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Après le 11 septembre, l’Amérique
S’il est un thème à la mode, c’est bien celui de la « différence de mentalité », ou même de « civilisation », qui existerait, voire n’arrêterait pas de se creuser chaque jour, entre les deux rives de l’Atlantique. Les lecteurs de La Revue nouvelle, grâce à celle-ci notamment, n’auront pas manqué d’y être attentifs. Le sujet est passionnant, et il passionne d’ailleurs, chacun y allant de sa construction intellectuelle et, aussi, de son expérience. Pas un diner où l’on ne s’offusque de l’« imbécilité » dangereuse de ce pauvre monsieur Bush ou de l’insupportable « unilatéralisme » de sa politique. L’Europe, qui n’arrête pas de se chercher, a ses certitudes, et s’il en est une communément partagée, c’est bien la conscience de la supériorité de sa « civilisation » et de son modèle sociétal, supposément fondé sur la paix, la solidarité et le respect de chacun, face à la sauvagerie égoïste et belliciste qu’entretiendrait la société capitaliste nord-américaine, tout entièrement vouée à la maximalisation du profit.
Pour intéressant, et souvent caricatural, qu’il soit, le débat en est-il bien un ? Tout se passe en effet comme si les Européens discutaient entre eux de ce que sont les Américains, et inversement. Et ce faisant, peu se rendent compte qu’en réalité le débat européen sur les États-Unis, de même que le débat américain sur l’Europe, sont d’abord destinés aux opinions publiques… « nationales », allais-je écrire. C’est (une partie de) la droite américaine qui, accentuant nos erreurs historiques et nos faiblesses, fait main basse sur un électorat hésitant en le poussant à considérer à priori comme « irrelevante » toute critique venant du continent autrefois ascendant mais désormais prétendument englué dans les fourberies du discours égalitaire et athée importé par les démocrates. Et c’est (une partie de) la gauche européenne qui, diabolisant le capitalisme de marché et entretenant des mythes égalitaristes, effarouche l’opinion en accentuant jusqu’à l’artifice des différences de civilisation et flatte son imaginaire supériorité culturelle.
Rien de cela n’est débat digne de ce nom. Ne vaudrait-il pas mieux en effet écouter ce que les Américains disent d’eux-mêmes ? Ce n’est pas qu’il faille rapporter ici, exemples à l’appui, les discours critiques de l’Amérique sur elle-même. Ils sont nombreux et riches, quoi qu’en pensent les moins bien informés d’ici. L’exercice aurait un côté facile et, de ce fait, déplaisant, par la manière d’autosatisfaction qu’il entretiendrait, prenant à l’appui de thèses bien connues ici les propos des « dissidents » de là-bas. Non : écouter ce que dit l’Amérique d’elle-même, ce n’est pas prioritairement donner la parole à ceux qui, là-bas, dénoncent comme nous les mêmes maux américains — c’est plutôt écouter ceux d’en face qui, laborieusement, essaient de comprendre qui ils sont, sans souci de se comparer ou de se justifier. Et pour cela, rapportent le plus honnêtement possible la fable qui, collectivement, les fait exister.
C’est cette fable que raconte David A. Westbrook dans le texte qui suit. Il n’y a pas là un argument ou une démonstration. Il y a, au sens propre du terme, un essay. Le lecteur dénoncera sans doute ses raccourcis et ses non-dits, s’offusquera de l’une ou l’autre simplification. Certes. Cet essai n’a rien de définitif et ne prétend pas convaincre. Son objet, et l’intérêt de sa publication en français, est simplement de donner à voir, et, par là, de tenter de dépasser les brouhahas des « débats » en cours. Le lecteur ne serait en effet pas bon lecteur s’il ne prenait le temps de laisser murir la fable qui lui est contée, essayant, sans d’abord vouloir juger, d’en saisir toute la mesure. Et il ne serait pas bon critique s’il ne s’interrogeait à son tour, et sur le même mode, sur ce qui nous fait être distinctement Européens.
Pierre d’Argent