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Après l’État islamique : l’avenir incertain de la Syrie et de l’Irak
L’effondrement de l’État Islamique (EI) face aux opérations militaires en cours semble inéluctable. La reprise de Mossoul, l’avancée des forces coalisées vers Raqqa et la libération de territoires jusqu’alors sous le contrôle de l’organisation terroriste attestent de la défaite militaire de l’organisation terroriste. Dans le même temps, malgré les frappes américaines du 7 avril, Bachar el-Assad […]
L’effondrement de l’État Islamique (EI) face aux opérations militaires en cours semble inéluctable. La reprise de Mossoul, l’avancée des forces coalisées vers Raqqa et la libération de territoires jusqu’alors sous le contrôle de l’organisation terroriste attestent de la défaite militaire de l’organisation terroriste. Dans le même temps, malgré les frappes américaines du 7 avril, Bachar el-Assad semble parvenir à se maintenir en place. Différentes négociations et rencontres internationales se penchent d’ailleurs sur les programmes de reconstruction de la Syrie. Une dynamique postconflit émergerait peu à peu, clôturant une période de violence et d’instabilité au Moyen-Orient. Cette idée est largement surévaluée. Tout d’abord, les causes des conflits qui ont frappé aussi bien la Syrie que l’Irak n’ont fait l’objet d’aucune résolution ni même de projet politique visant à y répondre. Ensuite, la dynamique de ces conflits a favorisé de nombreuses fragmentations aux logiques contradictoires. Enfin, l’implication d’un nombre important d’acteurs étrangers, avec leurs propres priorités, crée un niveau d’instabilité supplémentaire. Ces différents mécanismes nourrissent un processus de violence qui n’est pas prêt de s’éteindre dans la région.
Dans un premier temps, il est nécessaire de comprendre que la fin de la domination territoriale de l’EI ne représente pas la disparation de l’organisation. La structure, dont l’histoire remonte au début des années 2000, a connu plusieurs périodes d’avancées et de reculs, parvenant à tirer profit des situations se présentant à elle pour se reconstruire et se propager. L’EI continue à disposer de moyens armés lui permettant de mener des opérations terroristes, même en l’absence de contrôle de villes importantes. De nouvelles capacités d’action sont aussi pointées rendant l’organisation plus résiliente. Le califat virtuel qui émerge est ainsi un nouvel élément opérationnel à suivre1.
L’affaiblissement territorial de l’EI représente, en outre, une opportunité pour d’autres mouvements djihadistes, tels que l’ancien Front Fatah al-Cham, l’ex-branche syrienne d’Al-Qaeda, réorganisé au sein du nouveau groupe Hayat Tahrir al-Cham. L’organisation, dirigée notamment par Abou Mohammed al-Joulani, djihadiste ayant gravi les échelons au sein d’Al Qaeda, dispose de puissants moyens l’aidant dans ses ambitions hégémoniques au sein des groupes luttant contre Assad et ses alliés. Souhaitant rendre la structure plus présentable, le groupe s’inscrit dans la volonté d’al-Joulani d’être l’épée (al-salil) protégeant les populations sunnites menacées par les projets chiites2. Cette opération marketing lui permet de rassembler autour de lui les groupes rebelles en déshérence et d’accroitre la radicalisation de la rébellion. Le groupe marque d’ailleurs des points importants en frappant durement au cœur du régime. Les attentats de Homs et de Damas en février et mars derniers lui permettent de démontrer ses capacités à toucher le régime et ses alliés partout et de s’affirmer, par conséquent, comme étant la seule force d’opposition efficace.
Ce maintien de la menace djihadiste n’est pas le seul à peser sur l’avenir de la région. La fragmentation de l’Irak et de la Syrie en différentes sous-entités soumises à l’influence de groupes aux intérêts antagonistes est un autre élément non négligeable.
Du côté syrien, tout d’abord, la décomposition de l’État a favorisé l’émergence de composantes nouvelles, aussi bien militaires qu’économiques. Développant à la fois des liens d’allégeance et des politiques opportunistes avec le régime, ces différents groupes finissent par agir en tant qu’acteurs contribuant à la prolongation du conflit, celui-ci étant essentiel à leur survie. D’un côté, certaines milices se sont vu octroyer de facto une autorité sur des territoires contrôlés. De l’autre, l’économie de guerre a permis l’enrichissement d’une nouvelle classe d’affaires. Sans être directement impliqués dans les processus de violence, ces nouveaux acteurs économiques qui agissent comme intermédiaires auprès des groupes armés trouvent une opportunité à voir le conflit perdurer. Peu d’éléments permettent d’ailleurs de penser qu’une résolution politique du conflit est possible à court terme. Les motivations des révolutionnaires sont toujours présentes, le maintien du régime et l’échec de toute négociation tendant à réaliser sa transformation étant peu ou prou actés. Le système Assad, fondé sur la brutalisation et sur des réseaux personnels, ne se prête guère à un partage du pouvoir ou même tout simplement à un dialogue politique avec l’opposition sur l’évolution institutionnelle du pays3.
Le dernier élément quant à la situation en Syrie est lié à l’instrumentalisation politique des différences ethnoconfessionnelles. Plusieurs rapports et témoignages attestent de déplacements de populations suivant des critères confessionnels, vers les zones contrôlées par le régime4. Ces déplacements forcés et les barrières érigées pour prévenir le retour des populations réfugiées amènent la création d’espaces ethniquement ou religieusement plus homogènes, avec le risque d’apparition de tensions communautaires, pourtant absentes à l’origine du conflit.
Cette fragmentation est également présente du côté irakien. Afin de lutter contre l’EI, l’État central a accepté l’émergence des unités de mobilisation populaire (Hachd al-Chaabi), forces paramilitaires en majorité chiites. Obéissant à différentes allégeances, ces milices finissent par devenir des acteurs à la fois militaires et politiques, notamment dans la province de Ninive et autour de Mossoul où ces forces sont engagées. Ces rivalités entre groupes aux intérêts divergents ne sont pas uniquement liées aux seules milices chiites. Début mars 2017, des combats fratricides ont éclaté à Sinjar, à cent kilomètres de Mossoul entre différentes factions kurdes, faisant craindre l’extension de ces heurts dès l’effondrement de l’EI.
Cette instabilité en Irak ne touche pas que la seule région de Mossoul. Le pouvoir du Premier ministre irakien Haïder al-Abadi est lui-même soumis à de fortes turbulences. Il n’est d’ailleurs pas exclu que ce dernier perde son pouvoir aux élections prévues en 2018 au profit d’une personnalité politique chiite alignée sur l’Iran, à l’image de l’ancien Premier ministre Nouri Al-Maliki. Cette perspective attiserait, à nouveau, les antagonismes entre communautés rivales voire à l’intérieur des mouvements chiites opposés quant à la politique à adopter vis-à-vis du puissant voisin. Partagés entre un esprit nationaliste pour les uns et une volonté de s’aligner plus fortement sur Téhéran pour les autres, les risques de désaccords et de luttes fratricides pourraient aller en s’accroissant. La question de la réconciliation post-EI autour de l’avenir des milices et de la gouvernance des régions reprises aux djihadistes sera dès lors importante. D’autant plus que le risque est grand, comme en Syrie, de voir les groupes terroristes issus de l’EI ou d’Al Qaeda entrer dans une dynamique de guérilla, frappant le pays au moyen de violentes attaques.
Enfin, le dernier élément pesant sur l’incertitude quant à l’avenir de l’Irak et de la Syrie est lié au poids des parrains extérieurs ayant leur propre agenda. Exacerbant les rivalités et les luttes entre les différents groupes nationaux et sous-nationaux, ces acteurs étrangers cherchent à maximaliser leurs intérêts dans les conflits en cours en profitant de la faiblesse ou de l’effondrement des pouvoirs centraux. L’exemple de l’Iran est emblématique. Sauveur d’Assad, Téhéran fait payer son soutien au régime via de juteux contrats dans le domaine des télécommunications ainsi que dans le secteur énergétique. Pas moins de 1000 hectares auraient été cédés aux Gardiens de la Révolution, puissants acteurs économiques iraniens pour le développement de terminaux gaziers et pétroliers. Pour Téhéran, l’intervention en Syrie, au-delà de l’intérêt stratégique qu’elle représente, suppose un retour sur investissements qui bouscule la relation entre les deux États. De son côté, la Russie se taille une part importante dans le contrôle de l’énergie offshore comme des secteurs financiers, commerciaux et des transports. La Syrie d’Assad devient ainsi un protectorat dans lequel la mainmise des principaux parrains iranien et russe pèse sur les plans de sortie de crise.
En conclusion, l’avenir de la Syrie et de l’Irak reste encore largement incertain face à l’éventualité d’un effondrement territorial de l’EI. Les deux pays sont aujourd’hui confrontés à des conflits où chaque acteur agit de manière opportuniste, en l’absence de tout plan viable préparant l’avenir. Les conflits syrien et irakien évoluent vers une configuration décentrée où les organisations et structures traditionnelles de médiation et de négociation sont relativement faibles. Le relatif degré d’ouverture des régimes en place (fragile en Irak, absent en Syrie), la multiplicité des centres autonomes de pouvoir et les mécanismes de concurrence et de manœuvre des différents acteurs, qu’ils soient sous-nationaux ou internationaux, empêchent les processus de désescalade et de démobilisation d’entrer efficacement en jeu5.
Face à ces constats, la résolution du long conflit qui touche le Moyen-Orient ne pourra passer que par une approche générale, tenant compte notamment d’acteurs non sectaires issus de la société civile. Les enjeux sont multiples. Au-delà des questions de sécurité, les transformations démographiques, les structures sociales, les territoires, les frontières, les migrations, les mixités ethniques et les alliances tribales économiques et militaires devront faire l’objet de dialogues et de concertations6. Sans cette vision globale et systémique pour l’avenir de la région, les violences ne feront que succéder aux violences, enfermant les populations dans un processus générationnel dont il sera difficile de sortir, et dont les conséquences déborderont de la région.
- H. Gambhir, The Virtual Caliphate : ISIS’s Information Warfare, Washington, Institute for the Study of War, Washington, décembre 2016, http://bit.ly/2hvCI2r ; R. Callimachi, « ISIS guides terror plots from afar, over internet », The New York Times International Edition, New York, The New York Times Company, 7 février 2017, p. 5.
- Liqakh khas — ‘Abu Muhammad al Julani zaïm Jabhat Fatah al-Sham, Al Jazeera Arabic, 17 septembre 2016, http://bit.ly/2cHicMO.
- Th. Pierret, « Ne croyez pas au discours de compromis d’Assad : le régime ne partagera pas le pouvoir », Middle East Eye, Londres, 13 janvier 2017, http://bit.ly/2p6C4Pd ; S. Heller, « Syrian Opposition Politics — with a Lower-Case ‘p’ », The Century Foundation, New York, The Century Foundation, 3 janvier 2017, http://bit.ly/2pBPPHg.
- No return to Homs. A case study on demographic engineering in Syria, Washington-Utrecht, The Syria Institute-Pax, 2017, http://bit.ly/2l8acpz.
- Ch. Tilly, S. Tarrow, Politique(s) du conflit. De la grève à la révolution, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, p. 239.
- .-W. Jeong, Understanding conflict and conflict analysis, Londres, Sage, 2008, p. 177s.