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Après le crépuscule des plombiers, l’aurore des architectes ?

Numéro 2 - 2015 par Lechat Benoît

mars 2015

Comme s’ils vou­laient confir­mer l’image d’un sys­tème poli­tique de plus en plus impuis­sant par rap­port à l’économie, les prin­ci­paux par­tis belges se sont donc payé le luxe d’une crise gou­ver­ne­men­tale et de nou­velles élec­tions à la veille d’assumer la pré­si­dence de l’Union euro­péenne et en plein milieu d’une crise mena­çant à tout moment de faire écla­ter la zone euro. Le fac­teur déclen­cheur de la crise — la des­ti­na­tion de quelques dizaines de mil­liers de voix d’électeurs fran­co­phones de la péri­phé­rie bruxel­loise — paraît bien déri­soire au moment où, empor­tée dans la spi­rale de la crise grecque, c’est toute l’économie euro­péenne qui est au bord du gouffre. Com­ment les par­tis belges ont-ils pu à ce point man­quer à leur devoir de sta­bi­li­té en cette période d’instabilité globale ?
Ce texte, que nous repu­blions en hom­mage à Benoît Lechat, est paru pour la pre­mière fois dans le numé­ro 5/6 de mai-juin 2010.

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C’est d’abord l’évolution socio­po­li­tique de l’électorat de la péri­phé­rie bruxel­loise qui explique l’extrême dif­fi­cul­té à nouer un com­pro­mis sur le res­pect de la fron­tière lin­guis­tique. Mais cet enjeu « péri­phé­rique » (au propre comme au figu­ré) cata­lyse autant l’exaspération fla­mande par rap­port au « sys­tème belge » que les angoisses d’une opi­nion publique fran­co­phone soi­gneu­se­ment entre­te­nue dans sa culture vic­ti­maire, et sin­gu­liè­re­ment par la RTBF en quête de pro­phé­tie auto­réa­li­sa­trice depuis son faux JT « Bye-bye Bel­gium » du 13 décembre 20061.

Échec à Dehaene

Tous ceux qui vou­dront créer les condi­tions d’une sor­tie de crise devront donc d’abord cher­cher les condi­tions sym­bo­liques d’un apai­se­ment avant de ten­ter de construire une nou­velle archi­tec­ture ins­ti­tu­tion­nelle pour le pays. Le temps est en effet venu de pas­ser de l’époque des plom­biers à celle des archi­tectes, comme l’écrivait l’historien fla­mand Mar­nix Beyen dans De Stan­daard du 30 avril. L’échec du plom­bier en chef, Jean-Luc Dehaene, semble en effet mar­quer la fin d’une époque. Après de longues manœuvres d’approches menées dans la dis­cré­tion, la négo­cia­tion finale sur sa fameuse « note Dehaene » aura tour­né en eau de bou­din. Au « non » fran­co­phone sur les com­pen­sa­tions accor­dées en échange de la scis­sion au moins par­tielle de l’arrondissement élec­to­ral de Bruxelles-Hal-Vil­vorde (BHV) a répon­du l’empressement d’un VLD sur­fant sur une opi­nion publique fla­mande exas­pé­rée par l’interminable feuille­ton BHV. La pro­po­si­tion d’accord de Dehaene pré­voyait notam­ment que les habi­tants des six com­munes à faci­li­tés pour­raient conti­nuer à voter pour les listes de l’arrondissement de Bruxelles, un appa­ren­te­ment avec les listes du Bra­bant wal­lon étant pré­vu pour les fran­co­phones des autres communes.

Prémices de la future réforme

Mais les négo­cia­teurs ont tout autant calé sur la scis­sion de l’arrondissement judi­ciaire (dans les com­munes sans faci­li­tés), sur l’insuffisance du refi­nan­ce­ment de Bruxelles exi­gé par les fran­co­phones qui deman­daient un accrois­se­ment de 500 mil­lions sur une base annuelle pour la capi­tale fédé­rale, même si les fran­co­phones rece­vaient un assou­plis­se­ment des lois lin­guis­tiques pour les cadres de la fonc­tion publique bruxel­loise. Le « plom­bier-démi­neur » dres­sait aus­si la liste des articles à révi­ser dans la pers­pec­tive d’une réforme de l’État beau­coup plus ambi­tieuse, appe­lée à ren­for­cer le pou­voir des Com­mu­nau­tés et des Régions, et à déga­ger plus de moyens pour un niveau fédé­ral exsangue, via une révi­sion de la fameuse loi de 1989 rela­tive au finan­ce­ment des Com­mu­nau­tés et des Régions. Enfin, la reprise du fameux « pre­mier paquet » (négo­cié en 2008) de réformes com­por­tant notam­ment la régio­na­li­sa­tion d’une par­tie de la poli­tique de sécu­ri­té rou­tière, devait assu­rer qu’il était encore pos­sible de par­ve­nir à de grands accords entre Communautés.

Des francophones toujours victimaires

L’échec de la négo­cia­tion — et par­tant, la chute du gou­ver­ne­ment comme la fin de la car­rière de Pre­mier ministre d’Yves Leterme — s’explique à la fois par l’exaspération et la sur­en­chère fla­mandes et par les cal­culs élec­to­raux des par­tis fran­co­phones socio­lo­gi­que­ment bien implan­tés en péri­phé­rie (comme le MR et le CDH), mais aus­si et sur­tout par la peur qui habite les par­tis fran­co­phones quant aux consé­quences d’un ren­for­ce­ment de l’autonomie fis­cale des Régions. À cet égard, la reven­di­ca­tion d’élargissement de la Région bruxel­loise — de nature essen­tiel­le­ment tac­tique, parce que per­sonne n’y croit en réa­li­té — a sans doute contri­bué à encore davan­tage cabrer les par­tis fla­mands et à illu­sion­ner l’opinion fran­co­phone sur la pers­pec­tive de retrou­ver dans ces com­munes des moyens de mieux finan­cer les enti­tés fédé­rées fran­co­phones. Car ce n’est évi­dem­ment pas à Kraai­nem ou à Lin­ke­beek que sera sur­mon­tée la dépen­dance inas­su­mée de la Wal­lo­nie et de Bruxelles.

L’avenir se joue en Flandre

Le tra­gique de la situa­tion est que cet enjeu bien plus impor­tant — celui de l’avenir éco­no­mique de la Wal­lo­nie, de Bruxelles — risque d’être la vic­time de l’entêtement fran­co­phone sur la scis­sion de BHV. Car il est plus que pro­bable que ce seront les par­tis fla­mands les moins inté­res­sés à une pour­suite d’un pro­jet com­mun — même radi­ca­le­ment dif­fé­rent — qui sor­ti­ront ren­for­cés du scru­tin du 13 juin. Son pre­mier enjeu est donc de savoir s’il y aura en Flandre les moyens de consti­tuer une majo­ri­té fédé­rale sans les par­tis natio­na­listes, qu’il s’agisse de la N‑VA, de la LDD ou du Vlaams Belang. Si les élec­teurs fla­mands devaient le per­mettre, cela n’enlèverait rien à la néces­si­té pour les fran­co­phones de se pré­pa­rer à repen­ser de fond en comble la « mai­son Bel­gique ». Pour les convaincre, il est donc urgent que les par­tis fran­co­phones expriment — avant comme après les élec­tions — une volon­té non ambigüe d’aller dans cette direction.

Du symbolique dès le 14 juin

Le scé­na­rio le plus opti­miste pour le len­de­main des élec­tions serait qu’une majo­ri­té se des­sine au Nord comme au Sud pour don­ner très vite le signal d’une volon­té de paci­fi­ca­tion. Une déci­sion très rapide sur la scis­sion de BHV per­met­trait d’exprimer une volon­té com­mune d’avancer. Elle devrait ensuite per­mettre de négo­cier rapi­de­ment un accord de gou­ver­ne­ment fédé­ral et « don­ner le temps au temps » pour négo­cier une grande réforme de l’État qui com­bi­ne­rait soli­da­ri­té, res­pon­sa­bi­li­té et ren­for­ce­ment du niveau fédé­ral. À cet égard, la mise en place d’une cir­cons­crip­tion fédé­rale unique dans laquelle une par­tie des par­le­men­taires fédé­raux serait élue semble consti­tuer un enga­ge­ment sym­bo­li­que­ment tout aus­si impor­tant que la scis­sion de BHV. Et il ne peut être ques­tion de la limi­ter au scru­tin euro­péen, comme il en a été ques­tion dans ces négo­cia­tions de fin de printemps.

Le scé­na­rio pes­si­miste ver­rait évi­dem­ment l’élection rendre incon­tour­nables les par­tis qui ne font aucun mys­tère de leur volon­té ter­mi­nale d’indépendance de la Flandre. Nous entre­rions alors dans une période d’encore plus grande incer­ti­tude où l’on voit mal com­ment la Bel­gique pour­rait se pas­ser d’un arbi­trage exté­rieur pour régler ses conflits internes. Dans l’un comme dans l’autre cas, il sera encore plus que jamais néces­saire que les fran­co­phones se lancent dans l’accélération de leurs réformes internes — sin­gu­liè­re­ment en matière de gou­ver­nance et d’efficacité de l’action publique.

  1. Voir Gou­pil, « Les fran­co­phones vic­times de l’histoire », La Revue nou­velle, jan­vier-février 2007.

Lechat Benoît


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