveau actuel ? Que se pas­se­rait-il si le lec­to­rat de la presse payante conti­nuait de s’éroder en Bel­gique ? Ces ques­tions nous hantent, évidemment.

Il est un temps pour les idées et les idéaux, il en est un autre pour se pen­cher sur la via­bi­li­té du pro­jet. Ce temps est venu. Voi­ci la rai­son de cet édi­to­rial, vous indi­quer lec­teur fidèle ou récem­ment arri­vé, que La Revue nou­velle a besoin de vous. Si, comme nous l’espérons, vous y êtes atta­ché, vous ne sou­hai­tez cer­tai­ne­ment pas la voir dis­pa­raitre. Votre abon­ne­ment nous est néces­saire. Nous avons besoin que vous par­liez de nous autour de vous, que vous réper­cu­tiez nos ana­lyses sur les réseaux sociaux, que vous par­ti­ci­piez à nos évè­ne­ments, que vous soyez, en un mot, un des par­ti­ci­pants d’un large réseau qui doit rendre à La Revue nou­velle la place qu’elle mérite, la place dont elle a besoin.

Comme vous comp­tez sur une équipe moti­vée pour vous offrir un conte­nu inté­res­sant sous une forme attrac­tive, nous aime­rions pou­voir comp­ter sur vous pour nous offrir le sou­tien dont nous avons un vital besoin.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.