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Après le 11 septembre, l’Amérique

Numéro 3 Mars 2003 par Pierre d'Argent

mars 2003

S’il est un thème à la mode, c’est bien celui de la « dif­fé­rence de men­ta­li­té », ou même de « civi­li­sa­tion », qui exis­te­rait, voire n’ar­rê­te­rait pas de se creu­ser chaque jour, entre les deux rives de l’At­lan­tique. Les lec­teurs de La Revue nou­velle, grâce à celle-ci notam­ment, n’au­ront pas man­qué d’y être atten­tifs. Le sujet est pas­sion­nant, et il pas­sionne d’ailleurs, cha­cun y allant de sa construc­tion intel­lec­tuelle et, aus­si, de son expé­rience. Pas un diner où l’on ne s’of­fusque de l’« imbé­ci­li­té » dan­ge­reuse de ce pauvre mon­sieur Bush ou de l’in­sup­por­table « uni­la­té­ra­lisme » de sa poli­tique. L’Eu­rope, qui n’ar­rête pas de se cher­cher, a ses cer­ti­tudes, et s’il en est une com­mu­né­ment par­ta­gée, c’est bien la conscience de la supé­rio­ri­té de sa « civi­li­sa­tion » et de son modèle socié­tal, sup­po­sé­ment fon­dé sur la paix, la soli­da­ri­té et le res­pect de cha­cun, face à la sau­va­ge­rie égoïste et bel­li­ciste qu’en­tre­tien­drait la socié­té capi­ta­liste nord-amé­ri­caine, tout entiè­re­ment vouée à la maxi­ma­li­sa­tion du profit.

Pour inté­res­sant, et sou­vent cari­ca­tu­ral, qu’il soit, le débat en est-il bien un ? Tout se passe en effet comme si les Euro­péens dis­cu­taient entre eux de ce que sont les Amé­ri­cains, et inver­se­ment. Et ce fai­sant, peu se rendent compte qu’en réa­li­té le débat euro­péen sur les États-Unis, de même que le débat amé­ri­cain sur l’Eu­rope, sont d’a­bord des­ti­nés aux opi­nions publiques… « natio­nales », allais-je écrire. C’est (une par­tie de) la droite amé­ri­caine qui, accen­tuant nos erreurs his­to­riques et nos fai­blesses, fait main basse sur un élec­to­rat hési­tant en le pous­sant à consi­dé­rer à prio­ri comme « irre­le­vante » toute cri­tique venant du conti­nent autre­fois ascen­dant mais désor­mais pré­ten­du­ment englué dans les four­be­ries du dis­cours éga­li­taire et athée impor­té par les démo­crates. Et c’est (une par­tie de) la gauche euro­péenne qui, dia­bo­li­sant le capi­ta­lisme de mar­ché et entre­te­nant des mythes éga­li­ta­ristes, effa­rouche l’o­pi­nion en accen­tuant jus­qu’à l’ar­ti­fice des dif­fé­rences de civi­li­sa­tion et flatte son ima­gi­naire supé­rio­ri­té culturelle.

Rien de cela n’est débat digne de ce nom. Ne vau­drait-il pas mieux en effet écou­ter ce que les Amé­ri­cains disent d’eux-mêmes ? Ce n’est pas qu’il faille rap­por­ter ici, exemples à l’ap­pui, les dis­cours cri­tiques de l’A­mé­rique sur elle-même. Ils sont nom­breux et riches, quoi qu’en pensent les moins bien infor­més d’i­ci. L’exer­cice aurait un côté facile et, de ce fait, déplai­sant, par la manière d’au­to­sa­tis­fac­tion qu’il entre­tien­drait, pre­nant à l’ap­pui de thèses bien connues ici les pro­pos des « dis­si­dents » de là-bas. Non : écou­ter ce que dit l’A­mé­rique d’elle-même, ce n’est pas prio­ri­tai­re­ment don­ner la parole à ceux qui, là-bas, dénoncent comme nous les mêmes maux amé­ri­cains — c’est plu­tôt écou­ter ceux d’en face qui, labo­rieu­se­ment, essaient de com­prendre qui ils sont, sans sou­ci de se com­pa­rer ou de se jus­ti­fier. Et pour cela, rap­portent le plus hon­nê­te­ment pos­sible la fable qui, col­lec­ti­ve­ment, les fait exister.

C’est cette fable que raconte David A. West­brook dans le texte qui suit. Il n’y a pas là un argu­ment ou une démons­tra­tion. Il y a, au sens propre du terme, un essay. Le lec­teur dénon­ce­ra sans doute ses rac­cour­cis et ses non-dits, s’of­fus­que­ra de l’une ou l’autre sim­pli­fi­ca­tion. Certes. Cet essai n’a rien de défi­ni­tif et ne pré­tend pas convaincre. Son objet, et l’in­té­rêt de sa publi­ca­tion en fran­çais, est sim­ple­ment de don­ner à voir, et, par là, de ten­ter de dépas­ser les brou­ha­has des « débats » en cours. Le lec­teur ne serait en effet pas bon lec­teur s’il ne pre­nait le temps de lais­ser murir la fable qui lui est contée, essayant, sans d’a­bord vou­loir juger, d’en sai­sir toute la mesure. Et il ne serait pas bon cri­tique s’il ne s’in­ter­ro­geait à son tour, et sur le même mode, sur ce qui nous fait être dis­tinc­te­ment Européens.

Pierre d’Argent